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08/05/2016

Le mythe de "la crispation dans les trois religions"

 sciencespo.jpg

Un slogan médiatique repris par l'enseignement :


 

 

Depuis trois jours on entend deux interprétations au sujet du « programme de formation sur la religion » proposé par Sciences Po Paris à partir de septembre :

Selon Le Monde ou icademie.com, l'institut de la rue Saint-Guillaume entend faire office de « formateur » : visant « des cadres déjà en exercice » (prêtres, pasteurs, imams, rabbins), son cycle de formation « proposera des outils pour maîtriser l'environnement institutionnel des cultes, pour mieux connaître l'articulation des religions avec le contexte culturel, et pour manager leurs communautés respectives... » Attendons la rentrée pour savoir dans quelle direction naviguera ce programme, et notons qu'il a le parrainage des « grandes structures religieuses » : Conférence des évêques de France, Fédération protestante de France, Assemblée des évêques orthodoxes de France, Grand rabbinat, Conseil français du culte musulman*, Union des bouddhistes de France.

Mais selon les radios, cette formation aura pour but « d'amener les religions à se connaître ». Compte tenu de la fréquence des rencontres judéo-chrétiennes et islamo-chrétiennes en France, on peut se demander si l'on a vraiment besoin de Sciences Po pour aider à « mieux se connaître » des religions qui se connaissent depuis treize ou vingt siècles (et dérivent les unes des autres).

Directeur de Sciences Po, M. Frédéric Mion affirmait le 4 mai en présentant ce cycle de formation : « Nous ne pouvions rester immobiles et impuissants face à la crispation croissante autour du fait religieux en France. » Cette phrase contient un sous-entendu. Elle postule que la « crispation » existe dans les trois religions, et que dans les trois cas elle est non seulement de même intensité, mais de même nature ! Or c'est gravement inexact. Et cette inexactitude est polémique. Qu'on le veuille ou non, force est de constater que rien, dans le christianisme et le judaïsme français, ne ressemble au genre de « crispation » (litote) qui se réclame de l'islam. Le christianisme a connu autrefois la dérive de la violence politique, notamment au temps des guerres entre réformés et catholiques : mais c'était il y a 450 ans... En 2016 il faut une intense mauvaise foi** pour comparer au jihadisme les « crispations identitaires » se réclamant du christianisme. Cela pour trois raisons : 1. elles sont ultra-minoritaires ; 2. elles ne sont que verbales et ne vont pas jusqu'à la menace de violences ; 3. et surtout, elles sont le fait de ce que l'évêque émérite de Nanterre appelait en 2013 « des athées pieux », non-croyants qui plaquent leurs fantasmes sur le christianisme : un christianisme qu'ils connaissent peu et mal. Et les plus acharnés chantres de « l'identité chrétienne de la France » (concept à préciser) sont aussi des détracteurs du pape et des évêques, pour des raisons de parti-pris séculiers : l'économie, les migrants... Ces aigreurs expriment un refus de l'Eglise réelle, qui incarne l'inverse de la crispation ; et elles expriment un rejet non seulement des implications économiques et sociales du christianisme, mais de son essence évangélique.

L'idée de « crispation dans les trois religions » est donc une fausse fenêtre pour la symétrie : procédé dont les médias ont toujours usé, mais dont l'enseignement s'était longtemps gardé. Jusqu'à ce qu'il se rapproche des médias...

 

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* Le CFCM est peu représentatif.

** Et je ne parle même pas des manifestations de 2013-2014 contre la loi Taubira (qui n'étaient pas religieuses mais mobilisèrent nombre de catholiques). Quoi qu'on ait pensé de leur utilité et de leurs conséquences sur l'état d'esprit des catholiques, les présenter comme l'équivalent du terrorisme est une aberration. Elle a été commise néanmoins, et plusieurs fois, dans des débats ou des tribunes de presse.

 

Commentaires

AUTRES CAS

> Merci pour cette mise au point.
On assiste à la même démarche dans d'autres domaines, où l'on n'ose pas appeler un chat un chat et on tourne autour du pot de manière mensongère in fine:
- campagne contre les mariages forcés avec une cérémonie BCBG d'inspiration catho
- tentative de limiter la liberté d'éducation (école à la maison ou hors contrat) afin de limiter l'endoctrinement islamique
-et bien sûr loi contre les signes ostentatoires comme si c'était les croix et kippas qui posaient problème !!!
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Écrit par : Ludovic / | 08/05/2016

SCIENCES PO MÉDIATIQUE

> "procédé dont les médias ont toujours usé, mais dont l'enseignement s'était longtemps gardé. Jusqu'à ce qu'il se rapproche des médias..."
Rattacher "Sciences po" à l'enseignement... eh bien, c'est vite dit. C'est surtout un carnet d'adresses. J'ai renoncé à la rue Saint-Guillaume en arrivant (en même temps) rue d'Ulm (ENS), me souvenant de la leçon d'un de mes profs de khâgne : "Depuis la place qui est la vôtre, il y a deux voies divergentes : celle des maîtres-du-monde, i.e. Sciences po, et celle de la pensée réelle".
Je connais nombre d'anciens de Science po qui s'accordent sur le fait que le saupoudrage y est la norme.
Cela dit, à l'ENS, c'est l'inverse qui est parfois vrai : séminaires ultra-pointus décrochés de la formation de base ; on apprend davantage en prépa et à l'université... et par soi-même aussi.
Alors, Science po me paraît être plutôt un média, en effet. L'ombre du sulfureux, et donc si média-compatible, Richard D., y plane encore dans toutes les têtes.
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Écrit par : Alex / | 08/05/2016

@ Ludovic:

> Tentative d'explication de votre constat: il n'y a pas de théocratie christiano-pétrolière à ménager.
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Écrit par : Pierre Huet / | 09/05/2016

PHÉNOMÈNES

> Je partage le point de vue de Nicolas.
Pour ce qui est des catholiques, de par mon activité de pèlerinage pour la France j'ai largement constaté que le phénomène identitaire était ultra-minoritaire : et c'est une chose à laquelle je suis très vigilant, mes amis Plunkett et Prémare peuvent en témoigner d'ailleurs.
En revanche, toujours chez les catholiques, j'ai largement constaté un phénomène de dépersonnalisation dû à la confusion entre catholicisme et universalisme. Il faudrait revenir aux fondamentaux du catéchisme - être radicaux afin de ne pas être extrémistes - et expliquer la différence entre identité et personnalité, salut pour tous et universalisme, individu et personne, radicalisme et extrémisme, liberté et licence, responsabilité et rigidité, espérance et optimisme, espérance et espoir, amour du prochain et humanisme, etc.

EL


[ PP à EL :
- Vous avez la chance de n'être touché (pélerinage) que de façon ultra-minoritaire par la droitisation du milieu catho français.
- Mais est-elle ultra-minoritaire sur le plan national ? Il ne semble pas. D'où par exemple l'opportune nécessité du débat des AlterCathos lyonnais (12 mai, avec Le Morhedec et Brustier) sur le phénomène de droitisation. ]

réponse au commentaire

Écrit par : E Levavasseur / | 09/05/2016

MASSE MOLLE

> Oui, je parle de ce que je connais à mon niveau, de ce que j'ai pu constater.
Au plan national oui je suis d'accord avec ce que vous dites, mais cela concerne ceux qui veulent agir;
mais toujours au plan national, pour les autres, ce qui me frappe c'est surtout le phénomène de masse molle. (Pas nouveau certes mais à ce point-là...)
D'ailleurs je pense que ce "phénomène masse molle" est ce qui nourrit le phénomène identitaire.
D'où l'urgence de débats comme celui que vous évoquez et l'urgence du rappel de l'enseignement clair net précis de l'Eglise et de la philosophie (véritablement) catholique: la vie du chrétien c'est la sanctification qui consiste à devenir ce qu'on est, comme disait sainte Catherine de Sienne, non à étouffer les talents reçus sous prétexte de fausse humilité comme le croient la masse molle et les universalistes ; et non à suivre ses pulsions comme le croient les identitaires.
En fait identitaires, masse molle et universalistes se ressemblent: ils veulent avoir la paix (bien chez eux pour les identitaires, bien peinards avec leur bonne conscience pour les universalistes, un mélange des deux pour la masse molle), mais ne cherchent pas la paix dans la Vérité.
Tout cela est dû au refus de l'Incarnation de notre foi.
Du coup la foi est transformée en simple théorie au lieu d'être la Vérité révolutionnaire.
Mais bon, tout ça ne sont que quelques réflexions en vrac, écrites sur un iPhone sur le causse où soufflent des rafales de 90 km/h sous un ciel gris.
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Écrit par : E Levavasseur / | 09/05/2016

MONNET ET SCHUMANN

> Pour rebondir sur le commentaire d'Eric Levavasseur: la perception qu'on peut avoir du phénomène identitaire des catholiques dépend de ce qu'on observe là ou on vit, et c'est très variable. Même dans des paroisses "bourgeoises" il n'y a pas de la crispation partout.
Quant à la droitisation purement politique, adhésion au système mondialiste-libéral, elle ne fait que suivre les idées de deux hommes que le pape François a du mentionner par politesse diplomatique: les "pères fondateurs" Monnet et Schumann.
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Écrit par : Pierre Huet / | 09/05/2016

LA SOCIÉTÉ

> Cette "crispation identitaire", qui prend aujourd’hui de l’ampleur, ne concerne pas exclusivement "les trois religions" ; mais elle affecte plus généralement les multiples appartenances collectives qui nous constituent : la nation, en particulier, ou encore l’athéisme, etc. Si l’on fait abstraction du phénomène somme toute marginal qu’est le djihadisme, les similitudes l’emportent très largement. C’est la société qui est malade.
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Écrit par : Blaise / | 14/05/2016

MISE À JOUR

> Qui jette de l'huile sur le feu ? Les "religions" (encore un concept sympathique des partisans les plus hystériques du pas d'amalgame) ? Ou les prétendus laïcistes ?
Je dis "prétendus" car ils ne sont finalement pour la plupart que de vulgaires sectateurs d'une opinion religieuse, même négative.
Confer ici l'intervention de Mme Najat V-B accusant l'opposition d'avoir favorisé "les curés" (sic). Elle en profite au passage pour les accuser sournoisement d'anti-républicanisme... Ridicule et pitoyable.
On notera, à l'image, l'approbation hilare de M. Valls.
Mais heureusement, il y a Science-Po, qui sait se mettre à jour : faut-il comprendre qu'on pourra désormais renvoyer Mme NVB à son ancienne école pour "mieux connaître les trois religions", bref, pour "updater" son "logiciel" Sciences-Po qu'on devrait imaginer désormais périmé ?
http://www.lopinion.fr/video/ca-fait-buzz/najat-vallaud-belkacem-provoque-incident-seance-a-l-assemblee-102617?utm_source=outbrain&utm_medium=cpc&utm_campaign=lopinion_flux
Petit détail de vocabulaire : parler de "déterminisme" est une imposture à la mode. Au mieux peut on parler de conditionnement, car on n'échappe pas à un déterminisme par définition. Dans le domaine social plus que dans aucun autre, les porosités existent ("Finalement, les riches ne sont rien qu'une minorité de pauvres qui ont réussi...").
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Écrit par : Fernand Naudin / | 14/05/2016

QUOIQUE

> Frédéric Mion a parlé, lui, « de crispation croissante autour du fait religieux ». « Autour », et non pas de « crispations religieuses », ou pire : « de crispations au sein des religions ». Ce qui laisse entendre que pour lui ces tensions identitaires sont d’ordre politique et social et ne se limitent pas au domaine réduit des dites religions.
De toute façon, dans la citation du Monde et icademie.com, il est dit que le programme vise, non pas un dialogue des religions, mais à fournir aux « cadres en exercice » des « outils » pour remplir leur ministère dans le « contexte » institutionnel et culturel français. Du management, plutôt que de la théologie. Ce dont les communautés musulmanes ont sans doute plus besoin que les Eglises chrétiennes ou les Juifs. Quoique !
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Écrit par : Blaise / | 14/05/2016

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