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16/11/2018

Le consumérisme disloque la concitoyenneté

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Selon le Cevipof, 50 % des maires ne veulent pas se représenter en 2020. Parmi les motifs de leur découragement : "Leurs administrés  sont devenus des résidents-consommateurs individualistes, qui ne sont plus les citoyens d’une commune mais des usagers de prestations toujours plus exigeants". Cause de cette évolution : le système économique...


 

La dissociété : crise du politique et risques d’une société fondée sur la performance individuelle

 

Interview de Jacques Généreux

 

<< "Dans votre livre La dissociété (Seuil 2016), vous analysez la crise actuelle du politique et vous dites que ses racines sont plus profondes qu’on ne le croit. Pourquoi des démocraties, qui sont des sociétés libres où les gens peuvent voter et changer de gouvernement, n’arrivent pas à régler des problèmes sociaux dramatiques ?

Jacques Généreux – Je suis parti de cette impuissance du politique qui entraîne la désaffection des citoyens pour la chose publique. En prolongeant cette réflexion, je suis tombé sur la nécessité d’une enquête plus profonde. Nous sommes confrontés à une énigme : comment se fait-il qu’on constate tant de souffrance psychique des individus au travail, de stress, de dépressions, de protestations dans des sociétés qui dégoulinent de richesse, de progrès technologique ? Ce paradoxe pose une question qui va au delà de la simple crise politique. Pourquoi chacun d’entre nous ne cherche-t-il pas, et collectivement ne cherchons-nous pas, à faire autrement alors que nous le pouvons ?

La thèse que vous développez est que nous sommes dans une "dissociété", que la société évolue en isolant les citoyens les uns contre les autres...

Ce que j’appelle " dissociété " est la décomposition d’une communauté humaine, solidaire, soudée autour de l’idée de République ou de nation, en sous-communautés rivales, repliées sur elles-mêmes. Et à l’intérieur même de ces sous-communautés l’extension d’un principe de compétition généralisée entre les individus, l’installation d’une nouvelle culture où l’on ne s’épanouit que dans la performance individuelle et donc la rivalité avec les autres. Aux Etats-Unis, vous avez des manifestations très concrètes de ce phénomène avec la construction depuis une vingtaine d’années de villes privées, barricadées, où ne vit qu’une catégorie de population : soit une catégorie sociale, soit une classe d’âge. La dissociété, c’est cet éclatement dans une société où on vit de plus en plus difficilement avec les autres.

Vous dites que cette "dissociété" est le fruit de l’évolution "néolibérale" de la société. Cette orientation n’est pas une fatalité économique, selon vous, mais un choix politique...

On nous dit que la nouvelle tournure du capitalisme mondial est une loi naturelle, une évolution inéluctable de l’économie. Tout cela est faux ! Aucune mutation économique, technologique ou démographique n’impose un système de compétition généralisée et un recul du contrôle public de l’économie ! Il y a des choix politiques délibérés, qui se sont effectués progressivement à partir de la fin des années 1970, pour aller vers une société de ce type. Les pays occidentaux ont abandonné le consensus social-démocrate de l’après-guerre qui était un accord sur le partage des gains de la croissance entre le travail et le capital, une certaine régulation de l’économie, et une priorité donnée à la croissance et à l’emploi dans les politiques économiques. Les priorités se sont renversées à la fin des années 1970. Ce changement de rapports de force est politique : ce n’est pas la technologie ou des Martiens qui sont tombés du ciel pour dire "maintenant on fait comme ça !"

La rupture de l’équilibre d’après-guerre est le fruit de plusieurs facteurs : l’effondrement progressif du système soviétique, et des régimes communistes en Europe, ainsi qu’un phénomène de générations. Les dirigeants et cadres qui arrivent au pouvoir à la charnière des années 1970-1980 ont objectivement intérêt à un renversement des priorités de la politique économique vers la lutte contre l’inflation et une meilleure rémunération du capital parce que ce sont des générations qui, grâce aux politiques anciennes menées pendant les trente glorieuses, ont pu accumuler un capital immobilier ou financier.

Ce choix politique se manifeste par le renversement de la politique monétaire et par la libéralisation de la circulation internationale des capitaux. Se crée alors une nouvelle compétition qui change totalement de nature. Avant, vous aviez une concurrence sur les produits, sur les biens pour qu’ils captent le mieux les marchés. Cette concurrence saine est remplacée par une compétition entre managers pour avoir le meilleur taux de rentabilité à court terme et ne pas se faire lâcher par les actionnaires.

Mais avait-on le choix de ne pas suivre cette évolution de libéralisation des mouvements de capitaux ?

Quand les Etats-Unis, puis la City, commencent à déréglementer les marchés financiers, cela crée une pression sur les autres, c’est vrai. Mais cet argument qui est : "on ne peut pas ne pas suivre le mouvement" n’est pas très sérieux, si vous considérez qu’un petit pays comme le Chili n’a pas suivi le mouvement, a toujours maintenu des contrôles stricts et des taxes sur les capitaux et ne s’en est pas plus mal porté. La Malaisie, au moment de la crise asiatique au milieu des années 1990, est sortie de la tourmente en décidant de fermer ses frontières aux capitaux. Et la Chine construit son développement économique sur un système qui met sa monnaie et son marché des capitaux à l’abri des mouvements de la finance internationale.

Vous ne proposez pas de modèle politique alternatif et dites qu’il faut avant tout mener une bataille d’idées...

Pourquoi acceptons-nous un système économique qui fait souffrir le plus grand nombre et nous conduit à une impasse écologique monumentale, juste au profit de quelques minorités qui détiennent le capital ? C’est une forme de servitude volontaire. Selon les néolibéraux, cette dureté est acceptée car elle s’inscrit dans la nature humaine qui est la loi de la jungle et le "chacun pour soi". Mais nous avons tous l’expérience dans notre vie que nous ne sommes pas que ça. Nous avons autant besoin d’être aimés, d’aimer, d’avoir des relations pacifiées avec les gens !

Le modèle néolibéral repose sur l’amputation brutale d’une de nos aspirations, celle de bien vivre ensemble, au profit de la seule aspiration à s’affirmer soi. Si nous acceptons la conception de la nature humaine portée par le modèle néolibéral, c’est parce qu’elle est ancrée dans l’histoire moderne des idées. La totalité des courants de la pensée politique, depuis Descartes, et des penseurs comme Hobbes, défendent cette conception dissociée d’un individu. Mon propos est qu’il faut se débarrasser de cette culture fausse. Nous sommes avant tout des être sociaux. La nature humaine se fonde sur une double aspiration : à être soi et à être avec les autres. Une société humaine est celle qui permet une interaction harmonieuse entre ces deux aspirations ! >>

 

Commentaires

@ PP

> Je viens de vous envoyer par mail une photo de chèques cadeaux que ma boîte m'a donné "pour les fêtes"
La phrase écrite dessus : "le Bonheur commence maintenant" avec une jeune femme tenant des sacs de course = le bonheur c'est consommer.

EL


[ PP à EL - Merci de l'envoi. Je vais utiliser la photo ! ]

réponse au commentaire

Écrit par : E Levavasseur / | 16/11/2018

CULTURE

> Le problème est que nous avons été depuis longtemps formatés à la pensée libérale. Sans remonter aux libéraux du XVIIIe siècle, voyez comment, depuis 1918 et surtout 45, la culture américaine a dominé l'Europe, façonnant notre système de pensée et le rendant incapable d'une vraie opposition.
Chez moi, chez mes amis, sur les sites qui se disent antilibéraux, cela mène toujours à un moment ou à un autre à des contradictions qui annulent tout le profit critique qu'on peut tirer de nos révoltes, et donc toute possibilité de remise en cause réelle du système.
La seule solution serait de long terme, en reprenant en main notre culture, en revenant à la maîtrise de notre langue et à l'étude prioritaire des grands penseurs et des grands auteurs qui ont été la base de l'éducation européenne pendant 2000 ans.
(cf Roland Gori, Un monde sans esprit)
______

Écrit par : Guadet / | 16/11/2018

> Quand les citoyens sont devenus uniquement des consommateurs !
______

Écrit par : TonyZ / | 17/11/2018

FONCE

> Et cette "dissociété" porte en elle l'impossibilité de sa propre
contestation, comme l'écrit Guadet. A la fois intellectuellement et ... matériellement.
Je ne sais pas si vous êtes au courant : hier, nous sommes censés avoir assisté au "Grand Soir" de la France périphérique. Un peu plus de 280 000 participants, certes... Mais pour quel résultat ? N'oublions pas que LMPT, à l'apogée du mouvement, c'était quasiment 2 millions de personnes. Une vraie lame de fond, populaire (avec une teinte plutôt CSP + il est vrai) et organisée. Et l'on sait ce que cela a donné.
Fonce Manu, fonce. Ceux capables de se mettre en travers de ta route ne sont (hélas) pas encore nés !
______

Écrit par : Feld / | 18/11/2018

LUDDISME

> Sur la nécessité d'un "luddisme numérique", cette tribune dans 'Libération':
https://www.liberation.fr/debats/2018/11/17/et-si-nous-nous-trompions-de-transition_1692567
______

Écrit par : Feld / | 18/11/2018

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