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22/09/2016

"Les grandes figures catholiques de la France"

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Le nouveau livre de François Huguenin :


 

 

Le travail des historiens a dégonflé les mythologies nées des "nationalismes romantiques" du XIXe siècle : on sait aujourd'hui qu'aucune nation n'est prédestinée. L'histoire de France n'est pas une histoire sainte. Le catholicisme est la matrice de la civilisation française classique ; mais peut-on dire que la France en tant qu'Etat (et que peuple) soit "la fille aînée de l'Eglise", formule pseudo-médiévale fabriquée au XIXe siècle [*] ? Et si elle l'était,  ça ne conférerait aux Français aucun droit, mais exclusivement des devoirs en vertu de l'Evangile. On ne saurait donc fonder sur cette "filiation" une posture identitaire - et encore moins ethniciste.

D'où le grand intérêt du livre de François Huguenin qui paraît cette semaine : quinze portraits, de Clovis à de Gaulle en passant par saint Louis ou saint Vincent de Paul.

La culture sociétale de la France fut catholique, souligne Huguenin. C'est un fait, même si des politiciens le nient, ainsi que l'existence même de racines chrétiennes en Europe. Mais Huguenin signale que France "catholique" n'est pas toujours synonyme de France "chrétienne". Nuance exacte ! (Et redoutable : on le constate aujourd'hui où un certain "catholicisme" sociologique, bruyant mais dissimulant un ethnicisme et une mentalité de classe, se montre hostile à l'Eglise réelle et surtout au pape...). Les nostalgiques s'étonneront de découvrir - en lisant Huguenin - que la couronne de France, fille-aînée-de-l'Eglise, n'eut rien de plus pressé que de "créer cette tendance gallicane où le roi n'est jamais loin d'être, sinon le chef, tout au moins le garant de l'Eglise nationale".  Tendance qui engendrera par exemple la décadence du monachisme français, asphyxié par la main-mise royale sur les abbayes. Ou le désastre de l'exil des Français protestants, à cause de l'abrogation de l'édit de Nantes - décidée pour tenter de "compenser" aux yeux de Rome la main-mise royale sur des évêchés...

Ce catholicisme-là n'étant pas tout à fait synonyme de foi chrétienne, il y a dans les quinze portraits du livre plusieurs lignes qui s'entrecroisent et divergent :

-  la ligne des grands spirituels et des apôtres : Bernard de Clairvaux, Vincent de Paul, Thérèse de Lisieux ;  l'Evangile fulgurant à travers les ombres des temps.

-  la ligne des inclassables : Jeanne d'Arc, ou Pascal en qui Huguenin voit "le génie de la France".

-  la ligne des "politiques catholiques", forcément discutables en tant que politiques : saint Louis, Philippe le Bel, Richelieu, Louis XIV, Louis XVI, ou (en un tout autre contexte) Charles de Gaulle...

Prenons le cas de Gaulle. Très grande figure. Tardive, mais exemplaire... Tardive au regard de ces quinze siècles ; exemplaire des ambiguités du "catholique en politique". L'homme de Gaulle est indiscutablement catholique, au for interne : l'intime et le familial. Moins évidente est l'influence du catholicisme sur son action. Ses ennemis rétrospectifs le taxent de froideur, de cynisme, voire d'inhumanité : ils citent le cruel abandon des harkis en 1962... Mais si l'on regarde le passé, on constate avec Huguenin que ce genre de procès dépasse largement le cas de Gaulle : les "politiques catholiques" de l'histoire de France ont tous un bilan suspect. Sans remonter aux Carolingiens ni même aux Valois, mentionnons Richelieu : ce cardinal allié de princes protestants pour attiser dans les Allemagnes une guerre atroce et très longue (trente ans) qui extermina un tiers de la population...

Soyons équitable : les Français ne sont pas seuls en cause. Au bilan du grand roi catholique Philippe II d'Espagne, on voit les centaines de milliers de cadavres et les monceaux de ruines des inutiles guerres de Flandre. Au bilan de son père le non moins grand catholique Charles-Quint, il y a (entre autres) les six mois d'enfer du sac de Rome par ses lansquenets - luthériens - en 1527... Y eut-il jamais quelque part une politique "catholique" véritablement chrétienne ?  On peut en douter si l'on ne s'en tient pas à l'imagerie pieuse - à laquelle le livre de Huguenin ne fait aucune concession, rare liberté d'esprit qui vaut d'être applaudie et soulignée.

C'est néanmoins un livre de piété envers les ancêtres : piété intelligente, sachant que la vraie tradition est critique. Et piété de pédagogue. A notre époque où l'école publique booste l'amnésie, il est urgent de donner aux jeunes de tels aperçus de l'histoire : une histoire réelle, donc complexe et déconcertante comme la nature humaine.

 

François Huguenin,  Les grandes figures catholiques de la France  (Perrin 373 p., 23 €).

 

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[*]  Un chroniqueur médiéval avait déclaré la couronne de France "fille aînée de l'Eglise", à cause du baptême de Clovis et du sacre de Charlemagne. Cette formule est devenue après 1830 (sous la plume d'ex-royalistes) : "France fille aînée de l'Eglise" ; glissement rhétorique peu soutenable sur le plan de la théologie et de la sociologie. Mais l'expression a surnagé, y compris dans des discours pontificaux.

 

19:43 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : catholiques

Commentaires

MARIE de HENNEZEL ET MITTERRAND

> Dans le dernier numéro de 'Psychologies' (magazine que, par ailleurs, je trouve de plus en plus médiocre, ce depuis au moins 5-6 ans), une très intéressante interview de Marie de Hennezel, au sujet de son dernier livre, consacré à l'"amitié spirituelle " qui l'a liée à F. Mitterrand.
http://www.psychologies.com/Culture/Spiritualites/Pratiques-spirituelles/Articles-et-Dossiers/Francois-Mitterrand-sa-vie-spirituelle-secrete
A un moment de l'interview (de mémoire, je n'ai pas le magazine sous les yeux), elle dit que la dimension spirituelle (qu'elle distingue bien de l'appartenance religieuse) participe de la stature de chef d'Etat. Dimension qui, ajoute-t-elle, a manqué cruellement aux deux derniers présidents de la République française...
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Écrit par : Feld / | 22/09/2016

RICHELIEU

> Richelieu est un cas intéressant de la tension entre l'idéal chrétien et l'exigence de réalisme de la politique. Je suis en train de lire un livre à son sujet, où l'auteur montre, citations de lettre et de ses mémoires à l'appui, le cas de conscience que lui posait cette guerre.
Il était convaincu que laisser les Habsbourg écraser les princes protestants allemands c'était une "paix inique", source de nouvelles guerres, pires encore.
A-t-il eu tort ou raison du point de vue du chrétien ? On ne refait pas l'histoire. La France n'a plus connu d'invasions pendant cent cinquante ans après la mort du Cardinal. Du point de vue du politique, la réussite est donc indéniable.
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Écrit par : Ferrante / | 23/09/2016

POLITIQUE ET RELIGION

> Et oui, le lien Eglise-Etat ou plutôt Religion-Royaume reste toujours vrai après plus de 2000 ans d'histoire, et même 4000 si l'on suit l'histoire du peuple hébreu, et ce qui faisait l'unité (politique) du peuple (et donc le schisme religieux lors de la séparation du royaume d’Israël avec le royaume de Juda).
C'était vrai chez les Grecs, c'était vrai aussi chez les Romains : un bon citoyen est celui qui a la même religion que le gouvernement, et que toute la cité. La religion : ce qui relie les hommes.
D'où la difficulté d'être chrétien chez les Romains, et de ne pas être "relié aux autres" par le culte de l'empereur (et la peur de l'empereur d'avoir dans ses citoyens des personnes "non reliées à lui").
D'où les persécutions.
C'était vrai aussi en Espagne au XVI° : l'unité espagnole devant être réalisée d'une façon ou d'une autre, et comme elle ne pouvait être faite sur la langue (trop de langues différentes et impossibles à supprimer, encore aujourd'hui), ni sur la loi (trop de lois locales et spécifiques avec partout des gens "attachés à leurs petits avantages"), il ne restait que la "religion". Donc exit les non catholiques (juifs et musulmans).
Idem en France sous Louis XIV qui vire les protestants plus pour des raisons politiques que religieuses (Louis XIV s'allie à un musulman pour faire la guerre à un duché catholique : Nice, et il fait la guerre à des royaumes protestants d'Europe du Nord).
Cette problématique de "l"unité nationale" explique une partie des schismes des Eglises chrétiennes de l'Antiquité au Moyen-Orient (les minorités religieuses chrétiennes pour survivre dans certains royaumes perses devaient expliquée qu'elle n'étaient pas amies du royaume voisin et ennemie, et donc qu'elles n'avaient pas le même Dieu que le roi d'en face, d'où la nécessité d'un schisme religieux).
Et aussi, une petite partie, de l'attachement de certaines Eglises orthodoxes au pouvoir politique de leur nation (et inversement) et donc au final, la multiplication des patriarcat orthodoxe dans une ribambelle de pays.
D'où aussi l'attachement à l'athéisme des dictatures communistes (le même dieu commun : aucun, ou plus exactement le chef suprême, que ce soit Staline, Mao, Pol Pot, ...) avec une divinisation et un culte qui plagie la religion chrétienne.
D'où également la quadrature du cercle des laïcards qui ne savent plus comment mettre en place l'unité de la nation face au multi-culturalisme et la multi-religion qu'ils prônent, n'osant imposer un athéisme obligatoire.
Politique-Religion sont unis depuis des millénaires, et rarement dans l'intérêt (et au bénéfice) de la religion.

Bergil


[ PP Bergil :
Le culte impérial romain a pour vocation d'être le "lien civique" d'un empire de plus en plus disparate. Il est politique par nature.
La foi chrétienne est d'une autre essence. Quand elle se devient politique, elle se nie donc elle-même. Tout est dit dans la formule de Jésus distinguant Dieu et César ! Si on les confond de nouveau, on nie l'Evangile. On paganise le christianisme. On devient des athées pieux. ]

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Écrit par : Bergil / | 23/09/2016

"MES PEUPLES"

> Un détail qui montre que la France n'a pas été d'emblée une entité homogène : Louis XIV disait "mes peuples" et non "mon peuple".

Bernadette


[ PP à Bernadette :
Exactement. Il faudra attendre la IIIe République pour que s'abatte sur les cultures régionales la poigne de fer du jacobinisme idéologique (après le précédent de 1793...) : "Défense de cracher par terre et de parler breton". Etudier l'action du ministère de l'Instruction publique à la Belle Epoque, c'est - notamment - comprendre que le mythe gaulois servit à ça. Le ressortir aujourd'hui est très ambigu, ou symptomatique.
Si M. Sarkozy réfléchissait au lieu de chercher seulement des incongruités à proclamer pour faire le buzz, il verrait que l'intégration des immigrés (leur francisation, n'hésitons pas à le dire) est un objectif CULTUREL : objectif que vient contredire de plein fouet le mythe ETHNIQUE de l'Urvolk "gaulois". Les immigrés peuvent devenir culturellement des Français ; mais prétendre leur imposer un surmoi (pseudo-génétique) "gaulois" est juste grotesque. ]

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Écrit par : Bernadette / | 23/09/2016

ET/OU

> Voilà qui est dit : distinction catholique et/ou chrétien.

ADV


[ PP à ADV - Il est navrant de devoir constater que certains se réclament tapageusement du "catholicisme" mais développent des positions contraires à l'Evangile, donc au christianisme ! Positions qui contredisent (ouvertement ou obliquement) celles de l'Eglise réelle... ]

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Écrit par : Alain De Vos / | 23/09/2016

FILLE AÎNÉE, DESTINÉE MANIFESTE, ETC

> Grand sujet difficile que celui des politiques catholiques,
cependant sur les aspects de la destinée manifeste de la France, l'expression fille aînée de l'Eglise, je crois que, tout comme quand on scrute l'Evangile ou la tradition religieuse, il ne faut pas tomber dans une idolâtrie de l'archéologie.
Je suis plutôt partisan de la véracité de cette expression, avec la conscience que cela ne donne que des devoirs.
Pourquoi ? Parce que de nombreux spirituels en ont eu la confirmation, et que cette expression, quelle que soit sa racine, n'est plus une réalité proprement politique. Elle est souillée par le calcul politique, mais pour moi elle est passée dans le rang des mystères spirituels. Comment expliquer cela, je n'en sais rien, je pense justement que c'est inexplicable. Mais la France est spirituellement d'un singularité radicale, tant par la masse de ses saints, et ses apparitions, de ses mystiques... Et ceci n'est pas un détail, c'est la véritable histoire, celle du salut : la seule qui comptera, les autres histoires s'évanouiront comme poudre d'illusion à l'aune de l'éternité.
En tout cas, tous les spirituels le disent : Dieu a ses préférences, qui ne signifient pas qu'une entité est meilleure qu'une autre... mais que chacun est appelé à une place singulière, cf l'histoire des fleurs de Ste Thérèse de Lisieux (et de St François de Sales aussi).

perlapin



[ PP à P. - Inférer du nombre de saints quoi que ce soit à propos de la nation en tant que corps social, c'est insoutenable sur le plan théologique. On baptise une personne, pas un peuple...
Sans compter que l'Italie, ou la Pologne, ou l'Espagne, sont bien peuplées en saints elles aussi.
Quant à la "destinée manifeste", "manifest destiny", laissons ce slogan à son inventeur US de 1845, John O'Sullivan, qui justifiait par ce mythe la conquête de l'Ouest et le génocide des Amérindiens... "(« It is our manifest destiny to overspread the continent alloted by Providence for the free development of our yearly multiplying millions »). Paganisation à vocabulaire pseudo-chrétien ! ]

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Écrit par : perlapin / | 26/09/2016

@ PP

> Tout à fait d'accord avec vous (sur votre réponse à mon post).
D'où l'éternel problème des politiques qui cherchent à contrôler et "dominer" la religion (quelle qu'elle soit) ... dans une fin politique (et éventuellement sociale).
______

Écrit par : Bergil / | 26/09/2016

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