31/07/2006
Intégrisme pathologique
Comment on peut devenir hérétique et sacrilège... par intégrisme.
_____________________________________________
La scène se passe hier 30 juillet, et j'en suis témoin direct. Dans une grande paroisse de la région parisienne, la messe du dimanche matin s'achève. Il fait encore très chaud à l'intérieur cette église. Le célébrant, qui semble octogénaire, reprend le micro et dit à l'assistance :
- Pendant la communion, quelqu'un d'entre vous m'a reproché de ne pas porter de chasuble ce matin...
Le malheureux prêtre explique qu'il est âgé, que la chaleur est pesante, qu'il porte une aube et une étole (alors que les hommes de l'assistance sont en chemisette) ; il invite son censeur à la charité chrétienne. Et il conclut :
- Que cette personne se rassure : même sans chasuble, la messe était valide.
Cette anecdote n'est pas aussi dérisoire qu'elle le paraît aux yeux d'un lecteur incroyant. Pour en comprendre la signification, il faut connaître le contexte. La messe paroissiale en question s'était déroulée dans le plus grand recueillement et de la façon la plus "romaine" : une liturgie de Paul VI (évidemment) avec kyrie, gloria et credo chantés par tous... A l'homélie, le célébrant avait commenté l'évangile d'une façon on ne peut plus classique, et en citant des souvenirs personnels - émouvants de la part de ce vieux monsieur. Il aurait fallu être un maniaque pour suspecter ses intentions en quoi que ce soit. Mais justement, l'un (ou l'une) des fidèles s'est comporté en maniaque. Il (ou elle) a profité de la communion pour faire une réflexion agressive au vieil homme : comme si la communion était le bon moment pour cela. Et comme si le fait de ne pas porter de chasuble invalidait une eucharistie.
L'attitude de ce fidèle trop "fidèle" est un symptôme. Cette personne si visiblement à cheval sur la Tradition ignore deux choses : s'en prendre au célébrant pendant qu'il distribue la communion confine au sacrilège. Et le fait de ne pas porter de chasuble n'a aucun effet sur la valeur du sacrement ; s'imaginer le contraire est une hérésie, et peu intelligente. Comment ose-t-on se vouloir "gardien de la religion" quand on la connaît aussi mal ? Force est de constater que l'intégrisme (au sens étymologique : vouloir figer la vie de l'Eglise dans des formes obsolètes) s'accompagne souvent d'une profonde ignorance religieuse ; ce qui est paradoxal, au moins en apparence.
On dira : la personne en question devait souffrir d'une pathologie du comportement.
Peut-être... Mais ces pathologies ne font rien surgir dans le cerveau de ceux qui en souffrent. Elles ne font qu'exagérer une tendance dominante. En l'occurrence : la tendance à croire que l'on a un "droit" sur les rites auxquels on assiste, et selon l'idée qu'on s'en fait. Dans la mesure où l'individu intégriste se donne ce droit, il devient un exemple d'une névrose contemporaine : l'hyper-individualisme et le "c'est mon droit". Névrose caractéristique des comportements d'une société moderne que, par ailleurs, l'intégriste croit combattre ! Et ceci est un second paradoxe.
Ce que je dis-là n'enlève évidemment rien au fait que la messe soit mal célébrée dans de nombreuses paroisses en Europe occidentale : prières importantes remplacées par des chansonnettes, absence de recueillement, rôle abusif de l'animateur (ou animatrice) ; on sait que cette dégradation est l'un des soucis majeurs de Benoît XVI et du nouveau préfet de la congrégation pour le Culte divin, Mgr Ranjith.
Mais ce problème, très sérieux et trop répandu, n'excuse en rien l'attitude des ultras de l'autre bord. Surtout quand elle mène à des esclandres aussi absurdes - et injustes humainement - que celui dont nous venons de parler...
P.P.
08:30 Publié dans Eglises | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : religion, psychologie, christianisme, Eglise catholique
Commentaires
> Le Christ a déjà répondu à ces gens : David devait-il consommer les offrandes du Temple ? On pourra rétorquer à Jésus : avait-il réellement faim ? Parcequ'on en avait vu d'autres qui....
Écrit par : mongka | 31/07/2006
[de : JL Bizet]
> C'est aussi de l'intégrisme, de parler d'hérésie et de sacrilège. Vous devriez vous mettre un peu au courant, pour faire Eglise au coeur de ce monde qui se fait aujourd'hui !
[De P.P. à J.L.B. - Mettez-moi au courant.]
Cette réponse s'adresse au commentaire
Écrit par : JL Bizet | 01/08/2006
> Le port de la chasuble est obligatoire à la messe, même si cela ne remet nullement en cause sa validité. Une messe sans Evangile est tout aussi valide.
En fait, ce qui fait la validité d'une messe, ce sont juste les paroles de la consécration qui doivent être récitées selon l'intention de l'Eglise. Tout le reste de la messe n'est pas "utile" pour sa validité. Il n'empêche que c'est obligatoire.
Des prêtres qui suent à grosses gouttes durant la messe, on en connaît plein. Il existe néanmoins des chasubles très fines pour l'été...
Cela étant le reproche en question n'aurait pas du être fait à ce moment de la messe. ça c'est aussi scandaleux.
Écrit par : PL | 01/08/2006
> Anecdote parfaitement symptomatique. Malheureux !
C'est une bonne chose que le prêtre ait pris la parole à la fin. Cela remet les choses en place. Les règles liturgiques, c'est important, mais la charité toute simple, l'humilité, c'est sacré... Il n'y aura plus de chasuble, au Ciel. Par contre, nous serons jugés sur la charité, et elle seule restera !
Une catéchèse de base serait profitable pour cette personne râleuse, sans doute...
Je suis d'accord avec l'auteur quand il parle de sacrilège...
Écrit par : Pimousse | 01/08/2006
[de : L. Passer]
> Relativement d'accord sur le caractère obligatoire du port de la chasuble. En fait, selon les normes en vigueur (cf. présentation générale du Missel romain 2002, ch. 335 et 336 ci-dessous), seul le port de l'aube et de l'étole est obligatoire et il ne peut y être renoncé. Le port de la chasuble est le principe mais peut subir des exceptions. Certaines normes, dans certains pays ou certaines conditions, autorisent de ne pas porter la chasuble (cf. ch. 336). J'ignore si l'absence de la chasuble exerce une influence sur la validité du sacrement de l'Eucharistie. Pleinement d'accord avec PP sur le manque de charité flagrant de celui qui attaque le prêtre au moment de la communion.
Laurent Passer
Présentation générale du Missel romain, 2002 :
335. Dans l'Église, qui est le Corps du Christ, tous les membres n'exercent pas la même fonction. Cette diversité des ministères dans la célébration de l'Eucharistie se manifeste extérieurement par la diversité des vêtements sacrés qui, par conséquent, doivent être un signe visible de la fonction propre à chaque ministre. Ces vêtements sacrés doivent aussi contribuer à la beauté de l'action liturgique elle-même. Avant d'entrer en l'usage liturgique auquel ils sont destinés, les vêtements portés par les prêtres et les diacres, ainsi que ceux des servants laïcs, seront avantageusement bénis selon le rite décrit au Rituel romain.
336. Le vêtement liturgique commun à tous les ministres ordonnés et institués, de tout degré, est l'aube, serrée autour des reins par le cordon, à moins qu'elle ne soit confectionnée de manière à adhérer au corps même sans cordon. On met l'amict avant de revêtir l'aube, si celle-ci ne recouvre pas parfaitement l'habit commun autour du cou. L'aube ne peut pas être remplacée par le surplis, même porté sur la soutane, lorsque l'on doit revêtir la chasuble ou la dalmatique ou, selon les normes, la seule étole sans chasuble ni dalmatique.
337. Le vêtement propre au prêtre célébrant, à la Messe et aux autres actions sacrées en liaison immédiate avec la Messe, est la chasuble, à moins que ne soit prescrit un autre vêtement à revêtir par-dessus l'aube et l'étole.
Écrit par : Laurent Passer | 02/08/2006
[de : Ch. Vaugirard]
> J'ai beaucoup apprécié cet article. En effet, ce type de comportement "psychorigide" est assez répandu et devient même une mode dans certains milieux.
M'autorisez-vous à le mettre sur mon blog ?
Cordialement
CV
[De P.P. à C.V. - Oui, bien sûr.]
Cette réponse s'adresse au commentaire
Écrit par : Charles Vaugirard | 03/08/2006
[de : JL Bizet]
> Ne voyez-vous pas que des mots comme "hérésie" et "sacrilège" n'ont rien à voir avec la démarche d'aujourd'hui en Eglise ? La personne dont vous parlez a posé un acte intégriste, mais vous apportez vous-même de l'eau au moulin de l'intégrisme en parlant le langage intégriste : "hérésie", "sacrilège" sont des mots qui datent de la religion des dogmes, aujourd'hui nous n'en sommes plus là.
[De P.P. à J.L.B. - Le catéchisme de l'Eglise catholique (§ 465 s.) signale le risque d'hérésie, à propos de l'incarnation du Fils qui est la clé de compréhension de l'eucharistie.
Et il parle (§ 2120) du sacrilège, en ces termes : "Le sacrilège consiste à profaner ou à traiter indignement les sacrements et les autres actions liturgiques, ainsi que les personnes, les choses et les lieux consacrés à Dieu. Le sacrilège est un péché grave surtout quand il est commis contre l'eucharistie puisque, dans ce sacrement, le Corps même du Christ nous est rendu présent substantiellement."
Comme vous le voyez, la personne qui a pris à partie le célébrant pendant la communion a commis (stricto sensu) un sacrilège. Et elle l'a commis parce qu'elle avait dans la tête une hérésie : croire que la validité de l'eucharistie repose sur le port d'une chasuble. L'eucharistie étant le coeur de la religion catholique, cette hérésie est cruciale.
D'où la question que je pose à cette personne (visiblement intégriste) : comment pouvez-vous ne pas savoir ces choses ?
A vous, cher J.L. B. (visiblement de l'autre bord), je pose trois autres questions : 1. Qu'appelez-vous "démarche d'aujourd'hui" ? 2. Pourrait-on être "en Eglise" si l'on écartait... le catéchisme actuel de l'Eglise catholique ? 3. Où avez-vous pris que l'Eglise catholique a renoncé à ses dogmes, fenêtres de l'intelligence humaine ouvertes sur l'infini mystère de Dieu ?
Quant à l'aspect anti-charitable du comportement de la personne en question, il ne peut vous avoir échappé, et ce n'est pas de cela que vous me parliez ; mais on ne le déplorera jamais assez. ]
Cette réponse s'adresse au commentaire
Écrit par : JL Bizet | 04/08/2006
[de : Polemikon]
> Pour Laurent Passer, sur l'obligation de la chasuble pour le célébrant principal, deux paragraphes complémentaires de Redemptionis Sacramentum (disponible sur le site du Vatican, Congrégation pour le culte divin, Annonciation 2004) :
- 123 - «Le vêtement propre au prêtre célébrant, pour la Messe et pour les autres actions sacrées en liaison immédiate avec la Messe, est la chasuble, à moins que ne soit prévu un autre vêtement à revêtir par-dessus l’aube et l’étole».[213] De même, lorsque, conformément aux rubriques, le prêtre revêt la chasuble, il ne doit pas omettre de porter l’étole. Tous les Ordinaires doivent veiller à ce que tout usage contraire soit supprimé.
- 124 - À l’exception du célébrant principal, qui doit toujours porter la chasuble selon la couleur prescrite, le Missel Romain donne la faculté aux prêtres qui concélèbrent la Messe, «de ne pas revêtir de chasuble, en prenant l’étole sur l’aube»,[214] en présence d’une juste cause, comme par exemple, le nombre plutôt élevé des concélébrants et le manque d’ornements. Cependant, si on peut prévoir une situation de ce genre, on doit, autant que possible, pourvoir à ce manque d’ornements. À l’exception du célébrant principal, les concélébrants peuvent même revêtir, en cas de nécessité, une chasuble de couleur blanche. Pour le reste, ils doivent observer les autres normes des livres liturgiques.
Écrit par : Polemikon | 04/08/2006
> Merci Mr de Plunkett, vous nous donnez du courage pour continuer à persévérer vers les belles liturgie traditionnelle et de passer au-delà de ces faiblesse de fatwa ! Il y a de quoi être écoeuré par l'histoire dont votre témoignage rend compte, mais réconforté par ce regard acéré que vous portez de l'intérieur ! Dieu reconnaitra ceux qui lui sont confiants et le cherchent....
Un grand merci !
Écrit par : Michel | 09/08/2006
> Certes, la question de la chasuble n'est pas l'essentiel de la messe. On peut cependant imaginer que le paroissien était agacé en voyant qu'un célébrant "classique" se passait de chasuble à l'exemple de ces nombreux prêtres qui ne revêtent plus les habits liturgiques prescrits. Jean-Paul II, âgé, malade, fatigué, n'aurait jamais imaginé se passer de chasuble pour célébrer la messe. Benoît XVI, qui souffre aussi de la chaleur, prend toujours une chasuble pour célébrer l'Eucharistie... Le problème n'est pas tant la liberté prise par le prêtre parisien que l'accumulation de libertés prises par un grand nombre de célébrants qui, il faut le reconnaître, n'ont eu aucune formation liturgique sérieuse ces dernières années.
[De PP à DC - Certes. Mais croire que l'absence de chasuble invalide le sacrement (c'est ce qui fut dit !), et choisir le moment de la communion pour le dire au célébrant, ça en dit long sur un état d'esprit... et sur un manque de formation liturgique sérieuse, de la part d'un fidèle pourtant si sourcilleux. ]
Cette réponse s'adresse au commentaire
Écrit par : denis crouan | 22/08/2006
> Cet état d'esprit est la confusion de l'essentiel et de l'accessoire. On ne peut pas tout mettre sur le même plan. Cette confusion sévit chez les progressistes : ils croient qu'il faut supprimer les dogmes quand on veut faire du social. Mais elle sévit aussi chez les traditionnels : ils confondent leurs valeurs de "milieu" avec la religion. Avez-vous déjà entendu ce cantique incroyable où il est question d'avoir "une sainte horreur de la vulgarité" ? Il y a là de quoi faire sursauter un croyant, car : 1. on ne sache pas que la "vulgarité" soit un péché, 2. ni que le "chic" (et il faudrait aussi le définir) soit une vertu théologique ! Voilà le genre de confusion qui peut amener un zélote à agresser verbalement un vieux curé en pleine communion, pour une question de vêtements. Certes le vieil homme aurait pu imiter les vieux papes qui portent chasuble même dans l'été torride de Rome : mais ça n'excuse pas le confusionnisme du fidèle énervé.
Écrit par : zébulon | 22/08/2006
Les commentaires sont fermés.