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31/07/2014

1914-2014 : qui a le droit de saluer Jaurès ?

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La jauressomanie officielle a quelque chose d'obscène...

 


en ce 31 juillet 2014 où les officiels avancent à reculons vers une guerre contre la Russie – et laissent massacrer femmes et enfants à Gaza.

Jaurès fut le combattant de la paix. Et le seul à prévoir que la guerre au XXe siècle serait une boucherie industrielle dérégulée, un auto-génocide... Le vieux tribun montra – dans ce domaine – une lucidité et une profondeur dont ses ennemis furent incapables, y compris après la guerre. Le cataclysme de 1914 allait révéler la futilité meurtrière des théoriciens de la cocarde : prétendus réalistes mués en rossignols du carnage, puis en zombis des illusions d'avant 14 dans un univers transformé par cette guerre sans précédent.

Bien sûr, Jaurès s'est trompé en espérant que la social-démocratie allemande empêcherait la guerre par la grève générale. Trompé aussi en voulant croire que le Kriegsgefahrzustand (''état de danger de guerre''), proclamé par Berlin le 29 juillet, n'amenait pas nécessairement aux hostilités...

Mais rien n'était pire que ce qui allait arriver : et espérer contre le pire n'est pas un crime ! Les criminels étaient ceux qui, depuis dix ans, dans chaque pays, avaient mis en place l'engrenage, comme si le suicide collectif était le seul horizon des peuples – ou la seule issue pour le système économique.

Aujourd'hui, les Européens ont du mal à imaginer que leurs aïeux aient pu traverser le carnage. Et encore plus de mal à comprendre que ces aïeux aient pu, en grand nombre, croire aux prétextes lyriques dont on entoura ce carnage (qui n'allait profiter qu'aux industriels)...

Comparé à ces prétextes, les illusions de Jaurès paraissent une forme de prémonition. Les lui reprocher ne serait pas judicieux, de notre part à nous qui connaissons la suite.

Permettez-moi de reproduire ici la fin d'un article que j'avais publié sur Jaurès, il y a sept ans :

 

C’est une photo en noir et blanc qui deviendra légendaire. On y voit le fameux meeting du Pré-Saint-Gervais, le 25 mai 1913 : Jaurès en redingote, melon sur la tête et barbe au vent, en train de haranguer cent cinquante mille personnes. Au dessus de lui claque un grand drapeau que l’on devine rouge. Jaurès se tient de la main gauche à la hampe du drapeau. Il se penche en avant, vers la mer humaine, tendu par l’effort. Le geste de sa main droite a l’air d’adjurer une fatalité. Que prêche-t-il ? La révolution ? Non : la paix ! Jaurès tente de mobiliser l’Internationale ouvrière contre une guerre en Europe. Le prophète du socialisme est devenu le défenseur de la civilisation.

Quatorze mois plus tard, le 31 juillet 1914 à 21 h 40, Jaurès est mort : tué d’une balle de revolver, au café du Croissant, alors qu’il dînait avec des amis avant de retourner au journal écrire un article. Son espoir de sauver la paix est mort avant lui, dans l’après-midi de ce jour-là. La fatalité est la plus forte. L’engrenage de l’alliance franco-russe et des plans berlinois jette l’Allemagne contre la France. […] La thèse de Jaurès était connue. Il la martelait tous les jours dans son journal : selon lui, la guerre était provoquée par l’entourage du tsar, en accord avec des intérêts financiers français. On jouait du désir de revanche pour piéger les dirigeants politiques parisiens, « étourneaux hallucinés » ! Cette thèse de Jaurès révoltait la classe politique et les intellectuels nationalistes : Barrès, Maurras, Péguy le traitaient d’« agent du Kaiser », à cause de ses contacts avec la « sociale » allemande et de sa campagne contre un service militaire de trois ans, que L’Humanité et son conseiller (le futur colonel Gérard), jugeaient « inefficace et dangereux ». Depuis quelques mois, la haine contre Jaurès montait à l’incandescence. […]

Si la mobilisation se faisait, je pourrais être assassiné, disait Jaurès le 31 juillet avant d’aller au café du Croissant.  […]

Quatre ans plus tard, à l’heure des comptes (un million et de demi de morts français), on découvrira que Jaurès avait été le seul lucide. En 1911, dans L’Armée nouvelle, il avait annoncé une offensive allemande par la Belgique, et demandé un réseau de forteresses le long de la frontière nord. Alors que le dogme de l’état-major français était « l’offensive brève et violente », Jaurès avait prévenu : « Qu’on n’imagine pas une guerre courte se résolvant en quelques coups de foudre ! ». Il avait prédit le carnage industriel, la destruction des villes et des êtres sous « les ravages des obus multipliés »,  les millions d’hommes « invités par une Europe démente et avouant sa démence, au bal du meurtre et de la folie… » Cette vision de Jaurès était réaliste. Exacte aussi sa prévision : de cette guerre, écrivait-il, sortiront des monstruosités.

Le 23 novembre 1924, sous un froid glacial, Paris transfère au Panthéon les cendres de Jaurès. L’assassiné devient emblème. […] Quand s’avance le cercueil porté par les mineurs de Carmaux, une clameur s’élève : « le boulevard se remplit d’un grondement indescriptible », raconte Béraud dans Paris-soir. C’est le deuil du passé et la peur de l’avenir. C’est aussi la gratitude. Optimiste tragique, intellectuel en action, Jaurès est ce que Briand ne sera jamais : l’incarnation d’une idée. En 1891, il avait dit : « Les hommes qui ont le sens de l’éternel sont les seuls qui aient vraiment le sens de leur temps. »

 

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Jaurès : BD de Morvan, Voulyzé et Macutay  (Glénat, juillet 2014)

 

10:48 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : histoire, jean jaurès

Commentaires

JAURÈS

> Interview d'Eric et Sophie Vinson à propos de leur livre sur J Jaurès :
www.ecrivainscroyants.fr/2014/05/05/eric-vinson-et-sophie-viguier-vinson-jaures-le-prophete/
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Écrit par : E Levavasseur / | 31/07/2014

LE PRIMAT DU POLITIQUE

> Lu tout à l'heure le point de vue d'un historien spécialiste de Jaurès, Vincent Duclert, qui dit :

" Il était très lucide sur les conséquences d'une guerre : la ruine, l'extrême violence, la mise en péril des régimes démocratiques...
En juillet 1914, il est le seul à se comporter comme un homme d'Etat. Il est très actif alors que tout le monde semble paralysé. Car, pour reprendre l'expression de l'historien australien Christopher Clark, l'Europe va vers la guerre comme une somnambule...
Ce centenaire est l'occasion d'une réflexion approfondie sur la guerre et la politique : Jaurès a su réaffirmer le primat du politique, de la décision commune et réfléchie, sur les instincts de mort. "

Dure leçon à nos dirigeants.
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Écrit par : jean-eudes / | 31/07/2014

> Merci Patrice !
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Écrit par : JB Maillard / | 31/07/2014

EFFECTIVEMENT

> Oui, effectivement "la jauressomanie officielle a quelque chose d'obscène...". Jaurès, seul lucide? Péguy, frappé de cécité? Rosa Luxemburg est atterrée... Et voilà l'horrible engrenage se mettant en marche, l'anéantissement de 1914-1918, la liquidation de la révolution russe de 1905 et la perversion du mouvement ouvrier qui commencent avec le coup d'Etat bolchevique de 1917, la prise du pouvoir par les nazis, les camps d'extermination, Dresden, Hiroshima... Tout le monde kaputt... Saurons-nous tirer les leçons de tout cela? Je l'espère.
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Écrit par : Pierronne la Bretonne / | 31/07/2014

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