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21/11/2016

Résister à "la force d'attraction du pouvoir"

pape françois

Le pouvoir est la pire tentation pour le chrétien ! Et dans cette homélie pour la clôture de l'Année de la Miséricorde, le pape François exhorte à "renoncer aux habitudes et aux coutumes qui font obstacle au règne de Dieu", c'est-à-dire  au culte du Moi (individuel ou collectif) :


           
 

MESSE POUR LA CLÔTURE DU JUBILÉ EXTRAORDINAIRE DE LA MISÉRICORDE

CHAPELLE PAPALE

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Solennité de Notre Seigneur Jésus Christ, Roi de l’Univers
place Saint-Pierre
dimanche 20 novembre 2016

 


 

 

<< La solennité de Notre Seigneur Jésus-Christ Roi de l’Univers couronne l’année liturgique ainsi que cette Année sainte de la miséricorde. L’Évangile présente, en effet, la royauté de Jésus au sommet de son œuvre de salut, et il le fait de manière surprenante. « Le Messie de Dieu, l’Élu, le Roi » (Lc 23,35.37) apparaît sans pouvoir et sans gloire : il est sur la croix où il semble être plus vaincu que victorieux. Sa royauté est paradoxale : son trône c’est la croix ; sa couronne est d’épines, il n’a pas de sceptre mais un roseau lui est mis dans la main ; il ne porte pas d’habits somptueux mais il est privé de sa tunique ; il n’a pas d’anneaux étincelants aux doigts mais ses mains sont transpercées par les clous ; il n’a pas de trésor mais il est vendu pour trente pièces.

Vraiment le royaume de Jésus n’est pas de ce monde (cf. Jn 18,36) ; mais en lui, nous dit l’Apôtre Paul dans la seconde lecture, nous trouvons la rédemption et le pardon (cf. Col 1,13-14). Car la grandeur de son règne n’est pas la puissance selon le monde mais l’amour de Dieu, un amour capable de rejoindre et de guérir toute chose. Par cet amour, le Christ s’est abaissé jusqu’à nous, il a habité notre misère humaine, il a éprouvé notre condition la plus misérable : l’injustice, la trahison, l’abandon ; il a fait l’expérience de la mort, du tombeau, des enfers. De cette manière, notre Roi est allé jusqu’aux limites de l’univers pour embrasser et sauver tout être vivant. Il ne nous a pas condamnés, il ne nous a même pas conquis, il n’a jamais violé notre liberté mais il s’est fait chemin avec l’humble amour qui excuse tout, qui espère tout, qui supporte tout, (cf. 1Co 13,7). Seul cet amour a vaincu et continue à vaincre nos grands adversaires : le péché, la mort, la peur.

Aujourd’hui, chers frères et sœurs, nous proclamons cette singulière victoire par laquelle Jésus est devenu Roi des siècles, le Seigneur de l’histoire : par la seule toute puissance de l’amour qui est la nature de Dieu, sa vie même, et qui n’aura jamais de fin (cf. 1Co 13,8). Avec joie nous partageons la beauté d’avoir Jésus comme notre Roi : sa seigneurie d’amour transforme le péché en grâce, la mort en résurrection, la peur en confiance.

Mais ce serait peu de choses de croire que Jésus est Roi de l’univers et centre de l’histoire sans le faire devenir Seigneur de notre vie : tout ceci est vain si nous ne l’accueillons pas personnellement et si nous n’accueillons pas non plus sa manière de régner. Les personnages que l’Évangile de ce jour nous présente nous y aident. En plus de Jésus, trois figures l’accompagnent : le peuple qui regarde, le groupe qui se trouve près de la croix et un malfaiteur crucifié près de Jésus.

D’abord le Peuple : l’Évangile dit qu’il « restait là à observer » (Lc  23,35) : personne ne dit un mot, personne ne s’approche. Le peuple est loin, il regarde ce qui se passe. C’est le même peuple qui, en raison de ses besoins, se pressait autour de Jésus, et qui maintenant garde ses distances. Face aux circonstances de la vie ou devant nos attentes non réalisées, nous pouvons nous aussi avoir la tentation de prendre de la distance vis-à-vis de la royauté de Jésus, de ne pas accepter complètement le scandale de son humble amour, qui inquiète notre moi, qui dérange. On préfère rester à la fenêtre, se tenir à part plutôt que s’approcher et se faire proche. Mais le peuple saint, qui a Jésus comme Roi, est appelé à suivre sa voie d’amour concret ; à se demander, chacun, tous les jours : « Que me demande l’amour, où me pousse-t-il ? Quelle réponse je donne à Jésus par ma vie ? »

Il y a un second groupe qui comprend plusieurs personnes : les chefs du peuple, les soldats et un malfaiteur. Tous ceux-là se moquent de Jésus. Ils lui adressent la même provocation : « Qu’il se sauve lui-même ! » (cf. Lc 23,35.37.39). C’est une tentation pire que celle du peuple. Ici, ils tentent Jésus comme a fait le diable au début de l’Évangile (cf. Lc 4,1-13), pour qu’il renonce à régner à la manière de Dieu mais qu’il le fasse selon la logique du monde : qu’il descende de la croix et batte ses ennemis ! S’il est Dieu, qu’il montre sa puissance et sa supériorité ! Cette tentation est une attaque directe contre l’amour : « Sauve-toi toi-même » (vv 37.39) ; non pas les autres, mais toi-même. Que prévale le moi, avec sa force, avec sa gloire, avec son succès. C’est la tentation la plus terrible, la première et la dernière de l’Évangile. Mais face à cette attaque contre sa manière d’être, Jésus ne parle pas, ne réagit pas. Il ne se défend pas, il ne cherche pas à convaincre, il ne fait pas une apologétique de sa royauté. Il continue plutôt à aimer, il pardonne, il vit le moment de l’épreuve selon la volonté du Père, certain que l’amour portera du fruit.

Pour accueillir la royauté de Jésus nous sommes appelés à lutter contre cette tentation, à fixer le regard sur le Crucifié, pour lui devenir toujours plus fidèles. Que de fois, aussi parmi nous, les sécurités tranquillisantes offertes par le monde sont recherchées. Que de fois n’avons-nous pas été tentés de descendre de la croix. La force d’attraction du pouvoir et du succès a semblé être une voie facile et rapide pour répandre l’Évangile, oubliant trop vite comment opère le règne de Dieu.

Cette Année de la miséricorde nous a invités à redécouvrir le centre, à revenir à l’essentiel. Ce temps de miséricorde nous appelle à regarder le vrai visage de notre Roi, celui qui resplendit à Pâques, et à redécouvrir le visage jeune et beau de l’Église qui resplendit quand elle est accueillante, libre, fidèle, pauvre en moyens et riche en amour, missionnaire. La miséricorde, en nous portant au cœur de l’Évangile, nous exhorte aussi à renoncer aux habitudes et aux coutumes qui peuvent faire obstacle au service du règne de Dieu, à trouver notre orientation seulement dans l’éternelle et humble royauté de Jésus, et non dans l’adaptation aux royautés précaires et aux pouvoirs changeants de chaque époque.

Un autre personnage apparaît dans l’Evangile, plus proche de Jésus, le malfaiteur qui le prie en disant : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume » (v. 42). Cette personne, simplement en regardant Jésus, a cru en son règne. Il ne s’est pas fermé sur lui-même, mais, avec ses erreurs, ses péchés et ses ennuis il s’est adressé à Jésus. Il lui a demandé de se souvenir de lui et a éprouvé la miséricorde de Dieu : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (v. 43). Dieu se souvient de nous dès que nous lui en donnons la possibilité. Il est prêt à effacer complètement et pour toujours le péché, parce que sa mémoire n’enregistre pas le mal commis et ne tiens pas pour toujours compte des torts subis, à la différence de la nôtre. Dieu n’a pas la mémoire du péché, mais de nous, de chacun de nous, ses enfants bien aimés. Et il croit qu’il est toujours possible de recommencer, de se relever.

Nous aussi, demandons le don de cette mémoire ouverte et vivante. Demandons la grâce de ne jamais fermer les portes de la réconciliation et du pardon, mais de savoir dépasser le mal et les divergences, ouvrant toute voie d’espérance possible. De même que Dieu croit en nous-mêmes, infiniment au-delà de nos mérites, nous aussi sommes appelés à infuser l’espérance et donner leurs chances aux autres. Parce que, même si la Porte Sainte se ferme, la vraie porte de la miséricorde reste pour nous toujours grande ouverte, le Cœur du Christ. Du côté percé du Ressuscité jaillissent jusqu’à la fin des temps la miséricorde, la consolation et l’espérance.

Beaucoup de pèlerins ont passé les Portes saintes et, loin du bruit des commentaires, ont goûté la grande bonté du Seigneur. Remercions pour cela et rappelons-nous que nous avons été investis de miséricorde pour nous revêtir de sentiments de miséricorde, pour devenir aussi des instruments de miséricorde. Continuons notre chemin ensemble. Que la Vierge nous accompagne, elle aussi était près de la croix, elle nous a enfantés là comme tendre Mère de l’Église qui désire nous recueillir tous sous son manteau. Sous la croix elle a vu le bon larron recevoir le pardon et elle a pris le disciple de Jésus comme son fils. Elle est la Mère de miséricorde à qui nous nous confions : toute situation, toute prière, présentée à ses yeux miséricordieux ne restera pas sans réponse.  >>

 

 

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Commentaires

HOMÉLIE

> En cette période d'agitation électorale autour du pouvoir, une autre homélie prononcée pour la fête du Christ-Roi, par le dominicain TD Humbrecht... ça remet quelques idées en place :

"D’un Royaume à l’autre
Solennité du Christ-Roi
Homélie du fr. Thierry-Dominique Humbrecht o.p., dimanche 20 novembre 2016, année C

« Jésus, reviens ! Tu le vois, sans toi, rien ne va. Nos politiques déçoivent, ils tournent comme des girouettes, ils se noient dans la technique, ils oublient l’essentiel, mentent et trichent. Si encore ils étaient des dictateurs, s’ils étaient corrompus, nous saurions les renverser. Mais non ! Ils sont terriblement normaux, ils suivent la vague. Le problème est que la vague, c’est nous. Nos politiques déçoivent mais ils sont le miroir de ce que nous sommes devenus, une terre chrétienne qui a perdu son sel. Jésus, reviens ! Règne à leur place, consens à rétablir de la hauteur ! La grandeur de la France, venue du ciel ! »
Supposons que le Christ, lassé de nous entendre ainsi couiner, s’exécute. Le voici parmi nous, candidat à la royauté. Même native et de droit divin, toute royauté requiert l’acclamation populaire. À peine arrivé, il soulève autant d’espérance que de colère. Le ton monte, déjà on s’étripe, même ses partisans commencent à lui demander tout et son contraire. Le voici à la télévision, réduit à ânonner quelques éléments de langage, les formules-chocs de sa campagne. Le voici bombardé de questions, sans cesse interrompu par les journalistes, tant l’impolitesse, elle, règne sans partage et sans alternance politique. Le voici surtout pressé d’avouer avec quel parti il compte s’allier pour l’emporter. Lamentable perspective, n’est-ce pas ?
Pourtant c’est ainsi que le retour terrestre du Christ se passerait, version contemporaine de la question des Apôtres après la résurrection, la question des cancres : « Est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? » (Actes 1, 6). Le Christ règne au ciel mais nous le préférons sur terre. Telle est notre erreur politique, de tous les temps. Pourtant l’Écriture nous en instruit, écoutons-la.

« En ces jours-là, il n’y avait pas de roi en Israël », raconte le livre de Samuel (9-10). Mais Israël veut un roi, pour devenir comme les autres nations. Dieu dit à Samuel qu’il désapprouve ce projet. Un roi entre Dieu et son peuple deviendra le concurrent de Dieu. C’est ce qui s’est passé, en Israël, puis à travers les âges. Dieu ne voulait pas, Israël a insisté, Dieu a concédé. Il a accordé l’onction à Saül des mains de Samuel. Il cède toujours, c’est son amour de Père.
Que s’est-il passé ? Saül est devenu paranoïaque et consulteur de nécromanciennes ; David, le psalmiste inspiré, a fait tuer son rival amoureux puis a vieilli dans une luxure de satrape ; Salomon, le grand, le sage, est retombé dans l’idolâtrie polythéiste. Ce sont pourtant les meilleurs de la liste. Leurs petits défauts, même sanglants, ne sont rien en regard de l’essentiel, annoncé par Dieu : le roi terrestre devient une idole, il fait oublier le ciel. De plus, tout roi, quelle que soit sa couronne, sait que Dieu est pour lui un ultime rival.
Comme disait naguère Étienne Gilson, « Comment s’étonner, après cela, que tout César traite Dieu en suspect, ou même en adversaire ? Nous ne l’avons porté sur le trône que pour que Dieu ne règne plus sur nous. Qu’il se nomme le Roi, la République, le Parlement ou la Classe, César n’oubliera jamais quels pouvoirs il tient de son origine et ne se fera jamais faute de les exercer. Le premier de ces pouvoirs, c’est celui de nous réduire en esclavage (…). Cela ne serait rien. Lorsque c’est pour remplacer Dieu que l’on met un roi sur le trône, ce n’est pas seulement un chef politique que l’on se donne, c’est aussi bien un chef religieux, ou qui va tendre irrésistiblement à le devenir ».
Ainsi parlait Gilson en 19341. Pour ce qui est de chefs d’État devenus chefs religieux, nous y sommes, presque autant en terre de laïcité que dans n’importe quel pays pourvu d’une religion d’État.

Où est l’erreur des Apôtres et ensuite la nôtre ? Elle tient dans ce verset du Psaume 145 : « Ne comptez pas sur les puissants, des fils d’homme qui ne peuvent sauver ! » À nos politiques, nous demandons le salut, à tort ; au Christ-Roi, nous risquons de demander un régime politique idéal, à tort aussi. Cette inversion des rôles nous intrigue.
Oui, le Christ règne, mais à sa manière, non à la nôtre. Il règne comme Sauveur. Son domaine est celui de la restitution de notre identité, oui, mais d’enfants du Père, de baptisés, rachetés du péché, conduits à la gloire du ciel. Sa grâce s’étend à tout ce qui nous apporte le salut, le spirituel et l’humain ensemble, et donc le moral et le politique, si l’on veut, mais sous le rapport du salut. La royauté du Christ pulvérise ce que nos passions politiques ont de collé à la terre. Notre société idéale est dans l’éternité. Elle se prépare maintenant, la cité céleste est commencée, mais ne sera pas consommée ici. Notre finalité, personnelle et collective, est celle d’une autre société que le bien commun politique. Elle est la communion des saints, dans l’Église. La seule chrétienté, c’est l’Église. Tout le reste oscille entre copie de chrétienté et concurrence. L’Église, pour cette raison, est l’ultime rivale de tous les royaumes, parce qu’elle échappe aux puissants de ce monde. Elle enjambe les nations, elle échappe à leurs mots d’ordre, ses principes jugent les leurs. Puissent les chrétiens s’en souvenir et rester libres, fiers d’être fils de l’Église plutôt qu’esclaves des puissants, pour le royaume du Christ !

Osons nous l’avouer, comme tout débat politique, le nôtre fut décevant : voilà le Christ incarné mais rentré au ciel. Il n’a pas voulu régner sur nous ici-bas. Nous restons désemparés. Que faire, s’il ne se charge pas de nous conduire ? C’est pourtant simple : nous conduire nous-mêmes. La politique est œuvre humaine. Dieu n’aime pas la théocratie. Il respecte trop notre capacité d’initiative. Son gouvernement consiste à nous donner de nous gouverner nous-mêmes. Sa grâce est de nous restituer à notre part de nature. Toute la question est alors de déterminer à quelle fin et avec quels moyens. La seule politique humaine agréée par Dieu est celle qui se souvient qu’une autre politique, plus haute, requiert le meilleur de nous-mêmes, tant personnellement que collectivement.
Une autre cité, oui : l’État ne saurait y obliger, ni l’interdire, mais il doit tout faire pour la permettre. Ne lui en demandons pas davantage, il risquerait de s’y prendre mal, mais exigeons de lui d’être la cause dispositive d’une autre dimension que de lui-même. Le supplément d’âme, à moins que c’en soit plutôt le fondement, c’est à l’Église qu’il faut le demander et non à l’État.

Quiconque dénigre l’Église finit par se prosterner devant l’État. Quiconque aime l’Église du Christ respecte l’État et cherche à le servir, sans tout lui donner. L’Église du Christ sauve, l’État assure le bien commun. C’est toute la différence.
Notre vie est mélangée de cité céleste, tout ce qui appartient déjà à Dieu, et de cité terrestre, tout ce qui lui est étranger. Trop de passion politique nous fait oublier le salut, parce qu’elle est une charité de substitution. Ne nous trompons pas de cité."
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Écrit par : Alex / | 23/11/2016

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