Voeux 2015 ! (3) nous libérer de l'enfumage libéral

...de gauche et de droite :

 

Au fil d'un article de l'espiègle Le Vaillant sur le lugubre Houellebecq, cette phrase qui définit (sans le vouloir) l'enfumage « de gauche » en 2014 : « Un individualisme social, un hédonisme collectif, un matérialisme athée ». Luc Le Vaillant prône ça. C'est dans la logique de son dandysme libertaire bien connu : il prône aussi  – ailleurs que dans cet article – « la fermeture des prisons, la légalisation de toutes les drogues, l'ouverture des bordels d'Etat pour hommes et femmes, la dissémination des logements sociaux, et une nouvelle approche du partage du travail»...

Ce qu'il n'a pas l'air de voir*, c'est que, dans le tryptique « individualisme social – hédonisme collectif - matérialisme athée »,  deux éléments font partie de l'enfumage Hollande-Valls & Cie : l'individualisme social et l'hédonisme collectif**. Ce sont deux mythes : les derniers mythes allégués par une gauche inféodée au FMI, aux agences de notation et demain au TAFTA-TTIP... Or ces deux mythes camouflent eux aussi les injonctions sociétales de l'ultralibéralisme. L'individualisme n'est dit « social », et l'hédonisme n'est dit « collectif », que par mensonge politiquement-correct : en réalité ils sont le produit de la société de marché.

La droite aussi est inféodée au FMI, aux agences de notation et demain au TAFTA-TTIP. Elle le camoufle encore plus mal. Cela pour deux raisons : a) elle est  inféodée par nature, non par résignation ; b)  son camouflage est râpé : c'est « l'anti-socialisme » et « l'anti-communisme » (dixit Sarkozy), postures dérisoires quand il n'y a plus de socialisme ni de communisme.

La posture est tout ce qui reste au politicien. L'essayiste Christian Salmon, qui importa en France la notion US de storytelling (art de substituer le « récit » marketing à l'action politique), expliquait en 2013*** que la communication politique vise désormais à transformer l'homme d'Etat en objet de consommation :

« Sous l'effet conjugué des politiques néolibérales et de la révolution de la communication, la scène politique s'est déplacée des lieux traditionnels de l'exercice du pouvoir vers ces lieux de performance que sont les médias en continu, Internet et les réseaux sociaux. Le temps long de la délibération démocratique a cédé la place au temps réel des chaînes d'info en continu. L'homme d'Etat se présente désormais moins comme une figure d'autorité que comme un objet de consommation, un personnage de série télévisée soumis à une obligation de performance... C'est une performance complexe qui ne consiste pas seulement à raconter une histoire, mais à maîtriser l'agenda des médias, à cadrer le débat public par le jeu des métaphores et des éléments de langage, et surtout à "créer le réseau", c'est-à-dire un espace qui permet de diffuser les messages et de les rendre contagieux pour enflammer l'Audimat... »

Ce phénomène (explique Salmon) est né de la double mutation des années 1980-1990 : la révolution néolibérale et la révolution des technologies de l'information et de la communication. Sauf les attardés « antisocialistes-anticommunistes » ou « anti-réacs », tout le monde peut voir que la dégénérescence du politique – gauche et droite confondues – est le produit de sa soumission à la tyrannie économique et financière du libéralisme armé de la technology :

«  Le néolibéralisme a consisté à mettre au pouvoir des hommes politiques dont la mission paradoxale était de détricoter la souveraineté, de désarmer l'Etat, de le vider de sa substance. Le résultat est sous nos yeux : la souveraineté fuit de partout, vers le bas avec la décentralisation et vers le haut avec les institutions européennes, les multinationales, les marchés financiers...  Une nouvelle génération d'hommes politiques est apparue avec Bill Clinton, Silvio Berlusconi, Tony Blair, George Bush, Nicolas Sarkozy, des performeurs capables de capter l'attention et soucieux de booster l'Audimat. Des stratèges de la tension narrative...  [Puis on a assisté] à l'émergence d'un nouvel habitus, le comptable à lunettes, modèle Hollande, Mariano Rajoy ou Mario Monti […] Après les années de ''sarkocaïne'', François Hollande a administré aux Français un traitement  au lithium, [mais] les machines à raconter se sont remises en route, exigeant leurs doses d'histoires, de suspense, de coups de théâtre et de scandales… »

« D'un côté un pouvoir d'agir anonyme (Bruxelles, Wall Street, les multinationales), de l'autre une symbolique de l'Etat qui tourne à vide, réduite à la performance [au sens showbiz du terme] ; d'un côté des décisions sans visage, de l'autre, des visages impuissants... »

 

L'homme politique actuel se bat pour survivre, mais il sert le système qui est en train de l'engloutir.

D'où notre troisième voeu pour 2015 : que tous les catholiques français rejoignent la population française qui ne croit plus aux partis !

Elle n'y croit plus, soit parce qu'elle voit les résultats (ou leur absence) ; soit parce qu'elle devine plus ou moins ce qu'il y a backstage, « derrière le podium » ; soit, dans le cas des moins conscients, parce que les phases d'hyper-addiction médiatique sont suivies de phases dépressives, et que ces dernières sont de plus en plus rapprochées depuis que la campagne électorale  (remplaçant l'acte de gouverner) est devenue quasi-permanente.

Les catholiques seraient-ils les derniers Français à se laisser duper par ce système en croyant au storytelling d'un parti ? Ce serait une honte intellectuelle et morale. Et cela n'adviendra pas, si les catholiques ouvrent leurs oreilles et leur coeur aux appels du pape François.

Le pape ne nous dit pas de nous désintéresser de la chose publique ! Bien au contraire, il nous appelle à l'action lucide. Sous quelles formes ? C'est un débat pour l'an qui vient... Et voici peut-être un angle pour l'aborder (comme dirait mon ami Pierre de Lauzun, cf note d'hier)  :

 

Pape François, discours aux mouvements populaires, 29/10/2014

http://ccfd-terresolidaire.org/infos/eglise/le-discours-decapant-du-4808?gclid=CICBt5rE7cICFQQIwwod40cAPA

Vous avez les pieds dans la boue et les mains dans la chair. Vous sentez le quartier, le peuple, la lutte ! Nous voulons que votre voix qui en général est peu entendue, soit entendue. Peut-être parce qu’elle dérange, peut-être parce que votre cri gêne, peut-être parce qu’on a peur du changement que vous exigez, mais, sans votre présence, (…) les bonnes propositions et les bons plans dont nous entendons souvent parler dans les conférences internationales restent dans le domaine de l’idée », a commencé le pape dans un style percutant. Les pauvres, rappelle François, «  ne se contentent pas de promesses illusoires, d’excuses ou d’alibis. Ils n’attendent pas non plus, les bras croisés, l’aide des ONG, des plans d’aide ou des solutions qui ne viennent jamais ou, si elles viennent, arrivent de telle façon qu’elles vont dans un sens qui est d’anesthésier ou de domestiquer, ce qui est plutôt dangereux. » Pour le pape, les pauvres ont une expérience particulière à apporter, celle de « cette solidarité très spéciale qui existe entre ceux qui souffrent, entre les pauvres, et que notre civilisation semble avoir oubliée, ou au moins a très envie d’oublier ». Pour le pape, la solidarité, entendue dans son sens le plus profond, « est une manière de faire l’histoire, et c’est cela que font les mouvements populaires ». Sans misérabilisme, il voit dans ces mouvements « le vent de la promesse qui ravive l’espoir d’un monde meilleur » : « Mon désir est que ce vent se transforme en un ouragan d’espérance. »

 

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* pourtant Le Vaillant connaît le milieu, ayant été (naguère) membre de divers cabinets ministériels PS.
** le matérialisme athée est d'une autre sorte.
*** La cérémonie cannibale – De la performance politique (Fayard 2013). Les citations reproduites ici viennent de l'entretien de Salmon au Monde, 13/07/2013.