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31/10/2015

La mort 2015 : "Une conception managériale de la perte"

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Des philosophes, des sociologues et des psychiatres analysent notre "déni  de la mort" (né du climat économiciste de la société) : 


 

 

Intéressante page de Marion Rousset dans le cahier Culture & idées du Monde de ce week-end. Extraits :

 

<< Avec sa pause réglementaire de quatre jours, le salarié qui se pacse ou se marie est plus avantagé que celui qui a perdu un proche*. Implicitement, la société demande aux « endeuillés » de se débarrasser des émotions que l'on exhibait autrefois sur la place publique ou, au moins, de les enfouir profondément pour éviter d'embarrasser les vivants. A défaut de le porter, il faut désormais « faire son deuil » – vite et bien. [A l'origine de cette pression collective, analyse le philosophe Michaël Foessel, il y a] « une conception managériale de la perte transformée en non-événement, ou l'idée d'un sentiment passager qui doit au plus vite être canalisé » – au besoin en faisant appel à des « coachs » spécialisés qui promettent à leur clients une meilleure gestion de leur stress. >>

 

<< Dans un monde laïque et matérialiste qui ne croit plus en un au-delà invisible habité par l'esprit des défunts, ceux qui pleurent leurs morts sont accusés de vivre au ralenti**. On craint qu'ils ne soient plus assez efficaces. « Demander aux individus de "gérer" leur deuil renvoie à un idéal de performance ou de maîtrise qui dénie ce qu'il y a d'irréductible dans les pertes humaines », estime Michaël Foessel. >>

 

 Cette pression collective  paraît inconsciemment acceptée et intériorisée par la plupart des gens dans le monde atlantique :

<< « Décliner une invitation à une soirée parce qu'on a perdu son frère il y a quelque temps est considéré comme indécent. [Ce qui n'est plus accepté par l'air du temps], c'est d'utiliser sa tristesse pour motiver un refus de vie sociale », affirme la philosophe belge Vinciane Despret, qui vient de publier Au bonheur des morts – Récits de ceux qui restent (La Découverte)... >>

  

Outre celui de Vinciane Despret, cet article recense quatre ouvrages : Le temps de la consolation, de Michaël Foessel (Seuil); Le deuil, de Marie-Frédérique Bacqué et Michel Hanus (PUF – Que sais-je); Vivre après ta mort– Psychologie du deuil, d'Alain Sauteraud (Odile Jacob); Le deuil ensauvagé, de José Morel Cinq-Mars (PUF).

 

 

►  Mon commentaire

Chaque année à la Toussaint, invariablement prise pour une fête des défunts, la grande presse parle de « la mort telle qu'on la perçoit aujourd'hui ». L'article de Marion Rousset est sans doute (corrigez-moi si je me trompe) le premier à aborder deux choses :

– la vérité sur le « faire-son-deuil » qui est l'un des leitmotive de notre époque ;

– et l'origine de ce leitmotiv : le rôle quasi-totalitaire de l'idéologie managériale.

C'est là qu'on retrouve l'analyse du pape François sur les effets d'un capitalisme débouchant sur l'idolâtrie de l'Argent : « Si domine l’ambition déchaînée de l’argent, si le bien commun et la dignité des êtres humains passent au deuxième voire au troisième plan, si l’argent et le profit à tout prix deviennent des fétiches qu’on adore, si l’avidité est à la base de notre système social et économique, alors nos sociétés courent à la ruine. Les hommes et la création tout entière ne doivent pas être au service de l’argent : les conséquences de ce qui est en train d’arriver sont sous les yeux de tous ! »***

http://www.parismatch.com/Actu/International/C-est-pour-ne-pas-oublier-les-pauvres-que-j-ai-choisi-de-m-appeler-Francois-pape-Francois-848441

 

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* Décès d'un enfant ou d'un conjoint : deux jours de congé pour le père et la mère. Décès d'un parent, d'un frère ou d'une soeur : un seul jour de congé. Décès d'un grand-parent : rien. L'entreprise est une famille.

** Marion Rousset me permettra de lui faire observer que ce n'est pas la foi en Dieu qui nous fait pleurer nos morts : c'est leur absence terrestre auprès de nous. Ces pleurs sont ce que la pression managériale nous force à refouler pour rester productifs.

*** Le « déchaînement » de l'argent fut l'effet de la dérégulation ultralibérale. Eclipser le bien commun et les fondamentaux humains fut l'effet de ce déchaînement. L'adoration du profit et l'avidité (substitués à toute autre référence), c'est la nature profonde du libéralisme.

 

Commentaires

CATACOMBES BUSINESS

> Le début du respect des morts est très généralement reconnu comme le début de l'humanité. Cette nuit, aux catacombes de Paris, ce sera la fin de l'humanité. Un précédent y est créé qui permettra à toute municipalité d'organiser des soirées "Profanation" dans leurs cimetières, pour faire payer l'entrée et rendre enfin rentables ces lieux inutiles.
Ce qui rend l'événement encore plus choquant, c'est l'absence de réaction de la presque totalité de l'humanité ainsi bafouée. Pitié : répondez-moi pour me prouver que je ne suis pas le dernier être humain sur cette terre.
(l'Obs trouve ça charmant comme idée pour halloween :
http://tempsreel.nouvelobs.com/en-direct/a-chaud/11017-temoignage-passer-catacombes-beaucoup-angoisse-secret.html)
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Écrit par : Guadet / | 31/10/2015

"GESTION"

> Cette "gestion" de la mort et du deuil n'est au fond qu'une sous-catégorie de la vision managériale de la souffrance et du mal-être. D'ailleurs, peut-on réellement parler de "gestion" quand on attend de chacun qu'il les évacue au plus vite ? Dans nombre d'entreprises, on vous dresse assez vite à toujours répondre par l'affirmative à la question (qui n'en est pas une) "ça va ?". Tout au plus vous concède-t-on le "oui mais", du moment que le "mais" reste gentiment anodin ("ça va, mais le petit nous fait une angine"). Si vraiment "ça ne va pas", on vous invitera à prendre l'air, à aller courir, à faire du yoga... n'importe quoi du moment que vous arrêtiez de faire la gueule, bon sang !
Je pense souvent à une scène du film "La plage" de Danny Boyle. Un des joyeux teufeurs de l'île secrète "paradisiaque", gravement blessé par un requin, est relégué par ses compagnons dans une tente à l'écart. En effet, ceux-ci ne tolèrent plus de l'entendre geindre à longueur de journée, cela casse leur délire "sea, sex and sun (and shit)". Le personnage principal (interprété par Leonardo DiCaprio), qui est aussi le narrateur, décrit la situation en ces termes : "Dans une attaque de requin, ou tout autre drame majeur, j'imagine que l'important et de se faire bouffer et de périr, auquel cas il y a un service funèbre et tout le monde fait un discours et tout le monde dit quel chouette gars vous étiez. Ou alors se rétablir, auquel cas chacun peut ne plus y penser. Se rétablir ou périr. C'est l'entre-deux qui emmerde le monde."
(NB : traduction personnelle du script – je ne connais pas la citation exacte dans la VF...).
Cette scène apparaissait choquante lors de la sortie du film, en 2000. L'est-elle encore aujourd'hui ? Comment s'étonner qu'avec une telle mentalité, l'euthanasie devienne pour de plus en plus de gens une option séduisante, voire le choix préférentiel dans le cas où "cela" s'éternise ? Officiellement, on libère généreusement le patient de sa souffrance intolérable (ou plutôt, estimée telle par ceux qui s'imaginent la ressentir à sa place). En réalité, il s'agit de mettre fin au plus vite et avec soulagement à **l'emmerdement** que son état de souffrant nous impose.

@ Guadet : non, vous n'êtes pas le dernier, mais les zombis se font de plus en plus nombreux !
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Écrit par : Albert Christophe / | 31/10/2015

L'EGLISE

> Quelque chose d'invincible.
"Mais que vaut un amour qui s'éteint dans le froid?
Et valent les yeux qui refusent les larmes?"
Écrits par le poète et philosophe André Giovanni, à propos d'un village abandonné, ces vers, reflets d'une insensibilité imposée comme paroxysme d’un accomplissement efficace (d’autres idéologies avaient le même objet …), s’appliquent à votre propos.
Les émotions doivent être réprimées et réservées à la seule sphère muette de l’intime comme parasites de la performance.
Là se pointe la dépersonnalisation avant une déshumanisation.
Une observation, à mon sens significative, est celle de l’appauvrissement du lexique émotionnel. L’indignation, la révolte, l’exaspération, le dépit, l’abattement … se résument en un « ça me gonfle » fourre-tout.
Or les mots servent, malgré tout, à mieux définir et exprimer nos pensées, nos ressentis, notre réflexion. Dessécher le champ lexical c’est refouler la raison comme orienter le discours dans un sens purement managerial revient à formater les individus dans un utilitarisme purement technique d’où tout sentiment doit être définitivement congédié.
La chasse « aux humanités » dans le cursus scolaire procède de la même démarche, l’Université définissait avant un cursus de culture aujourd’hui elle se doit de former des compétences directement exploitables et rentables.
Or même si avec Locke on peut admettre qu’il n’existe pas d’idées innées, force est cependant d’admettre que l’être humain possède un fond irréductible dans lequel la part des sentiments, des émotions, est sans doute la plus grande, faute de quoi l’homme devient machine (comme déjà le voulait Onfray de La Mettrie). Nier cette part fondamentale c’est vouloir réduire l’être humain à un simple rouage mécanique sans âme, objet de consommation sans autre droit que d’être performant.
Mais il y a quelque chose d’invincible dans l’Homme, cette part que l’on s’acharne à détruire, qui, au plus profond de chacun d’entre nous vit et vibre, une étincelle de l’Éternel présent.
Or l’Église se devra d’être toujours là pour le dire et le redire, comme le fait si bien le pape François, et pour recueillir tous les êtres brisés dans cette inhumaine machine financière. Une mère même outragée aura toujours ses bras pour relever ses enfants.
« Seigneur endormez-moi dans votre paix certaine
entre les bras de l’espérance et de l’amour »,
écrivait un autre poète, maudit celui-là ….
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Écrit par : Albert E. / | 31/10/2015

@ Guadet

> Nous sommes, parmi les lecteurs de ce blog, pas mal à être des humains (pour ma part, j'avais signalé cette profanation dans un commentaire sous une autre note).
Pour rebondir sur ce qu'écrit PP s'agissant de la façon de traiter la mort dans le monde du travail : un collègue qui meurt - même par suicide- on n'en parle plus au bout de deux semaines...
Je pense que le Seigneur laissera l'Occident aller à sa perte : Grand Remplacement, guerre nucléaire, ou que sais-je encore, ... on aura ce que l'on a mérité. C'est triste, TRES triste, mais c'est comme ça. Je n'arrive pas à imaginer que nous (en tant que civilisation) puissions exister encore dans 10 ou 15 ans. Ai-je fondamentalement tort ?
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Écrit par : Feld / | 31/10/2015

LES SURVIVANTS

> Quand il est question de deuil aujourd'hui, on parle exclusivement des problèmes psychologiques du proche. La catastrophe ontologique du principal intéressé est complètement évacuée et il ne reste qu'un choc psychologique à guérir chez le survivant. Un Jésus moderne ne s'occuperait pas de Lazare mais du traumatisme de Marthe et Marie.
Nous ne sommes pas Jésus et il peut y avoir une sagesse épicurienne qui fait qu'on s'abstient devant un mystère qui nous dépasse.
Mais chez beaucoup de gens, en particulier les jeunes très déchristianisés, on trouve au contraire une fascination bizarre, à la fois superstitieuse et ludique, pour la mort. Ils ne voient pas un cimetière comme nous qui y cherchons le calme et le recueillement. Ils y trouvent ce qu'était pour nous le train fantôme.
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Écrit par : Guadet / | 31/10/2015

@ Feld

> Merci !
J'ai eu une formation d'historien, d'archéologue et d'anthropologue, et j'ai peut-être une trop grande sensibilité au respect des morts parce qu'il a toujours été fondamental dans toutes les civilisations et dans toutes les cultures. Mais le fait d'avoir prostitué les catacombes me semble réellement un évènement crucial dans l'histoire de l'humanité. Antigone devient parfaitement ridicule et Créon est complètement dépassé.
Seule la droite a réellement protesté, mais il est évident qu'il ne s'agit que d'une posture et qu'ils auraient tout autant agi en proxénètes s'ils avaient eux-mêmes été aux commandes. les écologistes ont été monstrueux en ne discutant que sur le client et sur le montant de la transaction : ils ne voulaient pas paraître ringards.
Je n'ai trouvé nulle part une réaction très convaincue. Médiapart publie un article très intelligent mais blasé :
http://blogs.mediapart.fr/blog/manuel-coito/231015/airbnb-dans-les-catacombes-de-paris
Ne serait-il pas temps de s'indigner vraiment ?

Guadet


[ PP à G. - "Monstrueux", oui, mais "écologistes", non. Pour connaître les vraies positions des vrais écologistes sur le respect des morts, mieux vaut lire la revue 'L'Ecologiste'. ]

réponse au commentaifre

Écrit par : Guadet / | 01/11/2015

@ Feld.

> Puisque nous sommes des humains (ce qui est une très grande chose), et à plus forte raison si nous sommes des chrétiens (ce qui est encore un plus grand honneur et une responsabilité plus forte), faisons notre petit possible pour éviter à l'Occident d'aller "à sa perte". Une portion d'histoire nous est confiée: n'enterrons pas les talents que nous avons reçu. À défaut de changer le monde, nous y limiterons les dégâts - et des temps meilleurs viendront.
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Écrit par : Jean-Marie Salamito / | 01/11/2015

BONNEMAISON

> Il semble que le Dr Bonnemaison soit sorti d'affaire après sa tentative de suicide. J'en rends grâce au Seigneur, Lui qui veut que nous priions pour le salut de toutes les âmes, y compris (et surtout) celles des meurtriers. Prions également pour que cette expérience douloureuse l'amène à la lumière.
Il me paraissait important de l'écrire, après m'être fendu hier d'un commentaire concluant assez vertement sur les pro-euthanasie...
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Écrit par : Albert Christophe / | 01/11/2015

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