Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

19/01/2006

Outreau : le juge Burgaud, produit de l'époque ?

« J’ai agi en conscience », dit le petit juge d’Outreau. Le pire, c’est que c’est (peut-être) vrai…


 

En demandant que l’on ne fasse pas du juge Burgaud un « bouc émissaire », Mme Guigou  – ex-garde des Sceaux – n’a  pas tort : c’est toute notre pratique judiciaire dans ses conditions actuelles (reflet de l’époque) qui explique la folie d’Outreau. Des vies brisées, des familles brisées, des enfants brisés parce que la Justice n’a pas vu, ou voulu voir, ce qu’était en train de faire un de ses juges…


 « Je veux bien qu’on dise que M. Burgaud n’était pas tout seul, que c’est toute une institution qui a dysfonctionné. Mais je suis désolée, il a de vraies responsabilités, il a fait de vraies erreurs », rectifiait tout de même Karine Duchochois, le 18 janvier, devant la commission d’enquête parlementaire.  

Les treize ex-condamnés sont formels.  Le juge, expliquent-ils, a faussé l’instruction, avec un acharnement dans la partialité qui défiait le sens commun. Il a même frôlé l’inhumain dans plusieurs cas : notamment  envers l’huissier Marécaux, lors de la mort de sa mère.   


Alors ce qui frappe, au stade présent, c’est   la bonne conscience  de ce juge.


Il a provoqué un désastre. S’en repent-il ? Pas du tout… Aucun remords.  Il se voit en victime : « Je suis mis en position d’accusé alors que j’estime avoir rempli ma mission honnêtement et conformément à la loi ». Il ne voit pas pourquoi compatir aux douleurs des innocents : présenter des excuses « serait la solution de facilité », déclare-t-il dans les magazines. Son avocat  renchérit dans les quotidiens : « mon client n’a pas à présenter ses excuses, et je peux vous dire qu’il ne va pas le faire ». C’est clair.  « J’estime avoir agi en conscience », proclame Fabrice Burgaud.

 

Or cette formule  - « j’agis en conscience » -  ne veut plus rien dire aujourd’hui. Le subjectivisme actuel dit : "mon" ressenti,  "ma" conscience ; il ne s'occupe pas d'avoir une conscience "droite", c'est à dire d'agir selon le vrai et le juste. Dans le Nouveau Charabia (1) qui nous tient lieu d'idiome, "j'agis en conscience" est devenu synonyme de : « J’ai envie… ». Ou de : « Je suis moi-même… ». Ou de : « Je vis mes désirs… ». La conscience est confondue avec les pulsions irrationnelles. L’individu croit que ces pulsions constituent son moi, et que leur épanouissement ne doit être entravé par rien (par aucun "sentiment de culpabilité"). Il croit donc que, pour « rester  lui-même », il doit « rejeter les culpabilités ».  Pour ne pas se « culpabiliser », il refusera d’assumer ses responsabilités, de reconnaître ses erreurs (et même les conséquences flagrantes de ces erreurs). Il se fera aveugle  pour ne plus devoir tenir compte du vrai et du juste, notions fâcheusement objectives, pleines d’aspérités : des notions susceptibles – par  exemple – d’empêcher un juge de déguiser  treize innocents en monstres. Le juge instruira uniquement à charge, persuadé de la culpabilité des treize parce que "c'est comme ça qu'il le sent".

 

Ainsi la "conscience" actuelle dira  qu'elle a suivi son feeling, et qu'on n'a pas le droit de le lui reprocher. Son sentiment sera si fort qu'elle faussera (sans même s'en rendre compte) l'application de codes sociaux essentiels : des règles de procédure, par exemple.


Je ne sais pas si Fabrice Burgaud est ce pur produit de l’époque.  Je ne l’ai pas rencontré personnellement. Je ne l’ai jamais croisé dans les couloirs du parquet de Paris, où il poursuit sa carrière. Mais si l’on essaie de comprendre l’incompréhensible gâchis d’Outreau, l’hypothèse la plus clémente paraît être celle-là : un petit juge qui a cru devenir une star.  A la StarAc, on monte le son ; à l'instruction, on gonfle un dossier. Mœurs d’aujourd’hui.

 

Ajout du 30 janvier  -  Commentaire d'une célèbre victime d'erreur judiciaire, rencontré ce week-end à Nîmes au salon de la Biographie :  " Si le juge d'instruction s'est comporté comme un pitbull, c'est la hérarchie judiciaire qui est responsable (comme le serait le maître du pitbull). Tous les actes de Burgaud étaient contrôlés par sa hérarchie. Or on vient d'apprendre - cf. Le Canard enchaîné de la semaine dernière -  que les deux supérieurs de Burgaud au parquet de Douai viennent d'être promus... à la Cour de cassation !  Comme ces nominations sont le fait du Conseil supérieur de la magistrature, c'est un message de mépris adressé par celui-ci aux politiques. La commission d'enquête parlementaire est snobée par le CSM.  On serait curieux de savoir ce qu'en pensent les députés, s'ils en pensent quelque chose. "

 

_________

(1) Lire à ce sujet la très amusante étude de Pierre Merle parue chez Milan il y a trois mois : Le Nouveau Charabia (le français est une langue étrangère !). Notamment le Lexique, pages 186 à 313.

08:25 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (12)

Commentaires

> Dans les compte-rendus de la commission, les victimes (les innocents accusés à tort) disent que Burgaud privilégiait les délires des vrais coupables jouant aux accusateurs. Et surtout les délires de Myriam Badaoui... Il paraît qu'il y avait une "fascination réciproque" entre cette femme et le juge ! On sait depuis le procès de St-Omer que Badaoui vivait toute cette affaire hyper-médiatisée comme une sorte d'émission de télé-réalité ! Elle en jouissait. Comme c'était aussi l'heure de gloire du petit juge, il y avait entre ces deux personnes une ressemblance de comportement.
H.

Écrit par : Hawa | 20/01/2006

> On peut aussi relever que l'épicentre de ce drame se trouve dans un quart-monde provincial, trés loin de Paris et des milieux privilégiés; on sait pourtant que notre époque voit un développement sans précédent de la pédophilie qui touche toutes les strates de notre société. Il suffit d'aller voir sur Internet les sites et les chats ouvertement pédophiles, dont le nombre connaît une croissance exponentielle. Pourtant, trés peu d'affaires voit le jour et Outreau, par un effet induit, va renforcer l'impunité; quel est le juge d'instruction qui ne sera pas paralysé dans ses poursuites par le spectre d'Outreau et la mise au pilori d'un confrére?

Écrit par : pef | 26/01/2006

> Qui sont et que sont devenus les avocats commis d'office au départ des mises en examen ? Ce sont eux qui n'ont pas fait correctement leur boulot. On en parle pas. Seront-ils interrogés ?

Écrit par : langlois | 26/01/2006

> Pourquoi avait-on mis des avocats d'office?

Écrit par : Béatrice | 27/01/2006

> Autrefois, un vendeur de lait qui mettait de l'eau dans son produit était condamné à boire sa mixture donnée par les passants.

Ne pourrait-on pas faire bénéficier le juge d'un mois d'emprisonnement, pour qu'il sache à quoi il a condamné ces innocents ?

Écrit par : Serge | 29/01/2006

> Pour Béatrice : un pauvre ne connaît pas d'avocat, quand il se retrouve en garde à vue, on lui en donne un, "commis d'office", c'est à dire choisi parmi les avocat du coin. En général, ce ne sont pas les ténors du barreau qui sont commis d'office...
A Outreau, on se demande si les avocats du départ on réellement défendu les accusés par tous les moyens.
D'où ma question. Seront-ils interrogés ?

Écrit par : Langlois | 29/01/2006

> A tous ceux qui s'intéressent aux fautes, non seulement des enquêteurs et du juge Burgaud, mais des avocats commis d'office ! Lisez ces infos du 31 janvier :

" Sandrine et Franck Lavier, deux des treize acquittés de l'affaire de pédophilie d'Outreau, ont mis en cause les policiers, les magistrats mais aussi les avocats de Boulogne-sur-Mer qui les auraient abandonnés lors de l'instruction du dossier. 'Personne ne voulait prendre mon affaire au début. L'avocat commis d'office m'a dit clairement qu'il ne pouvait pas s'occuper de mon dossier', a raconté Franck Lavier devant la commission d'enquête parlementaire sur Outreau. Accusé de viols sur des enfants et arrêté en mai 2001 avec son épouse Sandrine, il est resté comme elle en prison pendant trois ans. Condamné à six ans de prison en première instance en 2004, il a été acquitté en appel. L'avocat commis d'office ne l'a pas assisté lors du débat devant le juge des libertés, qui l'a écroué. Un avocat recruté ensuite par ses parents n'a pas soutenu de remise en liberté.
Au procès de Saint-Omer en 2004, cet avocat n'était pas présent et avait été remplacé au pied levé par le bâtonnier de Boulogne-sur-Mer, Antoine Deguines, qui s'est montré incapable d'empêcher sa condamnation pour le viol présumé d'une fillette pourtant déclarée vierge par l'expertise médicale.

Après son arrestation, Sandrine Lavier a été présentée sans avocat au juge d'instruction Fabrice Burgaud et au juge des libertés. Incarcérée à Rouen, elle s'est vu désigner un avocat d'office par le juge Burgaud. 'Il ne s'est jamais déplacé (en prison). Je n'ai jamais eu le dossier', a-t-elle témoigné. Elle n'est finalement parvenue à se faire assister sérieusement par un conseil, Me Philippe Lescène, que sur les indications de son chef de détention.

Le couple a réitéré les reproches déjà adressés au juge Burgaud et aux autres magistrats de l'affaire par les autres acquittés. 'On se cognait à un mur. La présomption d'innocence n'a jamais existé pour nous', a dit Franck Lavier.

Sandrine Lavier a raconté que ses quatre enfants, dont un nouveau-né, lui avaient été enlevés dès son arrestation. Elle ne les a revus que trois ans plus tard pour trois d'entre eux, ces dernières semaines pour le dernier. Un mois et demi après son incarcération, elle a appris en détention par un simple courrier des services sociaux qu'ils avaient été placés dans quatre familles d'accueil différentes. 'Je n'ai pas compris pourquoi, j'ai écrit aux services sociaux pour m'y opposer, on ne m'a pas répondu'. "

Écrit par : Silvina Ramos | 31/01/2006

> Que ce soit clair : c'est sans préjuger de l'affaire, sans parti-pris ! j'ai assisté, hier à la télé, à une partie de l'audition du juge Burgaud. J'ai vu un homme horriblement "mal". Je tiens en tant qu'être humain à lui témoigner de la sollicitude, du réconfort.

Écrit par : laetitia Barnier | 09/02/2006

> Je regarde avec attention la commission d'enquête Outreau depuis plusieurs semaines. J'ai été évidemment très touchée et émue par les témoignages des acquittés et de leurs avocats. Je déplore cependant que leurs auditions n'aient pas bénéficié du même intérêt médiatique que celle du juge Fabrice Burgaud, qui apparaît clairement aujourd'hui comme un bouc émissaire substitutif. Il est clair que, à l'instar des nombreuses autres affaires judiciaires, les médias se sont emparé de l'affaire Outreau, une première fois pendant l'affaire elle-même, une seconde fois aujourd'hui. La commission d'enquête me semble une aubaine pour de nombreux médias. Ils ont certes un devoir d'information, et j'étais bien sûr devant mon écran hier pour l'audition du juge Burgaud. L'avantage de cette retransmission est certain, puisqu'on a pu se faire sa propre opinion de la personnalité du juge, en dehors de toute manipulation médiatique. On parle de la responsabilité de ce juge, mais il faut également s'attacher à notre propre responsabilité, en tant que citoyens. Nous nous comportons souvent avec ce genre d'affaires comme nous le faisons lorsque nous croisons un accident de la route et que nous ralentissons pour satisfaire notre curiosité morbide. Il faut donner à l'opinion publique un nouveau "bourreau", puisque les acquittements du procès Outreau l'on laissé sur sa faim. Il serait intéressant de faire une étude sociologique sur la relation médias/opinion publique et essayer de comprendre jusqu'à quel point un juge, ou plus généralement l'institution judiciaire pour reprendre les termes de M. Wiel, a les mains libres pour agir en toute objectivité et faire abstraction de cette opinion publique. L'opinion publique a une frustration de ne pouvoir se faire justice elle-même et compte donc sur les magistrats pour "sévir". Dès lors, la pression sur le juge est énorme. Je pense qu'il faut tenir compte de cet élément, lequel, combiné à une affaire qui est à proprement parlé ignoble, met le magistrat, qui est un homme comme les autres, dans une position délicate et "bâtarde".

Écrit par : manue | 09/02/2006

> Impression du "procès médiatique" de Fabrice Burgaud: pourquoi n'entend-t-on que lui? Pourquoi cette audition nous laisse-t-elle la facheuse impression que les politiques se font juges et les journalistes "témoins à charges"... Il me semble y avoir au moins un vice de forme dans cette caricature de justice. Car de toute évidence on n'a pas évité ce dont on voulait se défendre: "une audition n'est pas un procès" entendait-on... A voir ! Sans connaître les procédures d'un jugement, je crains qu'on risque pour très longtemps d'avoir peur de la justice. C'est très grave, d'avoir peur d'une vertu...
Je suis intéressé par l'analyse qu'en fera P. de Plunkett. Merci.

Écrit par : Xavier | 10/02/2006

> Et la police dans tout sa c est bien elle qui a emmener le dossier sur le bureau du juge je comprend pas comment ils ont fait leur enquete croyez moi il n ai pas le seul a blamer, dommage qu il n est pas assume se fautes ils seraient sorti un peu plus leger de cette commission d enquete, si ses gens nous avaient etait mis entre les mains au moment ou l affaire est sorti il se serait fait lyncher personne aurait chercher si ils etaient innocent ou pas, on peu essaye de comprendre pourquoi il a agi ainsi bien sur son manque d experience et l horreur des faits, sa ne l excuse en rien , mais la moindre des choses auraient ete de reconnaitre toutes ces fautes, dommage parceque cette histoire ne lui servira pas d experience pour son avenir, peut etre le sait il deja que sa sera plutot quelque chose de lourd tres lourd a porter.

Écrit par : Geurgie | 11/02/2006

> Outreau? un manque de formation à la logique!
http://arendtoutreau.blogspirit.com/
http://www.prosopautism.com/ArenOut9.htm

Cheers
Guy

Écrit par : GFawkes | 17/02/2006

Les commentaires sont fermés.