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31/12/2016

Les perspectives divino-humaines du prologue de Jean

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...selon l'hébraïsant André Chouraqui :


 

 "Monument" selon André Frossard, "traduction véritablement inspirée" selon Hans Urs von Balthasar, la traduction de la Bible par André Chouraqui (1917-2007) comporte une rétroversion  - du grec à l'hébreu et de l'hébreu au français -  de l'intégralité du Nouveau Testament. Cette entreprise linguistique et spirituelle fut saluée unanimement : sa puissance d'exploration ouvre au lecteur chrétien des perspectives inattendues dont se félicitent - on l'a vu -  les théologiens catholiques... En ce qui concerne saint Jean, Chouraqui écrit :

<<  Le génie de Jean consiste à employer le grec pour exprimer le mystère d'une vision hébraïque en créant [...] une sorte d'hébreu-grec où le ciel hébraïque se reflète dans son miroir hellénique. [...] Il donne à certain verbes grecs le sens qu'ils auraient en hébreu : 'voir' veut dire ainsi 'éprouver' ou 'jouir' ; 'répondre' a le sens du verbe 'ana' qui signifie 'prendre la parole'  [...]  Par rapport aux évangiles synoptiques, Jean remplace le thème fondamental de la prédication de Iéshoua', l'annonce du Royaume [...], par celui de la vie éternelle conçue comme un bien eschatologique divin et qu'il est possible de posséder dès maintenant. [...]  On peut justement penser que, ni dans la Bible ni dans la littérature universelle, il n'existe de livre comparable au quatrième évangile : il confirme en la complétant l'unité profonde de la Bible et de son ultime partie, le Nouveau Testament. >>

 

 

Prologue de l'évangile selon saint Jean dans la rétroversion d'André Chouraqui 

(avec bref résumé des commentaires de celui-ci)

 

<<  Entête, lui, le logos - et le logos, lui, pour Elohîms - et le logos, lui, Elohîms, lui entête pour Elohîms. Tour devient par lui : hors de lui, rien de ce qui advient ne devient... >>

►   'Entête', grec 'en archè', hébreu 'Beréshit' (comme en Genèse 1,1) : Jean souligne ainsi la complémentarité entre le récit de la création du monde et celui de son salut incarné. Beréshit  (grec en archè) habituellement traduit par "au commencement" veut dire littéralement "en tête" [1] ►  'lui' : plutôt que 'était', erreur théologique si l'on tient compte du substrat sémitique probable. ►  'le logos' :  la pensée de Jean se réfère à l' "Elohîm dit" de Genèse 1. Elohîms [2] crée le monde et se manifeste aux hommes par son Verbe : le Logos est à la fois créateur et salvateur. 'hors de lui' : la présence d'Adonaï manifestée par le Logos est nécessaire à toute naissance.

 

<< En lui la vie - la vie lumière des hommes. La lumière luit dans la ténèbre, et la ténèbre ne l'a pas saisie. Et c'est un homme, un envoyé d'Elohîms. Son nom, Iohanân. Il vient pour un témoignage, pour témoigner de la lumière, afin que tous adhèrent par lui. Il n'était pas la lumière, mais celui qui témoigne pour la lumière : la lumière, la vraie, qui éclaire tout homme venant dans l'univers. Lui, dans l'univers : et l'univers est engendré par lui, et l'univers ne l'a pas connu. Il est venu chez lui, mais les siens ne l'ont pas accueilli... >>

'dans l'univers' : le mot 'cosmos' est caractéristique de Jean. Il revient 105 fois dans l'évangile et les lettres de Jean et 3 fois dans l'Apocalypse, mais seulement 14 fois dans les synoptiques. Il correspond ici à l'hébreu 'olâm' (sens : la totalité du temps et de l'espace, sous l'aspect de leur mystère).  D'où la traduction par 'univers' et non par 'monde', qui a pris un sens plus étroit...  (Pour la pensée hébraïque, la faute de l'homme se reflète dans l'univers entier [3]). Le Logos, qualifié de 'lumière', est le véritable coeur du monde : son rayonnement est perçu par tout homme dans l'univers. ► 'chez lui' : "dans l'univers, sur sa terre, parmi son peuple, dans Ieroushalaïms qui est sa ville" (AC).

 

<< A tous ceux qui le reçoivent, il a donné le pouvoir de devenir enfants d'Elohîms : à ceux qui adhèrent à son nom, nés, eux, non du sang, non de vouloir de chair, non de vouloir d'homme, mais d'Elohîms...  >>

►  'le pouvoir' :  le droit, le privilège, la liberté, la dignité de réaliser ce que tout homme est : fils d'Adonaï Elohîms. ► 'qui adhèrent' formule plus proche de l'équivalent hébreu de la notion de 'foi' (émouna).  ► 'à son nom' : en hébreu le nom est identique à l'être [4]. ►  'non de vouloir d'homme' : "le véritable Israël n'est pas celui qui naît de la chair mais de la conformité de la conduite à l'ordre d'Elohîms, à la tora ; ici, à la personne et à l'annonce de Iéshoua" (AC).

 

<<  Le logos est devenu chair.  Il a planté sa tente parmi nous. Nous avons contemplé sa gloire, gloire comme celle d'un fils unique auprès du père, plein de chérissement et de vérité... >>

'Le logos'  réapparaît ici, non plus en tant que vie-lumière mais en tant qu'homme : le mot 'chair' (hébreu 'bassar') désignant l'homme tout entier (Genèse 6,3 ; Isaïe 40,6). "Le logos, parole d'Adonaï, s'est manifesté en l'homme qu'Adonaï a élu pour habiter en lui" (AC). ► 'il a planté sa tente' : sens exact du verbe grec 'eskènôsen' (de 'skènè', 'tente') qui correspond à l'hébreu 'shakân', 'demeurer' : d'où le mot 'shekhina' exprimant la présence d'Adonaï dans son sanctuaire. La 'tente' évoque le sanctuaire itinérant (Exode 33). ►  'sa gloire' : grec doxa, mais en hébreu le mot (kabod) est lié à l'idée de poids et de densité [5] ► 'chérissement' : grec charis, hébreu héssèd (Genèse 39,21) qui connote l'amour-miséricorde divin, fondement du Royaume éternel.

 

<< Iohanân témoigne de lui. Il crie et dit : "C'est de lui que j'ai dit : Après moi venu, devant moi devenu, parce qu'antérieur à moi il est !" Oui, de sa plénitude nous recevons tous, chérissement après chérissement. La tora a été donnée par Moshè ; le chérissement et la vérité sont advenus par Iéshoua le messie. Elohîms, personne ne l'a jamais vu ; l'unique Elohîms dans le sein du père, lui, entraîne... >>

'entraîne' : grec 'exegeisthaï' ('révéler', 'entraîner'). Seul l'Unique né d'Elohîms peut introduire à son Père : "ainsi le découvrement du fils unique dont l'évangile de Jean nous rapporte ici l'histoire introduit au découvrement suprême de son père, Adonaï Elohîms..." (AC).

 

______________

[1] 'Beréshit' :  de 'rosh', 'tête'.

[2] 'Elohîms' : restitution française (le 's' du pluriel) d' 'Elohîm' (pluriel hébreu de 'Eloha', fonctionnant comme un singulier) qui est l'un des divers noms de Dieu, comme 'Adonaï' ('Seigneur') etc.

[3]  Cf. la révolte du sol contre Caïn (Genèse 4). D'où l'écologie intégrale du pape François, issue du coeur de la révélation judéo-chrétienne.

[4]  Genèse 2 : en confiant à l'homme le soin de donner leurs divers noms aux diverses espèces animales, le Créateur lui confie la charge de leur être et de leur diversité. Ecologie intégrale, là encore.

[5]  Cf. la vision de Syméon, rêvée par Vladimir Volkoff dans Chroniques angéliques (taper Volkoff ici dans la fenêtre RECHERCHER).

 

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