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27/10/2005

L'abbé Pierre : message brouillé

Marc-Olivier Fogiel reçoit l’abbé Pierre à son émission de FR3, le dimanche soir 30 octobre : un faux événement. Mais précédé d’une vraie fanfare médiatique...


TV Magazine (23-29 octobre) a assisté à la prestation de l'abbé Pierre chez Fogiel, et la présente ainsi :
 << …Ils sont nombreux les moments forts dans cet entretien. Sans tout dévoiler, tout y passe. A commencer par un aveu, celui d’avoir cédé à l’appel de la chair. « [Les rapports sexuels] ne peuvent être satisfaisants que s’ils impliquent un engagement, un engagement de durée. Je ne pouvais pas, je ne voulais pas… Du fait d’autres engagements que j’avais pris par ailleurs. Vis-à-vis de l’Eglise. » L’abbé Pierre confirme qu’il n’est ni contre le mariage des prêtres ni contre l’homoparentalité et, concernant le mariage homosexuel,  plutôt pour une « alliance ». Les fans du Da Vinci Code apprécieront sa prise de position sur la possible vie sexuelle de Jésus avec Marie Madeleine : « Je n’y vois aucune espèce d’inconvenance ». L’abbé prône aussi l’ordination des femmes et un retour à une certaine forme de modestie dans l’exercice de la papauté…. >>


Le magazine interviewe évidemment Fogiel. Celui-ci affirme (entre autres) : << Précédemment, j’avais plusieurs fois demandé à recevoir l’abbé Pierre. Cela n’avait jamais été possible. Et là, ce sont la maison d’édition et Emmaüs qui me l’ont proposé. Cela m’a d’autant plus touché qu’ils m’ont  dit que j’avais la capacité d’écoute nécessaire pour lui faire sortir des choses qu’il ne dirait pas à quelqu’un d’autre.>>

Et quelles sont donc ces « choses » si originales ?

Réponse de l’animateur : << Qu’il soit aussi ferme sur le préservatif et la responsabilité de l’Eglise en Afrique. Je trouve ça très courageux.  A 93 ans, il reste en prise avec le monde.>>


On saura dimanche soir si l’entretien donne vraiment cette impression. 

En attendant, lisons le livre signé par l’abbé Pierre.


C’est un tout petit opuscule, intitulé Mon Dieu… pourquoi ? 

 

Il est fait d’entretiens entre l’abbé et un journaliste. Le journaliste explique dans sa préface que, déjà par deux fois, il a aidé l’abbé Pierre a écrire ses livres. Il précise que, cette fois-ci, il a poussé l’abbé « dans ses retranchements », qu’il a « noté le fruit de leurs discussions », après quoi il a supprimé ses propres « questions et points de vue » pour ne garder que les réponses de l’abbé, présentées comme des « petites méditations ».


Or le lecteur se sent perplexe devant ces réponses : elles n’ont pas toutes l’air de venir du même homme.


Dans ce livre, l’abbé ne parle pas tout le temps comme un prêtre. Parfois, il parle comme un journaliste libéral-libertaire.


Il parle comme un journaliste quand son intervieweur le pousse sur les seuls sujets « religieux » qui excitent les médias : « mariage     des prêtres », « sacerdoce des femmes »,  « homosexualité », « préservatif »… 

Sur ces questions-là, l’abbé (bizarrement) a les mêmes ignorances qu’un homme de médias :


- le pape maintient le célibat des prêtres ? « Je vois mal pour quelle raison », dit l’abbé Pierre (page 29),

- l’Eglise ne peut ordonner prêtres les femmes ? « Je n’ai jamais compris pourquoi », assure encore l’abbé (page 42).


Un prêtre ne peut pas dire qu’il « voit mal », ou « n’a jamais compris », des raisons  théologiques qui existent et qui tiennent solidement debout : raisons mille fois expliquées par l'Eglise.

 Le monde des médias, en revanche, ne connaît pas ces raisons et  ne veut pas les connaître. Dans la religion, ce qui est religieux n’intéresse pas les salles de rédaction : ce qui leur permet de déclarer absurdes (incompréhensibles) des choses qui sont pleines de sens (et rationnelles) quand on les regarde sous leur angle exact. D'où notre perplexité : pourquoi l'abbé Pierre, ici, a-t-il l'air de parler comme un journaliste ?


Les journalistes n’ont pas que des ignorances. Ils ont aussi des certitudes. Par exemple, ils sont persuadés que le pape  Jean-Paul II a condamné le préservatif.  Ils en déduisent que le catholicisme est coupable du sida en Afrique...

Mais un prêtre ne peut pas ignorer :

1. que Jean-Paul II n’a jamais parlé de préservatif, 

2. que le sida en Afrique a de tout autres causes que la foi chrétienne, 

3. que les chrétiens (clercs et laïcs) sont les plus engagés en Afrique dans l’aide quotidienne aux malades... D’où une nouvelle perplexité du lecteur, page 32, quand l’abbé Pierre, s’exprimant comme un éditorialiste bobo, accuse la « condamnation » papale du  « préservatif » d’être « particulièrement grave pour la réalité africaine ».


De même, les médias sont convaincus que l’Eglise catholique est misogyne ; mais un prêtre ne peut pas ignorer l’importance du rôle des femmes dans cette Eglise depuis toujours. D’où une troisième perplexité, page 42, lorsque l’abbé Pierre dit que l’Eglise croit « que la femme est inférieure à l’homme ».  C’est une idée de journaliste.  Ce n’est  pas une idée de prêtre catholique.

 

De même encore, les concessions de l’abbé au marketing contemporain :  sur le  Da Vinci Code, sur l'homoparentalité, etc. (Concessions moins homogènes, d’ailleurs, que TV Magazine ne le donne à croire).


Peut-être l’abbé Pierre a-t-il dit ces choses pour être aimable envers son intervieweur ?


Ce serait dommage, parce qu’elles brouillent le meilleur du livre  - qui ne concerne pas les sujets d’excitation médiatique mais les profondeurs de la vie chrétienne, sur lesquelles l’abbé dit beaucoup : 


Page 18 : « Le mérite se mesure à l’amour avec lequel un acte est posé, non à ce qu’il coûte (dolorisme)… »
Page 20 : « Il ne s’agit  pas d’éliminer  la souffrance de la vie en éradiquant tout désir, mais de réagir face à elle par le partage et l’offrande… »
Page 23 : « Rien ne peut nous satisfaire pleinement sur terre, car notre esprit, créé par Dieu, cherche Dieu… La satisfaction plénière ne pourra venir que dans la rencontre avec l’Eternel… »  
Page 88 : « Toute la grandeur de l’homme, c’est de pouvoir aimer Dieu dans la foi, sans le toucher, sans Le voir, sans  Le connaître directement. Alors sa liberté est totale… »
Page 93, sur le péché : « Jésus nous dit, bien avant Freud, ‘ne jugez pas’. Ce n’est pas une raison pour ne pas lutter de toutes nos forces pour éviter de commettre à nouveau  un acte dont nous savons qu’il nous coupe de ce qu’il y a de beau et de noble en nous, qui nous coupe des autres, et, en définitive, qui nous coupe de l’Amour… »

L’abbé Pierre dit être resté fidèle à sa foi jusqu’au plus intime de  sa  vie  – et  jusque dans ses faux pas, comme il tient à le divulguer lui-même. C’est un homme qui se veut cohérent.   A quoi, à qui doit-on attribuer l’incohérence étrange qui fissure son nouveau livre ?

 

* Post-scriptum - 1er novembre : après le tapage autour de l'émission de Fogiel, un lecteur envoie cette mise au point au Monde (publiée dans le numéro daté de ce jour ) :

 << En tant que jeune catholique, je dois avouer avoir du mal à comprendre cette obsession à vouloir ordonner les hommes mariés (...) Ce discours est passéiste - il était déjà tenu dans les années 1960 -, même s'il est présenté aujourd'hui comme la solution  au cruel problème du manque de prêtres. L'exemple des pasteurs évangélistes qui est cité dans l'article ne montre pas du tout que la solution à ce problème est l'ordination d'hommes mariés, mais montre simplement que des communautés ayant à coeur de vivre ouvertement et sans complexe l'Evangile sont vivantes et recrutent (...) S'il y a manque de prêtres aujourd'hui, c'est bien que nombre de beautés qui font vivre l'Eglise, et en particulier le sacerdoce ou la liturgie, ont été dévalorisées ces quarante dernières années par certains courants de pensée qui ont voulu que l'Eglise se "rende au monde", pour reprendre l'expression de Maurice Clavel. Alors, que ceux-ci ne prétendent pas aujourd'hui apporter des solutions à des maux dont ils sont la cause, mais qu'ils laissent les communautés vivantes "réenchanter le monde". - Ludovic Dulauroy, Paris. >> 

Question subsidiaire : ceux qui voudraient voir l'Eglise marier les prêtres (ou faire des prêtresses, etc), sont, en même temps, ceux qui rejettent la  notion  catholique de l'eucharistie ; n'est-ce pas significatif ?

09:10 Publié dans Médias | Lien permanent | Commentaires (5)

Commentaires

Je n'ai pas été surpris par la nature des "révelations" de l'abbé Pierre.
Mais la lecture dans Le Point d'extraits de son livre montre effectivement plus de profondeur qu'il n'y paraît. En revanche il y a des points de morale ("préservatif"), de théologie (Marie-Madeleine) et d'échelle (le pape) qui ne passent pas. Et depuis longtemps.

Sur JP II et le préservatif : que le pape n'ait pas employé le mot n'enlève rien au sens très précis de ses interventions sur ce sujet (cf. Ouganda). Mais, comme il a été rappelé des milliers de fois, le pape s'exprime sur les finalités et l'amour (cf Amour et Responsabilité). Et quel est le poids réel du catholicisme en Afrique ? D'après ce que l'on lit dans la presse, le continent serait catholique. Fumisterie.

Sur Marie-Madeleine : l'abbé Pierre tient une position équivoque. Selon lui, rien n'interdisait (en théologie) à ce que le Christ eut une relation amoureuse. Dieu est Dieu : créateur du monde donc de l'humanité ; rien ne s'opposait à ce qu'il pratique une des expériences (bonnes) les plus sublimes de la vie amoureuse. J'aurais été F. Lenoir, j'aurais demandé sa vision du fils de Jésus...Parcequ'il arrive qu'un enfant soit le fruit de cette relation. Et l'engagement de l'abbé semble démontrer le contraire (enfin, attendons le prochain livre). Si l'abbé a prononcé des voeux de célibat, c'est à l'image du Christ. Mais si le Christ...

Écrit par : mongka | 27/10/2005

Je comprends la raison pour laquelle les gens sont déboussolés.

Écrit par : amiand | 29/10/2005

Pardonnez-moi de n'être que modérément modérée...
Ma défunte mère disait, il y deux ans déjà: "l'Abbé Pierre débloque"...

Écrit par : Isabelle | 05/11/2005

A propos du SIDA en afrique et l'Eglise catholique, connaissez-vous ces statistiques édifiantes ?

http://henrivedas.blogspot.com/2005/06/le-sida-en-afrique-la-faute-aux.html

Si cela vous semble iréeel, vous pouvez les refaire vous-même : une bonne encyclopédie pour connaître les religions principales de chaqe pays, et les statistiques officielles de l'ONUSIDA suffiront !

Écrit par : Fabrice | 10/11/2005

C'est encore une fois le politiquement correct qui s'exprime! Qui se persuade d'avoir toujours raison, les médiocres "je sais tout".
Naturellement, on peut et on doit se poser des questions sur Dieu, le Chrsit, la foi, etc... Moi-même, en tant que cathécumène allant vers le baptême, je me sens élevée dans cette religion par les réponses à mes interrogations, réponses qui m'ont éclairées. C'est une re-découverte permanente du message du Christ.
C'est affligeant que l'abbé Pierre remette en cause les fondements catholiques qui l'ont mené à cette vocation d'homme d'Eglise... ce qui peut paraître comme un aveu de courage est en réalité un constat de faiblesse et peut-être de malhonnêteté spirituelle et/ou intellectuelle!
Cela démontre que les catholiques doivent eux aussi faire preuve de pédagogie, être solidaire et se faire plus entendre.
La "réaction silencieuse" n'aidera pas le catholicisme. Souvenons nous du chemin de Jean-Paul II. Malgré tous les bien-pensants, il n'a jamais abdiqué! Et bien au contraire, comme le disait Monseigneur Lustiger en 2001, le seul "vieux" qui peut réunir autant de jeunes au monde et suscite une atmosphère de joie et d'amour aussi forte, c'était le Pape ! Parce qu'il ne ment pas !
Prions pour l'abbé!

Écrit par : Charlotte | 15/11/2005

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