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20/08/2006

"Libé" et les chrétiens (2)

>  Portrait d'un catholique du Roussillon, vigneron "équitable", altermondialiste et membre de la Confédération paysanne...

Lire aussi (commentaires) le message d'Alain Durel sur les chrétiens issus de la gauche  - et l'objection de Qwyzyx...


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Décidément Libération est bien inspiré au mois d'août (voir note du 19). Dans son numéro du 20, le quotidien parisien consacre son Portrait de dernière page à  "Marc Parcé, 55 ans, vigneron à Banyuls dans le Roussillon. Soixante-huitard désabusé, il a repris l'exploitation familiale et milite pour une viticulture biologique et équitable".  Voici des extraits de cet excellent papier, intitulé  Le sang de l'alter :

 

<<   … Un patriarche, père de neuf enfants, nu-pieds de moine et croix chrétienne dans l'échancrure de la chemise. En 1976, été d'extraordinaire canicule, il est arrivé de Paris, les paumes de main douces comme de la soie. […] Marc Parcé, instituteur spécialisé à Sainte-Geneviève-des-Bois, institution d'enfants inadaptés dans la région parisienne, a pris le train de son époque et fait son retour à la terre. A 25 ans, diplômé de psycho, il a rompu avec la vie rêvée de 68, devenue «un peu idiote» sept ans plus tard. Il est parti sur un coup de tête, avec ses deux enfants et sa jeune femme enthousiaste, malgré la crise, déjà, dans la viticulture du Midi.

 

Il en a «bavé». Piocher les parcelles éparpillées autour de Banyuls et Collioure, remonter les murets de pierre sèche que ses voisins pulvérisaient au bulldozer, ramener dans les vignes les mulets d'antan, charrier à dos d'homme les sulfateuses de 25 kg et les hottes de 40 […] Son père travaillait à Paris, dans une entreprise de télécommunications fondée par son grand-père. Il gardait un coin de soleil dans la tête. Depuis trente ans, Marc Parcé a fait de l'Enracinement, ode de la philosophe Simone Weil au travail manuel, son livre de chevet.  [...]

 

En 1978, deux ans après, Pierre, son frère, suivait son chemin. Puis ce fut au tour de Thierry, le benjamin, de prendre le train Paris-Le Boulou, frontière spectaculaire de beauté, qui vit passer les réfugiés républicains de 1936. Les trois frères, avant-bras rougis comme la terre de Banyuls, n'ont plus bougé. Trente ans plus tard, on arrache les vignes dans le Roussillon. Le monde du vin a fini par ressembler au Mondovino du film. Tyrannisé par les Parker et les Roland, stars du bon goût mondial, asséché par l'hygiénisation générale, qui fait préférer les colorants industriels au sang de la terre. Sur les terrasses multicentenaires, érigées pierre à pierre par des familles aujourd'hui dispersées, on arrache, on vend, on construit des villas de parpaings. Partout, sauf à la Rectorie. Ici, Parker n'a jamais mis le pied. «On est épargnés, et oubliés, aussi», remarque le propriétaire. Chez Parcé frères, rien n'a bougé, sinon la taille de la propriété, qui a décuplé et emploie douze personnes. Les fils de Marc Parcé marchent dans le pas des mules. Le patriarche veille devant son ordinateur, et dans les chais. Parfois, le travail, le vrai, lui manque. Il part alors dans les vignes caresser une grappe ou fendre un bourgeon.

 

Le grenache gris, cépage méprisé, a repris de la noblesse dans leurs cuves. Chaque automne voit s'élaborer une dizaine de cuvées aux noms poétiques : «Jeune fille sur le rocher», «Muté sur grains», vins doux et vins tranquilles d'appellation collioure ou banyuls. Pierre Parcé, photographe et graphiste, invente des étiquettes élégantes. Thierry fait l'oenologue. La totalité de la production, 200 000 bouteilles, est écoulée dans l'année, par Lavinia ou Legrand, enseignes prestigieuses, à Paris. On ne trouve la Rectorie, ou la Préceptorie, la deuxième propriété des frères Parcé, dans aucun supermarché. «Un miracle, dans la crise actuelle», salue, à Saint-Emilion, l'ami vigneron François des Ligneris. «Marc Parcé est en mouvement perpétuel, il a su transmettre sa passion à ses enfants», admire Patrick Baudoin depuis ses vignes sur les rives de la Loire. Marc Parcé lève un sourcil tranquille et dit tout bas : «Pour beaucoup de viticulteurs, l'objectif est d'acheter un 4 x 4 ou une Porsche. Je préfère la satisfaction d'employer deux personnes de plus.» Il aime se décrire «laborieux», confesse un besoin exigeant : «Je reviens sur ce que je fais, tout le temps.» […]

 

Avec des amis d'autres terroirs, irréductibles défenseurs de leur singularité, ils ont fondé une association de vignerons, Sève. C'est le nouveau combat de Marc Parcé, sa famille désormais mise à l'abri d'une mauvaise récolte. L'ancien soixante-huitard, enrôlé dans la Confédération paysanne, devenu altermondialiste de coeur, et paysan «équitable», est parti en guerre contre la FNSEA, «au pouvoir depuis cinquante ans, il faut que ça cesse !» Le patriarche s'anime soudain, fulmine : «Les blocages et le copinage dans la viticulture sont insensés. Il y a encore des gens qui disent que, pour s'en sortir, il faut produire plus...» Il milite pour la réforme du système des AOC, concept collectif dévoyé par l'individualisme et les marchands. «Tout est devenu confus, peu fiable, il existe des vins de pays meilleurs que des vins d'appellation, plus personne ne s'y retrouve.» Il voudrait retrouver l'esprit AOC d'autrefois, avec ses exigences, et chasser de la catégorie les «vins de rêve» et autre produits griffés qui envahissent le marché au nom du terroir : «Je ne veux pas entraver les viticulteurs français qui sont persuadés qu'il faut imiter les Australiens pour réussir et qui mettent des copeaux de chêne dans leurs barriques. Je veux juste qu'on laisse une place visible aux autres. Créer une simple appellation d'origine, par exemple.»  Plus loin que le vin, ce pionnier de l'agriculture biologique dans sa région a en tête l'avenir du monde paysan : «Notre rôle n'est pas seulement de produire...» Il se sent minoritaire. Comme en 1976, décennie du désherbant chimique, lorsqu'il arrachait, brin par brin, les mauvaises herbes de ses parcelles.

Pascale NIVELLE  >>

" Marc Parcé en 5 dates / 1951 : naissance à Bourg-la-Reine. 1971-1976 : instituteur spécialisé en région parisienne. 1976 : Retour à Banyuls. 2001 : achat d'une seconde propriété. 2005 : président fondateur de l'association Sève."

 

Ne  manque à ce portrait qu'une précision : Marc Parcé fait partie du comité éditorial de la revue catholique Kephas, lancée en 2002 avec le soutien de Josef Ratzinger.

Nous voilà loin du cliché du "catholique chef d'entreprise productiviste ultra-libéral"...

 

 

 

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Commentaires

> Bravo à Marc Parcé et à sa famille : des gens pareils montrent que le courage solide et l'intelligence du terrain n'ont pas disparu. Merci à vous de nous préciser qu'en plus ce vigneron contestataire est un "ratzingérien" ! Ca fera grincer des dents chez les margoulins du productivisme et les parigots-mondains comme cette amie (de droite) haut placée dans la pub à Paris, qui me disait de Jean-Paul II en 1995 : "le pape, y m'gonfle".

Écrit par : Laura Billeau | 22/08/2006

[de : Alain Durel]

> Je viens de lire avec bonheur votre article dans le journal du diocèse de Fréjus-Toulon... Je voudrais compléter votre analyse sur chrétiens de gauche / chrétiens de droite. Je veux parler de catégories beaucoup plus rares qui ne modifient pas les grandes lignes de votre analyse mais qui pourraient peut-être apporter une lumière sur la situation actuelle des chrétiens occidentaux.
Il s'agit des chrétiens issus de la gauche et des chrétiens issus de la droite.
Je me contenterai de dire un mot sur les premiers, que je connais mieux (c'est un euphémisme)...
Les chrétiens issus de la gauche ne sont pas des "chrétiens de gauche". Bien souvent les chrétiens de gauche, comme vous le soulignez justement, sont sensibles aux dimensions éthique et sociale de l'enseignement de l'Eglise mais souvent mal à l'aise avec ses dogmes (alors que, dites vous, le chrétien de droite serait moins gêné par la transcendance que par l'option préférentielle pour les pauvres.) Les chrétiens issus de la gauche, dont je fais partie, sont très sensibles à la transcendance et aux dogmes car ils ont vécu dans le matérialisme et sont des « assoiffés » de Dieu (cf. mon livre "La quête"). Ils s'intéressent à la théologie et encore plus à la spiritualité. De par leur origine politique, ils ne gardent pas moins certaines exigences sur le plan social. Mais, déçus par ce qu'est devenue aujourd'hui la « gauche » - dont le programme social a été peu à peu abandonné au profit de la « libéralisation » des moeurs, ces chrétiens issus de la gauche sont dans un désarroi politique bien plus grand que les chrétiens de gauche. D'une certaine manière, pour peu qu'ils s'intéressent à la doctrine sociale de l'Eglise, ils trouvent dans les encycliques de Jean-Paul II des options plus "à gauche" que celles de la gauche. Bref, le chrétien issu de la gauche est un déçu de la gauche qui ne peut se résoudre à considérer le capitalisme dans sa forme ultra-libérale comme évangélique, mais qui ne se retrouve pas dans les propositions de la gauche...
Il y a là tout un espace d'évangélisation qui a été négligé, me semble-t-il, et aussi un point de vue intéressant parce que critique à la fois du système de consommation et du « libertarisme » nihiliste de gauche.

A.D.



[De P.P. à A.D. - D'accord avec votre analyse. J'en profite pour rappeler à nos lecteurs que votre livre "La Quête" est aux Presses de la Renaissance, et qu'il est passionnant.]


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Écrit par : alain durel | 22/08/2006

[de : Qwyzyx]


> J'éprouve toujours beaucoup de réticences à l'égard de ces analyses ou de ces distinctions qui associent le spirituel et le politique. En quoi le Christ est-il de gauche ou de droite ? Le travail et la persévérance de ce vigneron sont méritoires. Il incarne des valeurs chrétiennes, et c'est ce qui importe le plus ; avant de s'interroger si son engagement spirituel peut s'associer ou être récupéré par une idéologie dont l'objectif essentiel est la conquête du pouvoir (ce qui est étranger aux objectifs de l'enseignement chrétien qui est d'aimer son prochain et non de le soumettre : le respect de la personne humaine).
J'ai beaucoup de mal à croire à l'existence d'un christianisme de "gauche" ou de "droite" en France où la politique de droite et de gauche a conduit à l'exclusion de la spiritualité qui a inspiré son droit, sa philosophie, son histoire, ses vertus poliiques, et qui ne s'émeut pas plus que ça des dysfonctionnements graves qui l'animent (il suffit de lire tous les ans les rapports - ou leur résumés - de la Cour des comptes pour apprécier la dérive).
Cette situation m'inspire quelques remarques :
Dans un pays où les consciences ne sont plus guidées par des principes sincères et animées d'un esprit critique rigoureux, le droit n'est qu'un accessoire et la justice une illusion. Il n'y a plus rien de commun entre l'entité France, sa gauche ou sa droite, et les valeurs chrétiennes, même s'il existe encore des individualités fortes qui savent vivre et faire briller les vertus cardinales.
La religion a été malmenée et manipulée par le poltique durant l'histoire (ex : gallicanisme). Ce genre de récupération qui vise à en faire - malgré elle et encore une fois - la béquille d'une politique moribond est critiquable. Le politique n'inspire plus aucune confiance et il est réduit à entretenir sa notoriété par procuration en fréquentant tout ce qui brille, a du lustre ou seulement un éclat fugace est critiquable. N'est-ce pas pour cette raison qu'ils se sont tous invité à l'enterrement de Jean Paul II ? S'ils avaient été sincères dans leur démarche, le Liban ne devrait pas connaître ce qu'il vit aujourd'hui.
Outreau témoigne des limites d'une société aspirituelle ou déspiritualisée - tant par la gauche que la droite. La "Nation" a accouché d'une souris à propos de cette affaire, attestant du peu de conscience qui y reste.
S'il existait vraiment des chrétiens de gauche ou de droite en France, il y aurait une démocratie chrétienne. Pourquoi n'y en a-t-il pas ? Surtout à la veille des élections qui se préparent ? Son inexistence en France épuise malheureusement un débat dont le seul effet est d'entretenir une illusion de plus dans un pays célèbre pour ses mirages.
Benoît XVI précise dans son encyclique que si la conscience chrétienne peut ou doit inspirer l'action politique, le religieux doit rester distinct du domaine politique. L'efficacité du chrétien réside dans son quotidien plus que dans un engagement politique où les luttes et les enjeux de pouvoir étrangers et ignorants de ses valeurs lui feront perdre son temps et priveront en fait de son aide tous ceux qui auraient pu en bénéficier s'il était resté à s'occuper de ceux qu'il côtoie au quotidien.
Le politique a toujours nui à la religion, à commencer par Constantin.


[De P.P. à Q. - Vous n'êtes pas en désaccord avec AD. Son souci principal n'est pas la politique : c'est l'évangélisation individuelle, et la personne en recherche.
Relisez ce qu'il dit des chrétiens "venus de la gauche", qui ne sont pas des chrétiens "de gauche" mais des êtres en recherche.
AD ne prône aucune confusion politico-religieuse, pas plus que Jean-Paul II dans ses encycliques, où il critiquait la société "matérialiste mercantile" en des termes que partagaient des altermondialistes...
Parler de chrétiens "venus de la gauche" (qu'ils soient post-68 ou déçus des années 1980, ou déçus de 1997-2002) n'est pas prendre position pour la "gauche". Cette "gauche" ne satisfait pas les aspirations sociales des personnes, parce qu'elle a le coeur et l'esprit vides. (La droite n'est pas mieux lotie).
Notez aussi que ni le papier de "Libération", ni les commentaires de ce blog, ne laissent croire que le vigneron Parcé ait un engagement politique ! S'il est de la Confédération paysanne, comme le dit "Libération", c'est pour contester le productivisme agricole, version rurale du matérialisme mercantile généralisé.
Et c'est en accord avec la pensée sociale de l'Eglise catholique...
Agir dans un syndicat n'est pas aller perdre son temps dans une des machines "politiques" qui s'étalent à la télé. (Ce serait autant de volé à l'évangélisation : vous le pensez et moi aussi).

ps/ Quand on voit comment a tourné la Démocratie chrétienne transalpine, on se dit que le "parti catho" est aussi une très mauvaise idée !

ps2/ Le spirituel chrétien n'est pas désincarné. Au contraire : il saisit toute la vie humaine, y compris dans ses dimensions sociales, donc aussi politiques. Mais ça ne veut pas dire que les machineries électorales actuelles servent le bien commun. Et ça ne veut pas non plus dire que le politique passe avant l'évangélisation, quoi qu'en pensent certains. "Cherchez le Royaume de Dieu et sa justice : le reste sera donné par surcroît." ]


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Écrit par : Qwyzyx | 23/08/2006

[de : Qwyzyx]


> La démocratie chrétienne existe aussi dans de nombreux autres pays comme en Allemagne sans être tombé dans la caricature italienne. Ce n'est pas la Dc qui a péché, mais les hommes qui la composaient. Une recomposition à terme de la Dc en Italie peut être possible quand Berlusconi se sera lassé de se payer un parti politique.

Qw.


[De P.P. à Qw. - Vous avez raison. Deux questions toutefois :
1. En quoi les partis chrétiens-démocrates ont-ils servi POSITIVEMENT la foi chrétienne depuis qu'ils existent ?
2. Comment concilier : a) la nécessité d'avoir une "ligne de parti", b) le fait qu'à tout problème politique, économique, social, il y a souvent PLUSIEURS réponses chrétiennes - différentes ou contradictoires ? ]


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Écrit par : Qwyzyx | 23/08/2006

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