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30/07/2006

Peut-on "relativiser" Jésus-Christ ?

medium_Vikas_Swarup_1_.jpgSix réflexions, à propos du bloc-notes d'un diplomate-romancier indien...


 

 

 

Vikas Swarup (photo)  est Indien, diplomate et romancier. Dans Libération du 15 juillet, il publie son bloc-notes de la semaine : Inde et foot, Inde et terrorisme, Inde et nappe phréatique... A la fin, il réagit à une question de Stephen Hawking : l'astrophysicien demandait si l'humanité allait survivre une centaine d'années de plus. Oui, répond Swarup, mais seulement si elle accepte d'adopter le syadavada. C'est l'une des théories du jaïnisme, qui est une spiritualité indienne ultra-minoritaire (huit millions d'adeptes).

 

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rituel jain à Mysore (Inde du Sud)

 

Syadavada veut dire (en gros) "relativisme", selon Swarup : "D'après cette théorie, la vérité peut être représentée de différentes façons, chacune offrant une possibilité ou une probabilité, mais pas la vérité entière [...] Le meilleur exemple étant la parabole des six aveugles qui tiennent chacun un morceau de l'éléphant et pensent de façon erronée que c'est l'éléphant tout entier. C'est pourquoi le jaïnisme insiste pour qu'on ne profère pas de déclaration absolue sur quelque question que ce soit ; chaque déclaration doit être modulée d'un "peut-être" ou d'un "semble-t-il". Une telle approche semble être la meilleure façon de combattre le dogmatisme. Seul un syncrétisme peut aider à émousser les bords coupants des idéologies fondamentalistes. Cette philosophie détient la clé d'un monde plus civil, plus paisible et plus coopératif. Peut-être."

 

 

 1.   LE RELATIVISME EST UNE IDEE-FLIC

 

Il y a une ambiguité dans ce que dit Swarup. Est-ce qu'il nie l'existence de toute vérité ? Ou la possibilité humaine d'atteindre à une vérité ? Ou veut-il conjuguer les "différentes façons de présenter la vérité" ? Ce n'est pas clair. En fait, l'idée qui semble compter à ses yeux est de combattre le "dogmatisme", au nom d'un "relativisme".

 

Mais c'est une idée remarquablement banale en 2006.  C'est une idée d'hypermarché. C'est même une idée-flic.

 

Ce que Swarup ne dit pas, en effet, c'est que notre société est déjà dominée par le relativisme, sous sa forme la plus tranchante : celle qui affirme (péremptoirement) qu'il n'y a aucune vérité, voire aucune réalité objective ; et que 2+2 font 5 "si c'est mon choix". Dire que 2+2 ne font que 4 est considéré aujourd'hui comme une forme d'intolérance, donc comme un quasi-délit. Pourquoi ce relativisme brutal est-il devenu notre air du temps, notre pensée unique obligatoire ? Parce que c'est l'idéologie que la machinerie économique et commerciale impose au monde développé. Le relativisme est aux  idées ce que le marketing des comportements est au commerce et à la pub. Ainsi se réalise à tous points de vue la "société de marché" pure et parfaite.

 

Le marketing des comportements vise à susciter sans cesse de "nouvelles moeurs", exploitables commercialement : donc à repousser toujours plus loin les limites des moeurs socialement admises, et à achever d'effacer les derniers repères, vestiges du temps où des normes non marchandes (de diverses origines, religieuses et laïques) parvenaient encore à subsister.

 

D'où, aujourd'hui, la surenchère constante dans ce domaine des moeurs. D'où aussi le flottement généralisé des consciences, y compris chez le législateur (à la remorque des médias, centre nerveux de la société... et du marketing des comportements). D'où encore la cathophobie des médias, des managers et des politiques, dans la mesure où la pensée catholique est, aujourd'hui, le seul pôle de résistance à cette surenchère -  l'Eglise professant une vision de l'être humain inconciliable avec le marketing des comportements.

 

La vision chrétienne de l'humain est condamnée (sous le nom de "dogmatisme" !) par le relativisme devenu pensée unique de notre société. Le mot "dogme" est devenu ultra-péjoratif chez nous : il évoque une idée de stabilité et de permanence, et rien n'est plus étranger au marketing des comportements - selon lequel tout doit changer tout le temps, ce qui suppose l'effacement de la notion de nature humaine.

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On en est là : tout déstabiliser pour élargir sans cesse l'espace du profit, c'est la logique du système économique qui déploie aujourd'hui son empire, et qui se développera jusqu'à ses plus extrêmes conséquences.

 

Ce système prétend devenir à lui seul la totalité du monde humain, et chasser de celui-ci (sous le nom de "dogmes") toutes les valeurs non marchandes.

 

Il chasse aussi la raison. Cela de deux façons :    1. en lui interdisant d'explorer les questions essentielles de la destinée humaine; 2. en l'assujettissant au culte commercial des "émotions". Le relativisme contemporain est une défaite de la raison autant qu'une persécution contre la foi. Cette défaite s'opère au profit, non de la "tolérance" (quoi qu'on en dise), mais du matérialisme mercantile. Si la "religion mondiale" syncrétiste souhaitée par le bizness venait à naître, elle serait "l'oeuvre d'une commission d'experts chargée de rédiger une doctrine faisant l'unanimité des décideurs de la planète", écrit le P. Joseph-Marie Verlinde (1).  Le règne du relativisme est l'instrument de ce processus : c'est l'idéologie dominante, esprit d'un monde sans esprit...

 

Comprendre cela permet de voir ce que valent en réalité beaucoup d'éditoriaux, d'analyses et de "libres opinions" ; et, entre autres, le bloc-notes de l'honorable Mr Swarup.

 

 

 2.  A PROPOS DE L'ISLAMISME

 

On dira : "Le dogmatisme dont parle Swarup est celui du terrorisme islamiste..." 

 

C'est inexact : le propos de Swarup s'étend à toutes les pensée et religions de la planète. D'autre part, est-on sûr que l'islamisme relève du "dogme" ?

 

Le sociologue Farad Khosrokhavar (EHESS) n'est pas de cet avis. Le 16 juillet à France-Culture, il estimait que le fanatisme islamiste a peu à voir avec l'héritage réel de la pensée musulmane. Selon lui, les individus qui se jettent dans l'islamisme n'ont le plus souvent aucune culture religieuse d'aucune sorte, et l'islam (réinventé) qu'ils embrassent est trop pauvre en idées pour être appelé "dogmatisme" : il ne s'agit pas d'une religion "dogmatisée", mais d'un prétexte qui vient exacerber, de façon incroyablement brutale et sommaire, une attitude de révolte sociale et psychologique.  Néophyte, le fanatique ne cherche pas à savoir quelque chose de Dieu, ni à mettre cette connaissance en forme de "dogmes" : il cherche simplement la posture et le lieu à partir desquels dévaluer la société - et  se survaloriser soi-même -  de la façon la plus radicale. C'est ainsi que le fanatique aboutit à une ré-interprétation (un ré-emploi "moderne") de l'idée de guerre "sainte", avec le meurtre-suicide comme ultima ratio : moyen imparable, quoique démentiel, d'humilier ceux qui ont blessé son orgueil. Nous sommes ici au paroxysme du subjectif.

 

Au contraire, le "dogme" (au sens catholique) est un effort maximum vers l'objectivité : une tension de l'esprit humain, non pour justifier ses ressentiments et  prendre une revanche narcissique démesurée, mais pour essayer de rencontrer Quelqu'un qui est plus grand que notre coeur et qui apporte la paix.

 

Il n'y a donc aucun rapport entre la posture islamiste et la démarche chrétienne. Vouloir abolir les dogmes de l'Eglise catholique sous prétexte qu'il existe un terrorisme islamiste (et une violence endémique au Proche Orient) relève de la logique d'Ubu.

 

 

3.  RELATIVISME ET CARNAGES VONT BIEN ENSEMBLE

 

L'Histoire montre que les grandes tueries n'ont rien à voir avec le "monothéisme", contrairement à ce que disent les mythomanes de gauche et de droite. On voit mal en quoi le judéo-christianisme est responsable des boucheries napoléoniennes ou des abattoirs humains de 1914-1918. On sait quelle part le bouddhisme zen a prise aux atrocités guerrières du Japon impérial. On connaît l'idéologie sanguinaire du néo-hindouisme d'aujourd'hui.

 

Quant aux deux totalitarismes du XXe siècle, ils furent profondément relativistes. Dans ces deux systèmes mentaux, rien n'était vrai que ce qui correspondait, à chaque instant, à la ligne momentanée du parti-Etat. Il ne restait donc rien de la réalité. Ni aucun repère stable et objectif. Le stalinisme et l'hitlérisme étaient deux formes de nihilisme : dans leur philosophie, même la science n'avait plus de substance ni de portée universelle ; science "prolétarienne" (ou "aryenne") contre science "bourgeoise" (ou "juive")...

 

Face à cette double agression totalitaire, l'humanité s'est défendue en s'appuyant sur des valeurs universelles et invariantes : les droits de l'homme, la dignité de la nature humaine...  Valeurs qui n'étaient rien d'autre que la laïcisation des universaux chrétiens : la dignité intrinsèque de la créature de Dieu, la vocation divine de l'homme.  D'où ce paradoxe : l'invariant a servi de bouclier contre les deux menaces infernales du XXe siècle, mais aujourd'hui on nous assure qu'il n'y a d'autre menace - contre la civilisation des droits de l'homme -  que l'invariant, et spécialement le "dogme" ! Or que peuvent être les droits de l'homme, si l'homme n'a pas une dignité invariante, c'est-à-dire transcendante ? Cherchez l'erreur. Ou plutôt : cherchez (comme nous y invitait Josef Ratzinger) en quoi le nihilisme d'aujourd'hui cousine avec les nihilismes du XXe siècle...

 

 

4.  RELATIVISER, C'EST SE MEPRISER L'UN L'AUTRE

 

Le relativisme contemporain est aussi un sabordage du respect dû à l'esprit humain. L'honneur de celui-ci est d'exercer sa faculté de discernement. Et comme le note le P. Verlinde (op. cit., page 170), les points de divergence entre les diverses religions ou spiritualités sont décisifs : "entre le caractère personnel ou impersonnel de l'Etre divin, la nature créée ou émanée, la réincarnation ou la résurrection, etc, il faut choisir : ces conceptions ne sont pas interchangeables." Or le relativisme  (tout égale tout) et le syncrétisme (mélangeons tout) les traite comme si elles l'étaient ! On ne peut prôner le syncrétisme que si l'on ignore ce qu'est une religion, et les différences de nature entre les diverses religions ;  et si l'on ignore çà, de quel droit parle-t-on de questions religieuses ?

 

D'autre part, le syncrétisme, ou le relativisme, suppriment la possibilité de dialogue. Pour dialoguer il faut être deux : "tout dialogue authentique suppose que les interlocuteurs soient fidèles à la tradition qu'ils représentent", écrit le P. Verlinde, page 177. Vouer chacune des traditions en présence à se dissoudre dans une soupe commune, c'est les mépriser toutes. Si l'un des interlocuteurs voue sa propre tradition à se dissoudre, il la méprise - et se méprise ; sa présence à la table de discussion est dérisoire, voire désobligeante pour ses interlocuteurs ; dialoguer avec lui n'a plus aucun intérêt. 

 

 

5.  LE RELATIVISME EST UNE DEROBADE

 

"Vous n'êtes pas à l'étroit chez nous ; c'est dans vos sentiments que vous êtes à l'étroit" (saint Paul, 2ème lettre aux Corinthiens, 6, 12). Ce n'est pas le dogme qui est trop étroit pour nos brillantes mentalités relativistes : ce sont elles qui reculent devant l'audace d'ouvrir la fenêtre. ("Le dogme est une fenêtre ouverte sur l'infini" - Josef Ratzinger). Fermer la fenêtre, refuser la perspective de l'infini, ne pas oser l'affronter : ce n'est pas une attitude de courage. L'arrière-plan psychologique du relativisme est une dérobade. L'audace mentale consisterait à ouvrir cette fenêtre (notre intelligence humaine limitée) sur l'infini, en prenant le risque de rencontrer le Tout-Autre qui est Dieu - et qui ne peut être qu'absolu : risque intolérable aux yeux du relativisme, d'où son refus tranchant...  Ce refus est un sentiment étroit.

 

 

6.  ON NE PEUT PAS RELATIVISER JESUS-CHRIST

 

Dans son livre (pages 36-38),  le P. Verlinde souligne que l'on ne peut appliquer le relativisme à la foi chrétienne. En effet, on peut relativiser un système,  un ensemble de préceptes, mais c'est justement ce que la foi chrétienne N'EST PAS.  Le "centre et la source et la vie d'un chrétien" (dom Odon Casel) n'est pas une théorie, c'est une PERSONNE : celle de Jésus-Christ. On ne relativise pas une personne. "Le chrétien ne croit à rien d'autre qu'au Christ et à Celui qu'il est venu révéler : le Père", dit le P. Verlinde. Lire sous la plume d'un catholique qu'on serait "ridicule" de croire que la foi chrétienne s'adresse à l'humanité entière (je l'ai lu tout récemment) est une chose atterrante : cela revient à dire que Jésus-Christ n'est pas venu pour tous. Pour qui, alors ? Une élite ? Un clan ? Ou personne ? C'est à cette hypothèse autodestructrice qu'aboutit le relativisme, tel que le pratiquent certains chrétiens conformistes...

 

P.P.

 

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(1)  Les impostures antichrétiennes (Presses de la Renaissance, 2006).

Commentaires

> Tout à fait d'accord.

Bon été !

CV

Écrit par : Charles Vaugirard | 30/07/2006

> Excellente analyse !
êtes-vous sûr de votre citation de Ratzinger?
je me souviens de l'avoir entendu citer sous cette forme: "les dogmes sont des fenêtres ouvertes sur le mystère". Mais je n'ai pas la source.

Écrit par : françois | 31/07/2006

[de : Mongka]

> "Le "dogme" (au sens catholique) est un effort maximum vers l'objectivité" : Qu'est-ce-qui permet cet effort ?

"... qu'on serait "ridicule" de croire que la foi chrétienne s'adresse à l'humanité entière...". Qui a écrit cette niaiserie ?


[De P.P. à M. - 1. Vous le savez : selon la foi, la "maturation" des dogmes au sein de l'Eglise est le fruit de l'aide du Saint Esprit à la communauté des successeurs des Apôtres... 2. Je ne citerai pas le nom du prêtre (hélas !) qui a écrit ça ; je peux vous dire que je l'ai lu il y a trois mois exactement.]


Cette réponse s'adresse au commentaire

Écrit par : mongka | 31/07/2006

Les commentaires sont fermés.