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26/01/2019

UE : l'heure étant grave, BHL va arpenter les capitales

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Dans Libération, un singulier appel de (ou à ?) la jet-set littéraire :


 

 

Nos dirigeants comptent avoir bientôt fermé la parenthèse du mouvement social et renoué avec leur programme des européennes : une campagne  "progressistes" contre "populistes", selon le schéma fixé par l'Elysée depuis quatre mois.

Il existe des levées "populistes" à travers l'Europe. Mais : 1. encore faudrait-il voir ce qu'elles sont (et ce dont elles sont le contrecoup), au lieu de parler d'elles comme de sorcières de Salem ;  2.  très disparates, elles n'ont pour point commun que le rejet des mots de passe baptisés "progressisme" (en France) par le think-tank de M. Macron.

Croire que ces populismes sont une "Internationale rouge-brune" serait une hallucination. Faire semblant de le croire est une grosse ficelle.

La grosse ficelle s'étale dans la presse d'aujourd'hui et fait du bruit dans les agences. C'est un cahier de 7 pages dans Libération, conçu et présenté par Bernard-Henri Lévy sous le titre : "30 écrivains alertent – L'Europe est en péril". Les 30 écrivains sont de vieux habitués de la jet-society littéraire, dont plusieurs vivent aux Etats-Unis.

Les sept pages s'ouvrent sur un manifeste, non signé mais dont l'emphase trahit l'auteur : BHL en personne. "Des élections européennes qui, si rien ne change, si rien ne vient endiguer la vague qui enfle et qui pousse et qui monte, et si ne se manifeste pas très vite sur tout le continent un nouvel esprit de résistance, risquent d'être les plus calamiteuses que nous ayons connues..."  Prophétie pourtant réfutée d'avance et par Libé soi-même, qui constate, page 6, l'improbabilité de cette "vague" : détenteurs aujourd'hui de 151 sièges, les partis europhobes ou populistes "sont en recul ou affaiblis dans plusieurs pays (Pays-Bas, Danemark, Pologne).... Surtout, le départ du Royaume-Uni va priver les anti-européens des contingents des eurosceptiques du Parti conservateur (19 sièges et des europhobes de l'Ukip (7 députés)." Les politologues ne prévoient donc qu'une vaguelette populiste europhobe :  153 à 168 députés sur 705, ce qui relativise les choses. D'autant qu'il y a peu d'entente entre ces divers partis, et que n'y ont pas remédié les gesticulations d'un Steve Bannon pris au sérieux seulement par le cardinal Burke  –  qui pèse moins que sa cape.

Viennent ensuite huit brefs textes (pourquoi seulement huit ?).

► Le premier est bien sûr de BHL. Il nous annonce un geste décisif : donner sa personne à l'Europe. "Je vais jouer, dans les principales capitales européennes, une pièce que j'ai écrite et que j'actualiserai au gré de l'actualité [*]... Ce sera un monologue que je jouerai seul en scène... Mon idée est de sillonner l'Europe. D'aller partout... Ce sera ma manière d'essayer de donner un corps, une chair, au patriotisme européen que ce manifeste propose... "

► De Lima, M. Mario Vargas Llosa (chantre octogénaire de la théorie du ruissellement "qui ne s'est jamais vérifiée nulle part" comme dit le pape), dit son mépris envers les victimes de la mondialisation ultralibérale : "Les populismes sont une réponse tribale à la mondialisation, qui produit de l'incertitude et de la peur avant tout dans les 'tribus' ethniques, religieuses et politiques les plus primitives..."

► De New-York, M. Salman Rushdie croit voir une alliance rouge-brune submerger l'Europe via la République française : "Une alliance macabre est en train de se nouer entre l'extrême droite et l'extrême gauche..."  Dommage que l'eurologue Quatremer montre le contraire dans le même cahier de Libé, en page 7 : "Une alliance entre gauche et droite radicale étant exclue par nature", le cas de figure prévu à Bruxelles est plutôt un Parlement européen reconfiguré par des majorités de circonstance : conservateurs-socialistes-libéraux-Verts. Le probable est souvent prosaïque...

► Plus jeune mais non moins euro-correct, le romancier Roberto Saviano (Gomorra) affirme que l'UE a "apporté 70 ans de paix" (répons rituel mais inverse de la réalité) ;  et que les "souverainistes" ne sont pas sérieux quand ils disent "non à l'Europe des banques, oui à l'Europe des nations" : "comme c'est facile !", ironise M. Saviano. C'est en effet plus facile – et pertinent – que d'affirmer, comme le romancier, ceci qui est n'importe quoi : "L'idée d'Europe a débuté avec le concept du droit. L'Europe forteresse est son contraire. L'Europe qui devient un territoire où il est aisé d'occulter l'argent sale est terrible..." Révélons à M. Saviano que l'Europe du droit a "débuté" avec le Grand Empire napoléonien (1811), qui précisément était une Europe-forteresse (blocus continental). Demandons-lui aussi en quoi les paradis fiscaux de l'UE seraient une "Europe-forteresse", étant plutôt des sanctuaires de la finance sans frontières.

► Y aura-t-il un juste dans Sodome ?  Non, une juste : c'est l'écrivain(e) Leila Slimani. Elle constate : "Le projet européen n'est pas parfait, il y a un déficit démocratique évident. On a échoué à construire une Europe des âmes..." Mme Slimani a raison d'indiquer ces deux carences ; mais elles sont si profondes qu'elles devraient suffire à juger l'UE et à chercher les linéaments d'une autre Europe. Le déficit démocratique était voulu dès l'origine, selon le programme de technocratie financière fixé dès 1947 par Jean Monnet. Quant à l'âme, c'est une dimension qui ne relève pas de la "construction" (seul Staline parlait d' "ingénieurs des âmes").  Le spirituel et le charnel sont inséparables, contrairement à ce que proclame BHL depuis quarante ans... Déclarer suspect le charnel, proposer un culte de l'abstrait comme l'ont fait les propagandistes d'un juridisme censé cimenter l'UE, revenait à condamner la construction européenne à s'effriter en fin de parcours dans la confusion générale. C'est ce qui arrive aux tours de Babel [2] :  relire Genèse 11, 1-9.  

Etc. On peut supposer que le directeur de Libération a ressenti un malaise en voyant les déclarations peu philanthropiques des écrivains réunis par BHL. Notamment en constatant leur refus d'admettre que les convulsions qualifiées de "populistes" ne sont que des effets, et que leur cause est le système économique ultralibéral...

M. Joffrin a donc voulu combler ce manque en affirmant dans son éditorial, page 6, que "si l'appel des écrivains a un sens, c'est bien de rappeler que l'histoire doit appartenir aux hommes et aux femmes, qu'elle dépend de l'esprit des peuples, de leur imaginaire et de leur âme, non des forces impersonnelles du marché".  Hélas pour le directeur, ce "sens" ne figure pas dans le manifeste de BHL. Ni dans les textes de ses amis.

M. Joffrin conclut que "la question sociale est le point faible du libéralisme économique qui domine depuis longtemps la politique de l'Union et qui creuse sans cesse le fossé entre les classes dirigeantes et la population". C'est vrai. Et c'est structurel. Et c'est ce que dit M. Joffrin... Mais ce n'est pas ce que disent BHL ou Mario Vargas Llosa.

On a l'impression bizarre que les journalistes de Libération ne sont pas sur la même fréquence que les auteurs du manifeste.

Comment expliquer cela ?  J'avoue ma profonde, profonde perplexité.

 

__________

[1]  "Actualiser l'actualité" : BHL est un maître de l'allitération.

[2]  Sur le chantier de Babel, "quand une brique tombait tout le monde était très affligé, mais si quelqu'un tombait et mourait, on ne lui prêtait aucune attention" ('Pirqé de rabbi Eliezer', section I (IXe siècle).

 

 

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20:21 Publié dans Europe, Idées | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : europe

Commentaires

LIBYE

> BHL, BHL... c'est bien le mec qui était chef d'état-major des armées sous Sarkozy ?
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Écrit par : Feld / | 26/01/2019

VARGAS LLOSA

> Vargas LLosa y va fort:
"réponse tribale à la mondialisation, qui produit de l'incertitude et de la peur avant tout dans les 'tribus' ethniques, religieuses et politiques les plus primitives".
Parle-t-il de ces gens qui ne veulent pas terminer comme beaucoup d'habitants de son propre pays: des paysans pauvres autochtones des Hauts Plateaux andins ou des bidonvilles de sa ville, ou l'Amazonie péruvienne détruite par l'extraction minière?
Quant à Saviano, on voit pour qui il roule finalement (bien qu'il devenait difficile de ne pas s'en rendre compte).
Pour répondre à votre question sur l'adéquation de Joffrin à ce "manifeste" ou "mouvement": il manque la signature à cet appel de MM. Drahi et Ledoux, propriétaires de la marque...
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Écrit par : Raphaël R. / | 26/01/2019

POST-NATAL

> https://www.vaticannews.va/fr/eglise/news/2019-01/avortement-new-york.html

On aimerait savoir ce que ce congrès de libéraux-libertaires pense de cette loi new-yorkaise qui "libéralise" encore davantage le "droit à l'avortement" : jusqu'au neuvième mois, autant dire jusqu'à l'accouchement. On arrive petit à petit à l'avortement post-natal, enfumage sous lequel se cache l'assassinat d'êtres humains tout juste venus au monde.
C'est cela aussi, le "progrès" selon BHL ?
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 27/01/2019

ASSEZ CONNUS

> Une belle brochette de manœuvres qualifiés pour la maçonnerie de Babel plutôt que des ardents à mettre le plus pauvre et le plus faible au centre, que cette soit-disant fine fleur de la pensée littéraire contemporaine...
Curieux, n'est-il pas, de constater qu'on trouve, par exemple, Genève et Lausanne dans la quinzaine ou vingtaine de "capitales européennes" (sic) que M. Lévy honorera de sa prestation scénique ?
Pourquoi le texte de l'appel est-il disponible en russe, en arabe, en turc, en hébreu, toutes langues certes magnifique s mais non intrinsèques à l'UE, et pas en grec, en portugais, en italien, en espagnol, en finlandais ni dans les langues baltes ni celles des ex-pays dits de l'Est ?
En temps de Brexit, la présence de Britanniques parmi les signataires étonne, acceptons-la au capillo-tractage, y compris bien sûr celle d'un exilé new-yorkais, apatride iranien arborant passeport britannique, mais que viennent faire là des ressortissantes russes, un bosniaque, un ex-candidat à la présidentielle péruvienne, une citoyenne US, un albanais, un israélien, etc..., si ce n'est chien-de-garder l'entreprise worldwide ?
Car c'est bien de mondialisation libérale et non d'Europe qu'il s'agit, ce passage le stipule-t-il on ne peut plus clairement ?
"la remise en cause (...) de la démocratie libérale et de ses valeurs."
Il suffit de remplacer "démocratie" par économie et ajouter financières à "valeurs" - ce qui est effectué avec ardeur par lesdits "commissaires européens" depuis belle lurette - pour avoir la phrase exacte...
Puis-je citer à ces grands éclairés de littérature Arthur Rimbaud ?
"Assez connus ces oiseaux-là"....
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Écrit par : Aventin / | 27/01/2019

"MOI SEUL, DIS-JE, ET C'EST ASSEZ..."

> Et pis bon, il veut alerter qui ?
A la place de BHL j'irai seul sur un rocher déclamer face à l'océan.
Pour la même utilité il se mettrait mieux en scène (enfin peut-être parce que c'est quand même éculé).
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Écrit par : Yvan / | 27/01/2019

Yvan,

> dans l'absolu, votre proposition "aurait de la gueule" et aurait comme corollaire de créer moins de pollution (tous ces trajets d'une capitale à une autre).
Mais vous oubliez un léger détail : l'événement ne déplacerait pas une nuée de journalistes, ce qui est pourtant un des buts visés.
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Écrit par : Bernadette / | 27/01/2019

@ Yvan :

> Une vision à la Caspar David Friedrich... Dans un paysage hostile et grandiose, où nul entarteur ne fait planer sa sombre menace ! Ah !!!
Excusez-moi, c'est l'émotion...
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Écrit par : Fernand Naudin / | 27/01/2019

MIMÉTISME

> Etrange mimétisme entre les "populistes" et "identitaires" d'une part, et les "progressistes" d'autre part : les premiers jouent sur la peur des peuples devant la mondialisation ou l'immigration (sans guère inciter à illustrer plutôt qu'à défendre leur civilisation), tandis que les seconds jouent sur la peur des "élites" devant les premiers, en défendant une "construction européenne" qui ne ressemble à rien, plutôt qu'en proposant quelque chose de mieux.
C'est de bâtisseurs que les nations ont besoin, non de démagogues qui font de diverses peurs leur fond de commerce.
(Et pardon pour la quantité indigeste de guillemets dans mon commentaire : les mots sont assez piégés en ce moment.)
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Écrit par : Sven Laval / | 27/01/2019

Sur Babel :

> d'après les commentaires rabbiniques, cette tour avait été construite sous la conduite du roi Nimrod - le premier des potentats- pour envahir le paradis afin d'en chasser Dieu. Pour venger les morts du Déluge.
Babel, prototype du projet totalitaire (et, ajouterais-je, du monde de la mort de Dieu... qui ne se laisse pas tuer).
Un commentaire rabbinique contemporain :
http://www.espacetorah.com/video_type/la-tour-de-babel-lunion-de-lechec/
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Écrit par : Feld / | 28/01/2019

ONFRAY

> https://youtu.be/MjrD3wachW0
Débat avec Onfray sur les gilets jaunes. Il n'est pas loin de se convertir : il prend la défense de l'évêque de Montauban et de la doctrine sociale de l'Église devant Cohen et Lemoine. Des propos réels et sensés de la part de notre intellectuel athée habituellement fort moins cathophile !
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Écrit par : Philippe de Visieux / | 28/01/2019

MONSTRE

> Situation dramatique : l’Europe est devenue un monstre , beaucoup le savent, mais une immense majorité des élus la soutiennent.
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Écrit par : Ludovic / | 28/01/2019

à Bernadette

> Le SEUL but !
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Écrit par : Amicie Terray / | 28/01/2019

à Fernand Naudin

> Nul entarteur ?
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Écrit par : Flupke / | 28/01/2019

@ Flupke

> Vous avez raison, on n'est pas à l'abri... Mais vu l'éruption que ça provoque chez lui, ça ajouterait peut-être au côté grandiose du spectacle... ?
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Écrit par : Fernand Naudin / | 28/01/2019

Fernand, merci !

> Grâce à vous, je viens de trouver l'origine de ce tableau :
http://sharjahart.org/sharjah-art-foundation/projects/the-lost-works-of-caspar-david-friedrich
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Écrit par : Yvan | 28/01/2019

PARAVENTS ?

> Tant qu'on dira "le marché", "l'Europe", rien de changera ; ce ne sont que des paravent derrières lesquels il y a des personnes réelles à la manœuvre.
Employer le vocabulaire de l'adversaire, c'est déjà se plier à sa victoire.
Mal nommer les choses c'est ajouter [participer] au malheur du monde.
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Écrit par : franz / | 29/01/2019

"QUE VIA L'U.E."

> J'ai entendu BHL à la radio ce matin. Il souhaite proposer via son spectacle le "revenu universel, magnifique idée qui ne peut se réaliser que via l'UE".. On ne peut qu'abonder dans son sens, seul l'UE et le revenu universel sont capables de détruire les sécurités sociales des pays européens et annihiler toutes velléités de ces derniers de récupérer une quelconque souveraineté sur les services publics, banques, investissements et/ou autres domaines.
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Écrit par : Raphaël R. / | 02/02/2019

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