24/08/2021
Symptomatique : l’attaque de certains idéologues contre la panthéonisation de Joséphine Baker
1961 : le général Valin décore Joséphine Baker de la Légion d'honneur
Authentique combattante de 1939-1945, Joséphine Baker va entrer au Panthéon. Pourquoi cet honneur mérité scandalise-t-il une fraction influente de l'intelligentsia ? Coup d'oeil à une polémique qui révèle la dégradation du civisme à l'ère postmoderne :
Freda Josephine McDonald dite Joséphine Baker (1906-1975), Légion d’honneur, croix de guerre 1939-1945 avec palme, médaille de la Résistance avec rosette, entrera au Panthéon le 30 novembre Le moins qu’on puisse dire est qu’elle le mérite : artiste de music-hall devenue française en 1937, elle devient agent du contre-espionnage militaire en 1939 ; en novembre 1940 elle s’engage dans les services secrets de la France libre et accomplit de vraies missions en métropole, à Lisbonne, puis en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Devenue sous-lieutenant pilote de l’Armée de l’air, elle prend part au débarquement de Provence, avant de passer dans la Croix-Rouge et d’accompagner la 1ère armée sur le front. Elle reçoit la médaille de la Résistance en octobre 1946… C’est en tant qu’héroïne politique et militaire qu’elle va rejoindre d’autres défunts célèbres au Panthéon : après plusieurs années de demandes en ce sens, lancées initialement par Régis Debray, la décision a été prise par Emmanuel Macron fin juillet. Elle vient d’être annoncée au public.
Aussitôt se déclenche une campagne de protestation ! Elle est lancée par un groupe sectaire mais influent. Son porte-parole, la “philosophe féministe” Camille Froidevaux-Metterie, twitte : “Le choix de Joséphine Baker, c’est le refus de choisir Gisèle Halimi”.
Cette dialectique peut paraître surprenante : Joséphine Baker étant une femmes, on ne voit pas en principe ce que le féminisme aurait à objecter. Joséphine Baker étant noire, membre de la LICRA et d’origine étrangère, on ne voit pas non plus ce qu’auraient à objecter l’antiracisme et la xénophilie.
C’est donc ailleurs qu’il faut chercher le problème. Pourquoi, selon certains, choisir Baker équivaut-il à “refuser Halimi” ? Parce qu’ils y voient un déni de leur combat idéologique, qui est de parachever le démantèlement du politique au profit du sociétal, voire de la dissociété individualiste. On le sait, Josephine Baker a été une combattante politique au vrai sens du mot : elle a choisi la France libre, s’y est engagée à ses risques et péril, et a reçu pour cela l’hommage de l’armée et de l’Etat. Gisèle Halimi incarne l’opposé de cela aux yeux de ses partisanes actuelles. Ainsi l’universitaire Kaoutar Harchi expliquant, dans Libération, que le sens profond du féminisme (incarné naguère par feue Mme Halimi flambeau de l’avortement) est de saper “l’Etat” comme étant l’ennemi “patriarcal, inégalitaire et violent” ! Dans le livre de Mme Froidevaux-Metterie Le corps des femmes – La bataille de l’intime (2018), on trouve les étapes de cette sortie du politique au nom de l’individualisme sociétal, voire asocial. Après l’étape du droit de vote, qui était politique, le féminisme militant a imposé comme étapes suivantes des revendications de moins en moins politiques et de plus en plus individualistes : sur la procréation, sur le “genre“, et maintenant sur“l’intime”… “Le tournant génital ou sexuel du féminisme consiste à rapatrier les thématiques corporelles, intimes, dans le champ des droits à revendiquer”, écrit Mme Froidevaux-Metterie : à l’arrivée, le politique n’existe plus, remplacé par une “dynamique d’émancipation”… “Émancipation” par rapport non pas aux injustices, mais aux réalités tangibles de la condition humaine, comme on le voit avec l’idéologie LGBT et le reste du postmoderne. Dans cette perspective, l’entrée de Mme Halimi au Panthéon est voulue comme un signe du remplacement du mythe républicain (politique) par les mythes du sociétal, de l’individualisme et même du narcissisme.
Voilà ce que véhicule la polémique anti-Baker ouverte à Paris. Inutile de dire qu’elle inquiète une classe politique à l’esprit déstructuré, où figurent nombre de gens proches des idées de Mme Froidevaux-Metterie. Ainsi la ministre chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno : elle s’est empressée de faire des grâces aux anti-Baker en prônant elle aussi l'entrée au Panthéon de Gisèle Halimi, "rebelle obstinée qui a marqué l'histoire du féminisme et de notre pays". "Je reste déterminée dans cet objectif”, a-t-elle assuré. Pour sa part, M. Macron fait savoir qu’il honorera solennellement cette année la mémoire de Mme Halimi. Ce sera aux Invalides. Le Panthéon suivra sans aucun doute, mais après 2022.
17:44 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : joséphine baker
Commentaires
LE "SACRÉ RÉPUBLICAIN" EST INTROUVABLE
> Il est bon de rappeler quels services a rendus Joséphine Baker à la France (et partant d'honorer sa personne), ainsi que de la citer en exemple à toutes les personnes d'origine étrangère : oui, on peut s'intégrer au pays où l'on vient vivre, et aimer ce pays, en le servant, donc en servant ses compatriotes d'adoption. Evidemment, comme vous l'écrivez, cela ne s'accorde guère avec l'acception post-moderne du mot "émancipation".
Cela posé, qui se soucie aujourd'hui des panthéonisations, à part quelques responsables politiques ? Il semble que le "sacré républicain" ait toujours eu de mal à prendre racine.
sl
[ PP à SL – Oui, et les critères de panthéonisation sont non seulement flous mais indexés sur les modes idéologiques du moment. D'où l'aspect symptomatique de l'offensive contre JB. ]
répon,se au commentaire
Écrit par : Sven Laval / | 24/08/2021
UN REGRET
> Joséphine Baker, une Marlène Dietrich française. Je trouve que son entrée symbolique au Panthéon est une bonne chose, même si cette entrée est purement formelle puisque son corps devrait rester au cimetière de Monaco si j'ai bien compris (comme cela a été le cas pour Germaine Tillon et Geneviève Anthonioz de Gaulle).
J'ai toujours le regret que nous n'ayons pas en France une nécropole unifiée pour toute notre histoire, comme c'est le cas en Angleterre avec l'abbaye de Westminster ou en Pologne avec la cathédrale du Wavel à Cracovie.
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Écrit par : B.H. / | 24/08/2021
FÉMINISMES
> Il y a féminisme et féminisme. Les revendications de certaines en faveur d'un avortement autorisé jusqu'au neuvième mois sinon post partum auraient fait hurler Yourcenar, Beauvoir et peut-être même Halimi (qui était opposée à la GPA, ne l'oublions pas). Certes, Mme Halimi joua un rôe non négligeable dans la défense des droits des femmes avant la loi de 1974. Cependant, nos militantes féministes oublient volontiers de préciser qu'il s'agissait alors non de promouvoir quelque droit fondamental et inconditionnel à l'avortement mais d'éviter aux femmes ayant avorté une condamnation pénale. L'intention de Giscard en 1974 était en effet de corriger une certaine inégalité dans la détresse féminine face aux grossesses non désirées : les femmes aisées allaient en Suisse ou en Grande-Bretagne, les autres se contentaient d'aiguilles à tricoter, au risque d'y passer. Mme Veil à qui le projet de loi fut transmis suite au refus de Lecanuet n'avait elle non plus aucunement l'intention d'instituer un droit nouveau, encore moins une "valeur de la République" : tuer les enfants à naître "parce que je le vaux bien" ne saurait devenir un projet de société.
Mme Veil était pourtant une authentique féministe ; elle repose elle aussi au Panthéon. Ne faisons pas de Mme Halimi ce qu'elle n'était pas.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 25/08/2021
GISCARD ET L'I.V.G.
> "L'intention de Giscard en 1974 était en effet de corriger une certaine inégalité dans la détresse féminine face aux grossesses non désirées : les femmes aisées allaient en Suisse ou en Grande-Bretagne, les autres se contentaient d'aiguilles à tricoter,"
C'est ce qu'il a dit.
Mais lutter contre les inégalités aurait été d'aider, d'entourer les femmes enceintes en difficulté et tentées par l'avortement.
Le reste n'est que foutaise.
C'est le même argument avec les mères porteuses : si l'on n'autorise pas la GPA, on crée une inégalité pour les homosexuels alors que les lesbiennes ont droit à la PMA.
Les riches pouvaient acheter du sucre au XVIIIe siècle mais les pauvres non.
Donc il faut des esclaves pour avoir du sucre pas cher.
Conclusion : l'esclavage permet de réduire les inégalités sociales. Logique, non ?
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Écrit par : E Levavasseur / | 25/08/2021
DISCUSSION
> Pour une fois je n'aime pas trop votre article. Pour un étranger comme moi , le Panthéon est un " truc " français incompréhensible ! Quant à Joséphine Baker , il ne me semble pas que tout dans sa vie soit admirable ou soit un exemple pour nos enfants.
JCK
[ PP à JCK – Pour les Français aussi le Panthéon est peu compréhensible : chaque époque y envoie des personnalités conformes aux goûts du moment. Mais en panthéonisant quelqu'un pour sa bravoure sous l'Occupation, on ne couronne pas une mode, on honore le patriotisme : valeur qui n'est précisément pas à la mode dans le tout-Paris de nos jours. J'ai écrit cette note parce que je suis surpris que M. Macron se soit exceptionnellement écarté du prêt-à-penser contemporain.
– Quant à la vie privée de Joséphine Baker, ce sujet-là n'est pas concerné par la panthéonisation. Et ne viendra pas à la connaissance de la plupart de "nos enfants"... beaucoup plus menacés par ce qu'ils voient sur l'internet ou à la télévision !
réponse au commentaire
Écrit par : J C Kill / | 25/08/2021
à Eric Levavasseur :
> C'est une époque que je n'ai pas connue, mais à entendre mes grands-parents, les mères célibataires étaient il y a soixante ans de véritables pestiférées. De même, une grand-tante qui eut une dizaine d'enfants était pointée du doigt pour enchaîner grossesse sur grossesse : on était avant la loi Neuwirth, donc sans moyen de contraception si le mari se montrait davantage soucieux de son propre plaisir que des conséquences de celui-ci.
Il y avait semble-t-il à l'époque une chape de plomb sur ces questions intimes : les femmes étaient désemparées face à une grossesse qu'elles ne pensaient pas pouvoir assumer, soit physiquement soit financièrement. Je ne suis absolument pas persuadé que les femmes enceintes en difficulté se soient alors senties "aidées, entourées", y compris en milieu chrétien - bien au contraire puisqu'elles avaient d'une certaine manière "fauté".
Cela ne signifie évidemment pas que je soutienne la loi Veil : je combats l'avortement, sous toutes ses formes : un avortement est un assassinat. Mais en tant qu'homme, j'essaye de comprendre la détresse que peut ressentir une femme enceinte vouée (à l'époque) à la diatribe paternelle pour avoir "fauté" ou au silence pesant de la famille pour faire de nouveau les frais des assiduités du conjoint.
Oui, il faudrait que les femmes enceintes en difficulté soient aidées et accompagnées. C'est sans doute plus aisé en milieu urbain ; mais en milieu rural, où dans un village tout se sait très rapidement, comment ne pas croire sans candeur que l'accompagnement en question ne serait que de pure forme ?
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 26/08/2021
A Philippe de Visieux
> Votre dernier paragraphe sur les villages où "tout se sait très rapidement" date un peu. Vous parlez sûrement des anciennes générations, car dans les villages actuels, ruraux ou rurbains,on tend à s'aligner sur les mentalités modernes pour le meilleur et pour le pire. La vague individualiste est arrivée là aussi.
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Écrit par : B.H. / | 28/08/2021
HALIMI ?
> Face à une femme qui enchaîne 10 grossesses sur 10 ans, je ne vois pas ce qu'un accompagnement aurait pu faire. On peut bien sûr assurer à la future mère toutes les tâches ménagères (mais qui l'aurait fait à l'époque, surtout en l'absence de lave-linge). Les grossesses cependant restent pénibles en elles-mêmes.
La situation actuelle est loin de ressembler à celle des années 70.
Faire de l'avortement un droit, alors que c'est un meurtre, n'est pas digne d'une société civilisée. Par contre, il faut aider les femmes qui ne voient pas comment elles pourraient élever leur enfant. Et pour celles qui ne veulent pas (plus) de grossesse, je trouve que la ligature des trompes devrait être autorisée. Ce n'est peut-être pas génial, mais c'est mieux qu'un meurtre.
En ce qui concerne la mise à l'honneur d'une femme d'origine étrangère pour son implication dans la Résistance, je trouve que c'est une excellente idée. Comme le souligne Patrice, les jeunes générations n'ont aucune connaissance sur Joséphine Baker, elles connaîtront seulement le discours de panthéonisation.
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Écrit par : Bernadette / | 15/09/2021
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