21/05/2016
"Les politiques doivent réapprendre à parler d'avenir"...
Mais comment le pourraient-ils ?
Décomposition du PS, aphasie devant les problèmes de l'Hexagone, dislocation rampante de "l'UE", montée des "populismes" : l'actualité donne la migraine à la classe politique. C'est l'échec de la recette post-démocratique installée depuis dix ans ("avancées sociétales" + "gouvernance" euro-libérale). Les officiels donnent des signes d'inquiétude. Cette semaine c'était à propos de la présidentielle autrichienne qui pourrait être remportée par le FPÖ...
Nos éditorialistes tournent donc tous autour de la même idée (encore reprise ce matin [1]) : "Les partis de gouvernement [2], de droite comme sociaux-démocrates [3], doivent réapprendre à parler d'avenir à leurs concitoyens." Cette phrase est lourde de sens. S'il faut "réapprendre" à parler d'avenir, c'est qu'on en avait perdu l'habitude. Depuis quand, et pourquoi ? et qu'est-ce que "parler d'avenir" ?
Quand de Gaulle parlait d'avenir, il parlait du bien commun dans la durée (c'était l'objet du politique). Depuis les années 1990 et le rachat du politique par le financier, il n'est question que d'instant présent et d'intérêts particuliers. Ce marketing du laisser-faire est une véritable désertion du politique : un abandon de poste.
Comment la classe post-politique pourrait-elle parler d'avenir ? Les embryons de programme de MM. Juppé, Sarkozy, Fillon et Le Maire sont pure et simple myopie libérale : aggravation de ce qui détruit la société depuis vingt-cinq ans. MM. Hollande et Valls sont crispés sur leur échec. Quant à M. Macron, il est "dans le story-telling" : le "récit" publicitaire à propos de soi-même. Dans l'idiome pub, "récit" veut dire auto-promotion. Il s'agit de posture individuelle dans l'instant, non de projet collectif pour l'avenir. La classe post-politique n'a pas cette hauteur de vue ! Elle est donc incapable d'affronter les conséquences de ses vingt-cinq ans de débâcle...
L'une de ces conséquences est la fameuse "montée-des-populismes" : la classe post-politique n'est pas le remède à cela, puisqu'elle en est la cause. Les éditorialistes n'en sont pas innocents non plus. A force de nier toutes les réalités, ils en ont fait cadeau aux populistes [4] qu'ils appellent à combattre aujourd'hui ; une fois de plus, c'est Ubu Roi.
Oui, le politique doit nous "parler d'avenir". Mais il lui faut d'abord exister. Ou plus exactement : il lui faut ressusciter. Encore plus exactement : on doit le réinventer, et l'économique aussi ! C'est ce que nous disait le pape en juillet 2015 dans son discours de Santa-Cruz...
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[1] Johan Hufnagel (éditorial de Libération).
[2] C'est oublier que le FPÖ est devenu lui-même un "parti de gouvernement" depuis 1999.
[3] Convergence centre-droit/centre-gauche... Elle accrédite en apparence le vieux slogan lepéniste "UMPS". En réalité, elle correspond à la situation créée par l'abdication du politique (de gauche et de droite) au profit du financier : d'où ce libéralisme transversal... et partagé par les trois quarts des lepénistes.
[4] Que les populistes aient "ramassé" ces réalités dans le "caniveau", comme ils disent, ne veut pas dire qu'ils soient capables de gouverner. Ni qu'ils rompraient avec un libéralisme auquel adhèrent nombre d'entre eux...
12:32 Publié dans Idées, Politique | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : politique, libéralisme
Commentaires
DELORS MALFAITEUR
> Je viens de voir à l'instant un reportage sur l'Europe sur une chaîne télévisée thématique dédiée à l'histoire. Je vous résume quasiment mot pour mot les propos de Jacques Delors interviewé pour l'occasion:
"Nous avons fait la libéralisation des mouvements de capitaux, car sans cela on ne pouvait pas pu faire le grand marché, ce qui a permis de sortir l'Europe de l'état dans lequel elle était dans les années 1985-1987, et de créer 15 millions d'emplois en 7 ans. "
Voilà, comme ça quand on cherchera les responsabilités du foutoir actuel qui a débuté à l'été 2007 et du chaos qui arrive très probablement, on pourra se souvenir du rôle actif joué par Delors.
Personne ne pourra dire "on ne savait pas".
Les Grecs, les Italiens, les Portugais, les Espagnols, les chômeurs, les précaires, etc... peuvent le méditer.
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Écrit par : ND / | 21/05/2016
'VALEURS ACTUELLES'
> "Les politiques doivent réapprendre à parler d'avenir"... Pour l'instant M. Macron s'essaie à nous parler du passé ce qui réjouit 'Valeurs Actuelles' qui le cite :
"Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort".
François d'Orcival évoque ensuite Renan pour élaborer une stratégie électorale qui doit être fondée plus que sur la courbe du chômage sur un "projet fondé sur une identité : le souvenir des choses faites ensemble et la volonté d'en faire d'autres dans l'avenir".
Hélas ! Point de souci en cela du bien commun mais toujours celui des valeurs actuelles et futures, sonnantes et trébuchantes ainsi que de leurs zélés serviteurs.
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Écrit par : isabelle / | 21/05/2016
à Isabelle
> Vous avez raison de mentionner cet hebdomadaire et son rôle dans la confusion mentale galopante.
Que les partisans du libéralisme économique osent faire comme s'il était compatible avec
"le souvenir des choses faites ensemble et la volonté d'en faire d'autres dans l'avenir", c'est un comble.
Ce système économique est la matrice de l'éradication culturelle perpétrée depuis trente ans.
C'est au nom de "l'employabilité des jeunes" que Sarkozy par exemple avait déclaré la guerre à l'enseignement des humanités.
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Écrit par : vianney belleau / | 21/05/2016
à Vianney Belleau et Isabelle
> D'accord avec ce que vous dites, je crois que le retour de la droite ultralibérale au pouvoir va encore aggraver la déculturation donc l'amnésie nationale. Partout le libéralisme a le même résultat : balayer tout ce qui n'est pas ce qu'ils nomment "l'économie". En fait une certaine vision de l'économie néfaste dans le concret.
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Écrit par : S. Reymondon / | 21/05/2016
MACRON
> Je me permets d'intervenir sur la sortie de Macron sur la monarchie. Je ne l'avais pas fait jusque là. Ce qui suit est la plus stricte vérité. Il y a dix ans, un de mes amis est allé suivre des cours du soir de philosophie dans une ville de province, cours dispensés par un obscur prof de philo, qui n'était même pas prof de fac. Or, il se trouve que le dit prof tenait des propos qui ressemblent étrangement à ceux de Macron sur l'absent dans la démocratie, etc... J'ai bien l'impression que tout cela n'a absolument rien d'original. Ce qui m'étonne le plus c'est de voir les journalistes, les hommes politiques et tutti quanti ébahis devant ce qui semble fort être des idées assez banales. Désolé, ça casse la baraque, mais j'ai bien l'impression que dans cette affaire on nous prend encore pour des idiots. Pas besoin semble-t-il d'avoir été assistant de Ricoeur, et banquier d'affaires pour tenir de tels propos. On a beau être ministre des finances, quand on dit rien d'original, c'est comme pour tout le monde: on ne dit rien d'original.
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Écrit par : ND / | 21/05/2016
> Voilà, donc j'ai retrouvé des notes de cours que m'avait passé cet ami. Les idées de Macron n'ont absolument rien d'original. Elles sont en fait, à tout le moins dérivées, d'un ouvrage de 1986, intitulé: "Essai sur le politique" de Claude Lefort.
http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1988_num_90_4_2381
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Écrit par : ND / | 21/05/2016
> Toujours sur le même sujet. Voilà les notes de cours qu'il m'a passées:
"Lefort dans son livre s’appuie sur un visionnaire du 19ème siècle qui est Tocqueville : « de la démocratie en Amérique ». La thèse de Lefort est de dire que la démocratie moderne naît en France avec la révolution française et l’un des actes de cette révolution c’est de guillotiner le roi et donc la démocratie repose sur l’impossibilité d’occuper le trône, elle a pour principe la place vide et toutes les institutions sont faites pour empêcher que l’un des membres du peuple prenne cette place vide du pouvoir. Du coup le pouvoir n’est plus incarné et dans l’imaginaire les repères sont dissous. ; Pour maintenir la place vide la démocratie est tout le temps obligée de se réinventer, elle est dans une dynamique centrifuge. C’est très difficile pour le peuple d’admettre qu’il y a quelque chose d’abstrait à la tête du pouvoir et il est hanté par la nostalgie de l’ »un ». Il résiste autant qu’il peut mais quelque chose en lui le pousse à un moment donnée à prendre la place. Quand la nostalgie l’emporte le démos fait surgir de lui même son chef totalitaire qui a comme caractéristique de toujours être une émanation du peuple, et son représentant, laissant l’impression qu’à travers lui c’est tout le peuple qui occupe la place vide. Le totalitaire ne se désigne jamais comme roi, il est guide, « Führer », « petit père des peuples ». L’idéal selon Tocqueville est que chaque membre du peuple vérifie que l’autre ne monte pas pour prendre la place : c’est la passion de l’égalité mais c’est tellement dur à gérer que dans les situations de crise, le peuple nostalgique et ne supportant plus que le pouvoir soit désincarné cède à la tentation populiste d’un chef démagogue ; la conscience de chaque citoyen accepte d’être reconnue dans la conscience d’un seul homme et on a affaire à une aliénation absolue.
Les monarchies constitutionnelles ne sont pas des démocraties car la place est prise par le roi et le peuple ne peut y prétendre. Et si on regarde l’Angleterre n’a jamais été sous la menace d’un régime fasciste ou communiste."
Pour être très précis je sais cela depuis 2008.
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Écrit par : ND / | 21/05/2016
LA DROITE ET LA DÉCULTURATION
> Juste deux choses sur la "droite" et la déculturation :
la réforme actuelle qui détruit littéralement le collège et l'idée même d'enseignement date de Juppé pour sa conception administrative et de Giscard pour sa conception théorique.
Il faut lire 'Le pacte immoral' de Sophie Coignard qui décrit très bien l'alliance des pédagogistes soixante-huitards gauchistes qui rêvaient de tuer l'école "bourgeoise" et des politiciens libéraux qui voulaient, eux, tuer l'école humaniste afin de marchandiser la société (et l'école au passage).
Le positif, c'est que lorsque l'on sera dans l'Europe année zéro, on pourra reconstruire quelque chose de réellement neuf et ces systèmes que l'on trainent depuis 250 ans seront définitivement morts. Mais que de "victimes "en attendant...
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Écrit par : VF / | 21/05/2016
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