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20/02/2020

Pour saluer Michel Ragon

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Historien de l’art, de l’architecture, de l’anarchisme et de la littérature prolétarienne, libertaire enraciné à gauche de la gauche et dans son terroir de Vendée, auteur de plus de 130 ouvrages, Michel Ragon est mort le 14 février à 95 ans :


J’avais rencontré deux fois Michel Ragon au Printemps du livre de Montaigu : c’était en 2005 et 2006 et je voyais Philippe de Villiers (encore patron de la Vendée) le courtiser ; cour accueillie avec flegme par l’auteur des Mouchoirs rouges de Cholet, qui disait par ailleurs : “J’ai dépoussiéré la Vendée, je lui ai redonné une histoire qu’elle avait perdue, mais je pense qu’elle l’a reperdue aujourd’hui parce que toutes les tendances réactionnaires s’en sont emparées à nouveau.”

Michel Ragon a en effet “dépoussiéré la Vendée” avec ces Mouchoirs rouges (Albin Michel 1984) suivi de La louve de Mervent (ib. 1985). Deux romans prodigieusement vivants, dont la saga s’étage de 1793 à 1835 et qui rendent les guerres vendéennes à leur contexte historique – celui d’une insurrection comparable à celle des Camisards cévenols, près d’un siècle plus tôt, c’est-à-dire mue par un instinct profondément paysan de résistance au despotisme de dirigeants lointains : en 1702 les maîtres de Versailles contre le Midi protestant ; en 1793, les maîtres de la Convention contre le Bas-Poitou catholique. Persécution des pasteurs ou des prêtres réfractaires, interdiction des cultes ou des messes, dans les deux cas les paysans s’insurgent pour riposter [*] : spontanément, non sur l’ordre de pasteurs ou de prêtres… Noyée dans le feu et le sang, l’insurrection des Vendéens ne s’éteint vraiment qu’avec la fin la persécution religieuse, symbole de leur liberté opprimée. Cette insurrection avait jailli d’un inconscient collectif rural : capable, peut-être, de se révolter à nouveau, plus tard et sous d’autres couleurs – comme les jacques du XIVe siècle ou les nu-pieds et bonnets rouges du XVIIe ?  C’est ce que pense Paris après 1800 et les Bourbons revenus ne s’y tromperont pas : ils montreront une méfiance d’Etat envers la Vendée, vouée à l’ingratitude des Tuileries en dépit d’exaltations littéraires fleurdelisées auxquelles la duchesse de Berry sera bien la seule à croire.

C’est à travers le peuple des campagnes que Ragon évoque la Grand’guerre de 1793-1794 et ses suites. La réalité vibre dans ces livres : donc les lecteurs de Valeurs actuelles ou du Figaro Histoire n’y ont pas retrouvé leur imagerie de feux de camp scouts (“Monsieur d’Charette a dit à ceux d’Ancenis…”). Mais lorsque les deux romans parurent il y a plus de trente ans, suivis par le récit historique L’insurrection vendéenne (Albin Michel 1992), les amis libertaires de Ragon ne s’y retrouvaient pas plus ! Eux aussi voyaient la Vendée de 1793 comme l’imagerie réac la présente : donc ils avaient du mal à admettre que le compagnon anar de Lecoin et Joyeux, ami de Breton, de Dubuffet et de Brassens, membre de Cobra en 1949, spécialiste de l’art abstrait et de l’architecture d’avant-garde, entreprenne de raconter la saga de Dochâgne, Chante-en-hiver, Louison, Tête-de-loup et les autres…

Mais la liberté selon Ragon, c’était précisément le rejet de toutes les chapelles.

Qu’il aille en paix.

 

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[*]  Sans oublier l'effet déclencheur de la conscription militaire (la "levée de 300 000 hommes") ordonnée par Paris et rejetée par les populations.

 

 

michel ragon

michel ragon

 

06:16 Publié dans Histoire, Idées | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : michel ragon

Commentaires

VIRGINIE MARTIN

> https://www.youtube.com/watch?v=RgmLorXQpNM
Cet entretien de Virginie Martin, que M. Ragon aurait sans doute écouté avec intérêt.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 20/02/2020

AU PUY DU FOU

> Et le show du 26 mars 2016 au Puy du Fou pour l'accueil-parade de "l'anneau de Jeanne d'Arc" récusé par les historiens sérieux... Les cyrards en grand U (que foutaient-ils dans une célébration privée ???) et cinq mille personnes dans le public : scouts d'Europe en civil, militants de Sens commun, papophobes intégristes, abonnés de 'Valeurs actuelles'... Et un discours de Trémolet de Villers père auprès duquel Villiers faisait progressiste...
Michel Ragon a dû s'étrangler devant sa télé.
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Écrit par : Simon Caillaud / | 20/02/2020

DÉFENSE POPULAIRE

> Par votre article je découvre cet historien et romancier, je le lirai, peut-être.
Toutes les révoltes n’aboutissent pas à des révolutions, mais elles sont toujours l’expression d’une défense populaire contre un pouvoir dominant, souvent central, afin de préserver ce qui est de plus ancré, de plus viscéral, au cœur des révoltés, leur façon d’être et de voir le monde, donc de s’y intégrer.
Que la Chouannerie de Vendée ait réuni des hommes et femmes de mentalités différentes n’a rien d’étonnant pour qui se souvient que le wagon qui emmenait en déportation Edmond Michelet (résistant, catholique, démocrate) refermait aussi Jacques Renouvin (résistant, catholique de l’Action-française), Mgr Piguet évêque de Clermont-Ferrand arrêté dans sa cathédrale (pétainiste ayant donné l’ordre à ses prêtres et religieux de cacher, donc sauver, des juifs) et depuis déclaré « Juste parmi les nations », deux jeunes juifs résistants torturés à mort avant d’arriver en Allemagne et dont l'aîné en expirant récita la prière à Marie de Paul Claudel, un franc-maçon de la Creuse etc …
« Ne me dis pas d’où tu viens, notre combat commun fait de nous des frères »
Entre l'Histoire qui se vit en temps et souffrances réels et celle qui s’écrit se glisse toute la reconstruction d'une vision altérée.
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Écrit par : Albert E. / | 20/02/2020

à Simon Caillaud :

> Quelques semaines plus tard, c'est Emmanuel Macron qui rendait visite à son vieil ami du Puy-du-Fou...
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 21/02/2020

PAS D'ACCORD

> Je ne suis pas d’accord ni avec Ragon ni avec vous. Une des premières causes de l'opposition vendéenne c'est le refus de la conscription : ils n'admettaient pas aller combattre l'ennemi dans une région qu'ils ne connaissaient pas. Que l'ennemi vienne chez nous et nous l'accueillerons comme il se doit.

Bernard


[ PP à Bernard – Avez-vous lu Ragon, qui parle aussi de la "levée de trois cent mille hommes" ? Ce serait mieux, pour pouvoir n'être pas d'accord avec lui.
La levée en question a suscité des réfractaires dans toute la France, mais il n'y a eu de vraie grande insurrection paysanne qu'en Vendée : preuve que, là, d'autres facteurs ont joué aussi. Dont le religieux, au premier rang. Et la lutte de classes contre la bourgeoisie des villes et des bourgs. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Bernard / | 23/02/2020

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