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Brocéliande, le mythe arthurien, le paganisme et le christianisme, vus par Louis Bouyer

 ...l'un des théologiens majeurs du XXe siècle

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 "On peut s'attendre à y rencontrer la Chasse spirituelle..."


<< Il n'y a pas de doute, après que Joseph Bédier m'eut inoculé la "matière de Bretagne", Arthur et ses preux me firent basculer définitivement dans ce que mes ancêtres celtes appelaient "l'autre monde". Mais cet autre monde possède la particularité, inquiétante ou ravissante selon le point de vue où l'on se place, d'être toujours prêt à envahir celui-ci. Désormais ma vraie patrie se situerait dans ce continent immuable, et cependant si fluide qu'on va et revient de la forêt de Brocéliande à l'île d'Avalon, comme si la mer, selon la promesse de l'Apocalypse, n'existait déjà plus... Le monde autre des Celtes, en effet, n'est pas tellement un autre monde que le nôtre, mais un aspect de celui-ci (et le plus vrai !) qui se découvre à l'improviste en certains lieux, pourvu qu'on y soit accordé.

[…] Ce qui est la grande originalité de Tolkien, c'est d'avoir su montrer en outre que, non seulement le mythe, mais l'exercice même de la faculté mythopoétique, loin d'être dépassés et rendus comme désuets du fait de la révélation juive et chrétienne, en reçoivent, en plus de ce sens renouvelé, une stimulation toute neuve. Et c'est là, a-t-il montré lumineusement dans son livre Tree and Leaf, ce qui devait se manifester dans la littérature féerique des chrétiens : préparant, anticipant en quelque mesure cette transfiguration de toutes choses qui constitue l'objet suprême de l'espérance chrétienne. Encore ne le fera-t-elle pas en tentant stupidement de déraciner de la terre humaine cet espoir, de l'arracher à notre terroir originel, mais bien au contraire en l'y replongeant jusqu'à des profondeurs encore inconnues.

[…] La forêt intacte reste pour l'homme dont une civilisation urbaine n'est pas encore parvenue à bout de tuer la sensibilité, le symbole de la vitalité primordiale, de son exubérante profusion, de son mystère enveloppant, de sa communauté ou mieux communion – originelle. Au centre de la forêt, cependant, la source atteste la présence vivifiante, aux racines de tout être et de l'existence même, d'un monde labile et cristallin, où tout ce qui sera jamais préexiste dans l'unité d'une insurpassable, inentamable perfection. Tout la multiplicité des choses ne fera que déployer cette unité latente de la source, comme l'arc-en-ciel la lumière blanche traversant le prisme des eaux... En ce monde cristallin de la pensée divine, l'être touffu, palpitant, progressif où nous naissons et nous mouvons, où nous mourrons et nous résorberons, cependant qu'il ne cessera pas pour cela de frémir et de craquer sous la pousse de vies toujours neuves, a son modèle inexprimable... Cet autre monde, incorruptible, insécable, de pure et radieuse beauté, rayonnement immédiat de la divinité transcendante, est la fontaine inexhaustible de toute la multiple et chatoyante beauté de la vie maternellement inépuisable.

[…] Les talismans royaux vont se transmuer dans les sacrements chrétiens, tendant eux-mêmes à la vision, à la réalisation eschatologique de leur res tantum, de leur réalité ultime. Cette métamorphose entraînera celle des grands symboles primitifs de la forêt, de la source, du lac, dont la constellation se concentrait sur la figure de Merlin. Ils en viendront à signifier non plus les renaissances perpétuelles d'une vie qui ne se renouvelle dans la mort que pour y trendre à nouveau, mais l'espoir d'une vie, déchue dès son origine, d'atteindre enfin à travers cette mort l'immortalité perdue. Car l'amour divin, christique, immolé, seul plus fort que la mort, se saisit alors de cet autre amour qui, par la convoitise, ne tendait qu'à la mort, pour le rectifier, le refondre, dans la mort même... A la place du cycle, de l'éternel retour de la mort incluse dans la vie naturelle et de ses sempiternelles renaissances, voici l'une fois pour toutes de l'intervention divine. Par la descente de la grâce de l'éternel dans notre temporalité enclose s'accomplit notre passage définitif à l'immortalité, à une participation à la propre vie du Dieu transcendant.

[…] Comme Tolkien l'a très bien vu et dit,il devait s'ensuivre une reprise et une réanimation des figures mythiques. C'est ce que nous voyons par excellence dans la Quête du Graal. S'emparant de personnalités humaines, de leurs destins jugés exemplaires, dans le roman chrétien le mythe refait surface. Mais ce n'est plus pour figurer l'éternel retour, l'Odyssée de ces dieux naturels, dieux tombés qui ne se relèvent que pour retomber à nouveau. Il narre maintenant notre Enéide spirituelle : la transplantation finale de l'homme déchu en ce foyer surnaturel de la maison céleste, où le Père à jamais l'attend, d'où le Fils est venu le chercher et où l'Esprit, avec le Fils, dans le Fils, le ramènera. S'il en est ainsi, on doit s'attendre à une individualisation du mythe humanisé, pour dire maintenant une divinisation de l'humain qui n'abolit pas mais parfait son existence distincte. C'est ce qui se vérifiera dans la concrétisation de ses figures. Loin de les généraliser en les dépersonnalisant, comme c'était la tendance du mythe originel, on ne leur confère, en effet, une nouvelle universalité qu'en les douant d'une capacité inépuisable de se personnaliser en chaque destin particulier. D'où la tendance du mythe ainsi renouvelé à s'enraciner au terroir propre de ceux qui le remanient dans un tel esprit. Brocéliande avec Merlin s'implante en l'Argoat, et l'Avalon d'Arthur devient l'île lacustre de Glastonbury.

[…] C'est à parcourir les sentiers de la forêt bretonne, d'où l'on émerge à l'improviste pour découvrir, à perte de vue, jusqu'aux confins de la mer lointaine, les vallonnements feuillus où s'accrochent et se déchirent des écharpes de brume, même sous le soleil estival, qu'on peut le mieux ressentir au dond de soi, encore aujourd'hui, cette remontée des plus anciens archétypes de l'âme humaine qui devaient prendre les visages de Merlin et de Viviane, d'Arthur, de Guinevère et Lancelot, sans parler de leurs compagnons. Que les chemins de Brocéliande nous mènent vers de Pont du secret où Guinevère et Lancelot échangèrent l'aveu de leur coupable mais inévitable amour, ou qu'ils nous replongent dans l'indicible mystère de ses futaies, propres à décourager jusqu'aux questions de l'innocent Perceval, on peut s'attendre à tout instant à y rencontrer la chasse spirituelle : non plus celle où un Arthur encore païen poursuivra sans fin, à travers monts et vaux et jusque par delà les flots de la mer, le sanglier Torc'h ou la Bête glatissante qu'on ne rejoint jamais, mais bien celle où le cerf immaculé qu'accompagnent les quatre animaux apocalyptiques vous affronte soudain à sa Croix, pour vous prosterner dans le rayonnement de sa Gloire... >>

 

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Louis Bouyer, Les lieux magiques de la légende du Graal (de Brocéliande en Avalon - l'imaginaire médiéval), OEIL 1986.

 

 




Autres ouvrages de Louis Bouyer

  •  La Bible et l'Évangile : Le sens de l'Écriture, Cerf, 1945 (1ere édition)
  • Le Mystère pascal : Méditation sur la liturgie des trois derniers jours de la Semaine Sainte, Cerf, 1945 (1ere édition)

  • Le Sens de la vie monastique, Cerf, 1950

  • Newman : Sa vie – Sa spiritualité, Cerf, 1952

  • La Vie de la liturgie : Une critique constructive du mouvement liturgique, Cerf, 1956 (1ere édition)

  • Le Trône de la Sagesse : Essai sur la signification du culte marial, Cerf, 1957 (1ere édition)

  • Initiation chrétienne, éditions Plon, 1958 (1ere édition)

  • Histoire de la spiritualité chrétienne, tome I "La spiritualité du Nouveau Testament et des Pères", Aubier, 1960 (1ere édition)

  • avec Dom Jean Leclercq et François Vandenbroucke, Histoire de la spiritualité chrétienne, tome II "La spiritualité du Moyen Âge", Aubier, 1961

  • Le Rite et l'homme : Sacralité naturelle et liturgie, Cerf, 1962 (1ere édition)

  • Dom Lambert Beauduin, Un homme d'Église, Casterman, 1964 (1ere édition)

  • Histoire de la spiritualité chrétienne, tome III "La spiritualié orthodoxe et la spiritualité protestante et anglicane", Aubier, 1965

  • Le Mystère pascal, Cerf, 1965

  • Eucharistie, Cerf, 1966 (1ere édition)

  • Architecture et liturgie, Cerf, 1967 - traduit de l'anglais par G. Lecourt

  • Le métier de théologien - Entretiens avec Georges Daix, Éditions France-Empire, 1979

  • Figures mystiques féminines, Cerf, 1989

 

Livres sur Louis Bouyer 

  • « Trois liturgistes. Héritage et actualité. Louis Bouyer, Pierre Jounel, Pierre-Marie Gy », revue La Maison-Dieu, no 246, 2006, 183 p.
  • Davide Zordan, Connaissance et mystère. L'itinéraire théologique de Louis Bouyer, Éditions du Cerf, 2008, 807 p.

  • Guillaume Bruté de Rémur, La théologie trinitaire de Louis Bouyer, Editrice Pontificia Università Gregoriana, Rome, 2010, 378 p.

  • Jean Duchesne, Louis Bouyer, éd. Artège, coll. « Spiritualité », Perpignan, 2011, 127 p.

 

Wikipedia :

<< Ayant subi dans sa jeunesse l'influence d'Oscar Cullmann et de l'école formelle-historique(Formgeschichtliche Methode) dans l'interprétation des Écritures, Louis Bouyer se montra réceptif aux apports scientifiques quant à la compréhension des écritures tout en refusant des interprétations imagées ou symboliques se distanciant avec le texte, jusqu'au relativisme. Il appartient à ce titre au courant biblique mais avec un éclairage sur la et les T(t)radition(s). Pendant et suite au concile Vatican II, Louis Bouyer a toujours maintenu la pertinence d'une « troisième voie » lors des déchirements entre progressistes et traditionalistes grâce à la redécouverte d'une Tradition vivante paradoxalement pleinement catholique et œcuménique. La théologie de Louis Bouyer est marquée en ceci par une perception historique et spirituelle en décalage certain, mais pas en contradiction, avec une vision cartésienne, juridique ou thomiste de la foi. Il est aujourd'hui, pour l'Église catholique, un des théologiens les plus complets, féconds et reconnus au même titre que Henri de Lubac, Jean Daniélou et Hans Urs von Balthasar. Le contact avec la pensée de Louis Bouyer est un moyen efficace de comprendre le message avec ses nuances, ses tensions et sa cohérence des derniers pontifes Jean-Paul II et Benoît XVI. >>



 

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En lisant le nouveau livre du père Olivier-Thomas Venard – 1/3 : une terre pour deux peuples

 Première note sur Terre de Dieu et des hommes (éd. Artège) :

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israël, christianisme, palestine, terre sainteAgrégé de lettres et docteur en théologie, le dominicain Olivier-Thomas Venard vit en Israël où il enseigne à la célèbre Ecole biblique et archéologique de Jérusalem [1]. Il est déjà l'auteur de sept ouvrages [2]. Voici le huitième, qui fait notamment écho, souligne-t-il, "aux interrogations des membres du petit groupe biblique que j'ai eu la joie d'accompagner toutes ces années. Journalistes, juristes, séminaristes, religieux, diplomates, chercheurs dans des instituts scientifiques israéliens, volontaires internationaux..." De la vie quotidienne dans Jérusalem à la réflexion politique et à la méditation théologique, Terre de Dieu et des hommes est un recueil de choses vues et d'analyses – très vivantes – qui sondent tous les aspects de la question d'Israël : la politique israélienne et le problème palestinien (c'est notre note d'aujourd'hui), les relations judéo-chrétiennes (ce sera la note 2), la place de la Terre Sainte dans la théologie catholique (note 3)...

 1. Une terre pour deux peuples

Jeune dominicain à Jérusalem, le P. Venard fut proche d'un octogénaire hors du commun : Marcel-Jacques Dubois. Dominicain, citoyen israélien, prix d'Israël, ancien chef du département de philosophie à l'université hébraïque, le P. Dubois (qui allaitisraël, christianisme, palestine, terre sainte mourir en 2007) était "praticien et théologien de la rencontre inter-religieuse et principalement judéo-chrétienne": apportant "une contribution décisive au progrès des relations judéo-chrétiennes par ses publications, ses conférences, ses émissions de radio et de télévision", il insistait "sur deux grande réalités théologiques : l'élection d'Israël et la vocation d'Israël à l'exemplarité morale". "Il souligna d'emblée, magistralement, les paradoxes que le peuple juif doit résoudre dès lors qu'il se dote d'un Etat, et ne cessa d'appeler les commentateurs de son histoire contemporaine à la plus grande bienveillance et délicatesse face à ces équilibres instables..." Mais avec la seconde Intifada, le P. Dubois constate "la dégradation morale de l'élite politique et militaire" à la source de "la violence croissante d'Israël dans les Territoires". Il s'inquiète de l'injustice faite aux Palestiniens, de l'étranglement spatial et économique des Territoires, et de l'évolution d'un sionisme religieux "où le culte moderne de la force rejoint une certaine sacralisation de la terre" : "équation territoire-Bible-nationalisme" qui justifie la colonisation violente [3]. En 2006, toujours admirateur du judaïsme, le P. Dubois (86 ans) publie un livre retentissant : intitulé Nostalgie d'Israël, il y redit son amour pour ce pays devenu le sien – mais un amour déçu par la politique israélienne qui fait de la Terre Sainte le "théâtre d'un terrible conflit des justices". Et il constate, non sans euphémisme, que si l'establishment politique israélien a accepté son soutien de religieux chrétien, "il n'est pas sûr qu'il ait été intéressé par les positions théologiques qui le motivaient"...[4]

Avec sa très fine compréhension – et son empathie – envers le judaïsme moderne, le P. Venard précise et développe ce constat. Respectueux de ses partenaires intellectuels israéliens, qu'il nomme "les juifs réels" (par contraste avec les juifs imaginaires que s'inventent les chrétiens), il est également proche des chrétiens palestiniens. Il invite ses lecteurs "à la solidarité avec tous les habitants de Terre Sainte  pour qu'y rayonne l'espérance"... Dans ce pays, en effet, l'espérance surnaturelle est le refuge du réaliste : elle vient à son secours, face à une situation qui pousse à "abandonner (dit le P. Venard) les espoirs humains trop limités".

Ces espoirs, dit-il, se heurtent à trois idoles qui ont pris pied en Israël : le culte occidental du matérialisme, le culte de la force, et le culte du territoire avec la politique d'occupation ; le total de ces trois facteurs aboutissant à mépriser comme "misérabilisme" le simple souci de justice envers les Palestiniens.

Les catholiques n'ont pas de leçons à donner, mais ils doivent – en tant que chrétiens – se mettre au clair vis-à-vis de ce problème. Autant est évident le droit à l'existence d'Israël (après soixante ans et avec près de huit millions de citoyens), autant le chrétien a le droit, souligne le P. Venard, d'éprouver un malaise devant des groupes qui s'affichent eux aussi comme chrétiens et qui collectent des fonds pour "soutenir l'entreprise de colonisation comme une oeuvre divinement inspirée" ; et un malaise encore plus grand devant le fantasme du "combat d'Armageddon" que dénonçait, il y a quelques jours, le géopolitologue Yves Lacoste à France Culture : fantasme construit par des protestants américains, selon lesquels le retour du Christ dépendrait de la réalisation territoriale du Grand Israël, suivie d'une bataille ultime d'Israël contre tous ses voisins. Non seulement cette eschatologie a été fabriquée sans fondements bibliques (ineptie de la part de "fondamentalistes" !), mais elle contredit les évangiles (ineptie de la part de chrétiens [5] !). "Certains responsables juifs influents croient devoir accepter (pour des raisons tactiques ?) le soutien de chrétiens fondamentalistes sionistes, et entretenir leurs espérances, en dépit de l'eschatologie que ceux-ci professent (horrifiante, puisque pour les juifs tout s'y termine dans le massacre ou la conversion) et de l'anti-catholicisme souvent virulent qui les caractérise", écrit le P. Venard.

 

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Canada : Netanyahou reçu en triomphe par le groupe CUFI (chrétiens ultra-sionistes).


Des intellectuels israéliens mettent en garde contre ce super-sionisme de chrétiens : ainsi Avshalom Vilan dans Ha'aretz, 23 février 2005 : "A Pernicious, Dangerous Alliance". Ou le philosophe Yossi Schwarz : si "toute critique de la politique israélienne risque d'être prise pour une critique du judaïsme", écrit celui-ci, "le grand danger est qu'on finit alors par exiger du chrétien qu'il accepte sans aucune condition la position sioniste. C'est cette grave ambiguïté que recouvre aujourd'hui l'alliance politique entre Israël et certains courants politiques occidentaux se prétendant d'inspiration chrétienne, surtout aux Etats-Unis. La position du P. Dubois échappe à ce piège. Tout entière, elle jaillit de l'intimité du regard, d'un regard aimant qui n'a rien d'extérieur sur le plan humain et qui, sur le plan religieux, sauvegarde l'unicité théologique du regard chrétien sur le judaïsme."

Ce regard lucide parce qu'aimant [6], est aussi celui du P. Venard : "La réalité sociale que vous découvrez dans l'Israël d'aujourd'hui, avec ses restrictions administratives larvées – plus ou moins programmées par tel parti juif intégriste – contre la présence chrétienne dans le pays, et l'apartheid de fait sinon de droit imposé aux Palestiniens, est un démenti formel aux paroles de Lévinas" [qui voyait Israël comme '' un chef d'oeuvre de justice'' dans l'abstrait], constate-t-il. D'où son appel à l'espérance...

 

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Jérusalem : le complexe immobilier de luxe Holyland Tower (32 étages). En avril 2010 a éclaté un scandale de corruption autour de cette construction pharaonique, si peu en accord avec le site.


En étudiant le livre du P. Venard qui raconte si bien la vie à Jérusalem, je repensais à mon séjour là-bas au printemps dernier. Le moment était paisible, sans alertes militaires : ni missiles du Hamas, ni check-points fermés, ni price tags arabophobes ni tags christophobes de l'ultra-droite ; gamins et gamines de Tsahal, très peu martiaux, flânant sur le mont des Oliviers ; à Nazareth ou Bethléem, pas ou peu de crispation islamique... Aucune tension sauf dans Hébron. Mais six mois plus tard c'était la nouvelle crise de Gaza. Et le 22 janvier 2013, les élections législatives israéliennes se disputeront entre la droite (alliée à l'extrême droite "laïque" d'Avigdor Lieberman), et d'autre part l'extrême droite "religieuse" des colons (Naftali Bennett) dont le programme est d'annexer les territoires palestiniens déjà sous contrôle israélien. Israël est-il condamné à être gouverné par la droite et l'extrême droite ? C'est le sujet de la conférence que l'historien Ze'ev Sternhell vient faire à Paris ce 8 janvier 2013.

 

Demain, deuxième note sur le livre du P. Venard :

 2/3 – Terre Sainte : judaïsme et christianisme

 

_________

[1]  le plus ancien centre de recherche biblique et archéologique de Terre Sainte, fondée en 1890 par le P. Marie-Joseph Lagrange (1855-1938), sur le terrain du couvent dominicain de St-Étienne à Jérusalem. S'inspirant du nom de la récente École pratique des hautes-études (Paris, 1868), le P. Lagrange l'appela « École Pratique d'Études Bibliques », afin d'en souligner la spécificité méthodologique : étudier la Bible dans le contexte physique et culturel où elle a été écrite (« l'union du monument et du document », disait le P. Lagrange : l'archéologie et l'exégèse des textes). On modifia son nom en 1920, lorsque l'Académie des Belles-Lettres (Paris) reconnut l'École biblique comme École archéologique française de Jérusalem, en raison de la qualité de ses réalisations dans ce domaine. Elle est la seule école archéologique nationale à Jérusalem qui propose un programme de cours, et décerne un doctorat en sciences bibliques.

[2] dont : La Bible en ses Traditions, définitions suivies de douze études, dir., Revue biblique 2010) ; Le sens littéral de l'Ecriture, dir., Cerf 2009 ; Thomas d'Aquin poète théologien, 3 tomes, Ad Solem-Cerf 2009 ; Radical Orthodoxy : pour une révolution théologique, Ad Solem 2005...

[3] « Rouleaux de la Tora, ornements liturgiques et prières rituelles ont été instrumentalisés par les tenants d'une cause pour le moins douteuse aux yeux de la conscience mondiale. Devant l'espèce de régression ethnique des symboles les plus vénérables du judaïsme à laquelle on a pu assister en direct, nombre de juifs pieux ouverts aux valeurs universelles, se sont sentis désemparés. Si profonde est la crise qu'elle atteint même chez certains le sentiment de l'élection. Avraham Burg, par exemple, va jusqu'à écrire : ''Même le choix du peuple juif par Dieu n'est pas garanti s'il ne s'accompagne pas d'un engagement moral et d'un effort constant pour s'améliorer et se comporter humainement ''... »

[4] Les chrétiens hyper-sionistes auraient intérêt à lire le livre du P. Venard et celui du P. Dubois, qui leur ouvriraient les yeux.

[5] ...fort méprisants envers les autres confessions, qui plus est.

[6] « L'expérience et une certaine connaturalité née de la sympathie et même de l'amour, permettent de voir plus clair. » (Patrick de Laubier, à propos du livre du P. Dubois et de celui de Jimmy Carter, Palestine : Peace, not Apartheid).

 

 

       Olivier-Thomas Venard, Terre de Dieu et des hommes, www.editionsartege.fr




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L'exhortation du pape François aux évêques du Mexique

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Une expression incandescente de la "théologie du peuple" :





<< Je suis heureux de pouvoir vous rencontrer le lendemain de mon arrivée dans ce pays bien-aimé, que, suivant les traces de mes prédécesseurs, moi aussi, je viens visiter. Je ne pouvais pas ne pas venir ! Le successeur de Pierre, appelé du lointain sud latino-américain, pouvait-il se priver de l’opportunité de poser son regard sur la “Vierge morenita” ?

Je vous remercie pour m’avoir accueilli dans cette cathédrale, “petite maison” agrandie mais toujours “sacrée”, qu’a demandée la Vierge de Guadalupe, et pour l’aimable mot de bienvenue que vous m’avez adressé.

Sachant qu’ici se trouve le cœur secret de chaque Mexicain, j’entre sur la pointe des pieds comme il convient d’entrer dans la maison ainsi que dans l’âme de ce peuple, et je vous suis profondément reconnaissant de m’ouvrir la porte. Je sais qu’en contemplant les yeux de la Vierge, j’atteins le regard de votre peuple qui, en elle, a appris à se manifester. Je sais qu’aucune autre voix ne peut exprimer avec autant de profondeur le cœur mexicain comme la Vierge peut m’en parler ; elle protège ses plus hautes aspirations et ses espérances les plus cachées, elle recueille ses joies et ses larmes ; elle comprend ses nombreuses langues et leur répond avec la tendresse de Mère, parce que ce sont ses propres enfants.

Je suis heureux de vous rencontrer, ici dans les environs du “Mont du Tepeyac”, comme à l’aube de l’évangélisation de ce continent et, s’il vous plaît, je vous demande de me permettre d’exprimer tout ce que j’ai à vous dire en partant de la Guadalupana. Comme je voudrais que ce soit elle-même qui vous exprime, jusqu’au plus profond de vos âmes de pasteurs et, par vous, à chacune de vos Églises particulières présentes dans ce vaste Mexique, tout ce qui s’écoule intensément du cœur du pape. Comme le fit saint Juan Diego et comme le firent les générations successives des enfants de la Guadalupana, le pape également, depuis longtemps cultivait le désir de la regarder. Mieux, je voulais, moi-même, être sous son regard maternel. J’ai beaucoup réfléchi sur le mystère de ce regard et je vous prie d’accueillir ce qui jaillit de mon cœur de Pasteur en ce moment.

"L'âme profonde de votre peuple"

Avant tout, la “Vierge morenita” nous enseigne que l’unique force capable de conquérir le cœur des hommes est la tendresse de Dieu. Ce qui enchante et attire, ce qui fait fléchir et vainc, ce qui ouvre et déchaîne, ce n’est pas la force des instruments ou la dureté de la loi, mais la faiblesse toute-puissante de l’amour divin, qui est la force irrésistible de sa douceur et la promesse irréversible de sa miséricorde.

Un remuant et important homme de lettres, (Octavio Paz), a dit qu’à Guadalupe, on ne demande plus l’abondance des récoltes ou la fertilité de la terre, mais qu’on y cherche un sein à travers lequel les hommes, toujours orphelins et déshérités, sont à la recherche d’un abri, d’un foyer.

Des siècles après l’événement fondateur de ce pays et de l’évangélisation du Continent, le besoin de sein qui fait languir le cœur du peuple qui vous a été confié s’est-il estompé, est-il oublié ?

Je connais la longue et douloureuse histoire que vous avez traversée, non sans répandre beaucoup de sang, non sans de fortes et déchirantes convulsions, non sans violence et incompréhensions. Avec raison, mon vénéré et saint prédécesseur, qui, au Mexique, se sentait comme dans sa maison, a voulu rappeler que : « [son] histoire est traversée, comme des fleuves parfois occultes mais toujours abondants, par trois réalités qui se rencontrent à certains moments et qui à d’autres révèlent leurs différences complémentaires, sans jamais se confondre entièrement : l’ancienne et riche sensibilité des peuples autochtones qui aimèrent Juan de Zumárraga et Vasco de Quiroga, que beaucoup de ces peuples continuent à appeler pères, le christianisme enraciné dans l’âme des Mexicains et la rationalité moderne, d’origine européenne, qui a tant de fois voulu exalter l’indépendance et la liberté » (Jean-Paul II, discours lors de la cérémonie de bienvenue au Mexique, le 22 janvier 1999).

Et dans cette histoire, le sein maternel qui a continuellement engendré le Mexique, même si parfois il paraissait un “filet qui recueillait cent cinquante-trois poissons” (Jn 21, 11) ne s’est jamais révélé stérile, et les fractures menaçantes se sont toujours résorbées.

C’est pourquoi je vous invite à repartir de ce besoin de sein qui émane de l’âme de votre peuple. Le sein de la foi chrétienne est capable de réconcilier le passé souvent marqué de solitude, d’isolement et de marginalisation, avec l’avenir continuellement relégué à un lendemain qui s’esquive. Ce n’est que dans ce sein qu’on peut, sans renoncer à sa propre identité, « [découvrir] la profonde vérité de la nouvelle humanité, dans laquelle tous sont appelés à être fils de Dieu » (Id., Homélie à l’occasion de la canonisation de saint Juan Diego).

Inclinez-vous donc, délicatement et avec respect, sur l’âme profonde de votre peuple, descendez en faisant attention et déchiffrez son mystérieux visage. Le présent, fréquemment dissous dans la dispersion et la fête, n’introduit-il pas à Dieu qui est uniquement et pleinement présent ? La familiarité avec la douleur et la mort ne sont-elles pas des formes de courage et des chemins vers l’espérance ? Percevoir que le monde doit être toujours et seulement sauvé n’est-ce pas un antidote contre l’autosuffisance arrogante de ceux qui croient pouvoir se passer de Dieu ?

Bien entendu, en raison de tout cela, un regard capable de refléter la tendresse de Dieu est nécessaire. Soyez, par conséquent, des évêques au regard limpide, à l’âme transparente, au visage lumineux. N’ayez pas peur de la transparence. L’Église n’a pas besoin de l’obscurité pour travailler. Veillez à ce que vos regards ne soient pas obscurcis par les pénombres du brouillard de la mondanité ; ne vous laissez pas corrompre par le matérialisme trivial ni par les illusions séductrices des accords [conclus] en dessous de la table ; ne mettez pas votre confiance dans les “chars et chevaux” des pharaons actuels, car notre force est la “colonne de feu” qui divise les eaux de la mer en les fendant en deux, sans grand bruit (Ex 14, 24-25).

Le monde dans lequel le Seigneur nous appelle à accomplir notre mission est devenu très complexe. Et cela, bien que l’arrogante idée du “cogito”, qui ne niait pas qu’il y ait au moins un roc sur le sable de l’être, soit aujourd’hui dominée par une conception de la vie, jugée par beaucoup, plus que jamais, vacillante, errante et affaiblie parce que sans substrat solide. Les frontières si fortement invoquées et soutenues sont devenues perméables à la nouveauté d’un monde dans lequel la force de certains ne peut plus se maintenir sans la vulnérabilité des autres. L’irréversible caractère hybride de la technologie rend proche ce qui était lointain, mais malheureusement, il éloigne ce qui devrait être proche.

Et précisément c’est dans ce monde que Dieu vous demande d’avoir un regard capable de saisir l’interrogation fusant du cœur de votre peuple, l’unique qui a dans son calendrier une “fête du cri”. À ce cri, il faut répondre que Dieu existe et est proche à travers Jésus. Que seul Dieu est la réalité sur laquelle on peut construire, car « Dieu est la réalité fondatrice, non pas un Dieu seulement pensé ou hypothétique, mais bien un Dieu au visage humain » (Benoît XVI, discours inaugural de la Ve conférence générale du CELAM, 13 mai 2007).

Dans vos regards, le peuple mexicain a le droit de trouver les traits de ceux qui “ont vu le Seigneur” (cf. Jn 20, 25), de ceux qui ont été avec Dieu. C’est l’essentiel. Ne perdez donc pas du temps et des énergies dans les choses secondaires, dans les commérages et les intrigues, dans les vains projets de carrière, dans les plans vides d’hégémonies, dans les clubs stériles d’intérêts ou de coteries. Ne vous laissez pas entraîner par les rumeurs et les médisances. Introduisez vos prêtres dans cette compréhension du ministère sacré. Nous autres, ministres de Dieu, la grâce de “boire le calice du Seigneur”, le don de protéger la part de son héritage qui nous est confiée, nous suffit, même si nous sommes des administrateurs inexpérimentés. Laissons le Père nous assigner la place qui nous a été préparée (Mt 20, 20-28). Pouvons-nous vraiment nous occuper d’affaires autres que celles du Père ? En dehors des “affaires du Père” (Lc 2,48-49), nous perdons notre identité et, de manière coupable, nous rendons vaine sa grâce.

Si notre regard ne témoigne pas d’avoir vu Jésus, alors ses paroles dont nous faisons mémoire ne représenteraient que des figures rhétoriques vides. Peut-être exprimeraient-elles la nostalgie de ceux qui ne peuvent pas oublier le Seigneur, mais de toute façon, elles ne seraient que le balbutiement d’orphelins près du tombeau. Des mots en fin de compte incapables d’empêcher que le monde soit abandonné et réduit à sa propre puissance désespérée.

Je pense à la nécessité d’offrir un sein maternel aux jeunes. Que vos regards soient capables de croiser leurs regards, de les aimer et de saisir ce qu’ils cherchent avec ce courage avec lequel beaucoup, comme eux, ont quitté barques et filets sur l’autre rive de la mer (Mc 1, 17-18), ont abandonné des bancs d’extorsions en vue de suivre le Seigneur de la vraie richesse (Mt 9, 9).

Je suis particulièrement préoccupé par beaucoup d’entre eux, qui, séduits par la puissance du monde, exaltent les chimères et se revêtent de leurs macabres symboles pour commercialiser la mort en échange de trésor qu’en fin de compte les mites et la rouille dévorent, et qui incite les voleurs à percer les murs (cf. Mt 6, 20). Je vous demande de ne pas sous-évaluer le défi moral et anticivique que représente le narcotrafic pour la société mexicaine, y compris l’Église.

La proportion du phénomène, la complexité de ses causes, l’immensité de son extension comme une métastase qui dévore, la gravité de la violence qui désagrège, tout comme ses connexions néfastes, ne nous permettent pas à nous, Pasteurs de l’Église, de nous réfugier derrière des condamnations génériques. Mais tout cela exige un courage prophétique ainsi qu’un projet pastoral sérieux et de qualité, pour contribuer, progressivement, à resserrer ce délicat réseau humain, sans lequel tous, nous serions dès le départ vaincus par cette insidieuse menace. En commençant d’abord par les familles ; en nous approchant et en embrassant la périphérie humaine et existentielle des territoires dévastés de nos villes ; en impliquant les communautés paroissiales, les écoles, les institutions communautaires, les communautés politiques, les structures de sécurité ; c’est seulement ainsi qu’on pourra se libérer totalement des eaux dans lesquelles malheureusement se noient tant de vies, que ce soit celle de celui qui meurt comme victime, que ce soit celle de celui qui devant Dieu aura toujours du sang sur les mains, même s’il a les poches pleines d’argent sale et la conscience anesthésiée.

"Les fils métis de notre peuple"

Dans le manteau de l’âme mexicaine, Dieu a tissé, avec le fil des empreintes métisses de son peuple, le visage de sa manifestation dans la “Morenita”. Dieu n’a pas besoin de couleurs ternes pour peindre son visage. Les desseins de Dieu ne sont pas conditionnés par les couleurs et par les fils, mais ils sont déterminés par l’irréversibilité de son amour qui veut avec persistance s’imprimer en nous.

Soyez, par conséquent, des évêques capables d’imiter cette liberté de Dieu en choisissant ce qui est humble pour rendre visible la majesté de son visage et de faire vôtre cette patience divine en tissant, avec le fil fin de l’humanité que vous trouvez, cet homme nouveau que votre pays espère. Ne vous laissez pas guider par le vain désir de changer de peuple comme si l’amour de Dieu n’avait pas assez de force pour le changer.

Redécouvrez, en effet, la constance sage et humble avec laquelle les Pères de la foi de ce pays ont su introduire les générations successives dans la sémantique du mystère divin. D’abord, en apprenant, et ensuite, en enseignant la grammaire nécessaire pour dialoguer avec ce Dieu, caché durant les siècles de leur recherche et fait proche dans la personne de son Fils Jésus, qu’aujourd’hui tant de personnes reconnaissent dans la figure ensanglantée et humiliée, comme symbole de leur propre destin. Imitez sa capacité de s’abaisser. Nous ne comprendrons jamais assez le fait qu’avec les fils métis de notre peuple Dieu a tissé le visage par lequel il se fait connaître ! Jamais, nous ne serons assez reconnaissants.

Je vous demande un regard d’une délicatesse singulière pour les peuples indigènes et pour leurs fascinantes cultures souvent occultées. Le Mexique a besoin de leurs racines amérindiennes pour ne pas être réduit à une énigme irrésolue. Les indigènes du Mexique attendent encore qu’on reconnaisse effectivement la richesse de leur contribution et la fécondité de leur présence pour assumer cette identité qui fait de vous une Nation unique et non seulement une parmi d’autres.

On a souvent évoqué le présumé destin inachevé de cette nation, le “labyrinthe de la solitude” dans lequel elle serait emprisonnée, la géographie comme destin qui la piège. Pour certains, tout cela serait un obstacle au projet d’un visage unitaire, d’une identité adulte, d’une position singulière dans le concert des nations et d’une mission partagée.

Pour d

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14/02/2016 | Lien permanent

Symposium de la FAO sur les biotechnologies : alerte

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Une centaine d'organisations (dont le CCFD) s'inquiètent de la pression du business OGM sur la FAO :

 

 

16/02    http://ccfd-terresolidaire.org/infos/souverainete/le-symp...

<< Plus de 100 organisations de la société civile, dont le CCFD-Terre Solidaire, tirent la sonnette d’alarme à l’ouverture de la réunion de la FAO (Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture) sur les biotechnologies :

"Nous soussignés, représentants des paysans et paysannes et autres organisations de la Société civile, exprimons nos préoccupations et nos craintes au sujet du Symposium international de la FAO sur Le Rôle des biotechnologies agricoles dans les systèmes alimentaires durables et la nutrition [1] qui doit se tenir au siège de la FAO à Rome du 15 au 17 février 2016.

Pourquoi la FAO a-t-elle décidé d’organiser ce Symposium et pourquoi maintenant ? Cela nous préoccupe. En 2010, déjà, la FAO a tenté de façon tout à fait malencontreuse d’agir sans que cela ne se sache au profit des entreprises de biotechnologie, en organisant à Guadalajara au Mexique une Conférence technique internationale sur les biotechnologies agricoles dans les pays en développement. [2]

C’est avec inquiétude que nous constatons, qu’une fois de plus, la FAO est une sorte de couverture pour certaines entreprises juste au moment où elles négocient de futures fusions entre elles, ce qui va concentrer le secteur commercial des semences dans encore moins de mains. La FAO devrait se comporter comme un centre de connaissances plutôt que comme le promoteur d’une approche idéologique du secteur privé. Malheureusement, le programme du symposium est conçu pour présenter les "avantages" des OGM, des constructions génétiques artificielles sans doute créées avec des technologies encore plus dangereuses, et d’autres biotechnologies détenues par une poignée de transnationales.

L’année dernière, la FAO a accueilli un symposium international sur l’agroécologie ainsi que trois réunions régionales, afin de débattre avec les gouvernements et la société civile sur la manière de mettre à l’ordre du jour l’agroécologie. [3] Ces activités étaient plus conformes à ce que devrait faire la FAO, en tant que centre d’échange de savoirs, sans intentions cachées pour le compte de quelques-uns. Or, dans le cas présent, des technologies véritablement utiles et basées sur l’agriculture paysanne vont être reléguées au second plan derrière celles qui ne servent qu’à promouvoir les bénéfices des entreprises.

Il est clair que, par le truchement de la FAO, l’industrie souhaite relancer son faux message selon lequel les cultures génétiquement modifiées peuvent nourrir le monde et refroidir la planète, mais la réalité est que rien n’a changé sur le front des biotechnologies. Les OGM ne nourrissent pas les gens, ils sont cultivés principalement dans quelques pays dans des plantations industrielles pour produire des agrocarburants et des aliments pour animaux. De plus, ils augmentent l’utilisation de pesticides et ils expulsent les paysans de leurs terres. [4] Le système alimentaire industriel ainsi promu est l’un des principaux facteurs du changement climatique. [5]

Par ailleurs, la situation a empiré au cours de ces dernières années :

La qualité de la recherche agricole du secteur privé a baissé, alors que leurs dépenses ont augmenté, conduisant ainsi à la vulnérabilité des entreprises semencières et productrices d’intrants chimiques ;

En conséquence, une série de fusions et d’acquisitions sont prévues avec et entre notamment, les « Big Six », multinationales semencières et de pesticides qui contrôlent déjà les 75% de la recherche et développement agricole du secteur privé au niveau mondial ;

En désespoir de cause, les entreprises survivantes font appel à une agriculture intelligente vis-à-vis du climat tout en demandant la protection des régulateurs de la concurrence et anticartels, plus de droits de propriété intellectuelle et une augmentation des subventions publiques leur permettant d’aller de l’avant avec leurs projets.

Ces mêmes multinationales produisent plus que des variétés végétales OGM conventionnelles. Elles développent des stratégies de biotechnologies sophistiquées telle que la biologie synthétique afin de créer de nouvelles constructions génétiques. Elles essaient aussi, une fois encore, de renverser la décision du moratoire des Nations Unies contre les semences Terminator. Non seulement, elles ignorent les droits des paysans mais elles utilisent désormais les biotechnologies pour breveter les gènes des plantes qui sont déjà dans nos champs et que nous avons nous mêmes sélectionnées. Avec la collaboration du TIRPAA, le programme Divseek offre un accès totalement libre à tous les gènes des semences que nous avons données gratuitement aux banques de gènes. Avec les nouvelles biotechnologies d’édition du génome, les sociétés transnationales ré-assemblent ces gènes pour pouvoir les breveter. Elles veulent ainsi nous interdire de continuer à cultiver nos propres semences et nous obliger à acheter chaque année leurs OGM brevetés et les pesticides toxiques indispensables à leur culture."

Dans l’élevage et la pêche où existent déjà le saumon et le porc transgénique nous voyons le même scenario : le renforcement de la production industrielle, l’augmentation de l’utilisation d’antibiotiques...

Il faut rappeler que la dernière fois que la FAO a permis aux géants de la biotechnologie de faire leur propre promotion dans une conférence internationale, à Guadalajara en 2010, pour laquelle elle avait travaillé dur, comme dans le cas présent, en vue de limiter l’engagement et la participation de La Via Campesina et d’autres organisations de la société civile, celle-ci a été publiquement condamnée, par de nombreuses organisations du monde entier, pour sa promotion éhontée des OGM. [6]

Pourquoi la FAO se limite-t-elle aux biotechnologies des entreprises et nie-t-elle l’existence des technologies paysannes ? Il est temps de cesser de favoriser les intérêts restreints des entreprises de la biotechnologie. La grande majorité des agriculteurs dans le monde sont des paysans et ce sont eux qui nourrissent le monde. Nous avons besoin de technologies fondées sur l’agriculture paysanne et non des biotechnologies des entreprises.

Il est grand temps que la FAO définisse clairement ses priorités. Au lieu de permettre aux grandes entreprises de faire valoir leurs intérêts concernant la biotechnologie, la FAO devrait suivre avec plus de conviction la voie de l’agroécologie et de la souveraineté alimentaire comme étant celle qui nourrit le monde et refroidit la planète !"

 

Organisations internationales et régionales signataires :

ActionAid International
African Biodiversity Network (ABN)
Alliance for Food Sovereignty in Africa (AFSA)
Asian Peasant Coalition (APC)
Asian Peoples Movement on Debt and Development (APMDD)
Campaña Mesoamericana para la Justicia Climática
CICODEV Africa
Coordinación Regional del Frente Parlamentario contra el Hambre de América Latina y el Caribe
Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM International)
Coopération Internationale pour le Développement et la Solidarité (CIDSE)
Corporate Europe Observatory (CEO), Brussels
ETC Group
Focus on the Global South India, Thailand and Philippines
Friends of the Earth International
Global Campaign to Dismantle Corporate Power and Stop Impunity
GRAIN
Greenpeace International
Growth Partners Africa –GPA
Indigenous Peoples of Africa Co-ordinating Committee (IPACC)
International Indian Treaty Council (IITC)
La Via Campesina
Movimiento Agroecológico de América Latina y el Caribe (MAELA)
NO VOX INTERNATIONAL
Pan-Africanist International
Pelum Association, Africa
Plataforma Interamericana de Derechos Humanos, Democracia y Desarrollo (PIDHDD Regional)
Red interamericana de economía solidaria de latinoamérica y el caribe. RIPESS LAC
Red por una América Latina Libre de Transgénicos
Red de Acción en Plaguicidas y sus Alternativas para América Latina (RAPAL)
RIPESS Europe
RIPESS Intercontinental
Slow Food
Society for International Development (SID)
Solidarity Economy Europe
Transnational Institute (TNI)
Urgenci Europe
Urgenci International Network
World Forum of Fisher People (WFFP)
World Public Health Nutrition Association
World Rainforest Movement (WRM)

Organisations Nationales et Locales
Acción Ecológica, Ecuador
ADTM International, Belgium
African Center for Biodiversity, South Africa and Tanzania
Agriculture Sovereignty Ghana
AGRECOL, Germany
AIAB, Italy
ALIANZA DERECHO HUMANO A LA ALIMENTACIÓN –ADHAC, , Guatemala
Alianza por una Mejor Calidad de Vida/Red de Acción en Plaguicidas de Chile, RAP-Chile
Alliance for Food Sovereignty in Africa (AFSA)
Alliance for Sustainable & Holistic Agriculture (ASHA), India
ALTERNATIVAS (COMCAUSA), Mexico
AMAR Environment Defense Association, Brazil
APROMAC Environment Protection Association, Brazil
Articulação de Agroecologia na Bahia- (AABA), Brazil
Articulação Semiárido Brasileiro (ASA), Brazil
Asian Peasant Coalition (APC)
Asian Peoples Movement on Debt and Development (APMDD)
Associação Brasileira de Agroecologia (ABA), Brazil
Associação Gaúcha de Proteção ao Ambiente Natural (AGAPAN), Brazil
Associação para o Desenvolvimento da Agroecologia (AOPA), Brazil
Association Citoyenne de Défenses des Intérêts Collectifs (ACDIC), Cameroon
ATTAC Argentina
ATTAC France
ATTAC CADTM, Morroco
Attac Côte d’Ivoire
Australian Food Sovereignty Allianc
BioScience Resource Project, USA
Bread for the World, Germany
CADTM, Maroc
Campaña Yo No Quiero Transgénicos, Chile
Censat Agua Viva - Amigos de la Tierra, Colombia
Center for Research and Documentation Chile-Latin America, Germany
Centre Europe-Tiers Monde (CETIM), Switzerland
Centro de Derechos Humanos "Fray Francisco de Vitoria OP", A.C., Mexico
CENTRO DE DIREITOS HUMANOS E EMPRESAS (HOMA), UFJF, Brazil
Centro de Documentación en Derechos Humanos “Segundo Montes Mozo S.J.” , Ecuador
Centro Ecologico, Brasil
Çiftçi-SEN (Confederation of Farmers’ Unions), Turkey
CSMM, Ecuador
CCFD-Terre Solidaire, France
Coalition for a GM-Free India, India
Coldiretti, Italy
Colectivo Revuelta Verde, Mexico
Colectivo VientoSur, Chile
Comité Permanente por la Defensa de los Derechos Humanos, Ecuador
Community to Community, USA
Comunidades Campesinas y Urbanas Solidarias con Alternativas, México
Conselho Nacional das Populações Extrativistas (CNS), Brazil
Cooperativa por un Ambiente Biodiverso y Sustentable, CAMBIOS, S.C., Mexico
Cooperativa Semilla Austral, Chile
Coordinadora de Movimientos Populares para la Integración Latinoamericana
Coordination Climat Justice Sociale, Switzerland
Earthlife Africa, South Africa
Ecologistas en Acción, Spain
Ekologistak Martxan, Spain
Educación, Cultura y Ecología, A. C. (Educe AC.), Mexico
FASE - Federação de Órgãos para Assistência Social e Educacional, Brazil
Food First, USA
Food Sovereignty Ghana
Foro Ciudadano de Participación por la Justicia y los Derechos Humanos, Argentina
Friends of the Earth U.S.A.
Fronteras Comunes A.C., Mexico
Fundación de Estudios para la Aplicación del Derecho (FESPAD), El Salvador
Fundación Mundubat, Basque Country
GE Free New Zealand
Générations Futures, France
Global Justice Alliance, USA
Grupo Coletivo Triunfo de Agricultores Familiares, Brazil
Grupo de Agroecología y Soberanía Alimentaria (GASA), Panama
Grupo de Coordinación Ampliado del Grupo Carta de Belém, Brazil
GUERREROS VERDES A.C., Mexico
Institute for Agriculture and Trade Policy, USA
Institute for Research and Promotion of alternatives in development (IRPAD), Mali
Instituto de Estudios Ecologistas del Tercer Mundo, Ecuador
Jubileu Sul, Brasil
Kenya Biodiversity Coalition
Kenya Food Rights Alliance – KeFRA
Kenya Food Rights Alliance –KeFRA
La Asamblea Veracruzana de Iniciativas y Defensa Ambiental (LAVIDA)
Laboratorio de Investigación en Desarrollo Comunitario y Sustentabilidad, Mexico
La Fédération Unie de Groupements d’Eleveurs et d’Agriculteurs (FUGEA), Belgium
Living Farms, India
Marcha Mundial de las Mujeres, Chile
MASIPAG, Philippines
Mesa Nacional frente a la Minería Metálica (MNFM), El Salvador
Mesa Permanente por la Justicia Laboral (MPJL), El Salvador
Millennium Institute, USA
Mouvement "Nous Sommes la Solution", Senegal
Mouvement d’Action Paysanne (MAP), Belgium
Movement Generation, USA
Movimiento de los Pequenos Agricultores-MPA, Brazil
Movimiento Nacional en Defensa de la Tierra (MOVITIERRA), El Salvador
Navdanya, India
Never Ending Food, Malawi
Organic Systems, New Zealand
Other Worlds, USA
PACS - Institute Alternative Policies for the Southern Cone of Latin America, Brazil
PAPDA, Haïti
Peuples Solidaires-ActionAid, France
PLATAFORMA DE ECONOMÍA SOLIDARIA (PECOSOL), Guatemala
rede de Comunidades Tradicionais Pantaneira, Brazil
Rede Ecovida de Agroecologia, Brazil
Red de Accion por los Derechos Ambientales (RADA), Temuko,Chile.
RED DE HUERTOS URBANOS DE TALCA, Chile

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17/02/2016 | Lien permanent

Six millions de Philippins à la messe du pape François...

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1. l'homélie du pape

2. son discours  d'écologie plénière (humaine et environnementale) :

 

VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
AU SRI LANKA ET AUX PHILIPPINES

(12-19 JANVIER 2015)

MESSE

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Rizal Park, Manille
dimanche 18 janvier 2015

[Multimédia]


 

« Un enfant nous est né, un fils nous a été donné » (Is 9, 5). C’est une grande joie pour moi de célébrer le dimanche du Santo Niño avec vous. L’image du Saint Enfant Jésus a accompagné la diffusion de l’Évangile dans ce pays depuis l’origine. Vêtu comme un roi, couronné, et tenant en main le sceptre, le globe et la croix, il continue à nous rappeler le lien entre le Royaume de Dieu et le mystère de l’enfance spirituelle. Il nous le dit dans l’Évangile de ce jour : « Quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas » (Mc 10, 15). Le Santo Niño continue à nous proclamer que la lumière de la grâce de Dieu a brillé sur un monde de ténèbres, apportant la Bonne Nouvelle de notre libération de l’esclavage, et en nous guidant sur les sentiers de la paix, du droit et de la justice. Il nous rappelle aussi que nous avons été appelés à répandre le Règne du Christ partout dans le monde.

Ces jours ci, pendant toute ma visite, je vous ai entendu chanter le chant : « Nous sommes tous enfants de Dieu ». C’est ce que le Santo Niño nous dit. Il nous rappelle notre identité la plus profonde. Nous sommes tous enfants de Dieu, membres de la famille de Dieu. Aujourd’hui saint Paul nous a dit que, dans le Christ, nous sommes devenus enfants adoptifs de Dieu, frères et sœurs dans le Christ. Voilà qui nous sommes. C’est notre identité. Nous en avons vu une belle expression quand les Philippins se sont mobilisés autour de nos frères et sœurs touchés par le typhon.

L’Apôtre nous dit que, parce que Dieu nous a choisis, nous avons été abondamment bénis ! Dieu « nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ » (Ep 1, 3). Ces paroles ont un écho particulier aux Philippines, parce que c’est le principal pays catholique en Asie ; cela est déjà un don de Dieu particulier, une bénédiction particulière. Mais c’est aussi une vocation. Les Philippins sont appelés à être de vaillants missionnaires de la foi en Asie.

Dieu nous a choisis et bénis dans un but : êtres saints et irréprochables sous son regard (Ep 1, 4). Il nous a choisis, chacun de nous, pour être témoins de sa vérité et de sa justice dans ce monde. Il a créé le monde comme un beau jardin et nous a demandé d’en prendre soin. Mais, par le péché, l’homme a défiguré la beauté de la nature ; par le péché, l’homme a aussi détruit l’unité et la beauté de notre famille humaine, en créant des structures sociales qui entretiennent la pauvreté, l’ignorance, et la corruption.

Parfois, quand nous voyons les troubles, les difficultés, et les injustices tout autour de nous, nous sommes tentés d’abandonner. Il semble que les promesses de l’Évangile ne s’appliquent pas ; elles sont irréelles. Mais la Bible nous dit que la grande menace au plan de Dieu sur nous est, et a toujours été, le mensonge. Le démon est le père du mensonge. Il cache souvent ses pièges derrière les apparences de la sophistication, l’attrait d’être « moderne », « comme tout le monde ». Il nous distrait par la vue de plaisirs éphémères, de passe-temps superficiels. Et alors nous gaspillons les dons de Dieu en employant des gadgets ; nous gaspillons notre argent dans des jeux et des boissons ; nous nous y livrons nous-mêmes. Nous oublions de rester fixés sur les choses qui comptent vraiment. Nous oublions de rester, intérieurement, enfants de Dieu. C’est cela le péché : oublier, dans son cœur, d’être enfant de Dieu. Pour ces enfants – comme le Seigneur nous le dit – la sagesse n’est pas la sagesse du monde. Voilà pourquoi le message du Santo Niño est si important. Il parle profondément à chacun d’entre nous. Il nous rappelle notre identité la plus profonde, ce à quoi nous sommes appelés à être, en tant que la famille de Dieu.

Le Santo Niño nous rappelle aussi que cette identité doit être protégée. Le Christ Enfant est le protecteur de ce grand pays. Quand il est venu dans le monde, sa vie a été menacée par un roi corrompu. Jésus lui-même a eu besoin d’être protégé. Il a eu un protecteur terrestre : saint Joseph. Il a eu une famille terrestre : la Sainte Famille de Nazareth. Alors il nous rappelle l’importance de protéger nos familles, et ces plus grandes familles que sont l’Église, la famille de Dieu, et le monde, notre famille humaine. Malheureusement, de nos jours, la famille a grand besoin d’être protégée contre les attaques insidieuses et les programmes contraires à tout ce que nous tenons pour vrai et sacré, tout ce qu’il y a de plus beau et de plus noble dans notre culture.

Dans l’Évangile, Jésus accueille les enfants, il les embrasse et les bénit. Nous devons, nous aussi, protéger, guider et encourager notre jeunesse, en l’aidant à construire une société digne de son grand héritage spirituel et culturel. En particulier, nous devons regarder chaque enfant comme un don devant être accueilli, chéri et protégé. Et nous devons prendre soin de notre jeunesse, en ne permettant pas que lui soit volée l’espérance, et qu’elle soit condamnée à vivre dans la rue.

Celui qui a apporté la bonté de Dieu, la miséricorde et la justice dans le monde, était un enfant fragile, qui avait besoin de protection. Il a affronté la malhonnêteté et la corruption qui sont l’héritage du péché, et il en a triomphé par la puissance de sa croix. Maintenant, à la fin de ma visite aux Philippines, je vous recommande à lui, à Jésus qui est venu parmi nous comme un enfant. Puisse-t-il permettre à tout le peuple bien-aimé de ce pays de travailler ensemble, en se protégeant les uns les autres, en commençant par vos familles et vos communautés, en construisant un monde de justice, d’intégrité et de paix. Puisse le Santo Niño continuer à bénir les Philippines et à soutenir les chrétiens de cette grande nation dans leur vocation à être témoins et missionnaires de la joie de l’Évangile, en Asie et partout dans le monde.

S’il vous plaît, n’oubliez pas de priez pour moi !

Que Dieu vous bénisse !

 

 

 

 

VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
AU SRI LANKA ET AUX PHILIPPINES

(12-19 JANVIER 2015)

 RENCONTRE AVEC LES JEUNES 

DISCOURS DU SAINT-PÈRE 

Terrain de sport de l’Université Santo Tomas à Manille
Dimanche 18 janvier 2015
 

[Multimédia]

 


 

  

Chers jeunes amis, 

C’est une joie pour moi d’être aujourd’hui avec vous. Je salue cordialement chacun de vous et je remercie tous ceux qui ont rendu possible cette rencontre. Au cours de ma visite aux Philippines, j’ai particulièrement voulu avoir une rencontre avec vous, les jeunes, pour vous écouter et pour parler avec vous. Je désire exprimer l’amour et l’espérance que l’Église a pour vous. Et je veux vous encourager, comme citoyens chrétiens de ce pays, à vous offrir avec enthousiasme et avec honnêteté au grand travail de renouvellement de votre société et de contribution à construire un monde meilleur. 

Je remercie spécialement les jeunes qui m’ont adressé des paroles de bienvenue. Ils ont exprimé de façon éloquente, en votre nom, vos préoccupations et vos inquiétudes, votre foi et vos espérances. Ils ont parlé des difficultés et des attentes des jeunes. Bien que je ne puisse pas répondre à chacun de ces questionnements de façon exhaustive, je sais que, avec vos Pasteurs et entre vous, vous les considérerez attentivement à l’aide de la prière et que vous ferez des propositions concrètes d’action. 

Aujourd’hui, je voudrais suggérer trois domaines-clés où vous avez une contribution significative à offrir à la vie de votre pays.

1. Le premier est le défi de l’intégrité. Le terme “défi” peut être entendu de deux manières. D’abord, il peut être compris de façon négative, comme une tentative d’agir contre vos convictions morales, contre tout ce que vous savez être vrai, bon et juste. Notre intégrité peut être défiée par des intérêts égoïstes, par l’avidité, par la malhonnêteté, ou par l’intention d’instrumentaliser les autres. 

Mais l’expression “défi” peut aussi être comprise dans un sens positif. Elle peut être vue comme une invitation à être courageux, à donner un témoignage prophétique de sa foi et de tout ce qui est tenu pour sacré. En ce sens, le défi de l’intégrité est quelque chose à quoi, en ce moment et dans vos vies, il est nécessaire de se confronter. Il ne s’agit pas de quelque chose que vous pouvez renvoyer au temps où vous serez plus âgés, où vous aurez de plus grandes responsabilités. Dès maintenant aussi, vous avez à relever le défi d’agir avec honnêteté et correction dans vos relations avec les autres, qu’ils soient jeunes ou âgés. Ne fuyez pas ce défi ! Un des plus grands défis que les jeunes ont devant eux est celui d’apprendre à aimer. Aimer signifie prendre un risque : le risque du refus, le risque d’être utilisé, ou pire d’utiliser l’autre. N’ayez pas peur d’aimer ! Mais, aussi en aimant, préservez votre intégrité ! En cela aussi, soyez honnêtes et loyaux ! 

Dans la lecture que nous venons d’entendre, Paul dit à Timothée : « Que personne n’ait lieu de te mépriser parce que tu es jeune ; au contraire, sois pour les croyants un modèle par ta parole et ta conduite, par ta charité, ta foi et ta pureté » (1 Tm 4, 12). 

Vous êtes donc appelés à donner un bon exemple, exemple d’intégrité. Naturellement, en le faisant, vous devrez affronter des oppositions et des critiques, le découragement et même le ridicule. Mais vous avez reçu un don qui vous permet de dépasser ces difficultés. C’est le don de l’Esprit Saint. Si vous nourrissez ce don par la prière quotidienne et puisez la force dans la participation à l’Eucharistie, vous serez en mesure d’atteindre cette grandeur morale à laquelle Jésus vous appelle. Vous deviendrez aussi une boussole pour vos amis qui sont en recherche. Je pense spécialement à ces jeunes qui ont la tentation de perdre l’espérance, d’abandonner leur idéaux élevés, de quitter l’école ou de vivre au jour le jour dans les rues.

Il est donc essentiel de ne pas perdre votre intégrité ! Ne compromettez pas vos idéaux ! Ne cédez pas aux tentations contre la bonté, la sainteté, le courage et la pureté ! Relevez le défi ! Avec le Christ, vous serez – vraiment vous l’êtes déjà – des artisans d’une culture philippine renouvelée et plus juste. 

2. Un autre domaine où vous êtes appelés à donner votre contribution est celui de montrer de la préoccupation pour l’environnement. Ce n’est pas seulement parce que votre pays, plus que d’autres, risque d’être sérieusement touché par le changement climatique. Vous êtes appelés à prendre soin de la création, non seulement comme des citoyens responsables, mais aussi comme disciples du Christ ! Le respect de l’environnement signifie davantage que de simplement utiliser des produits propres ou de recycler ce que nous utilisons. Ce sont des aspects importants, mais non suffisants. Nous avons besoin de voir, avec les yeux de la foi, la beauté du plan de salut de Dieu, le lien entre l’environnement naturel et la dignité de la personne humaine. L’homme et la femme sont créés à l’image et à la ressemblance de Dieu et la maîtrise de la création leur a été confiée (cf. Gn 1, 26-28). Comme administrateurs de la création de Dieu, nous sommes appelés à faire de la terre un beau jardin pour la famille humaine. Lorsque nous détruisons nos forêts, lorsque nous dévastons le sol et polluons les mers, nous trahissons ce noble appel ! 

Il y a trois mois, vos évêques ont affronté ces thèmes dans une Lettre pastorale prophétique. Ils ont demandé à chacun de réfléchir sur la dimension morale de nos activités et de nos styles de vie, de notre consommation et de l’usage que nous faisons des ressources naturelles. Aujourd’hui, je vous demande de le faire, dans le contexte de vos vies et de votre engagement pour la construction du Royaume du Christ. Chers jeunes, l’usage juste et la gestion correcte des ressources naturelles est une tâche urgente et vous avez une contribution importante à offrir. Vous êtes l’avenir des Philippines. Soyez vivement intéressés à tout ce qui arrive à votre si belle terre ! 

3. Un dernier domaine où vous pouvez offrir une contribution vous est particulièrement cher à tous. C’est le soin des pauvres. Nous sommes chrétiens, membres de la famille de Dieu. Chacun de nous, et peu importe si individuellement nous avons beaucoup ou peu, est appelé à tendre la main personnellement et à servir nos frères et nos sœurs dans le besoin. Il y a toujours quelqu’un proche de nous qui a des besoins matériels, psychologiques, spirituels. Le plus gra

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18/01/2015 | Lien permanent

Ces intellectuels catholiques qui ”résistent” au pape

Après Thibaut Collin, Chantal Delsol :

 

« Il nous faut entrer dans la perspective fondamentale de la démarche du pape. Il nous invite à considérer les réalités familiales d'un point de vue essentiellement pastoral », écrit le cardinal Vingt-Trois dans Paris Notre-Dame d'aujourd'hui. Relisant – crayon en main – Amoris laetitia, je suis de plus en plus frappé de la puissance de ce document d'orientation. Quel chrétien refuserait d'entrer dans une « perspective fondamentale » à laquelle doit s'ouvrir la famille (comme toutes les autres structures chrétiennes) ?

Pourtant le fait est là : certains intellectuels catholiques semblent s'y refuser... Pas ouvertement, bien sûr ; mais leurs certitudes sont inexpugnables. Ils élèvent des barricades d'arguties. Il y a quelques jours, le philosophe catholique Thibaut Collin assénait à ses auditeurs trente-six raisons de refuser leur confiance à l'exhortation apostolique. Et voici une attaque contre l'encyclique d'écologie intégrale Laudato Si', par l'universitaire Chantal Delsol.

Membre de l'Institut, professeur de philosophie, spécialiste de l'histoire des idées politiques, auteur de vingt-cinq ouvrages et jouant depuis des années « un rôle significatif dans l'entreprise de renouvellement philosophique à l'oeuvre au sein du camp conservateur [1]» (Le Monde, 14/06/2002), Mme Delsol jouit d'une autorité dont nul n'ose douter. C'est sans doute la raison pour laquelle il lui fut demandé de préfacer le nouveau livre de Frédéric Rouvillois : La clameur de la Terre - Les leçons politiques du pape François [2]. Professeur de droit public à l'université Paris-Descartes, auteur d'une trentaine d'ouvrages, M. Rouvillois avait-il besoin de la caution de Mme Delsol ? Le lecteur se le demande... une fois qu'il a lu cette préface.

Car elle est sidérante.

Une préface (en principe) n'a pas pour but de désavouer le sujet du livre. C'est pourtant le cas de celle-ci. Mme Delsol a des griefs contre Laudato Si' : elle tient à les faire partager, chose surprenante de la part d'une catholique ; ces griefs reposent sur des données fausses, chose surprenante de la part d'une autorité professorale. Voici le passage sidérant de cette préface. Je surligne en noir ce qui surprend de la part d'une catholique, et en bleu ce qui surprend de la part d'une universitaire :

<<  Cette encyclique, contrairement à d'autres précédentes, m'apparaît parfois bien approximative. On aimerait mieux ne pas entendre dire imprudemment que la disparition des espèces est essentiellement due à l'homme (elle a toujours existé et fait partie de la nature elle-même). N'est-il pas bien téméraire d'affirmer que puisque la catastrophe écologique dépend de l'homme, celui-ci peut alors l'arrêter ? Je me demande si ce n'est pas encore du prométhéisme que de nous prêter le pouvoir de sauver la planète. […] Le principe de précaution protège-t-il toujours les faibles et les pauvres ? En ce moment, au contraire, il appauvrit encore, et de beaucoup, parce qu'il est compris à l'extrême, et normalise tellement la vie de tous que l'on ne peut plus habiter, se nourrir, se déplacer, sans utiliser des équipements obligatoires et coûteux – autrement dit : gardons la mesure afin que la bonne direction ne devienne pas mauvaise par excès de bien... D'un point de vue philosophique, je suis fâchée de voir l'écologie prétendre servir d'argument contre l'IVG : ''la défense de la nature n'est pas compatible non plus avec la justification de l'avortement'' (120). L'attitude de respect général de la nature correspondrait au respect de tous les humains. Quel salmigondis. Toutes les civilisations anciennes respectaient la nature, et toutes, sauf le judéo-christianisme, se débarrassaient des bébés superflus – il suffit de lire la lettre à Diognète. La légitimation de l'avortement est un signe de retour du paganisme, avant l'humanisme judéo-chrétien. Cela n'a rien à voir avec la culture du déchet. C'est bien léger, et contre-productif, d'évoquer l'avortement à tout propos et hors de propos... >>

Les deux premiers passages en bleu expriment la posture anti-écologie d'un certain microcosme politico-économique. Tous plus ou moins porte-parole du productivisme, les gens de ce milieu ignorent les dossiers de l'environnement. D'où les trois erreurs de Mme Delsol : 1. prétendre que l'érosion moderne de la biodiversité n'a rien voir avec nos activités, alors que cette érosion est sans commune mesure (par son ampleur et sa rapidité) avec les disparitions naturelles d'espèces ; 2. ironiser contre le « principe de précaution » comme s'il n'avait aucune raison d'être (ironie datant de M. Allègre quand il niait la nocivité de l'amiante) ; 3. proclamer que notre existence est rendue invivable par le totalitarisme vert (on se demande de quoi parle Mme Delsol).

Le troisième passage en bleu concerne l'histoire, et déconcerte de la part d'une universitaire qui fit sa thèse sur les philosophies politiques de l'Antiquité. Mme Delsol nous affirme pour les besoins de sa démonstration – que « toutes les civilisations anciennes » ont respecté la nature... Que fait-elle de Platon s'indignant de voir les chantiers navals et la métallurgie d'Athènes déforester l'Attique [3] ? Ou de Pline l'Ancien accusant le luxe romain de surexploiter la nature [4] ?

Mme Delsol est également une spécialiste de l'histoire des idées politiques contemporaines ; c'est à ce titre qu'elle représente le catholicisme pensant dans les cercles de droite. Comment peut-elle (un peu plus loin dans sa préface) prêter à un doctrinaire politique aussi connu que Charles Maurras une théorie radicalement contraire à ce qu'il pensait ? C'est à propos d'une section du livre de Frédéric Rouvillois, qui développe l'idée selon laquelle l'écologie serait en consonance avec l'esprit des monarchies. L'auteur ne cite pas Maurras, mais le feu comte de Paris et le prince Charles d'Angleterre. Mme Delsol (bizarrement acharnée à démolir le livre qu'elle préface) lui répond que mieux vaudrait, « plutôt que de rêver à des monarchies chimériques, tenter de mettre du plomb dans la cervelle démocratique... » C'est une objection légitime de sa part. Mais pourquoi éprouve-t-elle le besoin d'exhumer le théoricien de l'Action française ? « Charles Maurras, écrit-elle, disait que l'intérêt du roi est le même que celui de la société : il faut sous-entendre que le roi est un saint, ce qui est un pari assez fou. » Mme Delsol attribue ainsi à Maurras... une idée qu'il combattait ! Car selon le système de pensée maurrassien, le bienfait de la monarchie est sa logique interne, censée coïncider avec les intérêts de la société quels que soient la vertu ou les vices du monarque ; ce qui compte d'après Maurras n'est donc pas la personne du roi, mais l'institution dynastique, qui place le roi dans une position capable de compenser son éventuelle médiocrité d'individu... Cette théorie maurrassienne plane assez loin des faits historiques, mais en ce qui concerne la préface de Mme Delsol le problème est ailleurs : qu'une spécialiste puisse commettre une bourde de cette envergure, dans son propre domaine de compétence académique, a quelque chose de singulier.

Mais revenons sur les passages surlignés en noir : les accusations de Mme Delsol contre le pape François. Elles sont graves, absurdes [5], et d'une inadmissible violence verbale.

On ne voit pas ce qui autorise cette dame à parler d'une encyclique avec un tel mépris : Laudato Si, dit-elle, est « approximative, imprudente, téméraire, prométhéenne, légère, contre-productive » ; c'est un « salmigondis », qui « fâche » Mme Delsol.

Un ton pareil pour parler du pape est-il à la mode, désormais, chez les catholiques de droite ? Je le crains, pour en avoir lu et entendu d'autres exemples. Mme Delsol cède à l'emportement du milieu auquel elle appartient. Ce milieu ne pardonnait pas à François sa réfutation fulgurante de l'idéologie économique libérale dans Evangelii gaudium ; il ne lui pardonne, ni les analyses économiques et écologiques de Laudato Si, ni l'appel aux mobilisations populaires du discours de Santa-Cruz. Comme on l'a vu dans leurs peu convaincantes contributions au débat de La Nef, Mme Delsol et les « économistes catholiques » récusent, au nom d'un libéralisme imaginaire « jamais réalisé nulle part » (cf Evangelii gaudium § 53), la critique papale du libéralisme réalisé. Nous venons d'en disséquer un exemple avec cette préface. Les réactions de certains – cf. supra – à l'encontre d'Amoris laetitia en sont un autre symptôme... Ces « modérés » deviennent injurieux ; ils donnent ainsi un étrange spectacle, qui doit nous instruire sans nous impressionner.

 

_______________

[1] Donc éditorialiste à Valeurs actuelles, comme Maud Fontenoy.

[2] éd. Jean-Cyrille Godefroy. Je parlerai bientôt de ce livre, intéressant et original.

[3] C'est dans le Critias : « Ce qui reste à présent, comparé à ce qui existait alors, ressemble à un corps décharné par la maladie. Tout ce qu'il y avait de terre grasse et molle s'est écoulé et il ne reste plus que la carcasse nue du pays... Il y avait sur les montagnes de grandes forêts... [Le sol] recueillait les pluies annuelles de Zeus et ne lerdait pas comme aujourd'hui l'eau qui s'écoule de la terre dénudée dans la mer, et, comme la terre était alors épaisse et recevait l'eau dans son sein et la tenait en réserve dans l'argile imperméable, elle laissait échapper dans les creux l'eau des hauteurs qu'elle avait absorbée et alimentait en tous lieux d'abondantes sources et de grosses rivières. Telle était la condition naturelle du pays. Il avait été mis en culture par de vrais laboureurs, amis du beau et doués d'un heureux naturel... »

[4] Pline l'Ancien, Histoire naturelle, vol. 36, I-3 : « Et nous, sans autre dessein que nos jouissances, nous coupons et transportons les monts qu'il fut jadis merveille de seulement franchir... Voici maintenant qu'on les fend pour en tirer mille espèces de marbre. On ouvre des promontoires au passage de la mer, on nivelle la nature. Nous emportons ce qui avait été placé comme frontières pour séparer les peuples, on construit des vaisseaux pour aller chercher les marbres, et, sur les flots, le plus sauvage élément naturel, ici et là on transporte les cimes des:montagnes. Encore y a-t-il à cela plus d'excuses que lorsque, pour avoir une boisson fraîche, on va chercher un vase jusqu'au milieu des nuages et, pour boire glacé, on creuse des roches proches des cieux... »

[5] Le plus absurde est le reproche fait au pape « d'évoquer l'avortement à tout propos et hors de propos », alors qu'il en est peu question dans l'encyclique – et que les ultras ne pardonnent pas à François d'avoir exhorté les catholiques à ne parler de l'avortement que lorsque c'est indispensable. L'absurdité de l'attaque de Mme Delsol se double du fait qu'elle récuse – avec irritation – l'idée que l'IVG de masse soit contraire à l'écologie intégrale.

 

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Le pape aux JMJ : ”Ne croyez pas que Dieu soit bon avec les bons et mauvais avec les mauvais !”

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"Etre plus fort que le mal en aimant chacun, même les ennemis..." Homélie du pape à la messe d'envoi (texte intégral du Vatican)  :

 
 
 

VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
EN POLOGNE

À L'OCCASION DE LA XXXI JOURNÉE MONDIALE DE LA JEUNESSE
(27-31 JUILLET 2016)

 MESSE POUR LA JOURNÉE MONDIALE DE LA JEUNESSE

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Campus Misericordiae - Cracovie
dimanche 31 juillet 2016

 


 

 

<<  Chers jeunes, vous êtes venus à Cracovie pour rencontrer Jésus. Et l’Évangile aujourd’hui nous parle justement de la rencontre entre Jésus et un homme, Zachée, à Jéricho (cf. Lc 19, 1-10). Là, Jésus ne se limite pas à prêcher, ou à saluer chacun, mais il veut – dit l’Évangéliste – traverser la ville (cf. v. 1). Jésus désire, en d’autres termes, s’approcher de la vie de chacun, parcourir notre chemin jusqu’au bout, afin que sa vie et notre vie se rencontrent vraiment. 

Survient ainsi la rencontre la plus surprenante, celle avec Zachée, le chef des “publicains”, c’est-à-dire des collecteurs d’impôts. Zachée était donc un riche collaborateur des occupants romains détestés ; c’était un exploiteur du peuple, quelqu’un  qui, à cause de sa mauvaise réputation, ne pouvait même pas s’approcher du Maître. Mais la rencontre avec Jésus change sa vie, comme cela s’est produit et peut se produire chaque jour pour chacun de nous. Zachée, cependant, a dû affronter certains obstacles pour rencontrer Jésus. Cela n’a pas été facile pour lui, il a dû affronter certains obstacles, au moins trois, qui peuvent nous dire quelque chose à nous aussi.

► Le premier est la petite taille : Zachée ne réussissait pas à voir le Maître parce qu’il était petit. Aujourd’hui aussi nous pouvons courir le risque de rester à distance de Jésus parce que nous ne nous sentons pas à la hauteur, parce que nous avons une modeste considération de nous-même. C’est une grande tentation, qui ne regarde pas seulement l’estime de soi, mais touche aussi la foi. Parce que la foi nous dit que nous sommes « enfants de Dieu et nous le sommes réellement » (1 Jn 3, 1) : nous avons été créés à son image ; Jésus a fait sienne notre humanité et son cœur ne se lassera jamais de nous ; l’Esprit Saint désire habiter en nous ; nous sommes appelés à la joie éternelle avec Dieu ! C’est notre “stature”, c’est notre identité spirituelle : nous sommes les enfants aimés de Dieu, toujours. Vous comprenez alors que ne pas s’accepter, vivre insatisfait et penser négatif signifie ne pas reconnaitre notre identité la plus vraie : c’est comme se tourner d’un autre côté tandis que Dieu veut poser son regard sur moi, c’est vouloir éteindre le rêve qu’il nourrit pour moi. Dieu nous aime tels que nous sommes, et aucun péché, défaut ou erreur ne le fera changer d’idée. Pour Jésus – l’Évangile nous le montre -, personne n’est inférieur et loin, personne n’est insignifiant, mais nous sommes tous préférés et importants : tu es important ! Et Dieu compte sur toi pour ce que tu es, non pour ce que tu as : à ses yeux ne vaut vraiment rien le vêtement que tu portes ou le téléphone portable que tu utilises : que tu sois à la mode ne lui importe pas, ce qui lui importe, c’est toi, tel que tu es. Tu as de la valeur à ses yeux et ta valeur est inestimable.

Quand dans la vie, il nous arrive de viser bas plutôt que haut, cette grande vérité peut nous aider : Dieu est fidèle dans son amour pour nous, même obstiné. Cela nous aidera de penser qu’il nous aime plus que nous nous aimons nous-mêmes, qu’il croit en nous plus que nous croyons en nous-mêmes, qu’il “est toujours notre supporter” en tant que le plus irréductible des soutiens. Il nous attend toujours avec espérance, même lorsque nous nous enfermons dans nos tristesses, ruminant sans cesse les torts subis et le passé. Mais s’attacher à la tristesse n’est pas digne de notre stature spirituelle ! C’est même un virus qui infecte et bloque tout, qui ferme toute porte, qui empêche de relancer la vie, de recommencer. Dieu, au contraire est obstinément plein d’espoir : il croit toujours que nous pouvons nous relever et ne se résigne pas à nous voir éteints et sans joie. Il est triste de voir un jeune sans joie. Parce que nous sommes toujours ses enfants bien-aimés. Rappelons-nous de cela au début de chaque journée. Cela nous fera du bien chaque matin de le dire dans la prière : “Seigneur, je te remercie parce que tu m’aimes; je suis sûr que tu m’aimes ; fais-moi aimer ma vie !”. Non pas mes défauts, qui doivent être corrigés, mais la vie, qui est un grand don : c’est le temps d’aimer et d’être aimés.

► Zachée avait un second obstacle sur le chemin de la rencontre avec Jésus : la honte qui paralyse. À ce sujet, nous avons dit quelque chose hier soir. Nous pouvons imaginer ce qui s’est passé dans le cœur de Zachée avant qu’il monte sur ce sycomore ; il y aura eu une belle lutte : d’une part une bonne curiosité, celle de connaître Jésus ; de l’autre le risque de faire une terrible piètre figure. Zachée était un personnage public ; il savait qu’en essayant de monter sur l’arbre, il serait devenu ridicule aux yeux de tous, lui, un chef, un homme de pouvoir, mais si détesté. Cependant il a surmonté la honte, parce que l’attraction de Jésus était plus forte. Vous aurez fait l’expérience de ce qui arrive lorsqu’une personne devient si attirante au point d’en tomber amoureux : il peut arriver alors de faire volontiers des choses qu’on aurait jamais faites. Quelque chose de semblable se passe dans le cœur de Zachée, quand il sentit que Jésus était si important qu’il aurait fait n’importe quoi pour lui, parce qu’il était le seul qui pouvait le tirer hors des sables mouvants du péché et de l’insatisfaction. Et ainsi la honte qui paralyse n’a pas eu le dessus : Zachée – dit l’Évangile- « courut en avant », « grimpa » et ensuite quand Jésus l’appela, « il descendit vite » (vv. 4.6). Il a risqué, il s’est mis en jeu. Pour nous, c’est aussi le secret de la joie : ne pas éteindre la belle curiosité, mais se mettre en jeu, parce que la vie ne s’enferme pas dans un tiroir. Devant Jésus on ne peut rester assis, en attendant, les bras croisés ; à Lui, qui nous donne la vie, on ne peut répondre par une pensée ou par un simple “petit message”!

Chers jeunes, n’ayez pas honte de tout lui porter, spécialement vos faiblesses, vos peines et vos péchés dans la confession : Lui saura vous surprendre avec son pardon et sa paix. N’ayez pas peur de lui dire “oui” avec tout l’élan de votre cœur, de lui répondre généreusement, de le suivre ! Ne vous laissez pas anesthésier l’âme, mais visez l’objectif du bel amour, qui demande aussi le renoncement, et un “non” fort au doping du succès à tout prix et à la drogue de penser seulement à soi et à ses propres aises.

► Après la petite taille, après la honte qui paralyse, il y a un troisième obstacle que Zachée a dû affronter, non plus en lui-même, mais autour de lui. C’est la foule qui murmure, qui l’a d’abord arrêté et puis l’a critiqué : Jésus ne devait pas entrer dans sa maison, la maison d’un pécheur ! Comme il est difficile d’accueillir vraiment Jésus, comme il est dur d’accepter un « Dieu, riche en miséricorde » (Ep 2, 4). Il est possible qu’on vous en empêche, en cherchant à vous faire croire que Dieu est loin, raide et peu sensible, bon avec les bons et mauvais avec les mauvais. Au contraire, notre Père « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (Mt 5, 45) et il nous invite au vrai courage : être plus fort que le mal en aimant chacun, même les ennemis. Il est possible qu’on rie de vous, parce que vous croyez dans la force douce et humble de la miséricorde. N’ayez pas peur, mais pensez aux paroles de ces jours : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7). Il est possible qu’on vous considère comme des rêveurs, parce que vous croyez en une humanité nouvelle, qui n’accepte pas la haine entre les peuples, qui ne voit pas les frontières des pays comme des barrières et garde ses propres traditions sans égoïsmes ni ressentiments. Ne vous découragez pas : avec votre sourire et avec vos bras ouverts, prêchez l’espérance et soyez une bénédiction pour l’unique famille humaine, qu’ici vous représentez si bien !

La foule, ce jour-là, a jugé Zachée, elle l’a regardé de haut ; Jésus au contraire, a fait l’inverse : il a levé son regard vers lui (v. 5). Le regard de Jésus va au-delà des défauts et voit la personne ; il ne s’arrête pas au mal du passé, mais il entrevoit le bien à venir ; il ne se résigne pas devant les fermetures, mais il recherche la voie de l’unité et de la communion ; au milieu de tous, il ne s’arrête pas aux apparences, mais il regarde le cœur. Jésus regarde notre cœur, ton cœur, mon cœur. Avec ce regard de Jésus, vous pouvez faire grandir une autre humanité, sans attendre qu’on vous dise “bravo”, mais en cherchant le bien pour lui-même, heureux de garder le cœur intègre et de lutter pacifiquement pour l’honnêteté et la justice. Ne vous arrêtez pas à la superficie des choses et méfiez-vous des liturgies mondaines du paraître, du maquillage de l’âme pour sembler meilleurs. Au contraire, installez bien la connexion la plus stable, celle d’un cœur qui voit et transmet le bien sans se lasser. Et cette joie que gratuitement vous avez reçue de Dieu, s’il vous plaît, donnez-la gratuitement (cf. Mt 10, 8), parce que beaucoup l’attendent ! Beaucoup l’attendent de vous.

Enfin, écoutons les paroles de Jésus à Zachée, qui semblent dites spécialement pour nous aujourd’hui, pour chacun d’entre nous : « Descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison » (v. 5). ‘‘Descends vite, parce qu’aujourd’hui je dois rester avec toi. Ouvre-moi la porte de ton cœur’’. Jésus t’adresse la même invitation : “Aujourd’hui, je dois demeurer dans ta maison”. Les JMJ, pourrions-nous dire, commencent aujourd’hui et continuent demain, à la maison, parce que c’est là que Jésus veut te rencontrer désormais. Le Seigneur ne veut pas rester seulement dans cette belle ville ou dans de précieux souvenirs, mais il désire venir chez toi, habiter ta vie de chaque jour : les études et les premières années de travail, les amitiés et les affections, les projets et les rêves. Comme il aime que dans la prière, tout cela lui soit porté ! Comme il espère que parmi tous les contacts et les chat de chaque jour il y ait à la première place le fil d’or de la prière ! Comme il désire que sa Parole parle à chacune de tes journées, que son Évangile devienne tien, et qu’il soit ton “navigateur” sur les routes de la vie !

Pendant qu’il demande à venir chez toi, Jésus, comme il l’a fait avec Zachée, t’appelle par ton nom. Jésus nous appelle tous par notre nom. Ton nom est précieux pour Lui. Le nom de Zachée évoquait, dans la langue de l’époque, le souvenir de Dieu. Fiez-vous au souvenir de Dieu : sa mémoire n’est pas un disque dur qui enregistre et archive toutes nos données, sa mémoire est un cœur tendre de compassion, qui se plaît à effacer définitivement toutes nos traces de mal. Essayons, nous aussi, maintenant, d’imiter la mémoire fidèle de Dieu et de conserver le bien que nous avons reçu en ces jours. En silence, faisons mémoire de cette rencontre, gardons le souvenir de la présence de Dieu et de sa Parole, ravivons en nous la voix de Jésus qui nous appelle par notre nom. Ainsi prions en silence, en faisant mémoire, en remerciant le Seigneur qui ici nous a voulus et nous a rencontrés.  >>

 

 

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31/07/2016 | Lien permanent

Le pape bouscule nos milieux d'affaires

Saint-Philippe du Roule à Paris est la paroisse des hommes d'affaires. Hier soir, l'église était comble pour un débat sur la façon dont ces milieux « reçoivent » l'encyclique Laudato Si' :

 

A la tribune, dans le choeur de l'église : Jacques de Larosière, ex-directeur général du FMI, ex-gouverneur de la Banque de France, ex-président de la BERD ; Bruno Lafont (HEC-ENA), président de Lafarge-Holcim et de la commission du développement durable au Medef ; Edouard Tétreau (HEC), conseiller en stratégie, trustee du think-tank CED à Washington... Sans oublier Nicolas Métro, ex-cadre sup' (ESSEC) de l'industrie des jeux vidéos, reconverti dans la reforestation ! Son discours sera celui du converti à l'économie sociale et solidaire : il a « planté 4 millions d'arbres, changé la vie de 400 000 personnes », et il plaide pour une transition des Occidentaux vers la sobriété. Curieuse et instructive soirée... Les intervenants vont se montrer plus ou moins bousculés par l'effet François ; ils n'auraient pas tenu en 2012 certains des propos qu'ils ont tenus hier soir. Néanmoins ils ne se laissent pas bousculer au point d'aller, comme le pape, jusqu'à mettre totalement en cause la racine de notre panne de civilisation : « le système économique dominant », comme dit Evangelii gaudium.

 

Ainsi Jacques de Larosière. Extraits : « L'encyclique est un document macro-économique, elle pose les vrais problèmes jamais posés par les organismes gouvernementaux » – «  L'homme postmoderne se croit et se veut libre, on lui dit que sa seule finalité est d'être libre, mais il est l'un des moins libres que la terre ait jamais porté : il se conforme au consumérisme, style de vie qu'il n'a ni conçu ni choisi... » – «  Le paradigme technocratique et le consommer-toujours-plus interdisent toute protection de la nature... » – « L'intérêt général n'est pas compatible avec une humanité réduite au consumérisme... » – « Le pape critique l'idée du marché auto-équilibrant : idée qu'on nous a serinée pendant des décennies, alors que le marché dérégulé aggrave les déséquilibres... » – « L'encyclique dit que les Etats nationaux perdent du pouvoir parce que le pouvoir est dans les mains de la sphère économique et financière : le pape a raison d'être assez peu laudatif sur ce que les Etats font dans ce domaine... » – «  Il y a des relations malsaines entre les Etats et le monde des affaires... » – « le pape invite à une révolution intellectuelle et morale : comprendre que l'homme n'est pas au centre de tout... »

Mais M. de Larosière va dire aussi : « Je ne suis pas d'accord avec l'encyclique sur le fait de réduire la croissance, idée antinomique avec le bien des pauvres... » C'est confondre l'idée de « croissance » (ravageuse puisque fondée sur le sans-limites) et l'idée de prospérité (qui est, quant à elle, compatible avec la notion de limites et la révolution du pape) ! François a pourtant pris le soin de souligner, dès l'exhortation apostolique Evangelii gaudium, que le vice de l'illimité est propre au système – et qu'on ne supprimera pas son vice sans changer le système...

De même, M. de Larosière explique ainsi la formule papale du « tout est lié » : « ayons la même fibre envers l'humain et la nature ! » C'est la moitié du sens du « tout est lié », oui... Mais M. de Larosière aurait pu rappeler l'autre moitié : celle qui souligne que la nature et l'humain sont blessés par la même chose (la machinerie économique), et qu'on ne sauvegardera l'humain et la nature qu'en mettant radicalement en cause la machinerie.

 

Bruno Lafont déploie les éléments de langage du Medef. Tous les poncifs défilent. Le « succès » de la COP 21 (grâce aux entreprises « écoutées durant tout le processus »)... L'erreur de l'encyclique quand elle accuse le développement durable de n'être que « du bullshit*» selon la traduction de M. Lafont (qui précise n'être pas d'accord avec le pape, ce qui ne surprend personne)... Les « solutions technologiques » qui « changeront la planète » (alors que l'encyclique réfute cette idée)... Etc, etc.

Pour M. Lafont, l'encyclique n'est rien d'autre qu'une « provocation puissante pour les entreprises », et les préconisations du pape se réduisent à améliorer la « gouvernance » et les « comportements » des entrepreneurs. L'orateur va jusqu'à soutenir que les attitudes prônées par Laudato Si' sont celles de la gouvernance d'entreprise déjà pratiquée par le groupe Lafarge** ! Mais tout lecteur de Laudato Si', d'Evangelii gaudium et du discours de Santa-Cruz sait que le pape va beaucoup plus loin : il met en cause le turbocapitalisme sous ses trois aspects, production-consommation-spéculation...

 

Edouard Tétreau est l'auteur d'un essai intitulé Au-delà du mur de l'argent (Stock), issu d'une note qu'il avait remise en 2014 au Conseil pontifical pour la culture. On ne s'étonne pas qu'il ait déclaré hier soir : « L'encyclique a créé un choc, elle contient tous les éléments que j'espérais entendre d'un pape de mon vivant... » – « Quand elle a paru, des hommes d'affaires américains m'ont dit : ''Your pope is a communist !''... » – « Aux Etats-Unis et en France, l'encyclique a froissé les milieux d'affaires : ''Ce pape ose dire qu'il faut de la décroissance dans le monde''... »

Citant le discours du pape à Washington, M. Tétreau note « le passage disant que le business est noble s'il sert le bien commun et crée des emplois ». Il pourrait expliquer que cette définition du business est incompatible avec le libéralisme ! M. Lafont se chargera de ce rappel quand il déclarera que les entreprises « sont là pour créer de la richesse pour les actionnaires », un point c'est tout, affirmation très réductrice et très éloignée de  la doctrine sociale de l'Eglise. M. Tétreau connaît la doctrine mieux que M. Lafont, et sait qu'elle va loin :  « les pages économiques de l'exhortation Evangelii gaudium sont indépassables », dit-il, alors que ces pages torpillent le trickle-down qui est l'un des axiomes du libéralisme économique.

M. Tétreau ajoute : « Si on laisse faire le marché, c'est une centrifugeuse rejetant à la périphérie tout ce qui n'est pas le très petit groupe central... » (c'est la « culture du déchet » dénoncée par le pape). Et il souligne que « si on laisse la loi du plus fort se déployer dans nos sociétés, on a la violence comme retour de bâton ».

Vingt minutes après, il semble se contredire. Quelqu'un lui demande : « Comment vivre la foi dans le milieu financier ? » Peut-être est-ce une question antilibérale, mais peut-être que non ; en tout cas M. Tétreau se fâche et se lance dans une défense du profit, suivie du couplet rituel sur « la dette publique »... Mais il se reprend : « Nous sommes à la veille d'une nouvelle crise financière mondiale, car nous n'avons tiré aucune leçon de 2008. En 2014 et 2015, les 500 premières entreprises américaines et européennes ont battu leurs records de profits, qu'elles ont redistribué aux actionnaires en dividendes et rachat d'actions... Il y a tant d'argent que les entreprises ne savent pas quoi en faire, mais il n'irrigue pas toutes les parties du corps. » Pourquoi ne les irrigue-t-il pas ? Parce que l'objectif du putsch libéral des années 1990 était de désaxer l'économie pour la recentrer sur le casino financier. Mais M. Tétreau ne le dira pas ce soir... On aurait aimé entendre quelqu'un expliquer cela à l'assistance.

 

En effet, il y a eu beaucoup d'autres questions du public (issu du même milieu socio-professionnel que les intervenants). Surprise ! Elles ont toutes épousé le propos de l'encyclique : problème des limites de la planète, problème de la soumission des politiques au marché... Plusieurs ont évoqué « les initiatives concrètes pour faire entrer l'encyclique dans notre vie », et l'une d'elles a dit textuellement : « Le pape François est un prophète comme Isaïe, sa parole est presque trop forte pour nous qui sommes formatés par les professionnels de la communication ! »

C'est là qu'on voit bouger les lignes. Je le constate pour ma part dans les conférences-débats que l'on m'invite à faire dans les paroisses : l'effet François a éveillé des consciences. Malgré leurs oxymores et leurs acrobaties, les notables auront du mal à noyer le poisson.

 

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Pourquoi dire « bullshit » là où le pape dit : « diversion » ou « actions d'image » (LS § 194) ? Parce que les milieux d'affaires français sont américanisés jusqu'à l'os. (Lorsque certains de leurs membres font de l'action catholique, cela donne des Pitch my church, des Hopeteen, etc).

**  Ce n'est pas l'avis des salariés. Quand M. Lafont a quitté son poste de PDG de Lafarge en juillet 2015 (pour une co-présidence de Lafarge-Holcim) avec une retraite-chapeau de 640 000 euros par an, Philippe Springinsfeld (FO) a déclaré : « Ça a beau être légal, c'est indécent. On n'a pas d'argent pour entretenir nos cimenteries, mais pour le patron il y a près de 6 millions d'euros. » Le système qui autorise ce type de situations est dénoncé dans Evangelii gaudium et Laudato Si'.

 

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”Dans les actes authentiques des premiers martyrs, pas trace de polémique contre les persécuteurs”

Méditation du P. Cantalamessa (Vatican) à l'office de la Passion :

 

<<  Dans sa Passion - écrit saint Paul à Timothée - le Christ Jésus « a rendu son beau témoignage » (1 Tm 6, 13). On se demande : témoignage de quoi ? Pas de la vérité de sa vie et de sa cause. Beaucoup sont morts, et meurent encore aujourd'hui, pour une mauvaise cause, pensant qu'elle est juste. La résurrection, elle, oui, rend témoignage de la vérité du Christ : « Dieu a offert à tous une garantie sur Jésus, en le ressuscitant des morts », dira l'apôtre à l'Aréopage d'Athènes (Ac 17, 31).

La mort ne témoigne pas de la vérité, mais de l'amour du Christ. Ou plutôt, elle constitue la preuve suprême de cet amour : « Nul n'a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). On pourrait objecter qu'il existe un amour plus grand que donner sa vie pour ses amis, et c'est donner sa vie pour ses ennemis. C'est justement ce que Jésus a fait : « Le Christ est mort pour des impies, écrit l'apôtre dans l'Epître aux Romains. A peine, en effet, voudrait-on mourir pour un homme juste ; pour un homme de bien, oui, peut-être osera-t-on mourir ; mais la preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous » (Rm 5, 6-8). « Il nous a aimés alors que nous étions ses ennemis, pour faire de nous ses amis »1.

Une certaine « théologie de la croix » unilatérale peut nous faire oublier l'essentiel. La croix n'est pas seulement jugement de Dieu sur le monde, réfutation de sa sagesse et révélation de son péché. Elle n'est pas le NON de Dieu au monde, mais son OUI d'amour : « L'injustice, le mal comme réalité - écrit le Saint-Père dans son dernier livre sur Jésus -, ne peut pas être simplement ignoré, ne peut être laissé là. Il doit être éliminé, vaincu. C'est là seulement la vraie miséricorde. Et puisque les hommes n'en sont pas capables, Dieu lui-même s'en charge maintenant - c'est là la bonté 'inconditionnelle' de Dieu »2.

Mais comment avoir le courage de parler de l'amour de Dieu, alors que se déroulent sous nos yeux tant de tragédies humaines, comme la catastrophe qui s'est abattue sur le Japon, ou les hécatombes en mer des dernières semaines ? Ne pas en parler du tout ? Mais garder totalement le silence serait trahir la foi et ignorer le sens du mystère que nous célébrons.

Il y a une vérité qui doit être proclamée haut et fort le Vendredi Saint. Celui que nous contemplons sur la croix est Dieu « en personne ». Il est aussi l'homme Jésus de Nazareth, oui, mais celui-ci et le Fils du Père éternel ne sont qu'une seule et même personne. Tant qu'on ne reconnaîtra pas et qu'on ne prendra pas au sérieux le dogme de foi fondamental des chrétiens - la première définition dogmatique formulée à Nicée - à savoir que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, Dieu lui-même, de même nature que le Père, la souffrance humaine restera sans réponse.

On ne peut pas dire que « la demande de Job est restée sans réponse », ni que la foi chrétienne ne donne pas de réponse par rapport à la souffrance humaine, si au départ on refuse la réponse que celle-ci dit avoir. Que faire pour garantir à quelqu'un qu'une certaine boisson ne contient pas de poison ? La boire avant lui, devant lui ! C'est ce que Dieu a fait avec les hommes. Il a bu la coupe amère de la passion. La souffrance humaine ne peut donc pas être empoisonnée, ne peut être seulement négativité, perte, absurdité, si Dieu lui-même a choisi de la goûter. Au fond de la coupe, il doit y avoir une perle.

Le nom de la perle, nous le connaissons : résurrection ! « J'estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous » (Rm 8, 18), et encore « Il essuiera toute larme de leurs yeux : de mort, il n'y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n'y en aura plus, car l'ancien monde s'en est allé » (Ap 21, 4).

Si la course pour la vie devait finir ici-bas, il y aurait vraiment de quoi désespérer à la pensée des millions et peut-être des milliards d'êtres humains qui partent avec un tel désavantage, cloués au point de départ par la pauvreté et le sous-développement, sans pouvoir même participer à la compétition. Mais il n'en est pas ainsi. La mort non seulement annule les différences, mais les renverse. « Or il advint que le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche aussi mourut et on l'ensevelit, dans l'Hadès » (cf. Lc 16, 22-23). On ne peut pas appliquer de façon simpliste ce schéma à la réalité sociale, mais il est là pour nous avertir que la foi en la résurrection ne laisse personne dans la tranquillité de sa vie. Il nous rappelle que la formule « vivre et laisser vivre » ne doit jamais se transformer en « vivre et laisser mourir ».

La réponse de la Croix n'est pas seulement pour nous chrétiens, elle est pour tous, car le Fils de Dieu est mort pour tous. Il y a dans le mystère de la rédemption un aspect objectif et un aspect subjectif ; il y a le fait en soi et la prise de conscience, la réponse de foi à celui-ci. Le premier aspect s'étend au-delà du second. « L'Esprit Saint - dit un texte de Vatican II - offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal. » 3.

Une façon d'être associé au mystère pascal est justement la souffrance : « Souffrir - écrivait Jean-Paul II au lendemain de son attentat et de la longue période d'alitement qui s'ensuivit - signifie devenir particulièrement réceptif, particulièrement ouvert à l'action des forces salvifiques de Dieu offertes à l'humanité dans le Christ » 4. La souffrance, toute souffrance, mais particulièrement celle des innocents, met en contact de façon mystérieuse, « connue seulement de Dieu », avec la croix du Christ.


Pas trace de polémique contre les persécuteurs


Après Jésus, ceux qui ont « rendu leur beau témoignage » et qui « ont bu la coupe » sont les martyrs ! Les récits de leur mort s'intitulaient au début « passio », passion, comme celui des souffrances de Jésus, que nous venons tout juste d'entendre. Le monde chrétien est revisité par l'épreuve du martyre que l'on pensait révolue avec la chute des régimes totalitaires athées. On ne peut passer sous silence leur témoignage. Les premiers chrétiens honoraient leurs martyrs. Les actions de leur martyre étaient lues et diffusées dans l'Eglise avec un immense respect. Aujourd'hui précisément, en ce Vendredi Saint 2011, dans un grand pays d'Asie, les chrétiens ont prié et marché en silence dans les rues de quelques villes pour conjurer la menace qui plane sur eux.

Il y a une chose qui distingue les actes authentiques des martyrs de ceux, légendaires, forgés sur le papier après la fin des persécutions. Dans les premiers, il n'y a pour ainsi dire pas trace de polémique contre les persécuteurs ; l'attention tout entière est concentrée sur l'héroïsme des martyrs, non sur la perversité des juges et des bourreaux. Saint Cyprien ira jusqu'à ordonner aux siens de donner vingt-cinq monnaies d'or au bourreau qui lui tranchera la tête. Ils sont les disciples de celui qui est mort en disant : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font ». « Le sang de Jésus - nous rappelle le Saint-Père dans son dernier livre - parle un autre langage que celui d'Abel (cf. He 12, 24) : il n'exige ni vengeance ni punition, mais il est réconciliation » 5.

De même, le monde s'incline devant les témoins modernes de la foi. Ainsi s'explique le succès inattendu en France du film Des hommes et des dieux, qui relate l'histoire des sept moines cisterciens massacrés à Tibhirine en mars 1996.

Et comment ne pas être admiratifs des paroles écrites dans son testament par Shahbaz Bhatti, homme politique catholique tué pour sa foi, le mois dernier ? Son testament nous est laissé à nous aussi, ses frères dans la foi, et ce serait de l'ingratitude de le laisser vite tomber dans l'oubli. « De hautes responsabilités au gouvernement - écrivait-il - m'ont été proposées et on m'a demandé d'abandonner ma bataille, mais j'ai toujours refusé, même si je sais que je risque ma vie. Je ne cherche pas la popularité, je ne veux pas de positions de pouvoir. Je veux seulement une place aux pieds de Jésus. Je veux que ma vie, mon caractère, mes actions parlent pour moi et disent que je suis en train de suivre Jésus-Christ. Ce désir est si fort en moi que je me considérerai comme un privilégié si - dans mon effort et dans cette bataille qui est la mienne pour aider les nécessiteux, les pauvres, les chrétiens persécutés du Pakistan - Jésus voulait accepter le sacrifice de ma vie. Je veux vivre pour le Christ et pour Lui je veux mourir.» 

On a l'impression de réentendre le martyr Ignace d'Antioche, lorsqu'il venait à Rome pour subir le martyre. Mais le silence des victimes ne justifie pas l'indifférence coupable du monde face à leur sort. « Le juste périt, et personne ne s'en inquiète, les hommes pieux sont moissonnés, et nul n'y prend garde » (Is 57,1) !

 

Souffrir avec qui souffre, et savoir nous imposer des limites


Les martyrs chrétiens ne sont pas les seuls, nous l'avons vu, à souffrir et mourir autour de nous. Que pouvons-nous offrir à celui qui ne croit pas, en dehors de notre certitude de foi qu'il y a un rachat pour la souffrance ? Nous pouvons souffrir avec qui souffre, pleurer avec qui pleure (Rm 12,15). Avant d'annoncer la résurrection et la vie, devant le deuil des sœurs de Lazare, Jésus « pleura  » (Jn 11, 35). En ce moment, souffrir et pleurer, en particulier, avec le peuple japonais, qui vient de sortir d'une des plus effroyables catastrophes naturelles de l'histoire. Nous pouvons aussi dire à ces frères en humanité que nous admirons leur dignité et l'exemple de tenue et de solidarité mutuelle qu'ils ont donné au monde.

La mondialisation produit au moins cet effet positif : la souffrance d'un peuple devient la souffrance de tous, suscite la solidarité de tous. Elle nous offre l'occasion de découvrir que nous formons une seule famille humaine, liée dans le bien comme dans le mal. Elle nous aide à dépasser les barrières de race, de couleur et de religion. Comme dit le verset d'un de nos poètes italiens, « Hommes, paix ! Sur la terre penchée il y a trop de mystère »6.

Mais nous devons aussi tirer la leçon d'évènements comme celui que nous venons d'évoquer. Séismes, cyclones et autres catastrophes qui frappent en même temps coupables et innocents ne sont jamais un châtiment de Dieu. Affirmer le contraire, signifie offenser Dieu et les hommes. Mais ils constituent un avertissement : dans ce cas, l'avertissement à ne pas nous bercer d'illusions en pensant que la science et la technique suffiront à nous sauver. Si nous ne savons pas nous imposer des limites, celles-ci justement peuvent devenir, nous le voyons, la menace la plus grave de toutes.

Il y eut un tremblement de terre au moment de la mort du Christ : « Quant au centurion et aux hommes qui gardaient Jésus, à la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis d'une grande frayeur et dirent : ‘Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu » (Mt 27, 54). Mais un autre séisme encore « plus grand » se produisit au moment de sa résurrection. « Et voilà que se fit un grand tremblement de terre : l'Ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre, sur laquelle il s'assit » (Mt 28,2). Il en sera toujours ainsi. A chaque tremblement de terre de mort succèdera un tremblement de terre de vie. Quelqu'un a dit : « Désormais seul un dieu peut nous sauver », « Nur noch ein Gott kann uns retten »7. Nous sommes assurés qu'il le fera car « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16).

Nous nous apprêtons à chanter avec une conviction renouvelée et une gratitude émue les paroles de la liturgie : « Ecce lignum crucis, in quo salus mundi pependit : Voici le bois de la croix, auquel a été suspendu le salut du monde. Venite, adoremus : venez, adorons-Le. >>

 

Traduit de l'italien par ZENIT


1 S. Agostino, Commento alla Prima Lettera di Giovanni 9,9 (PL 35, 2051).

2 Cf. J. Ratzinger - Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Editions du Rocher 2011, p. 157

3 Gaudium et spes, 22.

4 Salvifici doloris, 23.

5 J. Ratzinger - Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Editions du Rocher 2011, p.215.

6 G. Pascoli, I due fanciulli (Les deux enfants).

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22/04/2011 | Lien permanent

Carême 2018 : ”découvrir que l'autre est mon frère”

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Le message du pape (texte intégral) :

 

MESSAGE DU PAPE
FRANÇOIS
POUR LE CARÊME 2018

 

« À cause de l’ampleur du mal, la charité de la plupart des hommes se refroidira » (Mt 24, 12)

 

Chers Frères et Sœurs,

La Pâque du Seigneur vient une fois encore jusqu’à nous ! Chaque année, pour nous y préparer, la Providence de Dieu nous offre le temps du Carême. Il est le « signe sacramentel de notre conversion »[1], qui annonce et nous offre la possibilité de revenir au Seigneur de tout notre cœur et par toute notre vie.

Cette année encore, à travers ce message, je souhaite inviter l’Eglise entière à vivre ce temps de grâce dans la joie et en vérité ; et je le fais en me laissant inspirer par une expression de Jésus dans l’Évangile de Matthieu : « À cause de l’ampleur du mal, la charité de la plupart des hommes se refroidira » (24, 12). Cette phrase fait partie du discours sur la fin des temps prononcé à Jérusalem, au Mont des Oliviers, précisément là où commencera la Passion du Seigneur. Jésus, dans sa réponse à l’un de ses disciples, annonce une grande tribulation et il décrit la situation dans laquelle la communauté des croyants pourrait se retrouver : face à des évènements douloureux, certains faux prophètes tromperont beaucoup de personnes, presqu’au point d’éteindre dans les cœurs la charité qui est le centre de tout l’Évangile.

Les faux prophètes

Mettons-nous à l’écoute de ce passage et demandons-nous : sous quels traits ces faux prophètes se présentent-ils ?

Ils sont comme des « charmeurs de serpents », c’est-à-dire qu’ils utilisent les émotions humaines pour réduire les personnes en esclavage et les mener à leur gré. Que d’enfants de Dieu se laissent séduire par l’attraction des plaisirs fugaces confondus avec le bonheur ! Combien d’hommes et de femmes vivent comme charmés par l’illusion de l’argent, qui en réalité les rend esclaves du profit ou d’intérêts mesquins ! Que de personnes vivent en pensant se suffire à elles-mêmes et tombent en proie à la solitude !

D’autres faux prophètes sont ces « charlatans » qui offrent des solutions simples et immédiates aux souffrances, des remèdes qui se révèlent cependant totalement inefficaces : à combien de jeunes a-t-on proposé le faux remède de la drogue, des relations « use et jette », des gains faciles mais malhonnêtes ! Combien d’autres encore se sont immergés dans une vie complètement virtuelle où les relations semblent plus faciles et plus rapides pour se révéler ensuite tragiquement privées de sens ! Ces escrocs, qui offrent des choses sans valeur, privent par contre de ce qui est le plus précieux : la dignité, la liberté et la capacité d’aimer. C’est la duperie de la vanité, qui nous conduit à faire le paon…. pour finir dans le ridicule ; et du ridicule, on ne se relève pas. Ce n’est pas étonnant : depuis toujours le démon, qui est « menteur et père du mensonge » (Jn 8, 44), présente le mal comme bien, et le faux comme vrai, afin de troubler le cœur de l’homme. C’est pourquoi chacun de nous est appelé à discerner en son cœur et à examiner s’il est menacé par les mensonges de ces faux prophètes. Il faut apprendre à ne pas en rester à l’immédiat, à la superficialité, mais à reconnaître ce qui laisse en nous une trace bonne et plus durable, parce que venant de Dieu et servant vraiment à notre bien.

Un cœur froid

Dans sa description de l’enfer, Dante Alighieri imagine le diable assis sur un trône de glace[2] ; il habite dans la froidure de l’amour étouffé. Demandons-nous donc : comment la charité se refroidit-elle en nous ? Quels sont les signes qui nous avertissent que l’amour risque de s’éteindre en nous ?

Ce qui éteint la charité, c’est avant tout l’avidité de l’argent, « la racine de tous les maux » (1Tm 6, 10) ; elle est suivie du refus de Dieu, et donc du refus de trouver en lui notre consolation, préférant notre désolation au réconfort de sa Parole et de ses Sacrements.[3] Tout cela se transforme en violence à l’encontre de ceux qui sont considérés comme une menace à nos propres « certitudes » : l’enfant à naître, la personne âgée malade, l’hôte de passage, l’étranger, mais aussi le prochain qui ne correspond pas à nos attentes.

La création, elle aussi, devient un témoin silencieux de ce refroidissement de la charité : la terre est empoisonnée par les déchets jetés par négligence et par intérêt ; les mers, elles aussi polluées, doivent malheureusement engloutir les restes de nombreux naufragés des migrations forcées ; les cieux – qui dans le dessein de Dieu chantent sa gloire – sont sillonnés par des machines qui font pleuvoir des instruments de mort.

L’amour se refroidit également dans nos communautés. Dans l’Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium, j’ai tenté de donner une description des signes les plus évidents de ce manque d’amour. Les voici : l’acédie égoïste, le pessimisme stérile, la tentation de l’isolement et de l’engagement dans des guerres fratricides sans fin, la mentalité mondaine qui conduit à ne rechercher que les apparences, réduisant ainsi l’ardeur missionnaire.[4]

Que faire ?

Si nous constatons en nous-mêmes ou autour de nous les signes que nous venons de décrire, c’est que l’Eglise, notre mère et notre éducatrice, nous offre pendant ce temps du Carême, avec le remède parfois amer de la vérité, le doux remède de la prière, de l’aumône et du jeûne.

En consacrant plus de temps à la prière, nous permettons à notre cœur de découvrir les mensonges secrets par lesquels nous nous trompons nous-mêmes[5], afin de rechercher enfin la consolation en Dieu. Il est notre Père et il veut nous donner la vie.

La pratique de l’aumône libère de l’avidité et aide à découvrir que l’autre est mon frère : ce que je possède n’est jamais seulement mien. Comme je voudrais que l’aumône puisse devenir pour tous un style de vie authentique ! Comme je voudrais que nous suivions comme chrétiens l’exemple des Apôtres, et reconnaissions dans la possibilité du partage de nos biens avec les autres un témoignage concret de la communion que nous vivons dans l’Eglise. A cet égard, je fais mienne l’exhortation de Saint Paul quand il s’adressait aux Corinthiens pour la collecte en faveur de la communauté de Jérusalem : « C’est ce qui vous est utile, à vous » (2 Co 8, 10). Ceci vaut spécialement pour le temps de carême, au cours duquel de nombreux organismes font des collectes en faveur des Eglises et des populations en difficulté. Mais comme j’aimerais que dans nos relations quotidiennes aussi, devant tout frère qui nous demande une aide, nous découvrions qu’il y a là un appel de la Providence divine: chaque aumône est une occasion pour collaborer avec la Providence de Dieu envers ses enfants ; s’il se sert de moi aujourd’hui pour venir en aide à un frère, comment demain ne pourvoirait-il pas également à mes nécessités, lui qui ne se laisse pas vaincre en générosité ? [6]

Le jeûne enfin réduit la force de notre violence, il nous désarme et devient une grande occasion de croissance. D’une part, il nous permet d’expérimenter ce qu’éprouvent tous ceux qui manquent même du strict nécessaire et connaissent les affres quotidiennes de la faim ; d’autre part, il représente la condition de notre âme, affamée de bonté et assoiffée de la vie de Dieu. Le jeûne nous réveille, nous rend plus attentifs à Dieu et au prochain, il réveille la volonté d’obéir à Dieu, qui seul rassasie notre faim.

Je voudrais que ma voix parvienne au-delà des confins de l’Eglise catholique, et vous rejoigne tous, hommes et femmes de bonne volonté, ouverts à l’écoute de Dieu. Si vous êtes, comme nous, affligés par la propagation de l’iniquité dans le monde, si vous êtes préoccupés par le froid qui paralyse les cœurs et les actions, si vous constatez la diminution du sens d’humanité commune, unissez-vous à nous pour qu’ensemble nous invoquions Dieu, pour qu’ensemble nous jeûnions et qu’avec nous vous donniez ce que vous pouvez pour aider nos frères !

Le feu de Pâques

J’invite tout particulièrement les membres de l’Eglise à entreprendre avec zèle ce chemin du carême, soutenus par l’aumône, le jeûne et la prière. S’il nous semble parfois que la charité s’éteint dans de nombreux cœurs, cela ne peut arriver dans le cœur de Dieu ! Il nous offre toujours de nouvelles occasions pour que nous puissions recommencer à aimer.

L’initiative des « 24 heures pour le Seigneur », qui nous invite à célébrer le sacrement de Réconciliation pendant l’adoration eucharistique, sera également cette année encore une occasion propice. En 2018, elle se déroulera les vendredi 9 et samedi 10 mars, s’inspirant des paroles du Psaume 130 : « Près de toi se trouve le pardon » (Ps 130, 4). Dans tous les diocèses, il y aura au moins une église ouverte pendant 24 heures qui offrira la possibilité de l’adoration eucharistique et de la confession sacramentelle.

Au cours de la nuit de Pâques, nous vivrons à nouveau le rite suggestif du cierge pascal : irradiant du « feu nouveau », la lumière chassera peu à peu les ténèbres et illuminera l’assemblée liturgique. « Que la lumière du Christ, ressuscitant dans la gloire, dissipe les ténèbres de notre cœur et de notre esprit »[7] afin que tous nous puissions revivre l’expérience des disciples d’Emmaüs : écouter la parole du Seigneur et nous nourrir du Pain eucharistique permettra à notre cœur de redevenir brûlant de foi, d’espérance et de charité.

Je vous bénis de tout cœur et je prie pour vous. N’oubliez pas de prier pour moi.

 

François

 

 

 


[1] Texte original en italien: “segno sacramentale della nostra conversione”, in: Messale Romano, Oraison Collecte du 1er dimanche de carême. N.B. Cette phrase n’a pas encore été traduite dans la révision (3ème), qui est en cours, du Missel romain en français.

[2] « C’est là que l’empereur du douloureux royaume/de la moitié du corps se dresse hors des glaces » (Enfer XXXIV, 28-29)

[3] « C’est curieux, mais souvent nous avons peur de la consolation, d'être consolés. Au contraire, nous nous sentons plus en sécurité dans la tristesse et dans la désolation. Vous savez pourquoi ? Parce que dans la tristesse nous nous sentons presque protagonistes. Mais en revanche, dans la consolation, c’est l’Esprit Saint le protagoniste ! » (Angelus, 7 décembre 2014)

[4] Nn. 76-109

[5] Cf Benoît XVI , Lett. Enc. Spe Salvi, n. 33

[6] Cf Pie XII, Lett. Enc. Fidei donum, III

[7] Missel romain, Veillée pascale, Lucernaire

 

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14/02/2018 | Lien permanent

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