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15/06/2024

Législatives improvisées : Macron lance la Nef des fous

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...mais ces trois semaines politiques surréalistes sont le produit d'un engrenage d'autodestruction de l'Etat déclenché depuis les années 1990 par le néolibéralisme :


Un Président jouant le pays au poker mais toujours avec le même bluff (cf. le 11 mai devant la presse)… Un Premier ministre “chef de la campagne” mais parlant en gamin affolé… Une droite libérale en dislocation, partiellement au profit des lepénistes qui en rêvaient depuis quarante ans…. Des socialistes ayant réussi une remontada à 14 % sur un programme eurolibéral, mais en train de se faire avoir par les islamo-léninistes LFI (malgré leur petit 9,9 %)...  Le chaos règne depuis le soir du 9 juin.

Macron a-t-il voulu punir les électeurs de la gifle qu’ils venaient de lui infliger ? Décrétées en riposte aux européennes, la dissolution et les législatives immédiates sont politiquement absurdes : un caprice d’ego blessé. Et une faute politique majeure. Quand un parti vient d’être aplati à des élections, on ne le relance pas aussitôt dans d’autres élections, alors que le vainqueur des précédentes est encore dans l’élan de sa victoire ! Si M. Macron tenait à renverser la table parlementaire, le bon sens voulait qu’il attende l’automne.

Mais a-t-il du bon sens ? Il n’a surtout pas le sens de l’opinion publique.“Il entend les gens sans les écouter parce qu’il les prend pour des cons”, dit-on sur les marchés autour de chez moi. Dans cette région (hier réfractaire aux lepénistes) et dans presque toute la France, la liste Bardella a triomphé aux européennes.  Les raisons en sont simples : la casse sociale, la nécrose des services publics, l’immigration non maîtrisée... Mais surtout, disent les gens, “on en a marre de l’absence d’autorité”. Les électeurs n’admettent plus l’insécurité. Ni l’impuissance résignée des pouvoirs publics. Cette colère et cette attente populaires sont naturelles. Dans les sondages de ce mois de juin, elles sont au même niveau que la colère économique et sociale : et cela, quel que soit le niveau de revenus des électeurs.

Mais c’est dans tous les domaines que sévit l’impuissance de l’Etat. Sa cause est structurelle. “Il eut fallu qu’il y eût un Etat”, écrivait de Gaulle [1] à propos de juin 1940 : à l’époque, l’Etat s’était perdu dans les marais du parlementarisme. En 1958 de Gaulle allait tenter de le rebâtir avec la Constitution élaborée par Michel Debré. En  2024, cet Etat rebâti – puis sapé par les successeurs de De Gaulle – est en cours de destruction. Qui le détruit ? La classe dite “politique”, appellation fausse puisque cette classe est tout sauf politique. Inféodée au néolibéralisme et au consumérisme, elle dissout le politique dans le “sociétal”, l’émotionnel et (en fin de compte) les intérêts du business.

C’est au nom du “sociétal” que la gauche socialiste française, au début des années 2000,  s’éloigna des classes populaires pour s’aligner sur les “minorités”. Elle imitait ainsi la gauche américaine qui sombrait dans le wokisme : ce qui allait produire aux USA, par contrecoup, le bloc conservateur et son arme le trumpisme [2]. Résultat en France sur le PS : son déclin électoral et sa vassalisation actuelle par le parti des “minorités dures” : LFI.

Les ex-gaullistes, de leur côté, ont vidé le mot ‘gaullisme’ de son sens pour fusionner le RPR avec les centristes UDF (2002), dissolvant ainsi l’esprit gaulliste dans un eurolibéralisme évasif : ce qui a produit un gros parti creux sous un drapeau transparent. Grand pas en avant vers la dépolitisation du politique, selon le mot d’ordre du néolibéralisme en marche…

…mot d’ordre que M. Macron appliquera plus radicalement encore. Achever de dépolitiser le politique est le but de l’“en-même temps“ de 2017, et cet appel du vide a aspiré une gauche et une droite déjà dépolitisées en partie : le PS devenu “sociétal” et LR devenu amnésique. Ce phénomène laissait le champ libre à l'ultragauche et à l'ultradroite, reconvertie en "droite de remplacement".

C’est en effet à cause de tout cela, en réaction à l’autodestruction libérale de l’Etat et en s'appuyant sur ses dégâts sociaux, que “l’extrême droite” (comme disent les médias et l’Elysée) naquit et prit – en quarante ans – l’envergure qu’on lui voit maintenant.  Les lepénistes étaient inexistants avant 1981 ; le système a progressivement fait cadeau au FN, puis au RN, des notions régaliennes que la classe politique répudiait au nom du global, du multiculturel et de la construction européenne. Par exemple la préférence nationale, que nos commentateurs prennent aujourd'hui pour une horreur de Vichy : pourtant sous la IIIe, la IVe et la Ve (jusqu'en 1981) elle était vue comme un pilier de la République.  Elle n’est devenue hors-la-loi que depuis sa condamnation par le président Mitterrand... Rejeter la préférence nationale était de sa part un calcul machiavélien complétant son opération de 1984: c’est pour gêner la droite parlementaire qu'il venait de faire lancer Le Pen par Antenne 2 (février 1984) ; y ajouter l’idée que l’immigration serait illimitée (“ils sont chez eux chez nous”), c'était fournir au FN son principal ressort.

Mais le RN allait trouver d'autres ressorts, sur le terrain social, quand Marine Le Pen ayant écarté son père a transformé le parti en véritable outil électoral.  Le RN est aujourd’hui à la hauteur où on le voit parce qu’il a su exploiter les dégâts politiques et sociaux des “gouvernances” managériales qui se sont emparées de la Cinquième. Ces dégâts commencent avec les privatisations de M. Balladur et de M. de Villepin, dont celle – scandaleuse – des autoroutes ; puis avec les privatisations de M. Jospin… Elles s’accompagnent de la délocalisation des industries françaises, qui feront cruellement défaut en 2024. Ensuite, les présidences Sarkozy, Hollande et Macron aliènent carrément l’esprit de la fonction présidentielle et abaissent l’Etat dans des proportions sans précédent. On en trouve le tableau dans le livre de Maroun Eddé  [3] : démantèlement des services publics, asservissement des hôpitaux publics à un “impératif de rentabilité” absurde et meurtrier, abandon croissant des tâches administratives entre les mains du privé... Sous M. Macron on voit les cabinets de conseil privés, souvent américains, jouer un rôle illégitime dans le fonctionnement de l’Etat dont ils orientent de plus en plus les décisions. La “gouvernance” macronienne pousse au paroxysme ce que l’on voyait à l’œuvre depuis les années 2000 : “Démission devant les responsabilités effectives transférées à l’échelon européen, découragement des serviteurs de l’Etat, des enseignants, du corps médical, perte des qualifications ouvrières indispensables à la réindustrialisation, coûts financiers exorbitants des réformes néolibérales  en raison des gaspillages et de la bureaucratisation qu’elles favorisent…”  [4]

Devenu néolibéral, aux mains d’élites sans lien avec la nation, l’Etat cesse de jouer le rôle d’impulsion qui était le sien en France. De là le sentiment d’abandon qui exaspère beaucoup d’électeurs. L’Elysée, Matignon et la piétaille Renaissance semblent incapables de comprendre cette colère. Elle s’exprime à présent dans le vote RN ; d’autres partis auraient pu combattre sur ces terrains sociaux, mais ne l’ont pas fait parce qu’ils ne veulent pas dénoncer – ni même discerner – le démantèlement de l’Etat par le néolibéralisme depuis les années 1990. Le RN paraît combattre ce démantèlement, au moins dans certains de ses effets. Mais il l’analyse insuffisamment, sans aller à la racine. Le milieu social où la “vraie droite” a ses origines reste rivé au libéralisme, qu’il ne voit pas tel qu’il est et qu'il persiste à prendre – contre les faits – pour une “défense des libertés”. On voit mal le RN se dégager d’un aveuglement aussi atavique.

Où mènent ces législatives folles, allumée par le président pour venger sa blessure narcissique ? Sauf surprise : à une Assemblée sans majorité absolue. La situation sera plus ingouvernable encore.

 

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1. L’Appel.

2. Sur la dérive communautariste US : La gauche identitaire de Mark Lilla (Stock).

3. La destruction de l’Etat, de Maroun Eddé (Bouquins).

4. Bertrand Renouvin.

 

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Commentaires

CONFUSION

> A force de magnifier le sociétal, avortement dans la constitution et euthanasie transformée en suicide assisté, on finit par attirer la poisse sur soi-même et sur le pays: qui sème le vent récolte la tempête. Macron, à Oradour sur Glane, a dit à un membre de sa suite qu'il avait lancé une "grenade dégoupillée" sur ses adversaires: manifestement il a confondu une grenade dégoupillée avec un boomerang.
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Écrit par : B.H. / | 15/06/2024

LA PÉRIODE

> Peut-on dire que l'on est entré de plain-pied dans une période révolutionnaire ? Personnellement, je le pense. Une période de troubles profonds qui, j'allais dire comme à l'accoutumée, débouchera sur l'intervention d'un "homme providentiel", qui reprendra les choses en main... sans que les problèmes de fond aient été nécessairement réglés.
Car comment refonder le sens du Bien commun, de la "common decency", de la loi naturelle... dans une société complètement déchristianisée ? Qui a largement dépassé le stade du "christianisme zombi", pour reprendre l'expression d'Emmanuel Todd. Là, je partage totalement la thèse développée par Charles Vaugirard dans son dernier livre : il faut mener un travail de "refondation" par le bas. Avec le risque (là, malheureusement, il passe sous silence cet aspect des choses) de nous retrouver islamisés avant que d'avoir pu être rechristianisés...
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Écrit par : Feld / | 15/06/2024

OCCIDENT ALZHEIMER

> Cet opprobre touche bien évidemment également la sphère médiatique, accusée de diffuser sans recul la parole officielle (assimilée au mensonge, sauf chez quelques-uns des des derniers représentants de la génération pour laquelle "ca a été dit à la télé" = c'est vrai).
Un exemple terrifiant : le silence absolu observé par la quasi-totalité des médias sur ce qui portant crève les yeux, à savoir le fait que le président US souffre de la maladie d'Alzheimer (et visiblement pas qu'un peu). En Normandie c'était d'ailleurs pathétique... Comme était pathétique l'attitude des autres dirigeants présents, faisant comme si tout allait bien. Je pense à cette scène (devenue virale sur le net) où M. Biden, après s'être retourné sans raison, se mettait à regarder dans le vide, les autres chefs d'Etat semblant également un peu perdus... Parabole de la fin de l'Occident ?
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Écrit par : Feld / | 15/06/2024

SANS L'OCCIDENT

> Il ne faudrait pas non plus que, pour conjurer une situation insurrectionnelle, le président accélère la marche à la guerre.
Mais, après tout, on peut très bien imaginer un monde sans Occident. Comme dans cette uchronie de Robert Siverberg, 'La Porte des mondes', qui se déroule dans un monde où la grande peste de 1348 a tué la quasi-totalité de la population ouest-européenne. En 1960, les relations internationales y sont un "grand jeu" entre, de mémoire, l'Empire ottoman (qui a conquis toute l'Europe), la Russie, le Royaume d'Ouganda, l'Empire aztèque et quelques autres...
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Écrit par : Feld / | 15/06/2024

A D'AUTRES

> Tout à fait d'accord.
Mais ne croyez-vous pas aussi que Macron, voyant l'échec de sa politique, veut laisser la catastrophe à d'autres, à qui il fera porter le chapeau ? Les gagnants des élections législatives seront-ils les dindons de la farce ?
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Écrit par : Albert / | 15/06/2024

> Excellente analyse.
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Écrit par : Bernadette / | 17/06/2024

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