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24/09/2006

Talbi, Hayoun et Meddeb engagent des dialogues avec Benoît XVI

Trois intellectuels, d'esprits divers, prennent à leur tour en considération le propos du pape à Ratisbonne. Passionnant. Le ton est en train de changer...


Sur l'affaire de Ratisbonne, une petite partie de la "presse écrite" française se désolidarise de l'hystérie audiovisuelle. Chaque jour paraissent d'intéressants articles. Avant-hier je citais celui de Schneidermann et celui du quotidien de Lahore. D'autres ont suivi. Par exemple, dans  Le Monde du 23 septembre, un entretien avec Mohamed Talbi et une tribune de Maurice-Ruben Hayoun. Et, dans Libération du 24 septembre, un grand entretien avec Abdelwahab Meddeb...

 

1. MOHAMED TALBI : "LA RELIGION EST UNE RELATION PERSONNELLE A DIEU"

Mohamed Talbi est un linguiste et médiéviste tunisien, mal vu à la fois du régime Ben Ali et des extrémistes musulmans. Il déclare que Benoît XVI a le droit, "comme tout le monde", de s'exprimer : "Je connaissais les écrits de celui qui a été le cardinal Ratzinger. Je savais que pour lui, comme pour beaucoup d'Occidentaux, l'islam est synonyme de violence, et je le déplore... Mais la liberté ne se divise pas. Le pape a eu raison de donner son opinion sur l'islam, avec franchise et sincérité." Et Talbi exprime une idée qui pourrait (inch'Allah) servir de point de départ à des débats entre musulmans et chrétiens vraiment croyants : "La religion n'est ni une identité, ni une culture, ni une nation. C'est une relation personnelle à Dieu, une voie vers lui. On peut être musulman et de culture hollandaise, française ou chinoise."  Exact, ou non ? Peut-on dire cela de la foi au Coran, comme on le dit de la foi au Christ ? Débat à ouvrir...

 

2. MAURICE-RUBEN HAYOUN : LE PAPE A ETE MAL COMPRIS

Hayoun est philosophe et vice-président de la Fraternité d'Abraham. Il estime que "les derniers remous provoqués par la brillante leçon universitaire du pape Benoît XVI à l'université de Ratisbonne nous interpellent sur l'urgence qu'il y a à instaurer un véritable dialogue entre les religions et les cultures." A ses yeux, le propos du pape fut "un vibrant appel à un authentique dialogue entre les cultures, les religions et les civilisations" : "Cet appel, qui semble avoir été mal compris dans certains milieux [NDB : les médias !], n'en est pas moins fondé et sincère puisqu'il propose de bâtir l'avenir sur une conscience historique incontestable. On ne peut que déplorer la mauvaise manière que font au guide spirituel de plus d'un milliard de catholiques quelques voix du monde islamique.  [...] L'islam, même médiéval, peut s'enorgueillir d'avoir donné naissance à un grand philosophe, Abul al-Walid ibn Ruchd (Averroès), vénéré des juifs et des chrétiens du Moyen Age pour sa rectitude morale et la profondeur de sa spéculation philosophique. Or qu'a dit le pape, ou bien qu'a-t-il laissé entendre ? Que l'on devait s'inspirer d'un si haut exemple, et que l'islam n'avait qu'à puiser en son propre sein pour trouver des référents sérieux et fiables...

Commentaire : pourquoi le dialogue islamo-chrétien ne s'engage-t-il pas sur la voie théologique, qui est la voie d'un dialogue interreligieux digne de ce nom ? A cela il y a plusieurs explications. L'une d'elles est la répulsion du musulman pieux devant la foi en la Trinité et en l'Incarnation du Fils, vrai Dieu et vrai homme. Certains postchrétiens en déduisent qu'il suffit de renoncer aux "dogmes de l'Eglise", c'est-à-dire à la foi chrétienne, et qu'alors le dialogue devient facile. Mais ce dialogue-là n'a aucun intérêt : pour que la confrontation ait une valeur et un sens, elle doit se faire entre musulmans (vraiment musulmans) et chrétiens vraiment chrétiens.  

 

3.   ABDELWAHAB MEDDEB : "IL FAUT UN DIALOGUE, QUI NE DOIT PAS ETRE DE COMPLAISANCE" 

Meddeb est écrivain, universitaire (*), et se réclame des Lumières plus que du Coran - dont il est fin exégète. Il interprète lucidement la pseudo "affaire de Ratisbonne" : c'est "ce que recherchent les médias, avec du spectaculaire et de l'histoire dans le spectaculaire..."

Dans cet entretien à Libération, Meddeb donne son opinion personnelle sur le rôle de l'hellénisme dans la pensée chrétienne (thème de la conférence de Ratisbonne). Puis il analyse l'islam :

" La guerre avec les Mecquois fut une guerre de conversion. Il ya eu aussi la guerre avec les juifs et le  massacre des juifs de Médine, décidé par le Prophète" [...]  Et que dit le Coran ? "Il est ambivalent. Il y a le verset 256 de la 2ème sourate qui dit 'point de contrainte en religion'. Mais aussi les versets 5 et surtout 29 de la sourate 9, 'le verset de l'épée', où il est commandé de combattre tous ceux qui ne croient pas à 'la religion vraie'. [...] Le verset 5 est explicitement contre les païens et les idolâtres, aménageant en revanche une reconnaissance aux scripturaires, aux gens de l'Ecriture. Le verset 29, lui, englobe dans ce combat les scripturaires, désignant nommément les juifs et  les chrétiens. C'est le verset-fétiche de ceux qui ont établi la théorie de la guerre contre les judéo-croisés. L'islamisme est certes la maladie de l'islam, mais les germes sont dans le texte lui-même..."

Abdelwahab Meddeb explique ensuite comment les premiers islamistes (1920) ont remis en avant le jihad comme arme de combat contre ce qu'on pourrait appeler  la déculturation des sociétés arabes par l'occidentalisation : "Le jihad devient l'instrument de la réislamisation, puisque les sociétés musulmanes sont considérées elles-mêmes comme devenues impies."

 

Commentaire : Au terme de cette interview, Meddeb avance une interprétation du scandale médiatique fabriqué autour des propos du pape : "Parler de l'islam est aussi un détour pour parler de nous-mêmes..."  Autrement dit, Benoît XVI n'a cité la vieille controverse islamo-chrétienne byzantine (XVe siècle) que pour parler du malaise dans la civilisation européenne :  malaise qui est un véritable coma spirituel, intellectuel et moral, affectant notamment la raison occidentale. Les médias, de leur côté, se sont jetés - de manière obtuse - sur les trois lignes de la citation byzantine, pour en faire le prétexte d'un tapage rentable ; après quoi ils ont clamé que ce tapage était l'événement, que c'était la faute du pape, et que peu importait ce que celui-ci avait dit en réalité. Cette façon médiatique de parler de l'islam (et à l'islam !) en dit long sur "nous-mêmes", c'est à dire sur l'esprit de notre société et sa façon de fonctionner.

 

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(*) Il enseigne la littérature comparée à Paris X, et tient une chronique dominicale à France-Culture. 

 

Commentaires

> Merci d'avoir rassemblé ces éléments d'informations sur la controverse de Ratisbonne. En dehors de la tourmente médiatique, le pape ne vient-il pas de donner l'impulsion à une réflexion au sein même du monde musulman et en occident sur notre rapport contemporain à la foi et à la raison?

Écrit par : Leidrad | 24/09/2006

> Tout dépend où on s'assoit quand on va à la messe à Notre Dame et ce qu'on y cherhche quand on y va. Sa vision est réductrice, elle correspond peut être aux trente premiers rangées. Et qui nous permet de juger ?
Il suffit d'aller s'assoir un peu plus vers le fond.
Ceux qui pratiquent l'ascèse ne sont pas particulièrement démonstratifs... C'est même la règle.
La pratique religieuse pose une difficulté, celle de rester intégré à un monde qui ne partage plus grand chose avec l'enseignement des Evangiles. Le Chrétien qui vit ou essaye de s'affirmer dans sa foi doit être vigilant à ne pas se marginaliser.
Il arrive que vivre sa foi soit interprété de travers, fasse passer pour un anar-Christ.
Mt6.1 Gardez-vous de pratiquer votre religion devant les hommes pour attirer leurs regards ;
Mt6.5 Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leurs prières debout dans les synagogues et les carrefours, afin d'être vus des hommes. En vérité, je vous le déclare: ils ont reçu leur récompense.
Mt6.6 Pour toi, quand tu veux prier, entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret. Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
Mt6.7 Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens; ils s'imaginent que c'est à force de paroles qu'ils se feront exaucer.

Écrit par : Qwyzyx | 25/09/2006

DIALOGUER... SUR LA THEOLOGIE

> Avis très intéressants. Je vous rejoins tout à fait dans la nécessité de se placer sur le terrain de la théologie pour dialoguer, et sur la nécessité d'avoir face à face des représentants entiers de leur religion. Cela aurait le mérite d'éviter deux écueils qui se répondent.
Le premier est de dialoguer entre modernes, entre humanistes, et donc contre cette relation entre Dieu et sa créature. La foi est alors prétexte.
Le second est de laisser sa culture submerger sa foi et de n'adopter qu'une logique de combat d'effets non souhaités, d'un combat politique aux alliances hasardeuses. La foi est alors outil.

Écrit par : Maximilien FRICHE | 25/09/2006

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