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19/10/2016

Contre la société de marchés, "refaire le politique"

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Résumé de la conférence de Matthieu Detchessahar

au colloque Catholiques en action (15/10) :


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Matthieu Detchessahar est docteur en gestion, agrégé des universités, professeur à l'institut d'économie et de management de l'université de Nantes, et membre du groupe de recherche 'Anthropologie chrétienne et entreprise'. En 2015 il a publié l'essai 'Le marché n'a pas de morale' (Cerf) où il soutient la révolution du pape François, "transformation que propose la pensée sociale de l'Eglise" pour sortir de la "société de marchés" :  appel urgent "à l'époque où les mirages du marché tournent aux cauchemars de l'inégalité". Le 15 octobre dernier, à Paris, ouvrant le colloque 'Catholiques en action' qui se tenait sur le thème 'Refaire le politique', Matthieu Detchessahar a fait applaudir une critique catholique et radicale du libéralisme. Voici un bref résumé de la conférence d'après les notes d'auditeur :

 

 

► S'il faut aujourd'hui "refaire le politique" (thème de ce colloque), c'est que le politique en notre temps a subi la même dislocation que toute la société :  un processus de dissociété pousse à faire éclater toutes les structures et à rendre insolubles tous les problèmes. Ce processus touche en effet tous les domaines et ce que l'on appelle les "grands régimes d'attachement" :  sens de l'économie, emploi, famille, natalité, civisme politique, solidarités syndicales... D'où vient ce processus de dislocation ? L'opinion a tendance à ne voir que ses causes secondes : mondialisation, crise, voire migrations, etc.... Mais il y a une cause première. C'est une fausse conception de la société : la "société de marchés", tendance revenue au galop depuis trente ou quarante ans - mais qui est lourde et récurrente depuis deux siècles.

La société de marchés - servie par la droite et la gauche - repose sur le couple indissociable du libéralisme philosophique et du libéralisme économique [1] : "le libéralisme philosophique", dit-il, soutient "l'expansion illimitée du marché en tous domaines et la marchandisation qui dévore la société elle-même".

 

► Analysant le processus, Matthieu Detchessahar voit sa racine dans le fait de fonder le lien social, non plus sur la conscience collective de la société (valeurs, histoire, culture), mais sur les rapports économiques censés devenir la nouvelle "colle" sociale. "Le programme libéral tend à faire de l'économie le seul fondement de la vie en société", observe Pierre Manent. Chercher une éthique commune serait superflu, voire gênant ; produire des biens, inter-agir pour commercer, est censé suffire à faire tenir ensemble la société, tous ayant "intérêt" (axiome) à coopérer dans ce domaine.  On connaît le principe de Mandeville : "Les vices privés font le bien public", et celui d'Adam Smith : "Ce n'est pas de la bienveillance du boucher que nous attendons notre dîner".

Toutes les structures sociales seront disloquées par ce système. Les institutions publiques (lois, tribunaux) n'auront plus pour mission que de "sécuriser" les relations économiques privées. Aucune morale publique ni privée ne subsistera : selon le principe de Mandeville, l'intérêt économique veut que les vices privés se développent... Le commerce étant devenu "le but unique et véritable des nations" (Benjamin Constant), le dogme économique libéral devient nouvelle religion - bientôt seule admise ? -  et se substitue à tout : la "croissance" sera censée résoudre tous les problèmes. 

Mais il est suicidaire de croire tout résoudre en le diluant dans l'économique. Ainsi les questions liées à l'immigration : le libéralisme pose en absolu le dogme de la "société ouverte", dont l'une des applications consiste à favoriser les déplacements massifs de population comme variable de résolution des problèmes économiques ; l'intégration de ces foules est censée s'opérer par le seul effet de "la croissance", puisque l'immigré vu par l'idéologie de marché n'est qu'un individu abstrait, interchangeable et hors-sol [2]. Ainsi (aussi) les questions liées à l'enseignement :  la transmission culturelle n'offre pas d'intérêt selon l'économicisme, ce qui brouille en profondeur la mission de l'Education nationale.

 

► Dès le XIXe siècle, Durkheim annonçait que la dissolution de toute société serait la conséquence de la société de marchés. Hayek, grande figure de la pensée libérale au XXe siècle, professe l'inutilité des valeurs éthiques : "seule suffit la foi dans les mécanismes d'ajustement spontanés des marchés"... C'est à ce système que l'on doit aujourd'hui la banalisation et la promotion de comportements jadis répréhensibles : la seule institution disant ce qui est bon ou mauvais - selon sa propre logique - est le marché. C'est ainsi qu'Eurostat a incorporé les revenus de la drogue et de la prostitution dans le calcul du PIB dans l'Union européenne, afin d'augmenter la croissance pour pouvoir "respecter les critères de Maastricht".

 

► Les conséquences du système sont sous nos yeux. Le profit n'étant plus moyen mais but ultime de la société, la "performance" (profitabilité) devient le seul critère, chacun doit être libre de vendre tout et n'importe quoi : quitte à arnaquer la clientèle (subprimes) ou à créer des business antisociaux (marché de l'adultère) du moment que "c'est de la croissance".  Dans le cadre de la privatisation de tout, la culture populaire est effacée au profit des écrans, outil fournissant aux annonceurs des "tranches de cerveau disponibles" ; écrans envahis par le trash avec son impératif comportemental (ultralibéral) de guerre de tous contre tous : ainsi les émissions de télé-réalité, où les concurrents doivent feindre de coopérer puis se liquider les uns les autres... Allégorie télévisée du changement de nature du lien social en général, alors que l"individualisme cupide est promu comme norme de comportement dans l'entreprise ! Quant aux conséquences ultérieures, elles se profilent déjà : "c'est le marché du transhumanisme, destiné logiquement à s'imposer partout - et peu importe que ça détruise la société."

 

► Sur le plan culturel, le culte de la consommation et de l'immédiateté - produit de masse du système ici décrit - détruit les relations humaines : on "consomme" les autres au lieu de les rencontrer. L'obsession du "réseau", fabriquée par l'industrie de la communication, multiplie les pseudo-contacts  ("profitables") mais enferme l'individu en lui-même. Elle pollue l'enseignement : à propos d'une école, les parents formatés voudront seulement savoir si tel établissement "a un réseau" et si ses enseignants sont "des praticiens" (du business).

Plus profondément, la société de marchés est une "société du liquide", où l'on ne doit s'investir durablement dans rien - pour garder l'illusion de pouvoir être "présent partout". On prend en horreur l'idée de tout engagement individuel qui ne produirait que des biens collectifs. L'amour lui-même est pris dans cet engrenage : ses liens ne doivent plus être que provisoires et révisables. L'individu est pris dans une fausse liberté qui est une vraie solitude, avec pour exutoire la nouvelle passion d'exhiber et raconter son malheur - puisqu'on est seul.

Et la conséquence latérale de cela, c'est le transfert du lien social (dissous par la grande société) dans de petites communautés : d'où, entre autres, le développement de l'ethnicisme [3].

 

►  Matthieu Detchessahar conclut en appelant à "refaire le politique", et pour cela devenir capables de débattre des fondements moraux - non pas seulement économiques - de la société. La bataille actuelle est donc culturelle : dans l'éducation, dans l'enseignement, dans les médias, dans les métiers culturels et artistiques... Il s'agit de remettre en lumière la notion du juste et de l'injuste, le socle éthique à la base de toutes les coopérations dynamiques. Donc aussi de l'économie.

 

__________

[1]   Matthieu Detchessahar et la DSE écartent ainsi l'axiome libéral-conservateur selon lequel le libéralisme économique ("bon") serait autre chose que le libéralisme philosophique ("mauvais"). Les idées ne tombent pas de la lune.

[2]  Raisonnement mutilant sur le plan humain. D'autre part, les libéraux ne se demandent pas ce qu'il adviendra de ces foules (et comment on résoudra les problèmes qu'elles posent) si la croissance disparaît... C'est à quoi nous assistons en 2016.

[3]  Et pas seulement chez les immigrés : cf. la dégénérescence du "patriotisme" en... racialisme.

 

 

Commentaires

DANS LE MUR

> "La "croissance" sera censée résoudre tous les problèmes."!!!
A moins d'être complètement idiot ou abruti par la propagande idéologique du libéralisme, il est aujourd'hui parfaitement clair que la "croissance" non seulement ne résoudra pas tous les problèmes, mais qu'elle nous conduit droit dans le mur! Nous commençons à toucher du doigt les limites au-delà desquelles nous nous saborderons. Nous sommes responsables de notre frère, du destin de l'Homme. De jour en jour cette responsabilité croît entre nos mains. L'inhumanité conduit droit à la mort et le transhumanisme nous arrachera notre coeur. Appuyons-nous sur "petite Espérance" et refusons les esclavages, c'est ainsi qu'il convient de procéder en politique!
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Écrit par : Pierronne la Bretonne / | 19/10/2016

NOMMER LE MONSTRE

> Cette économie ultralibérale de l’assèchement (des flux financiers au profit de quelques-uns) et de l’asservissement (du plus grand nombre à une vie nombrilique et compulso-computative) s’affirme jour après jour comme le nouveau totalitarisme du 21e siècle, celui contre lequel il faut se lever et lutter debout, pied à pied.
Une religion de l’Argent et de l’Individu qui s’échine à dissoudre tout ce qui est de l’ordre du bien commun, seul comptant… le comptant, le cash numérique, le crédit computatif, digital et bancaire de l’individu et la mesure de sa capacité à consommer, à se vendre, à marchander égoïstement, dans son coin… marqué du signe de la Bête, sur le front ou la main.
Il reste encore à qualifier précisément ce totalitarisme. Il est urgent de nommer le Mal. Nous avons combattu le nazisme, le fascisme, le communisme… Et maintenant ? Le mammonisme, l’egoselfisme, le digitalautisme, le cashtattooisme, le computatavisme, l’autoservagisme, le selflibéralisme, l’autobrexitisme, l’automercantilisme… Y’a rien à faire, je vois le monstre s’approcher mais je ne discerne pas encore son nom !
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Écrit par : Denis / | 19/10/2016

à Denis

> Peut-être "Idiocracy" ? titre d'un film hilarant de Mike Judge et Ethan Cohen (2006) trop rarement diffusé. Voir sa notice wiki.
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Écrit par : dumb & dumber / | 19/10/2016

à Denis :

> Le "mammonisme", culte surnaturel du marché , devrait convenir comme appellation - avec pour profession de foi la phrase de Hayek citée par P. de Plunkett : "seule suffit la foi dans les mécanismes d'ajustement spontanés des marchés".
En ces temps où nos politiciens utilisent le mot "laïcité" au moins dix fois par jour, voilà pour eux une occasion rêvée de faire leurs preuves.

SL


[ PP à SL
- Précision : ce n'est pas moi qui citais Hayek mais le conférencier.
- Je partage son point de vue sur cet auteur, idéologue du tiroir-caisse qui fut le Grand Fétiche de la droite horlogère pendant vingt ans : vulgarité absolue de la part de gens qui se voulaient "classe". ]

réponse au commentaire

Écrit par : Sven Laval / | 19/10/2016

DES ÊTRES DE COMMUNION

> Denis m'oblige à rappeler ici une chose essentielle, fondamentale: l'individualisme, l'égoïsme, l'esprit du requin que d'aucuns prônent actuellement comme moteur de progrès - progrès résumé bêtement à la sacro-sainte croissance économique - et mis en avant par certains comme quintessence de l'évolution, ne sont en vérité que menterie, illusion mortifère.
L'authentique progrès, la vraie quintessence de notre vocation, la seule qui puisse effectivement nous épanouir et qui en fin de compte nous accomplira, c'est la solidarité, car nous sommes par essence des êtres de communion. Vivifiante, c'est à cette dernière qu'appartient l'avenir de l'Homme.
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Écrit par : Pierronne la Bretonne / | 20/10/2016

JURISTE

> Dans le même sens, un remarquable article d'une juriste, Valérie Bugault, sur un site ou il y n'y a pas que du bon. mais ceci est excellent, dépassant la question sociale et considérant la géopolitique.
http://www.medias-presse.info/les-colonnes-infernales-de-la-defaite-civilisationnelle-valerie-bugault/62523
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Écrit par : Pierre Huet / | 20/10/2016

SYNTHÈSE

> Merci PP pour cette excellente synthèse.
Pour ceux qui veulent revivre cette conférence, voici le lien vidéo :
http://www.ichtus.fr/la-politique-nest-pas-un-taux-de-croissance/
Dans le même registre, le discours d'Axel Rokvam (Les Veilleurs) à la tribune LMPT du 16 octobre :
https://www.youtube.com/watch?v=zvbLdQrPNBo

Écrit par : Guillaume de Prémare / | 22/10/2016

AXEL ROKVAM

> Celui des discours à la MPT du 16/10 dont aucun média n'a voulu parler, évidemment (à cause du passage où j'ai mis une flèche) :

« Chers amis,
Voilà donc presque quatre ans que notre mouvement social, visible aujourd’hui et lors des grands rassemblements de « La Manif Pour Tous », semble avoir ré ouvert l’Histoire. De nouvelles perspectives politiques, un renouveau associatif, scolaire et même un certain approfondissement spirituel en sont les meilleurs témoins.
Depuis quatre ans, nombreux, parmi vous, sont ceux qui ont retroussé leurs manches et se sont engagés de manière désintéressée au service d’un bien supérieur, un bien commun. Investi chacun à notre manière dans nos familles, auprès de nos voisins ou plus encore, nous jetons les bases d’une civilisation nouvelle et durable, fondée sur le don libre et gratuit des personnes.
► Si nous réduisons le monde à un ensemble de rapports marchands et si nous appelons progrès l’accroissement des bien temporels, l’argent deviendra notre maître et rien n’échappera
à son emprise, rien ne sera perçu en dehors de son utilité en vue de cet enrichissement, nos amis deviendront notre réseau, la télévision ne fera plus que vendre du temps de cerveau disponible, les lois morales seront remplacées par les lois écrites et les intérêts particuliers feront main basse sur les graines, sur les espèces animales, sur les océans et les déserts,
l’eau et l’air, et aujourd’hui les femmes et les enfants. Tout ce qui sera maitrisé par la technique ne le sera qu’en vue d’un profit matériel, à commencer par celui qui est le plus accessible,
le plus vulnérable.
Mais face au pouvoir du marché et sa colonisation idéologique, rien ne semble arrêter aujourd’hui la force amoureuse de la résistance française. Nous ne pouvons plus faire marche arrière face à l’approfondissement qu’exige notre mouvement social depuis quatre ans. Veilleurs, nous savons qu’un peuple n’est pas forgé par un contrat, pas plus qu’un couple ou une entreprise quelconque, parce qu’une appartenance ne se réduit pas au contrat qui la formalise.
Pour unir à nouveau les Français, il nous faut donc retrouver ce qui a forgé notre culture, notre morale, notre vision commune de ce qui est bien et de ce qui est mal. Dès lors, résister, aujourd’hui, c’est construire, c’est reconstruire, c’est se construire. C’est que nous permettent notamment la philosophie, la littérature, le témoignage de notre histoire comme la découverte de notre identité sexuée. Au sein de près de quarante veillées par mois, les Veilleurs font toujours revivre et rayonner cet héritage sur les places publiques. Rejoignez-les ! Rejoignez-nous, ici-même, ce soir à 19h30 pour une veillée sur le thème de la famille. Merci à tous. »
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Écrit par : luça / | 23/10/2016

à Luça

> "Celui des discours à la MPT dont aucun média n'a voulu parler". En effet!
Autre exemple : en 2015 aucun média non plus n'a voulu parler du mauvais quart d'heure que l'animateur du débat à la Sainte-Baume a fait passer aux deux politiciens libéraux invités au débat (Maréchal-LePen et Mariton).
Ou encore en 2015 : aucun média présent à Saint-Etienne (Assises chrétiennes de l'écologie, deux mille personnes) le même jour que la Sainte-Baume (soixante personnes mais trente journalistes au moins).
Vous croyez que c'est involontaire ?
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Écrit par : a. ancelin / | 23/10/2016

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