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12/10/2019

La vraie leçon de l'affaire Sylvie Goulard

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Ce n’est pas une “crise institutionnelle de l’Europe” comme le prétend Mme de Montchalin [*]. Ce que révèle le tapage de l’affaire Goulard, c’est l’affrontement latent entre la technocratie et le suffrage universel :


 

Les eurodéputés sont un parlement qui voudrait acquérir une existence concrète (avec, bien sûr, tout ce que cela suppose de manoeuvres de partis). Face à eux, la Macronie est une technocratie financière néolibérale appuyée sur une chambre d’enregistrement : l’Assemblée nationale française réduite au bloc Macron. Pour la technocratie financière hégémonique, la démocratie représentative est un décor : les parlements sont voués à donner l’onction du suffrage universel à des “réformes” impulsées par la finance.

D’om la rage de ce milieu devant le rejet massif de sa superwoman Sylvie Goulard par les eurodéputés. Mme Goulard avait le profil de la techno de haut vol : ENA, conseillère de M. Prodi, associée au projet de constitution européenne, fondatrice avec MM. Verhofstadt et Cohn-Bendit du “groupe Spinelli” pour la fédéralisation de l’UE ; lors du débat de réforme bancaire en 2016, elle avait présenté deux amendements empruntés au lobby des banques allemandes : la Deutsche Kreditwirtschaft... Après quoi (2018) elle est devenue sous-gouverneur de la Banque de France.

Certes, ce profil presque parfait avait des ombres : une histoire d’emploi d’assistants parlementaires Modem ; et surtout le fait que Mme Goulard, eurodéputée de 2009 à 2017, fut rémunérée de 2013 à 2016 (13 000 euros mensuels) par le think-tank américain de Nicolas Berggruen : un financier qualifié de “vautour” par le magazine Forbes – expert en la matière. Ce conflit d’intérêt a choqué nombre d’eurodéputés. Mais aucun macroniste n’y fait allusion aujourd’hui : parce qu’être salarié d’un lobby US n’est pas mal vu dans ce milieu ; peut-être aussi parce que le frère de M. Berggruen figurait parmi les financiers de la campagne Macron en 2017…

Revenons à la rage de la Macronie face au rejet de Mme Goulard par les eurodéputés.

– M. Macron, tout colère, dit qu’il ne “comprend” pas ce rejet. C’est pourtant simple. Mme Goulard était la créature de M. Macron. Les eurodéputés (qui rament pour exister un peu en tant que parlement) ne pardonnent pas à M. Macron d’avoir contribué à imposer technocratiquement Mme von der Leyen comme président(e) de la Commission, ce qui abolissait la coutume de nommer à cette présidence un membre du groupe majoritaire du Parlement européen : Manfred Weber en l’occurrence.  

– Les macronistes vitupèrent “les intrigues de partis” : mais le rejet de Mme Goulard a été si massif, et si transversal, qu’on ne saurait le réduire à une vengeance des seuls amis PPE de M. Weber.

La Macronie a donc bonne mine d’appeler “crise institutionnelle” cette auto-affirmation d’un parlement, alors que tout le monde (et elle aussi) s’est réjoui de la bonne participation électorale aux dernières européennes !  Participation qui indiquait, paraît-il, un certain rapprochement entre l’opinion publique et Bruxelles… Or la première initiative des eurodéputés – blackbouler Mme Goulard – soulève des cris d’orfraie chez les technocrates de l’exécutif et dans la chambre d’enregistrement du Palais-Bourbon :  ça en dit long sur les forces en présence.

Les médias présentent la chute de Mme Goulard comme un recul pour “l’influence française”. C’est nous prendre pour des imbéciles : Mme Goulard pense à l’américaine et agit à l’allemande ; son mentor est M. Schäuble ; son portefeuille (couvrant un périmètre inouï) aurait été l’outil de tout autre chose que d'une “arrogance française”. D’ailleurs les Français ne sont plus arrogants depuis longtemps – à l’exception de M. Macron et de son groupe : mais c’est l’arrogance d’une start-up nation qui se rêve californienne.

 

PS –  Le vouloir-vivre des eurodéputés ne change rien à la vraie nature de la construction européenne, dont ils ne sont qu’un rouage secondaire. L’objectif réel de celle-ci était de superposer aux nations un marché unifié des biens, des capitaux et des personnes. La seule norme absolue de l’UE est “la concurrence” (nonobstant ses effets sociaux ravageurs) ; les autres normes invoquées sont sans contenu pratique. Tout processus d’harmonisation sociale est explicitement interdit par l’article 153 du traité de Lisbonne. Quant au Parlement européen, il est encadré : 1. par les traités, qu’il ne peut discuter ; 2. par la jurisprudence de la Cour de justice européenne, productrice d’un droit s’imposant aux élus. Comme le disait le prédécesseur de Mme von der Leyen : “Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens.” L’UE est supérieure à la démocratie ; raison pour laquelle la technocratie se veut hégémonique.

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[*]  Le CV de Mme de Montchalin est exemplaire : fille d’un vice-président international de Coca-Cola, elle a fait HEC, Dauphine et la Harvard Kennedy School ; on l'a vue experte chez BNP-Paribas, Axa, Exane (finance de marché), et analyste à la Commission européenne… D’où son adhésion au macronisme en 2016.

 

 

 

La péremptoire Amélie de Montchalin

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Commentaires

SEMONCE ?

> Tout à fait d'accord avec votre analyse. Reste que ce coup de semonce est une bonne nouvelle, et pour une fois qu'on a l'occasion de s'en satisfaire ne boudons pas notre plaisir.
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Écrit par : BMC / | 12/10/2019

COHN-BENDIT dixit

> ..."Quand on écoute la réaction d'Emmanuel Macron, pour le moins en colère, ou de la ministre Amélie de Montchalin, on s'interroge : ont-ils compris que le parlementarisme européen n'était pas l'Assemblée nationale ?"...

extrait de :
https://www.lepoint.fr/politique/cohn-bendit-goulard-a-ete-victime-d-une-revanche-contre-macron-12-10-2019-2340836_20.php
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Écrit par : Gérald / | 13/10/2019

L'U.E. FORMATÉE PAR HARVARD

> Pour avoir étudié deux ans à Harvard, je peux témoigner de la centrifugeuse que m'est apparu être cette université dans le formatage sur le modèle américain d'esprits venant des quatre coins du monde.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le réveil de ma foi chrétienne fut concomitant à ce séjour : quand l'horizon indépassable sont les fusions-acquisitions, le droit boursier ou la ruée vers la Chine comme eldorado financier (en 2006), c'est que Mammon a remplacé la recherche du bien commun.
J'ai rencontré là-bas un nombre important de fonctionnaires européens et d'anciens élèves du Collège d'Europe, venant en particulier d'Europe centrale et orientale : ceux que j'ai côtoyés étaient libéraux et percevaient le modèle social français comme rétrograde car pas encore réformé à la Schröder (un ami tchèque ultralibéral se définissait comme 'nouveau Tchèque' sur le modèle des 'nouveaux Russes' de l'ère Eltsine).
Ayant par la suite travaillé dans un gros cabinet d'avocats américain ayant un bureau à Bruxelles, j'y ai à nouveau rencontré de nombreux anciens fonctionnaires de la Commission qui avaient pantouflé : le cabinet ayant une importante activité en droit communautaire de la concurrence, il possédait en son sein d'anciens régulateurs européens qui connaissaient tout de leur ancienne direction générale. C'est comme sur le Titanic où les cloisons supposées étanches étaient loin de l'être...
Si je suis heureux d'avoir définitivement tourné le dos à tout cela, l'Union européenne a quant à elle toujours le même mantra ultralibéral ; le synode Amazonie nous rappelle que ce modèle est une structure de péché qui devra tôt ou tard être remisée, le plus tôt étant évidemment le mieux.
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 13/10/2019

> Bonjour
Analyse partagée.
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Écrit par : Emmanuel Morucci / | 13/10/2019

ELLE OSE TOUT

> Sciant ! En 2014, en plein au moment où elle est à la fois député européenne et salariée de Berggruen, Sylvie Goulard a le culot de s'opposer à la nomination de Moscovici commissaire européen avec cet argument :
"Il ne faut accepter que des personnalités incontestables, sinon les opinions publiques nous le reprocheraient."
Il fallait oser.
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Écrit par : Jérôme Galtié / | 13/10/2019

à Jérôme Galtié

> pas sûr que ce soit du cynisme. Plutôt de l'aveuglement : pour cette classe sociale être salariée d'intérêts américains est d'une normalité évidente. Au-dessus de toute critique. L'Amérique est notre destin, NY est la capitale du monde, etc.
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Écrit par : Bernard Engel / | 13/10/2019

PAS D'ILLUSION

> Il ne faut peut-être pas trop se faire d'illusion sur la soif d'éthique et de représentativité des députés européens, mais voir plutôt les luttes de pouvoir :
https://ruptures-presse.fr/actu/goulard-macron-weber-commission-merkel/
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Écrit par : Guadet / | 13/10/2019

EN 2020

> Derrière l’affaire Goulard, toujours la même leçon, la loi du marché et ses tristes rançonneurs, au nom du Fric, de l’Ecogentrique, de la Technique. Avec ses « macrogneurs » (de droits sociaux), ses « brexcités » (du « qu’a boulot ») et autres accros aux « trumpitudes » (« trump, trump pi-tude ! »).
Qui ont, au final, une même ligne de conduite : chacun pour soi et l’odieux pour tous… Qui pensent être du côté du progrès, « dans le vent », mais se condamnent à un « destin de feuille morte » (sagesse de Milan).
Les yeux vont bientôt s’ouvrir : à mon avis, Trump, Johnson et Macron sont condamnés. Zéros pointés en 2020. La Roche tarpéienne, les poubelles de l’Histoire les attendent !
Salutations.
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Écrit par : Longin / | 13/10/2019

EN POLOGNE

> Intéressant ce qu'il se passe au niveau du PiS polonais (droite conservatrice) avec un tournant social (véritable?), assez différent de l'ultralibéralisme qui le définissait jusqu'ici.
Extraits d'un sujet de Radio Vatican:
"En place depuis 2015 sous l’égide de l'ancien Premier ministre Jaroslaw Kaczynski, le parti Droit et Justice (PiS) actuellement au pouvoir a mobilisé dans cette campagne, en promettant d'augmenter des allocations et le salaire minimum tout en réduisant les impôts"... "Des mesures qui remettraient en cause le modèle économique polonais fondé sur un nombre important d’investissements étrangers dus aux bas salaires comparé aux pays de la zone euro."

Le sujet complet avec l'avis d'un spécialiste (Cédric Pellen, maître de conférences à l'IEP Strasbourg): https://www.vaticannews.va/fr/monde/news/2019-10/en-pologne-les-conservateurs-vers-une-victoire-aux-legislatives.html
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Écrit par : Raphaël R. / | 13/10/2019

AVEUGLEMENT VOLONTAIRE

> L'aveuglement devient du cynisme lorsqu'il est volontaire, comme le dit si bien Jésus aux pharisiens à la fin du récit de la guérison de l'aveugle-né.
Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »
Parmi les pharisiens, ceux qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? »
Jésus leur répondit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : “Nous voyons !”, votre péché demeure.

(Jean 9, 39-41)
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Écrit par : bernard / | 14/10/2019

à Longin et Bernard :

> Le problème, c'est que cet aveuglement est encouragé par beaucoup trop de médias grand public, surtout anglophones. Prenez CNN ou même souvent la BBC : il n'y en a que pour les 'markets', les fluctuations du dollar en temps réel face au renminbi, la cotation de telle société au Nasdaq, etc. Les émeutes à Hong Kong ne sont traitées que sous l'angle de l'impact qu'elles ont sur la finance ou sous celui des échanges commerciaux sino-américains : rien ou très peu de chose en ce qui concerne les causes de cette détresse, finalement assez proches de celle de nos gilets jaunes : diplômes et études qui servent de moins en moins, paupérisation massive, résignation de la jeunesse face à la soumission du politique à la finance.
Non, pour CNN, seul compte l'instant : la chute du dollar de Hong Kong suite à tel incident policier. L'humain a moins d'importance que le financier : la personne gazée dans le métro hong-kongais compte moins que les soubresauts monétaires.
À ce niveau, oui, "l'aveuglement devient du cynisme".
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 16/10/2019

L'ALBANIE ET LA MACÉDOINE DU NORD !

> https://www.lefigaro.fr/international/bruxelles-tente-de-relancer-l-adhesion-de-l-albanie-et-de-la-macedoine-du-nord-20200205
N'est-il pas un peu rapide, alors que la Grande-Bretagne vient tout juste de claquer la porte, d'encourager l'Albanie et la Macédoine du Nord à entrer dans l'Union ? Comme s'il fallait laver l'affront du Brexit !
PV


( PP à PV – Quitte à coopter des pays aussi... problématiques (euphémisme poli) que l'Albanie et la Macédoine du Nord ! ]

réponse au commentaire

Écrit par : Philippe de Visieux | 07/02/2020

> La mafia albanaise est la plus sanguinaire du monde.
Et la Macédoine du Nord est "le pays qui n'existe pas".
Mettre cela dans l'espace Schengen relève de la démence.
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Écrit par : Petar Pop-Arsov / | 08/02/2020

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