02/07/2014
'Nos limites - Pour une écologie intégrale', de Gaultier Bès, Marianne Durano et Axel Rokvam (Centurion)
Un livre de jeunesse, de lucidité et d'innovation :
Ce petit livre dense a pour auteurs trois des fondateurs du courant des Veilleurs : Gaultier Bès (25 ans), Marianne Durano (22 ans) et Axel Rokvam (26 ans). Les Veilleurs sont nés en 2013 de la Manif pour tous, comme une ouverture sur d'autres urgences sociales – et sur des analyses éloignées de celles de la droite libérale, au point de mettre en cause le modèle économique dominant. Cette initiative de libération intellectuelle et morale demandait du courage pour échapper au conformisme [1]), et une créativité inconnue des milieux bien-pensants. Dès les premiers rassemblements dans des villes de France, les Veilleurs ont montré cette originalité : méditer au prisme de textes d'auteurs de tous bords (dont souvent les familles bien-pensantes n'avaient pas entendu parler) ; méditations qui convergeaient vers une prise de conscience de la véritable nature de la ''société de marché'' contemporaine – et de l'urgence de la remplacer par autre chose.
Cette prise de conscience (lucidité) et cette volonté de changement (innovation) se déploient aujourd'hui dans le livre Nos limites, dont le titre s'explique par le sous-titre Pour une écologie intégrale :
- écologie, parce qu'il s'agit de prôner une société organique [2] plutôt que la société artificialisante – donc déshumanisante – que nous subissons de plein fouet puis la fin du XXe siècle.
- écologie intégrale, parce que cette société réconcilie l'homme avec l'univers dont il dépend et dont il est responsable, alors que la société de marché abîme l'homme et détruit la nature.
C'est donc le livre d'une révolution copernicienne, et d'une révolution tout court. En voici quelques extraits – mais achetez-le tout de suite :
- « La ''mondialisation heureuse'', en fait de prospérité planétaire, entraîne une concurrence acharnée qui consiste de plus en plus à vendre à des chômeurs des gadgets produits par des esclaves. Face à ces échecs, ne restent plus alors au politique soucieux de sa réélection que les promesses individuelles d'émancipation, servies par des réformes moins sociales que ''sociétales''. En libéralisant les comportements, elles fragilisent les institutions, faute d'égaliser les conditions en répartissant les richesses. » (p. 27)
- « La revendication du ''maximum de droits pour un maximum de gens'', qui constitue selon Michéa la matrice même du libéralisme, aboutit moins à l'égalité des conditions qu'à la guerre de tous contre tous. » (p. 28)
- « Divorces, recompositions familiales, déménagements successifs, mauvaises orientations, stages à répétition, CDD, délocalisations... autant de marques de cette liquéfaction de notre société de consommation généralisée où tout s'échange se monnaie, où tout se jette et se dégrade. Croissance oblige. » (p. 33)
- « Qui ne constate que les temples où communient les jeunes Français sont moins les salles de classe que les centres commerciaux ? » (p. 43)
- « L'invention perpétuelle de soi, fiction chaque jour plus plausible, est le but d'un individu qui à force de chercher à s'abstraire de ses limites s'émancipe de sa propre réalité charnelle et sociale, et de la condition commune […] Les slogans publicitaires résonnent d'autant plus fort à ses oreilles que sa bulle narcissique enfle […] Ces injonctions exaltent toutes l'émancipation individuelle en même temps qu'elles la condamnent : l'aliénation consumériste qu'elles provoquent en est précisément le fossoyeur. » (p. 47)
- « Ainsi, par le truchement du désir mimétique, le marketing, en vendant une fantasmatique autodéfinition du sujet, le soumet en réalité au plus puissant des conformismes. Promouvoir la limite, ce n'est pas brimer la créativité individuelle : c'est la rendre consistante en lui donnant un sens et un socle, c'est lui permettre de s'épanouir sans s'évanouir dans des pulsions aussi décevantes qu'éphémères. » (p. 48)
- « Telle est la grande idée défendue par l'économiste hongrois Karl Polanyi : nous sommes passés d'une ''économie de marché'' à une ''société de marché'', car ''ce n'est plus l'économie qui est encastrée dans la société, mais la société qui se retrouve encastrée dans sa propre économie''. Cette inversion explique que l'Occident n'ait de cesse de chercher à transgresser certains interdits [3], comme l'indisponibilité du corps humain ou la non brevetabilité du vivant, en transigeant progressivement avec des législations jugées trop restrictives. » (p.93)
- « [Voici donc] l'impérieuse nécessité de reconstruire un rapport ajusté au monde qui nous entoure, de retrouver […] cette faculté de discerner ce qui convient à telle ou telle situation : décence sans laquelle nous risquons fort de rendre inhumain, sinon invivable, le monde dans lequel nous nous trouvons. Cette décence, qui ne doit pas être un rigorisme résigné, mais une tempérance heureuse, parce que choisie, exige d'abord d'accepter notre fragilité. » (p. 57)
- « La détérioration de notre environnement ne peut qu'entraîner notre propre déshumanisation. » (p. 11)
- « L'écologie intégrale nous paraît offrir une perspective nouvelle pour tous ceux qui refusent de désespérer de l'humain […] N'avons-nous d'autre destin que de déplorer les effets dont nous chérissons les causes ? » (p. 19)
- « L'écologie réelle ne peut être qu'indissolublement humaine et environnementale. » (p. 58)
- « De nombreuses alternatives naissent pour recréer du lien social par l'entraide et le don. Elles expérimentent avec audace et humilité cette écologie intégrale que nous appelons de nos voeux : vivre plus simplement pour que chacun puisse simplement vivre. » (p. 105)
- « L'écologie intégrale est profondément politique, puisqu'elle a vocation à travailler à la convergence des luttes de tous les hommes de bonne volonté. » (p. 109)
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[1] voire à une risible mainmise de l'UMP. Se fourvoyer dans le parti de MM. Juppé, Fillon, Raffarin et Sarkozy : aberration caractéristique des beaux quartiers... "Il y a des gens qui non seulement ignorent qu'il y a des choses à connaître, mais qui ne savent même pas que l'ignorance existe" (Léon Bloy) : ce sont aujourd'hui les libéraux-conservateurs, "ceux qui vénèrent le marché tout en maudissant la culture qu'il engendre" (Russell Jacoby).
[2] Une société est ''organique'' quand elle repose sur des structures spontanées, multiples et durables, dont les intérêts de corps ne se réduisent pas à la juxtaposition aléatoire des pulsions individuelles de leurs membres. À l'inverse, la société de marché (que nous subissons) n'est qu'une foule d'individus fragiles, manipulés par des forces économiques globales, et ainsi dépossédés de leur destin. Exemple : la société de marché (produit de l'ultralibéralisme) impose partout la GPA, ''marchandisation mondiale des bébés et des femmes'' (Sylviane Agacinski, Le Monde, 30/06). C'est ce que les bien-pensants visés par la note 1 refusent absolument de comprendre.
[3] Le moteur de cette transgression croissante est l'ouverture de nouveaux marchés : donc l'ultralibéralisme. Mais si vous tentez d'expliquer ça au libéral-conservateur, il vous traite de Pol Pot.
15:47 | Lien permanent | Tags : écologie, idées