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06/11/2015

Contre la dérive "identitaire" du religieux

Entretien de Libération avec Delphine Horvilleur (Mouvement juif libéral de France) :


 

 

 
<<  Pourquoi la question de l’identité est-elle aussi prégnante aujourd’hui ?

A cause peut-être de la fin des idéologies collectives, à cause de l’individualisme tout-puissant, parce qu’on ne sait plus ce que l’on partage… Dans notre société, nous assistons - et c’est ce qui me trouble - à un double mouvement. D’un côté, il y a une déconnexion du passé. L’individu [...] ne veut rien imposer à la génération suivante pour la «laisser choisir», comme si l’appartenance n’était qu’une aliénation. Comme si on pouvait s’inventer à partir de rien… En contrechamp, il y a une autre tendance qui nourrit les fondamentalismes. Pour elle, la fidélité à une tradition, c’est de ne rien changer par rapport à la génération précédente. Il faudrait même retrouver l’âge d’or de nos arrières-grands-parents, comme si la seule fidélité a un héritage consistait à le reproduire à l’identique. Ces deux modèles semblent n’avoir rien à se dire. En fait, ils sont les revers d’une même médaille. La société hyperindiviudaliste où chacun est renvoyé à ses choix quasi illimités connaît la tentation confortable du repli des fondamentalismes où il faudrait vivre comme avant nous, accepter et se soumettre au règne de l’inchangé.

 

Le fondamentalisme est-il seulement un phénomène religieux ?

Absolument pas. C’est une idolâtrie - au sens premier - de l’héritage. Cet héritage devient une idole qui ne peut être questionnée. Pour moi, au cœur du judaïsme, il y a cette lutte contre l’idolâtrie, contre ce qui devient figé et morbide dans nos existences. Il nous faut accepter une certaine porosité, une certaine variabilité, le mouvement du monde qui nous entoure. Si les religions et les fondamentalismes ont des problèmes avec les femmes, c’est précisément parce qu’ils ont un problème avec cette notion de porosité, de variabilité, de mouvement, que représente le féminin dans la pensée religieuse. [...]

 

Comment voyez-vous, dans la Bible, cette identité qui est, selon vous, toujours en devenir ?

C’est absolument partout ! A commencer par le personnage qui crée la lignée des Hébreux, Abraham. Que fait-il ? Son premier geste est de partir de chez lui. Il est né à Ur en Chaldée et il se met en route vers la Terre promise. Les commentaires rabbiniques vont même plus loin que la Bible et expliquent qu’Abraham se met en route parce qu’il a détruit les idoles de son père. Littéralement, il est le premier iconoclaste. La première figure patriarcale, celle qu’on a choisie comme figure emblématique du père, est quelqu’un qui a envoyé bouler son propre père, est quelqu’un qui a envoyé bouler son propre père, qui a eu le culot de s’éloigner du sien. [...] Cette mise en route est permanente dans le judaïsme. La Torah s’arrête quand les Hébreux sont encore dans le désert. Parce que le chemin est le récit.

 

Le fondamentalisme, c’est aussi un rapport erroné au texte ?

Le fondamentalisme n’autorise qu’une seule lecture du texte. A un moment donné, quelqu’un dit : il faut lire comme cela parce qu’il a toujours été lu ainsi. Mais en affirmant que le texte a dit son dernier mot, on le tue. On transforme une tradition de lecture en idole, en icône, en quelque chose de figé, de mortifère. Toute pensée se doit d’être vivante. Et pour cela, il faut accepter qu’un texte n’a pas fini de parler tant que son dernier lecteur n’est pas arrivé... >>

 

Mon commentaire

Cette analyse est intéressante sous deux angles :

1. Dans ces propos recueillis par Bernadette Sauvaget, Delphine Horvilleur voit le phénomène pseudo-identitaire (actuellement galopant y compris dans le catholicisme français) comme un contrecoup du ravage culturel opéré par la société de marché ; ravage dont il n'est finalement que l'un des symptômes, lié à l'hyper-individualisme.

2. Elle souligne la dimension de mise en marche, d'exode, cruciale également (quoique autrement) dans le christianisme. En haïssant cette dimension, ceux des chrétiens qui sont englués dans l'ultra-conservatisme transforment leur catholicisme affiché en une forme de paganisme frôlant l'autolâtrie. Leur dérive est un symptôme de l'emprise de la société actuelle, dont ils se croient pourtant les grands adversaires...

3. Contrairement à ce qu'imaginent certains, l'identité catholique est constamment en devenir puisqu'elle consiste à suivre la personne du Christ, qui nous mène souvent à l'opposé de nos "valeurs" et de nos "certitudes" héritées.