14/09/2022
Le mystère du symbole efficace
La Couronne d’Angleterre n’est qu’un symbole, mais on a tort d’oublier le poids des symboles dans la conscience collective... Ma chronique à Radio Présence (Toulouse Midi-Pyrénées) et Radio Fidélité Mayenne :
<< Ce qui se passe outre-Manche est paradoxal, ainsi que nos réactions devant ce phénomène jugé“antimoderne” par nos médias : une succession au trône avec son cérémonial archaïque applaudi par des foules. C’est d’autant plus paradoxal que l’héritier, le septuagénaire Charles, affichait – sur l’économie, le social, le climat, l’environnement ou l’urbanisme – des idées contestataires qui ne sont pas celles de la City. Sous cet angle, les trompettes de la tradition ont l’air de sonner en faveur de l’innovation : et cette apparente alliance nous déconcerte.
Pourquoi ? Parce que nous sommes habitués, nous Français, à deux principes : l’avenir doit toujours rompre avec le passé ; et le politique ne doit rien voir d’autre que l’instant présent. Les autres peuples d’Europe ne partagent pas cette conception. En 1936, après le couronnement du roi d’Angleterre George VI, un philosophe espagnol (*) constate : “On dit que la monarchie anglaise n’est qu’une institution purement symbolique. Cela est vrai : elle exerce une fonction des plus déterminées et hautement efficace, la fonction de symboliser… Pour le peuple anglais le sceptre et la couronne n’ont jamais cessé d’être actuels, alors que chez nous ils ne régissent plus que les hasards du jeu de cartes… Le peuple anglais circule dans tout son temps : il est véritablement seigneur de ses siècles dont il conserve l’active possession… Et c’est cela être un peuple : pouvoir prolonger son hier dans son aujourd’hui sans cesser de vivre pour le futur… La méthode de la continuité est la seule capable d’éviter que l’histoire soit une lutte perpétuelle entre les paralytiques et les épileptiques.”
– Ou bien le politique trouve le moyen de concilier l’air du temps et la continuité nationale, et c’est ce que le système britannique a fait tant bien que mal jusqu’à aujourd’hui ;
– ou bien le politique croit ne reposer que sur des ruptures (des “disruptions” comme dit l’actuel président français), au risque d’un déboussolage permanent de l’esprit public.
Bien entendu le système anglais n’empêche pas les gouvernements élus de commettre des fautes ou des crimes : souvenons-nous des ravages du thatchérisme, que la nouvelle Première ministre souhaite recommencer aujourd’hui. Mais souvenons-nous aussi que la reine Elizabeth, en privé, ne cachait pas son hostilité à Mme Thatcher… Elle l’appelait sévèrement : “Mrs Cromwell”. >>
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* José Ortega y Gasset, ‘La Révolte des masses’, Gallimard - Idées NRF 1967.
18:32 Publié dans Angleterre | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : charles iii
Commentaires
SACRAMENTAL
> Il est un aspect particulier de la monarchie anglaise, puis britannique, que ne partagent quasiment plus les royautés continentales : depuis plus d'un millénaire, elle est de droit divin. Le souverain n'est pas simplement couronné, il est sacré, c'est-à-dire qu'il reçoit ce sacramental des mains du ministre du Christ dans une démarche qui, sans être l'équivalent d'une ordination, s'en rapproche néanmoins. Le souverain sacré a reçu l'onction, comme le roi David la reçut en son temps : lorsque Charles sera sacré à Westminster, on entendra 'Sadoq le Prêtre', sublime hymne d'Haendel qui rappelle cette filiation biblique. En 1953, la BBC avait retransmis l'intégralité du couronnement à l'exception du sacre proprement dit : sous le dais tendu au-dessus de la jeune reine, l'épiclèse prononcée par l'archevêque de Cantorbéry était (fort légitimement) considérée être un moment trop intime pour qu'elle pût être exhibée aux millions de téléspectateurs. Le souverain britannique, comme les rois de Juda, mais aussi comme les monarques français à Reims, est oint de l'Esprit saint. Élisabeth en avait une conscience accrue : la promesse qu'elle fit à Westminster le fut devant Dieu, c'est pour cette raison qu'elle refusa d'abdiquer et choisit d'honorer son engagement jusqu'à ce que Dieu la rappelle à Lui.
Dans les monarchies du Bénélux, dans les pays scandinaves mais aussi en Espagne, la rationalité des Lumières l'a emporté sur l'antique rite d'onction dans le Seigneur. Ces monarchies sont fades, horizontales. La royauté anglaise nous rappelle qu'il est une réalité, verticale et transcendantale, qui échappe à la matérialité de nos existences. Le roi de France sacré à Reims était investi de la même onction ; lorsqu'il assistait à la messe, il avait rang d'évêque et guérissait les écrouelles. La conséquence du sacre est l'attente légitime du peuple de voir son souverain se comporter comme David après sa conversion : l'oint du Seigneur ne peut agir d'une manière qui ne serait pas agréable à Dieu. Les frasques de Louis XV, en contradiction directe avec le sacre qu'il reçut à Reims, et son refus de toucher les écrouelles par crainte d'offenser Dieu en raison de sa concupiscence, sont l'une des causes de la Révolution française - certes, loin d'être la seule. Il est heureux que ce soit Charles qui soit monté sur le trône ; si c'eût été son frère cadet, l'avenir de la monarchie en Grande-Bretagne aurait peut-être été en jeu d'une manière plus manifeste encore.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 15/09/2022
SCOTISH NAVAL PATROL
> https://www.courrierinternational.com/une/vu-d-ecosse-hommages-a-elisabeth-ii-ce-genre-de-cirque-n-a-pas-sa-place-dans-une-democratie-moderne
Ce n'est pas un scoop : les indépendances écossais, tendance radicale, ne partagent pas votre engouement. Honni soit qui mal y pense !
PV
[ PP à PV – Mais j'aime bien le SNP ! Ce fut le sujet de mon premier reportage à l'étranger : Edimbourg 1973... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Philippe de Visieux / | 15/09/2022
CARICATURAL
> https://reporterre.net/La-nouvelle-dirigeante-britannique-Liz-Truss-est-l-amie-du-petrole
Voilà qui ne devrait pas amuser le nouvel hôte de Buckingham : Mme Truss a nommé le caricatural et climatosceptique Jacob Rees-Mogg à l'Environnement, qui vient d'autoriser la production de gaz de schiste par fracturation hydraulique et de nouveaux forages en mer du Nord. Peu probable que les indépendantistes écossais apprécieront.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 15/09/2022
INCULTES JOURNALISTES
> https://madame.lefigaro.fr/celebrites/actu-people/les-larmes-de-sophie-de-wessex-belle-fille-complice-d-elizabeth-ii-et-force-vive-de-la-famille-royale-20220913
Un autre exemple, s'il en fallait, du niveau de culture générale des journalistes, pourtant salariés du 'Figaro'. On y apprend que "Sophie de Wessex affichait également une mine sombre et des yeux rougis lors de la messe organisée en l'honneur du monarque, à la cathédrale Saint-Gilles" (d'Édimbourg). Une "messe" dans un temple protestant ? Saint-Gilles est en effet un lieu de culte de l'Église d'Écosse, presbytérienne et réformée : on y célèbre le "culte", pas la "messe" qui est catholique. Ce qui aurait valu un blâme du rédacteur en chef il y a cinquante ans passe aujourd'hui comme une lettre à la poste...
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 15/09/2022
KING JOE ?
> https://www.thenation.com/article/world/king-charles-windsor-monarchy-class/
Une analyse percutante, non sans excès cependant, mais dont le réalisme mérite qu'on s'y attache. L'auteur défend l'idée selon laquelle la monarchie suivra le délitement à venir du pays : il voit l'Écosse devenir indépendante, d'autant plus aisément que Mme Truss est un épouvantail au Nord du mur d'Hadrien. Avec cette conclusion, qui sonne comme une évidence : "le véritable roi de Grande-Bretagne réside à la Maison-Blanche".
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 16/09/2022
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