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05/07/2016

La City après le Brexit : une mise en garde de Gaël Giraud

brexit,finance

L'économiste jésuite dénonce le dumping fiscal de Londres. Il plaide pour un "changement radical" du modèle de société :


 

 

En Angleterre, le Brexit n'en finit pas de déployer ses ambiguités... et de décevoir ceux qui avaient voté sincèrement pour lui. Michael Gove, le tory brexiter qui monte depuis le retrait de Johnson, est "néoconservateur en politique étrangère [1] et ultralibéral en économie" [2] : autrement dit, peu de choses le différencient des eurocrates et des républicains US. Quant à la City, elle est à la manoeuvre : "Son espoir est de conserver les avantages de l'UE malgré le vote. Mais tous le savent : avoir un accès complet au marché unique nécessite d'accepter la libre circulation des personnes. Or les Britanniques ont justement voté pour y mettre fin, afin de réduire l'immigration. A la City, personne n'en a cure. Dans les couloirs, les théories fusent sur la façon dont le vote pourrait être ignoré. Un deuxième référendum ? Des élections législatives qui annuleraient tout ? Un accord technocratique qui conserverait le statu quo, sans vraiment le dire ?" [3] ... 

Ce qui se passe en fait Outre-Manche, c'est - à l'inverse d'analyses optimistes qui prédisent un introuvable "patriotisme financier" - la dissociation de plus en plus ouverte entre les élites ultralibérales et les populations. Selon l'économiste Philippe Askenazy, "les malheurs de la lower middle class britannique" doivent moins à Bruxelles qu'au thatchérisme et au post-thatchérisme : "ils dépendent des choix politiques et économiques du parti conservateur, qui n'ont pas été imposés par l'Europe : une désindustrialisation rapide au profit des activités de service et en particulier de la finance ; des investissements publics massifs (urbanisation, transports, réseaux numériques) à Londres et dans quelques grandes villes, mais un abandon du reste du territoire ; une fiscalité faible sur les hauts revenus ; le fait de faire peser l'ajustement des budgets sociaux et la baisse des charges des entreprises sur les pensions de retraite ; l'action de briser la puissance des syndicats, qui n'ont pas pu défendre les salariés lorsque le chômage et l'inflation se sont accrus. Le résultat a été un effondrement des salaires réels, une baisse de 10% à 20% du pouvoir d'achat. Les salaires sont aujourd'hui équivalents à ceux de 1979, année de l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher..." [4]

Mais la lower middle class, dupée par une partie des conservateurs qui mettaient tout au compte de Bruxelles, a provisoirement cessé de voir les responsabilités du post-thatchérisme dans les souffrances sociales : les "trente ou quarante ans de croissance inégalitaire", et "l'illusion néolibérale cultivée dans les années 1990 : imaginer qu'on compenserait dans les services l'emploi industriel détruit chez nous par la concurrence venue d'Asie" [5].  La victime de ce mensonge, c'est l'Angleterre du Nord-Est (qui a voté massivement le Brexit)... En revanche Londres s'affiche comme "ville-monde créatrice d'emplois dans la finance", et se rêve en Singapour ; ce qui fait dire à nos petits messieurs libéraux qu'elle doit  profiter du Brexit pour se séparer complètement du peuple anglais, et devenir la bulle d'utopie dont rêvent les libertariens.

 

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D'où  l'analyse de Gaël Giraud (Le Monde du 6/07). L'économiste jésuite est sévère à l'égard : 1. du thatchérisme, 2. du plan de dumping fiscal lancé par la City au lendemain du référendum...

 

"En 1976, quatre ans après l'entrée du royaume dans la Communauté européenne, l'économie britannique, en voie de désindustrialisation massive, avait dû faire appel au FMI pour ne pas sombrer. Depuis lors, l'aventure de la dérégulation financière et du dumping fiscal inauguré sous Thatcher a propulsé la City au rang des premières places boursières de la planète sans pour autant résoudre le problème de l'économie insulaire : la difficulté à financer les entreprises. Car, avec quatre décennies de recul, il est aujourd'hui clair que, même dérégulés, les marchés ne fournissent pas le canal de financement du secteur privé susceptible d'assurer les investissements..."  [6]

"Nos amis anglais vont devoir choisir entre deux options : continuer de fonder leur prospérité sur les charmes dangereux d'une City vraisemblablement affaiblie, c'est l'option dans laquelle Londres semble vouloir s'obstiner en annonçant la réduction de l'impôt sur les sociétés ; ou bien consentir à réguler leur place financière, ce qui voudra dire, pour une minorité d'entre eux, renoncer aux rentes qui ont fait leur fortune depuis trois décennies. Oseront-ils entamer un changement radical de paradigme vers un modèle de société moins financiarisé, plus résilient et moins inégalitaire ?"

 
 

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[1]  Il a soutenu l'invasion de l'Irak et le bombardement de la Libye. Et c'est un inconditionnel de Nétanyahou.

[2]  Philippe Bernard, Le Monde (2/07).

[3]  Eric Albert, correspondant du Monde à Londres (ib).

[4]  (ib). Pour autant, Eskenazy ne cache pas les responsabilités de Bruxelles dans le ravage ultralibéral du continent. "Il y a eu une capture politique des institutions par des dirigeants qui voulaient  favoriser l'extension des forces du marché. L'Europe aurait pu être un acteur cohérent de la mondialisation, en étant un espace de coopération apte à gérer ses effets négatifs comme positifs. Mais elle est devenue, au contraire, un espace de concurrence entre Etats, creusant les déséquilibres et tirant vers le bas les revenus des populations confrontées à la crise..."

[5]  Alain Frachon, Le Monde (6/07).

[6]  "En outre, l'expérience montre que les marchés financiers dérégulés sont la proie récurrente de bulles et de krachs financiers contre lesquels il est fort difficile de se protéger". En cas de crise aussi grave que celle de 2007-2008, la quasi-totalité des "groupes bancaires systémiques" feraient faillite, "creusant un trou d'environ 1000 milliards d'euros dans le PIB de la zone euro en deux ou trois ans."

 

 

Commentaires

PROJET

> Il suffit de changer fort peu de mots et glisser d'une génération pour lire ci-dessus la description du projet hollando-macronien.
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Écrit par : Pierre Huet / | 05/07/2016

L'UTOPIE BOBO

> Illustration de cet avertissement: le projet des villes-monde des Bobos.
http://www.huffingtonpost.fr/2016/06/27/brexit-londres-paris-anne-hidalgo-sadiq-khan-travailler-ensemble_n_10694152.html
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Écrit par : Pierre Huet / | 06/07/2016

@ P. Huet :

> Dites donc, c'est significatif, ce site du "Huff post", qui (quand on clique sur votre lien) ne recommande à lire, dans sa colonne de droite, que des articles apparemment "porno-chic" pour bobos sexolâtres... Libéralisme partout, bonheur nulle part. Misère.
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Écrit par : Alex / | 06/07/2016

@ Pierre Huet

> Dans cette perspective, une excellente décision de la ville de Paris : interdire la capitale aux voitures de pauvres, immatriculées avant 1997. Véhicules qui, comme chacun sait, sont beaucoup plus polluants que les 4x4, SUV et autres Hummers récents.
P... mais c'est un truc à faire haïr l'écologie par la majeure partie de la population (nb : je suis concerné ; berline compacte qui date de 1993...ce qui ne l'empêche pas d'être très bien entretenue) !
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Écrit par : Feld / | 07/07/2016

UN AUTRE

> Un autre message très fort de Gaël Giraud sur les mutations profondes à venir et la perspective d'un effondrement
https://www.youtube.com/watch?v=49BMrVaV-oI&feature=youtu.be
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Écrit par : JR Larnicol / | 07/07/2016

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