29/09/2014
Fête de saint Michel, l'archange de nos fins dernières
Rien à voir avec le kitsch XIXe :
D'où vient l'image non-chrétienne d'un archange Michel symbole du combat contre « l'étranger » ? Des années 1880 en France... Quand se forma l'idéologie de la revanche contre la Prusse, la gauche construisit le mythe (bleu-blanc-rouge) de Valmy, et la droite le mythe (fleurdelisé) de la défense du Mont Saint-Michel au XVe siècle* ; les deux mythes tendaient au même but : sacraliser l'idée de la nation en armes. Dans les deux cas, il fallut déformer l'histoire. La bataille de Valmy - simple canonnade sur fonds de tractations – n'avait pas vraiment eu lieu ; la « geste des 119 chevaliers qui défendirent le Mont pendant trente ans » n'avait pas eu lieu non plus sous cette forme, comme je l'explique dans mon livre de 2011**. Et de toute manière, comme ce livre l'explique aussi, l'archange Michel – personnage biblique – n'a jamais eu pour fonction de défendre l'Hexagone ! Et encore moins de défendre une « identité » ethnique, idée empruntée au fascisme roumain des années 1930 (gangrené d'hérésie gnostique, comme toutes les formes de national-catholicisme).
Le Mont est un sanctuaire chrétien : donc universel par vocation. A sa grande époque, au premier Moyen Age, la foule des pèlerins traversait les grèves pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec le futur kitsch michaélien. Le saint Michel de l'époque de la chrétienté est international par définition, et c'est l'archange de nos fins dernières. Sur les bas-reliefs du XIIIe siècle, il est celui qui mène en Paradis l'âme de chacun, « représentée comme un petit personnage tout nu et pathétique... Le rôle de Michel est de protéger l'âme du mourant. Autrement dit : la conduire vers le Ciel. Le haut Moyen Age pense que c'est un trajet risqué, parce que la route du Ciel a des démons en embuscade qui peuvent se saisir de l'âme, alourdie par ses péchés ! Dans cette angoisse, appeler Michel au secours est un réflexe de conservation – puisque son métier est d'introduire les âmes en Paradis. L'archange redoutable est l'ami de l'homme. Le peuple chrétien l'aime pour cela. […] Jusqu'au XIXe siècle, dans le comté irlandais de Kerry, les mères chantent à leur enfant une berceuse multiséculaire, Hush a bye my darling : "Dors mon chéri / ne crie pas, mon amour / Michel est ton bouclier / il te protège du mal / Que l'ange te garde / Battement de mon coeur..." » **
Lorsque le pèlerin médiéval a traversé le désert marin des grèves, « jouant » ainsi par avance l'épreuve de la traversée de la mort, il gravit les longs et durs escaliers menant au sommet du Mont ; là, parvenu face à l'immensité de l'horizon d'occident qui symbolisait l'Au-delà aux temps païens, il fait demi-tour et pénètre dans le sanctuaire, orienté au levant : conduit au seuil du chœur par la statue de Michel, le pèlerin rencontre le Christ, Soleil de justice, qui sèchera toutes nos larmes dans la résurrection.
Voilà le rôle de l'archange. On est loin du kitsch d'hier ou d'un djihad catho, et encore plus loin d'une dénaturation de Michel transformé par des ignares en mythe Blut und Boden. Michel était le « prince » des Hébreux dans le livre de Daniel, puis le christianisme a étendu la promesse biblique à tous les peuples : c'est ainsi que Michel s'est universalisé ! Vouloir en faire un symbole ethnique (« français », « européen ») serait nier la révélation universelle de Jésus-Christ ; cette négation serait un symptôme d'affaissement spirituel, incongru alors que des centaines de miliers de touristes de toute la planète défilent dans le sanctuaire du Mont, où les moines et moniales des Fraternités monastiques célèbrent l'office.
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* Pas contre les Prussiens ! (et pour cause). Mais peu importait : la clarté des idées n'a jamais été le souci de "monsieur Chauvin", comme l'appelait Alphonse Daudet dans Les Contes du lundi.
** Les romans du Mont Saint-Michel, Le Rocher.
10:43 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : christianisme
Commentaires
LE VRAI MICHEL
> Merci pour cet article.
Mis à part pour la Roumanie, je ne connaissais pas l'existence de cette appropriation xénophobe de St Michel. Je ne connaissais que la dérive mystico-monarchiste de la fin 19e qui ne se remettait pas de la mort du comte de Chambord, et celle infantilisante de l'ange tête à claque de tante Aglaé.
Il faudrait écrire un autre article pour St Louis, pour le Bienheureux empereur Charles, ste Thérèse de Lisieux présentés comme des gnangnans, canonisés parce que naïfs, etc.
Etre saint passe par la pratique héroïque des vertus donc le courage et l'intelligence: on ne peut donc pas plus être mièvre et saint qu'on ne peut être vengeur et saint.
Précision : le 29 septembre est plus exactement la fête des saints archanges dont saint Michel
(et donc fête de la Normandie et des parachutistes)
sinon aujourd'hui 29 septembre 2014 cela fait 50 ans que Quino a créé Mafalda.
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Écrit par : e levavasseur / | 29/09/2014
AMBIGUITÉS
> PP à EL :
- Saint Michel fêté en Normandie. Jusqu'à la pratique des abbés commendataires (imposée par la monarchie française et qui provoqua la décadence monastique en France), la plupart des moines et des abbés montois furent normands et même bas-normands.
- Que saint Michel soit le patron des parachutistes est une tradition sympathique mais ambiguë. Dieu n'a pas de nationalité. Or dans toute sacralisation de la guerre (donc des politiques nationales ou impériales qui y mènent) se cache un "Gott mit uns" qui est un relativisme de fait. Et c'est un curieux paradoxe, les cathos épris de ce genre de piété se croyant les plus anti-relativistes de tous ! Ceci pose le problème du manque de formation.
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Écrit par : PP / | 29/09/2014
14-18
> En 14-18, catholiques français et catholiques allemands se sont entretués parce qu'ils y étaient forcés. Mais le massacre mutuel était béni des deux côtés par des curés et des évêques en des termes "Gott mit uns" totalement subjectifs donc relativistes, indéfendables théologiquement.
Il a fallu Vatican II pour que ce genre de dérive et contre-témoignage devienne impossible.
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Écrit par : Albin Landry / | 29/09/2014
NON NOBIS
> à Albin Landry - Oui, c'est le général de Castelnau terminant un ordre du jour par le psaume 115 : "Non nobis Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam". Formule limite sacrilège vu les circonstances. En quoi la gloire du Seigneur était-elle exprimée par la reprise de la cote 312 ?
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Écrit par : zimmerwald / | 29/09/2014
PAS PLUS
> vous ne m'apprenez rien.
et dire que je disais ça "en passant".
Tout patronage mérite explication sinon ça donne l'impression qu'on est ou prétend être, plus protégé que les autres.
saint Yves et sainte Anne n'ont pas plus de "faible" pour les Bretons que st Michel pour les Normands, les Roumains, les Allemands et les Italiens.
"fête de la Normandie" est une faute c'est la fête du saint patron que se sont donnés les Normands (et encore ?)
c'est le langage de présentateurs de météo : "demain nous fêterons les Michel"
Ben non : on fête saint Michel.
Fêter un saint c'est étudier son exemple, sa vie pour voir en quoi on peut s'en inspirer.
Engueulade entre deux Provençaux racontée par A Daudet dans "La diligence de Baucaire" :
- Elle est jolie, ton Immaculée!
- Va-t'en donc avec ta Bonne Mère
Cronin fait une bonne description du problème dans un de ses livres se déroulant en Chine où deux religieuses infirmières, une allemande et l'autre française, sont en rivalité sur l'identité du peuple avec qui est Dieu en 14/18.
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Écrit par : e levavasseur / | 29/09/2014
@ PP
> Je ne sais plus si dans votre excellent ouvrage sur le Mont, vous mentionniez la saga des différentes statues.
Il y a l'archange "républicain" commandé par un gouvernement laïc (et franchement anticlérical) à Emmanuel Frémiet pour coiffer la toute neuve flèche néo-gothique du Mont restauré (surtout pas de croix !). Il ne recevra d'ailleurs aucune bénédiction - du moins pas avant sa réfection en 1987. On peut certes lui trouver un charme un peu kitsch (avec le fourreau du mauvais côté, assez incommode pour dégainer !) mais il a le mérite de s'accorder fort bien avec le style Viollet-le-Duc qu'il surmonte. Il a d'ailleurs deux répliques, une à Saint-Michel des Batignolles, l'autre au musée d'Orsay, avec paraît-il un positionnement des ailes légèrement différent pour chacune des trois statues.
Et puis il y a la statue d'argent du sanctuaire, tout à fait bénite pour le coup. Issue d'une souscription de paroissiens, elle eut un temps l'honneur de l'abbatiale avant d'en être expulsée par une administration encore une fois laïque et anticléricale. C'est celle que l'on voit aujourd'hui dans la chapelle latérale de l'église saint-Pierre.
Depuis, l'administration toujours laïque mais plus conciliante a permis l'installation, à l'entrée du chœur de l'abbatiale, d'une petite statue de bois peint (XVe s.), assez jolie, ma foi.
@levavasseur :
> On fête aussi saint Gabriel, saint Raphaël, et quatre autres saints archanges que l'Eglise ne permet pas de vénérer nommément.
La dévotion aux anges est quelque peu différente de celle aux saints, puisque ces êtres immortels n'ont pas de vie humaine à proposer en exemple. Nous comptons sur eux pour recevoir soutien et protection ("veillez sur nous"), et pour porter nos prières devant le trône divin.
Pour compléter le propos de PP, il faut souligner que saint Michel ne pourfend aucunement le Dragon de son épée flamboyante (façon saint Georges ou Chevalier du Zodiaque), mais comme le dit la lecture de ce jour, fait qu'il est "jeté sur la terre" (Ap 12,9).
En d'autres termes, il le remet littéralement à sa place ("Quis ut Deus ?").
Voilà un service que nous pouvons d'ailleurs lui demander régulièrement : crever le ballon vite gonflé de notre orgueil (ou la pastèque, pour rester en Provence).
Car si nous devons vaincre "le Serpent des origines", ce ne sera certes pas, pour reprendre la formule de PP, en un djihad catho (sinon du genre introspectif), mais "par le sang de l'Agneau" et "par la parole" dont *nous* devons être les témoins (Ap 12,11).
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Écrit par : Albert Christophe / | 30/09/2014
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