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03/01/2015

L'émerveillement, lieu de rencontre (et de révolution)

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Une philosophe ouvre ce chemin :


 

 

De Cynthia Fleury, dans Libération Rebonds (30/12) :

« Parler de ''fabrication de soi-même'' évoque, dorénavant, moins l'apprentissage des humanités que les capacités technologiques d'augmentation de soi-même. Se fabriquer, se réparer, se réactualiser, comme le ferait un ordinateur […] Les anciens voulaient devenir un ''nom''. Les postmodernes veulent devenir un ''chiffre''. Non plus la finalité de l'action, mais sa mesure. La quantification de soi est le dernier avatar de l'homme sans qualités... »

Face à ce fourvoiement hérité de la Renaissance**, la philosophe signale une autre voie par analogie avec le récit de la Genèse :

« Si Dieu crée des merveilles, l'homme sera, quant à lui, la puissance de l'émerveillement, avant même d'être une puissance autonome de définition personnelle. Et qui sait si la capacité d'émerveillement n'est pas le plus sûr chemin vers celle de se définir soi-même ? »

Cynthia Fleury constate qu'aujourd'hui « il n'est pas sûr que l'homme s'émerveille de sa propre existence »... Ajoutons qu'on lui infuse un complexe d'infériorité vis-à-vis de l'ordinateur et du robot, tellement plus performants dans l'exécution de programmes (et capables demain de reproduire des émotions : ce qui ringardisera l'humanité).

Pourtant, dit la philosophe, l'homme aurait de quoi se « réenchanter » : nous redécouvrons le sens de l'individuation, « le rôle déterminant que joue l'autre dans l'autonomie du sujet ». Nous découvrons « les conduites entropiques que peut provoquer un individualisme mal compris »**, et nous commençons à trouver des issues de secours :

« La propriété reste le coeur de nos sociétés, mais les révolutions sont ailleurs : dans celle de l'usage, du partage et de l'inappropriable. »

Cynthia Fleury cite des  expériences de « communautés de valeurs et de pratiques » aujourd'hui à travers le monde. On peut lui reprocher de ne pas accuser nommément le turbocapitalisme, générateur de la déshumanisation qu'elle critique – alors qu'elle ne peut ignorer le problème, étant membre du collectif Roosevelt qui combat le TTIP-TAFTA... Mais les deux points qui nous frappent dans son texte sont plutôt ceux-ci :

> l'apologie de l'émerveillement, et de l'homme en tant que « puissance d'émerveillement ». C'est  dans le sens de l'anthropologie chrétienne. Et c'est le socle – par dérivation – de tous les combats d'écologie plénière : environnementale et humaine ! S'il n'inspirait pas une indignation (active) contre ce qui détruit les merveilles, l'émerveillement serait une imposture...

> L'idée des révolutions à venir : celles « de l'usage, du partage et de l'inappropriable ». On retrouve ce thème dans les encycliques sociales (Jean-Paul II, Benoît XVI), dans les analyses du pape François (on le verra évidemment dans son encyclique), et c'est un thème que les bisounours business-friendly n'arriveront pas à enfouir : s'il y a de « l'inappropriable » sur cette terre, c'est contraire à la machine turbocapitaliste qui fait inexorablement commerce des biens vitaux de la nature et des biens intimes de l'humain ; ces biens pourtant « trop fragiles pour être livrés à l'arbitraire du marché », disait le pape Wojtyla.

Qu'un article sur l'émerveillement – père aussi de toutes nos indignations – puisse paraître dans les pages d'idées de Libération, est un fait singulier. Notons-le et faisons-le connaître.

 

_______________ 

* Cf le texte (luciférien) de Pic de la Mirandole, qui faisait ainsi parler Dieu à l'homme : « Je ne t'ai donné ni place déterminée, ni visage propre, ni don particulier, ô Adam, afin que ta place, ton visage et des dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même... Toi que ne limite aucune borne... » etc. Il y a antinomie entre ce texte et la vision du livre de la Genèse, qui situe la condition humaine entre les deux « limites » de la natalité et de la mortalité.

** Cynthia Fleury ne donne pas d'exemples. Dommage ! Ce serait le lieu d'un sérieux débat sociétal : celui qui n'a pu avoir lieu en 2013-2014, les "libéraux-conservateurs" ayant enfumé la scène.

 

 

 

idées

  

11:12 Publié dans Ecologie, Idées | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : idées

Commentaires

PIC DE LA MIRANDOLE

> Etonnant qu'un tel personnage, qui est censé avoir hérité des platoniciens et des néoplatoniciens, ait pu tenir de tel propos. Les Grecs, et leurs mises en garde contre l'hybris, ne peuvent pas avoir un texte pareil.

AM


[ PP à AM - Mais les néoplatoniciens des XVe-XVIe siècles étaient fortement orientés vers le gnosticisme et la magie, portes ouvertes sur un culte de l'illimité. Comme tout ce milieu, Pic de la Mirandole mélangeait théologie, philosophie, kabbale et "haute magie". Il ne se réclamait pas seulement de Platon, mais syncrétiquement d'Hermès Trismégiste et de l'orphisme...
Innocent VIII le déclara "pour partie hérétique" en raison de treize de ses thèses : notamment pour avoir professé que la kabbale et l'hermétisme étaient aussi anciens et de même valeur que la Bible, et que l'homme était "le créateur de soi-même".
Noter que selon Pic l'astrologie doit être rejetée parce qu'elle est un déterminisme, alors que la "haute magie", au contraire, ouvre à la volonté de l'homme un espace infini. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Aurélien Million / | 03/01/2015

> Il sera beaucoup pardonné à Pico della Mirandola, parce qu'il fut l'ami et finalement le disciple du grand Savonarole !
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Écrit par : girolamo / | 03/01/2015

PAPYRUS

> « Jésus a dit :
"Que celui qui cherche ne cesse pas de chercher, jusqu’à ce qu’il trouve. Et quand il aura trouvé, il sera troublé ; quand il sera troublé, il sera émerveillé, et il régnera sur le Tout."
« Judas dit :
"Qui sont donc ceux qui nous tirent vers le ciel, si le royaume est au ciel ?"
Jésus dit :
"Les oiseaux du ciel, les bêtes sauvages, tout ce qui vit sous la terre ou sur la terre, et les poissons de la mer vous tirent vers Dieu. Et le royaume des cieux est au-dedans de vous. Le trouvera qui connaît Dieu, car en connaissant Dieu, vous vous connaîtrez vous-même, et vous apprendrez que vous êtes les fils du Père parfait, et vous apprendrez que vous êtes les citoyens du ciel. Vous êtes la cité de Dieu." »
(papyrus 654 d'Oxyrhynque)
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Écrit par : Guadet / | 03/01/2015

à Guadet

> houla ! justement le papyrus 654 est un fragment de l'apocryphe "Evangile de Thomas",
texte gnostique du IIIe siècle ! Pic l'aurait trouvé épatant.
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Écrit par : bernard gui / | 03/01/2015

PIC DE LA MIRANDOLE

> L’interprétation « luciférienne » que Cinthia Fleury propose de Pic de la Mirandole est très contestable. Apparemment, elle cherche à réactiver le poncif qui faisait de cet homme du XVe siècle, désireux de ramener l’ensemble des connaissances de son temps à l’unité de l’Evangile, une sorte de père de la modernité anthropocentriste. Elle ne voit pas que ce qui intéresse Pic de la Mirandole, dans le passage cité, c’est le rapport entre grâce et liberté. Pic fait ressortir une vérité de la foi chrétienne : l’être humain a été créé capable de Dieu – mais libre. Il lui revient de répondre (ou non) à l’impulsion de la Grâce en lui. Microcosme de la création, l’homme, par les actes qu’il pose, peut s’élever jusqu’à l’ange ou retomber au niveau de la bête. Mais en même temps, c’est par lui que le Salut est apporté à l’ensemble des créatures. Des théologiens comme Henri de Lubac, ou Louis Bouyer à sa suite, ont insisté sur ce point : Pic de la Mirandole appartenait à un courant de la Renaissance profondément théocentrique, à mille lieues des philosophies (déjà émergentes) qui prétendaient penser l’homme, les êtres, la métaphysique ou la morale, indépendamment de Dieu. Pic, c’est l’anti-Descartes.

Blaise



[ PP à Blaise

- Ce n'est pas Cynthia Fleury qui dit cela sur Pic : c'est moi.
- Comme vous le savez nécessairement, le néo-platonisme de la Renaissance (Pic, Reuchlin, Giorgi, Agrippa, Dee) est un amalgame de Platon et d'occultismes de l'Antiquité tardive.
Comme Marsile Ficin, Pic était fasciné par le 'Corpus Hermeticum' du pseudo-Hermès Trismégiste, cru contemporain de Moïse donc ayant égale autorité que la Genèse (crue écrite par Moïse).
Pic était aussi fasciné par la Kabbale, elle aussi crue issue de Moïse, alors qu'elle véhicule des éléments gnostiques de l'Antiquité tardive.
- Ficin n'ose pas introduire la Kabbale dans sa théologie, sa philosophie et sa magie.
Mais Pic l'ose. Et il l'ose pour « améliorer » le christianisme. Il est persuadé que la Kabbale remonte à Moïse, ancienneté qui donne autorité : donc, qu'elle apporte les clés de décryptage du Nouveau Testament. Autrement dit : un « savoir » ésotérique hors de portée du vulgaire...
Les '900 thèses' de Pic qui entraînèrent sa condamnation romaine étaient tirées de la Kabbale espagnole, de textes néo-platoniciens tardifs, d'hymnes orphiques et d'oracles chaldéens – entre autres. Il y voyait le socle d'un syncrétisme de toutes les philosophies et spiritualités. Faire fusionner les religions faisait ainsi partie de ses buts... et des motifs de sa condamnation romaine : le mouvement hermétiste-kabbalistique lié au néo-platonisme se voulait mouvement de réforme religieuse, et tentait d'agir autant du côté protestant (Dürer) que du côté catholique.
- Le manifeste principal de Pic s'intitule 'De la dignité de l'homme'. Pic assimile cette 'dignité' au pouvoir magique d'opérer sur le monde. Il croit cela compatible avec le christianisme. (John Dee et les autres mages-mathématiciens de la Renaissance le croient aussi).
A travers la Kabbale, Pic vise à communiquer avec les « archanges ». On sait tout le mal qu'eut le christianisme primitif à détacher ses fidèles de la mythologie gnostique des «Puissances » (on en trouve des échos chez Paul) ; c'est cette mythologie qui se réintroduit dans le christianisme à travers les Renaissants comme Pic ou Dee. Un système théosophico-cosmique permettant à l'Adepte de manier les pouvoirs des Noms divins et de ceux des archanges, une quête de « puissance » spirituelle : ce n'est plus du christianisme, c'est la contamination gnostique telle que les Pères durent la combattre.
On peut ajouter à cela que la numérologie, pilier de la Kabbale, mène à une magie du chiffre ; d'où le dérapage magicien de mathématiciens comme Dee. Pour sa part, Pic déclare : « Par les nombres nous avons un moyen de recherche et de compréhension de toute chose capable d'être connue » (y compris les choses supra-célestes). Tout ce courant pense que les nombres sont la clé de l'univers. Mélange de Pythagore et de Kabbale... La « magie des anges » n'est rien d'autre que de l'occultisme, mais Pic, Dee et les autres croient être dans une forme supérieure de christianisme, et croient que la Kabbale les préservera des puissances diaboliques.
C'est sur cette toile de fond que se comprend l'offensive de la Contre-Réforme catholique contre le néo-platonisme et les formes d'occultisme qui en dérivent...
- Cela étant, je serais très intéressé de savoir ce que Lubac et Bouyer ont écrit sur Pic. Surtout Bouyer, qui a beaucoup travaillé sur la confrontation du christianisme primitif, des cultes à mystères et du gnosticisme. Pouvez-vous me donner les références ? ]

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Écrit par : Blaise / | 04/01/2015

AGAMBEN

> Cynthia Fleury souligne avec justesse : « Les anciens voulaient devenir un "nom". Les postmodernes veulent devenir un "chiffre". »
De façon similaire, Giorgio Agamben écrivait dans un de ses livres : « Qui se laisse prendre dans le dispositif du " téléphone portable ", et quelle que soit l’intensité du désir qui l’y a poussé, n’acquiert pas une nouvelle subjectivité, mais seulement un numéro au moyen duquel il pourra, éventuellement, être contrôlé » ("Qu’est-ce qu’un dispositif", Paris, Rivages poche, 2014 p. 44-45)
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Écrit par : Blaise / | 04/01/2015

ELINOR OSTROM

> Puisque Cynthia Fleury évoque les révolutions qui se font dans les domaines « de l'usage, du partage et de l'inappropriable », au-delà de la simple logique de l’intérêt et de l’échange transactionnel, comment ne pas évoquer la thématique des biens communs, qui s’est développée dans le sillage d’Elinor Ostrom ?
Un fait encourageant, à citer : Le 28 janvier 2011, la Cour suprême de l’Inde a reconnu le statut de « bien collectif » d’un lac situé dans le district de Patiala ; en conséquence, elle a reconnu coupable l’entreprise immobilière qui avait tenté de se l’approprier, aux dépens des villageois locaux, du « crime of enclosure ».
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Écrit par : Blaise / | 04/01/2015

@ bernard gui

> Je croyais que les gnostiques méprisaient la nature, création pour eux d'un démiurge imparfait. Là au contraire elle est présentée comme chemin vers Dieu.
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Écrit par : Guadet / | 04/01/2015

CYNTHIA FLEURY

> Cynthia fleury est une philosophe passionnante que j'ai écouté à maintes reprises ( étant aussi dans le même parti qu'elle à Nouvelle Donne). et elle dénonce aussi le capitalisme financier http://www.humanite.fr/linapprivoisable-finance-560025
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Écrit par : catholique de gauche / | 04/01/2015

CYNTHIA FLEURY ET PIC

> Un propos de Cynthia Fleury qui m’a fortement heurté, c’est lorsqu’elle accuse Pic d’avoir nié, dans l’« Oratio », les limites propres à notre condition humaine : la natalité et la mortalité. Mais le passage qu’elle cite ne permet pas une telle affirmation : il y est seulement affirmé que, seul entre toutes les créatures (y compris angéliques), l’homme a été créé libre ; qu’il lui revient de faire un bon usage de sa liberté. Justement parce qu’il a reçu de Dieu le libre arbitre, l’homme expérimente tout à la fois la dignité incomparable de sa condition et sa faiblesse, qui ne sont que les deux faces d’une même réalité : l’homme peut accepter de répondre à l’appel du Christ, être saint comme Dieu est Saint ; il peut également échouer dans sa vocation, refuser l’amour divin.
Ainsi que l’écrit Pic, « Si nous ne t'avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c'est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence. Tu pourras dégénérer en formes inférieures, qui sont bestiales; tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines.»
Pic est sans ambiguïtés lorsqu’il fait un usage imagé des métamorphoses : « il nous appartient, puisque notre condition native nous permet d'être ce que nous voulons, de veiller par-dessus tout à ce qu'on ne nous accuse pas d'avoir ignoré notre haute charge, pour devenir semblables aux bêtes de somme et aux animaux privés de raison. »
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Écrit par : Blaise / | 04/01/2015

TRUCHEMENT

> J'aime l'expression qu'utilise Pic de la Mirandole pour parler du rapport de l'homme aux autres êtres et leur commune destination eschatologique : « L’homme est un truchement entre les créatures ».
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Écrit par : Blaise / | 04/01/2015

BOUYER

> Louis Bouyer a écrit un compte-rendu favorable du livre de Henri de Lubac :
BOUYER Louis, « L’exemple de Pic de la Mirandole », Communio, I-5, N°5, mai 1976
- http://www.communio.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=697&Itemid=168
Je cite Bouyer : « loin de noyer l’originalité du christianisme, à plus forte raison la vigueur de son théisme, dans un quelconque syncrétisme où toutes les religions et les philosophies religieuses pourraient être réduites à un plus petit commun dénominateur, et finalement résorbées dans la seule exaltation de l’homme par lui-même, [Pic] s’est proposé exactement l’inverse : montrer dans la révélation évangélique l’unique plénitude vers laquelle tendait obscurément tout ce qu’il pouvait y avoir de valide dans les meilleures philosophies religieuses de l’humanité gréco-latine et dans les plus authentiques de ses expériences qu’on peut dire pré-mystiques. »

L’ouvrage du Père Henri de Lubac :
LUBAC Henri (de), "Pic de la Mirandole", Aubier Montaigne, 1974

Blaise


[ PP à B. - Merci, je vais lire ça. C'est étrange, compte tenu des données occultistes indiscutables... et de la condamnation romaine pour "quasi-hérésie" ! ]

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Écrit par : Blaise / | 04/01/2015

PIC ET LE PAPE BORGIA

> Le 18 juin 1493 le pape Alexandre VI a accordé un « bref d'absolution pleine et entière » à Pic de la Mirandole : "Omnium Catholicorum".

Blaise

[ PP à Blaise :
Après avoir fait arrêter Pic (réfugié en Savoie) par le nonce, le pape précédent l'avait autorisé à résider à Florence sous la surveillance de Laurent de Médicis.
En dépit de quoi Pic, toujours syncrétiste mais devenu disciple de Savonarole, a détruit certains de ses textes, distribué sa fortune et milité contre les Médicis, qui ont fini par le faire empoisonner en 1494 par son secrétaire.
Quant à Savonarole, qui prononce l'oraison funèbre de Pic, on connaît sa fin en 1498 : exécuté sur l'ordre d'Alexandre VI Borgia. Intéressante époque. ]

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Écrit par : Blaise / | 04/01/2015

LES DEUX GNOSES

> Tout cela est bien passionnant : cela donne envie de s'y replonger.
Attention de ne pas tomber dans le défaut d'aujourd'hui de rejeter toutes les fautes sur nos pères ou nos ancêtres. En principe il faut être plus dur envers soi qu'envers ses contemporains, et plus envers ceux-ci qu'envers nos parents. Aujourd'hui on fait tout l'inverse. On oublie que les morts ont droit à notre indulgence, et qu'il est plus enrichissant pour nous d'admirer ce qu'ils ont fait d'admirable et de jeter un voile pudique sur leurs errements.
Même si le gnosticisme a donné lieu à des excès très condamnables, il a pu développer parfois des richesses très chrétiennes. Il est vrai que le christianisme est une religion de l'initiation qui ne se livre que progressivement par une connaissance. Ce n'est que petit à petit qu'on sort du stade de "ces oreilles qui n'entendent pas, ces yeux qui ne voient pas". Et cela n'a rien à voir avec un élitisme socio-culturel. Il m'a été confié de modestes missions paroissiales dans des quartiers très défavorisés, et j'ai été frappé, chez des illettrés, par la connaissance (au sens de la gnose) acquise par l'écoute des textes et la familiarité avec Dieu dans l'apprentissage d'une vie difficile. C'est par une telle initiation que Jeanne d'Arc ou Bernadette Soubirous ont pu tenir tête aux soi-disant savants.

Guadet

[ PP à Guadet - Attention à ne pas mettre au crédit de la Gnose antique (quête de "puissance" élitiste, ésotérique, magicienne) ce que l'on a pu appeler "initiation chrétienne", fondamentalement différente par nature et surnature. Les deux gnoses ne se ressemblent que comme Satan ressemble à saint Michel. ]

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Écrit par : Guadet / | 05/01/2015

> Lire "s'émerveiller devant" à la place de "admirer".
Merci
et bonne année

Guadet


[ PP à Guadet - Bonne année à vous ! ]

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Écrit par : Guadet / | 05/01/2015

EXACTEMENT CE QUI NOUS ARRIVE

> Bonsoir à tous - Une lecture de Genese 2, 15 est quelquefois avancée : l'homme est placé par Dieu dans le jardin d'Eden "pour qu'il le cultive et le contemple", plutôt que "pour qu'il le cultive et le garde". Le garder de quoi, d'ailleurs, avant la Chute ? Cette traduction, je l'avoue, a ma faveur.
Mais pour ce qui concerne les prétentions de l'Homme à se faire lui-même, à nouveau la Genèse nous enseigne -mais c'est encore une question de traduction- que nous sommes faits "dans son ombre et comme dans sa consanguinité", ce qui est une traduction très littérale de ce que nous lisons habituellement par "Il fit l'Homme à son image et à sa ressemblance".
Et pour qu'il y ait une ombre, il faut une source de lumière, un "patron" et un support qui reçoit la lumière et l'ombre. Supprimons un de ces trois éléments et il n'y a plus d'ombre, plus d'homme (pas d'allusion ici à la langue espagnole que je ne parle d'ailleurs pas !...).
Si l'on accepte de voir dans le modèle (ou le "patron") l'homme en parfaite harmonie avec la volonté divine, à savoir le Christ, nous comprenons qu'il n'est pas une seconde question dans le projet de Dieu de nous mener à la chute.
Or il est tout aussi vrai que les conditions de la liberté sont indispensables pour que l'homme soit homme et non simple programme exécutable. Ces conditions sont symbolisées par l'arbre de la connaissance "bonne et mauvaise", et le commandement qui lui est attaché : ne pas en manger le fruit. La liberté de l'homme se traduit par la liberté de transgresser et donc de choir. Mais personne ne semble comprendre que la condition de la liberté NE NÉCESSITE PAS L'OBLIGATION de transgresser.
L'interdit qui est la condition nécessaire à la liberté - sinon, il n'y aurait pas de choix du tout - nous dit aussi par construction que nous avons besoin de limites pour exister. Nier ces limites, c'est nier à la fois Dieu et les Hommes.
Exactement ce qui nous arrive en ce moment.
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Écrit par : Fernand Naudin / | 05/01/2015

LUBAC

> Voici quelques extraits de "Pic de la Mirandole", où Lubac défend l’orthodoxie de l’auteur (p. 410-412) :

« […] Dès la première année de son pontificat, Alexandre VI, entérinant les conclusions proposées par trois cardinaux et le maître du Sacré Palais, mettait fin à toute l’affaire [la condamnation de 1487], par une lettre adressée " à notre cher fils, le noble Jean Pic, comte de la Mirandole ".
Bien entendu, c’était là surtout un geste politique, "un hommage rendu à Pierre de Médicis en raison de la situation politique en Italie" ; mais ce geste n’en venait pas moins conclure un enquête sérieusement menée. […] »

« […] Vingt-cinq ans plus tard, par un bref du 10 avril 1519 adressé à Jean-François [le neveu de Pic], Léon X devait achever cette réhabilitation en autorisant la publication intégrale des œuvres de Pic : désormais non seulement l’Apologie, mais les neuf cents thèses elles-mêmes allaient pouvoir être rééditées. Elles le seront en 1532. Et ce ne sera pas le Discours, ni aucun des ouvrages postérieurs qui vont d’abord assurer, en bonne ou en mauvaise part, la renommée posthume de Jean Pic et alimenter sa légende, mais ces Conclusiones nongentae, sources de ses malheurs, d’abord proscrites, puis réhabilitées.

« Jamais Pic de la Mirandole n’a figuré, pour aucun de ses écrits, dans aucun catalogue de l’Index librorum prohibitorum. Alors qu’un Erasme n’y échappait pas, non plus qu’un Cardan ou un Pomponazzi, non plus qu’un Savonarole, la décision d’Alexandre VI le protégeait. […] »

Le père Henri de Lubac précise encore : « Les historiens catholiques des hérésies, souvent moins exigeants en matière d'orthodoxie que bien des auteurs incroyants, moins enclins à confondre la doctrine catholique avec un quelconque intégrisme, respecteront d'ordinaire la mémoire de Pic. » (p. 413) Et c'est vrai : Dans la 37e édition du Denzinger, il n'est pas fait mention de Pic.

De toute façon, pour comprendre ce que dit Pic sur la liberté ou son recours au mythe de Protée, mieux vaut se tourner vers le Nouveau Testament, les Pères de l'Eglise et les auteurs médiévaux.
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Écrit par : Blaise / | 06/01/2015

ALEXANDRE VI

> Alexandre VI Borgia, quel édifiant exemple de Saint Père !
L'un des hommes qui auront fait le plus de mal à l'image de l'Eglise au cours du temps.
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Écrit par : angelo rossi / | 06/01/2015

Henri de Lubac a lavé Jean Pic de toute accusation de syncrétisme :

> « Autant et plus que le mot de conciliation, le mot de syncrétisme, appliqué à l’œuvre de Pic de la Mirandole, serait donc tout à fait inadéquat. Si confuse qu’elle puisse quelquefois apparaître dans son bouillonnement, si peu originale dans ses procédés symboliques ou dans sa croyance à des mystères secrets, si peu critique dans son appel aux traditions les plus hétéroclites, la pensée qui s’exprime dans l’Oratio n’est nullement d’intention syncrétiste – à moins qu’on ne veuille donner à cette hépithète une signification très lâche, ou qu’on ne précise avec M. Kristeller que le syncrétisme dont il s’agit, différent et de l’ancien "éclectisme" et du moderne "perspectivisme", est "exclusif aussi bien qu’inclusif". La pensée picienne ne cherche point à "allier le christianisme et le polythéisme". A plus forte raison serait-il faux de dire qu’elle se caractérise par une adhésion au "pagan revival" que l’on observe dans la société de son temps. On ne saurait dire non plus qu’elle soit en quête d’une "religion naturelle à la fois simplifiée et savante". Si l'on veut bien l'envisager dans son contexte traditionnel et entrer dans le sens de son auteur en se fondant sur ses propres déclarations, on constatera qu'elle ne préconise absolument pas une "vérité religieuse universelle, indépendante des dogmes particuliers et des contingences historiques"; le christianisme n'y perd pas "son prestige de ' vérité ' unique, sa place privilégiée, ses contours positifs historiques, en devenant un des chaînons dans la chaîne ininterrompue de la tradition universelle". C'est une erreur de méthode que d'interpréter cette pensée d'après les tendances naturalistes décelées chez des écrivains postérieurs, tels qu'un Jean Bodin ou un Giordano Bruno. Elle ne trouve pas davantage son inspiration, comme fera celle d'un Sébastien Franck, dans un mysticisme intemporel, dédaigneux de toute histoire comme de toute objectivité doctrinale, "dégageant l'Évangile du temps et du lieu" et dissolvant toute notion d'Église. Elle n'a rien non plus de commun avec la mentalité sceptique d'où sortit la fameuse fable des trois anneaux, déjà répandue au XVIe siècle et popularisée dans les temps modernes par Lessing. […] » ("Pic de la Mirandole", Paris, Aubier-Montaigne, 1974, p. 110-111)

En cherchant dans les textes païens, juifs et arabes les éclats de vérités que ceux-ci pouvaient contenir, Pic n’a fait que s’inscrire dans la continuité des Pères de l’Eglise et des théologiens médiévaux, lesquels décelaient des « semences du Verbe » chez les philosophes et les poètes de l’antiquité. La lecture qu’il propose de toute cette littérature non-chrétienne, bien évidemment, est orientée par sa foi dans le Christ (Henri de Lubac parle de « transposition spirituelle »). Son entreprise est ainsi éminemment apologétique. Mais Pic ne se propose nullement de réinterpréter la foi chrétienne à l’aide des écrits orphiques, kabbalistiques ou musulmans. Par exemple, concernant Hermès Trismégiste, Henri de Lubac précise que c’était une « autorité » fréquemment invoquée par les Pères de l’Eglise (et au-delà) ; que ses nombreuses citations dans les "Institutions" Divines lui « avaient assuré sa fortune chrétienne » (p. 103).
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Écrit par : Blaise / | 06/01/2015

ALEXANDRE VI

> ce pape a tout sacrifié à la combinazione politique. Le seul moderne qui ait défendu sa mémoire était Maurras, ça en dit long : l'ennemi du Magnificat.
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Écrit par : angelo rossi / | 06/01/2015

RAS LE BOL

> à PP et Blaise - Mirandole ras le bol. On a le droit de revenir au sujet de l'article sur l'émerveillement, svp ? Alors voilà ma question : d'où vient que l'homme d'aujourd'hui ne s'émerveille pas de sa propre existence, comme dit Mme Fleury ?
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Écrit par : B. Géneau / | 06/01/2015

GUÈRE

> Effectivement, les papes de la Renaissance n'étaient guère reluisants. Alexandre VI - et avant lui Innocent VIII - n'étaient guère reluisants.
Comme disait lord Acton : « Le pouvoir absolu corrompt absolument. » Malheureusement, la papauté était devenu un enjeu de pouvoir entre grandes familles.
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Écrit par : Blaise / | 06/01/2015

@ B. Géneau

> Justement! Jean Pic s'émerveillait, dans son "Oratio", de l'homme, cet animal unique en son genre, cet étrange Protée capable de changer à ce point de nature en s'unissant à Dieu. Les Grecs parlent crûment de «divinisation ».
Est-ce que nous nous émerveillons suffisamment d'être des créatures de Dieu et ses enfants adoptifs ?
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Écrit par : Blaise | 06/01/2015

COMME UN FARDEAU

> L'homme contemporain ne s'émerveille pas de sa propre existence parce qu'il la vit comme un fardeau - une substance matérielle vouée au plaisir, au déplaisir, à la mort, et que l'on peut mesurer, décomposer, monnayer. Ce que je dit est également valable pour l'ensemble des êtres vivants et même du minéral. Nous vivons dans une civilisation matérialiste, technicienne, gestionnaire, consumériste qui s'impose à tous.
Que peut encore signifier s'émerveiller devant un paysage à l'ère du marketing et du tourisme de masse, qui ne cessent d'instrumentaliser nos désirs, notre imaginaire, nos territoires ? L'artificialisation généralisée nous en empêche. Et plus nous nous émerveillons, plus l'objet de notre émerveillement en pâtit, dépérit, disparaît par notre faute.
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Écrit par : Blaise / | 06/01/2015

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