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03/10/2015

Société : Eric Maurin analyse le contresens libéral

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Directeur d'études à l'EHESS, l'économiste Eric Maurin publie La fabrique du conformisme (Seuil). Thèse du livre : alors que le libéralisme économique postule « l'indépendance et l'autonomie de l'individu », la réalité humaine montre que le « besoin d'être avec l'autre » est la clé de toute vie sociale...  Extraits d'entretien* :


 

<< On décrit souvent notre époque comme celle de l’individu affranchi des autorités religieuses, sociales, familiales ou politiques. Un individu aspirant avant tout à l’autonomie, à l’indépendance. Face à lui, les politiques publiques n’auraient plus à s’embarrasser de définir des règles de coopération ou de synchronisation. Au contraire, elles seraient fondées à tout déréguler. Sauf qu’à mon avis, le postulat de départ repose sur un contresens. Vouloir s’affranchir de l’autorité ne signifie pas vouloir renoncer à ses relations avec les autres. Nous ne voulons plus de chefs, mais nous ne désirons pas être traités comme des atomes isolés pour autant. Le besoin des autres et l’importance de leur regard sont partout perceptibles : au travail, en famille, à l’école, dans les quartiers. Nous restons d’autant plus soucieux des autres et conformistes que le lien social est partout menacé... >>

 

<< C’est une question politique majeure : des retraites à la fiscalité, toute réforme qui entend viser un public particulier doit prendre en compte les répercussions qu’elle aura sur tous ceux qui sont liés à ce public... >>

 

<< Les effets directs de la réforme des 35 heures sont bien moindres que ce l’on affirme souvent. En revanche, ce que l’on oublie tout le temps et qui est bien réel, c’est que cette réforme a aussi eu d’importants effets indirects, notamment sur les conjoints des salariés concernés. Ainsi, dans les couples de cadres qui travaillent souvent beaucoup, quand l’un des conjoints a bénéficié des 35 heures, l’autre en a souvent profité afin de réduire tout ce qui pouvait l’être, et notamment les heures sup, pour passer davantage de temps à la maison avec son conjoint. Inversement, dans les couples modestes avec jeunes enfants, où bien souvent la femme est à temps partiel, les 35 heures pour le mari ont souvent permis à sa compagne d’augmenter ses propres heures de travail, voire de repasser à temps complet. Ces adaptations relèvent du désir des individus de partager des vies aussi synchrones et équilibrées que possible avec leur conjoint. Un «conformisme d’amour» mis à mal par les politiques de dérégulation actuelles. Déréguler, contrairement à ce qui est souvent dit, ce n’est pas répondre à un besoin d’autonomie, mais faire violence à un besoin de coordination, de synchronie... >>

 

<< L’idée du travail du dimanche est typique de l’idéologie qui veut que nos échecs soient la conséquence de notre manque de travail, de notre paresse, et seulement de cela. C’est aussi typique de l’idéologie selon laquelle il vaut mieux laisser chacun, chaque localité ou  entreprise, décider de ce qui est le mieux pour lui, comme si cela pouvait se décider indépendamment des autres. C’est la même idéologie qui conduit à vouloir démanteler le code du travail. Cette idéologie néglige complètement les conséquences sociales de toute dérégulation. Quand vous dérégulez un secteur particulier de l’économie, vous infligez des tensions à toute la société, pour des bénéfices économiques généralement incertains et mal partagés... >>

 

<< Une frange de la gauche emboîte le pas à un discours libéral qui prône l’avènement d’individus «entrepreneurs de leur propre vie».  Or, ce qui est en train d’advenir, ce ne sont pas des individus entrepreneurs, mais des individus dépressifs à force d’être isolés les uns des autres. L’identité malheureuse aujourd’hui, c’est celle d’individus à qui leur conformisme ne suffit plus pour s’intégrer dans la société. Une politique sociale de gauche devrait, me semble-t-il, chercher à résister à cette tendance, d’autant que les bénéfices de la dérégulation libérale en termes d’emplois ou de consommation sont généralement très incertains. >> 

 

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* Libération, 3/10.

 

10:39 Publié dans Idées | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : libéralisme

Commentaires

DOCTRINE SOCIALE CATHOLIQUE

> Le libéralisme est multiforme et prompt à s’adapter à toutes les modes pour les détourner à son profit. Finalement il est en général assez mal appréhendé par ses enthousiastes au cerveau endoctriné.
Pour avoir les idées claires, et pour ceux qui ne connaissent pas déjà le texte, une excellente synthèse ici :
http://www.doctrine-sociale-catholique.fr/index.php?id=6714
Décidément, j’apprécie de plus en plus la pensée Jésuite.
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Écrit par : JClaude / | 04/10/2015

TOUS

> Comme dit le faillible en économie:"Tout est lié". Cela ne serait donc pas qu'une formule théologique?
A propos d'individualisme: la génétique dément cette vision des hommes, et la pseudo-morale qui en découle ("mon corps m'appartient, je fais ce que je veux de ma vie, ma liberté ne s'arrêtant que là où commence celle des autres...").
En effet nous ne nous contentons pas de transmettre les gènes dont nous avons hérité ( ce qui déjà trahit les liens intergénérationnels, mais de manière passive),nous modifions notre patrimoine génétique par nos modes de vie, alimentation, stress, drogues et autres traitements chimiques, méditation,... Ainsi, ma façon de vivre va s'inscrire dans les gènes de mes descendants.
Autrement dit, je suis responsable, par mes actes du quotidien, de ce que je transmets aux générations futures. Donc, que je sois homme ou femme, le choix de mon alimentation, de mes activités physiques, de mon mode de vie, n'engage pas que moi, ne regarde pas que mon petit couple individualiste, mais engage aussi l'avenir de l'humanité. Comment dit-on déjà? Ah oui, tout est lié. Tous co-responsables, parce que très concrètement co-créateurs.
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Écrit par : Anne Josnin / | 04/10/2015

LES AUTRES

> "ma liberté ne s'arrêtant que là où commence celle des autres"
En plus cette fausse définition de la liberté est TRÈS DANGEREUSE car elle amène à considérer les autres comme des obstacles.
C'est une définition anti-sociale qui mène à la haine des autres puisqu'elle les considère comme des gêneurs.
Toute personne est un membre de la société donc la liberté ne peut aller contre la société !
La liberté ne peut que s'exercer avec la société, elle est donc inséparable de la responsabilité.
On ne peut donc pas faire tout ce qu'on veut.
La liberté est vécue quand on est soi-même : la personne, le "membre de ce corps".
"Deviens ce que tu es" disait sainte Catherine de Sienne.
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Écrit par : E Levavasseur / | 05/10/2015

@ PP

> vous écrivez "les autres"
Maintenant on ne dit plus "les autres", on dit "l'autre".
Par exemple, "l'ouverture à l'autre" , ça c'est le grand truc, la phrase toute faite d'aujourd'hui.
"L'ouverture à l'autre" : il faut être ouvert, écarter les bras devant "l'autre" sans s'intéresser à ce qu'il est.
Il faut aussi écarter les cuisses car "l'expérience sexuelle" (sic) est obligatoire.
Nous sommes tous égaux, interchangeables, rien ne tient, donc tout le monde a droit à être dans vos bras.
Donc il faut arrêter de dire "nous" il faut dire "on".
Le libéralisme promeut l'individu en le coupant du Ciel d'abord, des autres ensuite pour le livrer à une seule tendance : son désir matériel.
Cela entraîne un appauvrissement humain et une uniformité qui transforment automatiquement l'individu en clone. Au plan marketing c'est plus simple.
Ensuite vient le post-libéralisme qui est le passage du clone à la masse informe.
Rien de plus facile quand "on est tous pareils".
On notera qu'historiquement, les arrangements des catholiques pour "être réalistes" et le totalitarisme socialiste ont aidé à l'implantation du totalitarisme libéral.
"Il faut être ouvert" : il faut écarter les bras avant de les baisser sans doute.
Ce qui est une autre façon de lever les mains pour se rendre : pourquoi se battre/pour quoi se battre, quand nous sommes devenus "on" et qu'on n'est plus rien ?
"L'autre", "on" : un singulier, un indéfini, une masse, un truc, une chose
"Les autres" sous-entend la variété, la personnalisation, cela montre que nous nous sommes intéressés aux autres puisque nous avons déjà remarqué qu'ils étaient très différents, tout sauf interchangeables.
Bientôt on ne dira plus "l'autre" on dira "le pion".
Mais nous ne sommes pas des pions aux mains de joueurs, "nous sommes dans la main de Dieu".
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Écrit par : E Levavasseur / | 05/10/2015

PAS VRAIMENT ÉCOLO

> L'Extrême gauche n'est pas seulement l'idiote utile du Libéralisme mais son meilleur ouvrier avec, par exemple, le mouvement "No Border" :
https://luttennord.wordpress.com/2015/08/28/lille-solidarite-avec-les-jeunes-migrants-du-jardin-des-olieux/
Quelques remarques
1/ regardez les tags : "antifascisme" (quel rapport ? ça se veut révolutionnaire mais ça vit encore en 1930)
2/ ce mouvement porte un nom anglais, "no border"; ainsi la bête noire de l'extrême gauche, les Etats Unis, inspirent désormais leurs mouvements. Encore une preuve que l'internationalisme de gauche est le meilleur tremplin vers le globish libéral.
D'où ma question : mais que font donc si souvent beaucoup de sympathiques "écolos-terroir" avec ces "crados-globish" ?
Réponse :
a/les crados-globish polluent (sic assumé) bcp de mouvement écolo-terroir-proximité
b/ les écolos-terroirs sont trop faibles avec eux
3/ absence de frontière donc de contrôle par l'Etat : exactement ce que réclament les Libéraux ; les crados-globish sont donc de bons soldats des Lloyd Blankfein
4/absence de contrôle= absence de repérage des immigrés en difficulté, d'où explosion de l'exploitation, du néo-esclavagisme
5/ces crados globish ne travaillent pas ; au fait de quoi vivent-ils ? QUI LES PAIE ?
6/avez-vous déjà vu un camp de crados-globish ? une poubelle à ciel ouvert. Pas vraiment écolo
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Écrit par : E Levavasseur / | 05/10/2015

BESOIN D'ÊTRE AVEC LES AUTRES

> Cela se confirme aussi dans le monde carcéral. M'étant rendu dans l'ancienne prison Montluc de Lyon, d'abord prison militaire, qui a servi à la détention des résistants et à la déportation des Juifs pendant la guerre, de lieu de détention et de lieu d'exécution pendant la guerre d'Algérie, puis de maison d'arrêt avec une section hommes jusqu'en 1997 et une section femmes jusqu'en 2009, transformée en lieu de mémoire depuis lors, j'ai ainsi appris que, pour les femmes incarcérées dans ces lieux jusqu'en 2009, l'administration de la prison tempérait leurs conditions difficiles de détention (cellules plus petites que la norme, chauffage défaillant, eau de la douche rarement chaude), en laissant les cellules ouvertes une grande partie de la journée, en laissant les étages fermés, de façon à ce que les prisonnières puissent passer d'une cellule à l'autre et entretenir un certain lien social.
Les membres des associations militantes pour les droits des prisonniers rapportent que ces derniers, lorsqu'ils sont passés par des prisons avec des conditions matérielles dures mais avec des liens sociaux plus importants que la moyenne des prisons, les regrettent lorsqu'ils passent dans d'autres prisons,même avec des conditions matérielles beaucoup plus douces, mais isolés beaucoup plus longtemps qu'avant.
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Écrit par : Aurélien Million / | 05/10/2015

@ Eric Lavavasseur.

> L'autre: ce qui est intrigant et mériterait d'être étudié, c'est que "l'autre" à remplacé "le prochain".
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Écrit par : Pierre Huet / | 06/10/2015

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