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25/03/2014

"Ma soeur l'eau et mon frère le soleil"

François d'Assise complète Chesterton :

écologie,christianisme

  


Le sens chrétien de l'écologie se précise chez les catholiques français, en train de combler leur retard sur le reste de la planète chrétienne. Se dissipe notamment l'idée absurde, mais répandue de droite à gauche depuis les années 1970, selon laquelle le verset 29 du chapitre 1 de la Genèse (« soumettez la terre ») serait un permis de saccager la terre : contresens grave alors que le sens de la Création est au verset 15 du chapitre 2 : « Le Seigneur Dieu prit l'homme et le conduisit dans le jardin d'Eden pour qu'il le travaille et le garde » (trad. AELF), « pour cultiver le sol et le garder » (TOB), « pour le cultiver et le garder » (BJ et Semeur), « pour qu'il le cultive et le garde » (Segond 21), « pour le servir et le garder » (Chouraqui)...

Donc l'homme est dans la Création comme le paysan dans les champs (non « l'exploitant » dans « l'agro-espace »). Il fait partie de la Création, dont il est responsable et dernier venu. Chesterton interprète ainsi la situation : « La nature n'est pas notre mère ; la nature est notre soeur. Nous sommes fiers de sa beauté, puisque nous avons le même père; mais elle n'a aucune autorité sur nous ; nous devons l'admirer, mais non l'imiter. Cela donne au plaisir que le chrétien goûte sur cette terre une touche étrange de légèreté...»  C'est dans Orthodoxy, publié en 1908.

Chesterton allait écrire en 1923 un Saint François d'Assise, où il dit – à propos du Cantique des créatures  de 1225 – que François « avait ses raisons d'appeler 'mon frère' le feu gai et fort, et 'ma soeur' l'eau fraîche et claire'... » Or dans ce cantique François dit aussi : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour soeur notre mère la Terre qui nous porte et nous nourrit, qui produit la diversité des fruits, et les fleurs diaprées et l'herbe... »

« Soeur notre mère la Terre » ! François n'est pas choqué par l'idée que la Terre, notre soeur en tant que créature de Dieu, soit aussi notre mère. C'est lui qui a raison... Il a raison au regard du livre de la Genèse, 2,7 : « le Seigneur Dieu modela l'homme avec la poussière tirée du sol » ; d'où le nom de l'homme en hébreu : « Adam », « le Terreux »...  François d'Assise a même raison au regard de sciences modernes qu'il ne pouvait pas prévoir : le vivant forme une unité, la biosphère ; l'humain est le produit physique (« fils » et « frère ») de cette totalité en évolution... Les croyants modernes peuvent ajouter : ainsi l'a voulu Dieu qui fait exister l'univers par création permanente.

Les écolo-biblophobes ont eu tort de croire le mensonge de Lynn White ; les cathos ont eu tort de suivre à l'envers les écolo-biblophobes (en approuvant tacitement le saccage de la planète « parce que la Bible le permet ») ; Chesterton a raison de souligner que l'homme a en lui quelque chose que n'a pas le reste de la création (mais qui rend l'homme responsable du reste de la création) ; et François d'Assise a supérieurement raison de dire que la Terre est à la fois notre soeur et notre mère : paradoxe qui cesse d'en être un si l'unité matérielle du vivant, son évolution et sa solidarité sont voulues par son Créateur – et devinées allégoriquement dans le livre de la Genèse.

 

 

écologie,christianisme

 

Commentaires

NIHILISME

> Normalement, quand on reçoit un bien, c'est pour au moins le conserver, sinon le faire fructifier (comme dans la parabole des talents). Avec la Terre, l'homme s'acharne à faire le contraire : l'utiliser, l'user, la consommer, bref, la détruire. Quintessence à mon avis du nihilisme en général.
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Écrit par : jem / | 25/03/2014

LA GENÈSE ET LE CATÉCHISME

> Il faut en effet lire Genèse 1 (qui place l'homme au sommet de la création et le qualifie d'image de Dieu) avec Genèse 2 (qui donne une image beaucoup plus humble de l'homme: le terreux agriculteur). Peut-être que la théologie traditionnelle avait privilégié Genèse 1. Mais le catéchisme de l'Eglise catholique ne laisse aucun doute sur l'interprétation ecclésiale de ces textes vénérables:
1°/ N° 339: "Chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres... Les différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon un rayon de la sagesse et de la beauté infinies de Dieu. C'est pour cela que l'homme doit respecter la bonté propre de chaque créature pour éviter un usage désordonné des choses, qui méprise le Créateur et entraîne des conséquences néfastes pour les hommes et leur environnement".
2°/ N°373: "Cette souveraineté (de l'homme et de la femme) ne doit pas être une domination arbitraire et destructrice. A l'image du Créateur "qui aime tout ce qui existe" (Sg 11,24), l'homme et la femme sont appelés à participer à la Providence divine envers les autres créatures. De là leur responsabilité pour le monde que Dieu leur a confié".

Si je pouvais poster une image dans le commentaire je vous donnerai à voir celle d'une poule "élevée" en batterie industrielle pour les œufs (c'est-à-dire la grande majorité des poules pondeuses en France) en fin de carrière... Il est urgent de revoir notre rapport barbare et tyrannique aux animaux, tout cela au nom de la rentabilité et du profit comme toujours...

J'ai fait 7 ans d'études pour devenir prêtre dans deux séminaires différents et JAMAIS je n'ai un seul cours pour nous sensibiliser en tant que futurs pasteurs à l'importance de l'écologie... qui fait pourtant partie de la Doctrine sociale de l'Eglise... Donc faut pas s'étonner que nous soyons très en retard dans l'Eglise de France! Ici j'accompagne un groupe d'étudiants internationaux et il y aussi quelques français, le jour où j'ai suggéré que nous pourrions parler d'écologie à la lumière de notre foi j'ai eu l'impression d'être un hérétique...
Si je n'avais pas acquis de manière personnelle une sensibilité écologique ce n'est donc pas ma longue formation de prêtre (souvent beaucoup trop théorique et abstraite) qui m'aurait préparé à m'y intéresser de près comme je le fais depuis plusieurs années maintenant. Si on désire un changement il faudrait que les évêques de France donne à l'écologie sa place dans les séminaires !
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Écrit par : Robert Culat / | 25/03/2014

ELLUL

> Il me semble bienvenu de citer ici ces quatre extraits du livre admirable de Jacques Ellul, "Théologie et Technique" (Labor et Fides)

1-Sur la perfection de la Création : «Or, tout cet ensemble d'idées me paraît gravement méconnaître ce que la Bible dit de la création avant la chute (…) Or, nous avons ici une première certitude : la création telle que Dieu l'a faite, telle qu'elle sort de ses mains, est parfaite et achevée : «Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et, voici que cela était très bon » (1, 31) ; «Dieu ayant achevé son œuvre... » (2,2). A condition de prendre ces textes comme ils sont, nous devons alors reconnaître que l'oeuvre de Dieu est accomplie, qu'elle est complète, qu'il n'y a rien à y ajouter (…) Que signifie que l'homme complète la création? Avec quoi? Quel complément est-il nécessaire d'apporter à ce que Dieu lui-même déclare parfait et achevé?»»

2- Sur la pure gratuité du travail d'Adam dans l'Eden : «Il y a bien travail sans nécessité (Adam ne mourra pas de faim s'il cesse de travailler), un travail sans finalité, sans production. Ce n'est pas un travail pour obtenir un surplus, pour gagner sa vie, pour produire, c'est un travail pour rien ; le fruit, le produit, ce qui est nécessaire à la vie d'Adam, est donné gratuitement par Dieu -non pas contre un travail, un devoir, une obligation, mais vraiment gratuitement-, sans relation de nécessité avec le travail. Il n'y a pas de lien de causalité entre ce travail et ce produit qui est seulement dans l'ordre de la création. Ce n'est pas un travail utile, c'est aussi un travail gratuit. Pourquoi Adam, alors, travaille-t-il? Pour la seule raison qui devrait nous paraître impérieuse et suffisante : parce que Dieu le lui a dit, Adam obéit à Dieu dans la liberté, dans la gratuité, et dans cette obéissance est inclus le travail, action libre, qui ne se différencie guère du jeu, et qui ne comporte aucune possibilité de glorification personnelle, aucun produit d'Adam pourrait référer à lui-même».

3- Sur la demande de Dieu à Adam de nommer les animaux et sur le sens de cette domination : «Mais réfléchissons plus avant : c'est un acte de domination. Il s'affirme ainsi le Maître. Ce n'est donc pas en utilisant ou en contraignant qu'il est le Maître, mais en nommant, c'est à dire en parlant. Il use de la parole -comme Dieu- Adam, image de Dieu, parle comme Dieu a parlé. Sa parole, bien loin d'être un langage scientifique, est prolongement de la parole de Dieu. Et de même que Dieu crée par sa parole (« Dieu dit et les choses sont »), de même Adam manifeste sa maîtrise, sa domination par l'intermédiaire de la parole. Il n'a besoin de rien d'autre que cette parole souveraine, qui exprime et l'amour et la puissance de Dieu. Ce n'est pas par une technique qu'il cultive, qu'il garde, qu'il domine..., c'est par la seule parole -exactement comme Dieu ne crée pas par des moyens techniques mais par sa parole»

4- Sur la Technique : «Ainsi, par quelque biais que l'on prenne la Technique, on s'aperçoit qu'elle ne peut être qu'un phénomène de la chute, qu'elle n'a rien à voir avec l'ordre de la création, qu'elle ne résulte nullement de la vocation d'Adam voulue par Dieu, mais nécessairement de l'Adam déchu»
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Écrit par : Serge Lellouche / | 25/03/2014

PAS D'ACCORD AVEC ELLUL

> Là, je ne suis pas d’accord avec Jacques Ellul. Certes, Adam, « comme Dieu », par son pouvoir de nomination des êtres vivants, « manifeste sa maîtrise, sa domination ». Mais il ne s’ensuit pas que l’invention de la technique soit postérieure à la Chute. Gn 2, 5 précise que lorsque la terre et le ciel furent créés, « Yahvé Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol. » De même, en Gn 2, 15, « Yahvé Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder. »
Adam est un cultivateur, pas un éleveur. Le métier d’Abel est consécutif à la Chute. Le pouvoir de nomination, en Gn 2, 19, s’exerce seulement sur « toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel » et, après la distinction des sexes en Gn 2, 21-22, sur la femme de la part du mâle. Toutefois, l’homme n’a pas de prise sur le sol et sa « verdure ».
Adam doit cultiver le jardin d’Eden, c’est la fonction que Dieu lui a assigné, et certainement pas en se payant de mots. Ce n’est pas le travail en lui-même qui change, une fois le couple humain banni du jardin d’Eden, ce sont les conditions dans lesquelles s’effectue ce travail : « … maudit soit le sol à cause de toi ! A force de peines tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie. Il produira pour toi épines et chardons et tu mangeras l’herbe des champs. » (Gn 2, 17b-18) Adam remplissait sa fonction de jardinier dans la facilité, et sans préoccupation du lendemain, il cultivera désormais le sol dans la peine et dans l’angoisse des jours prochains. Jacques Ellul, c’est frappant, échoue à reconnaître à la technique une dignité propre inscrite dans le plan de Dieu ; il reproduit l’opposition grecque entre les hommes libres qui maîtrisent le logos et les autres, astreints à des travaux manuels forcément dévalorisés.
A mon avis, J.R.R. Tolkien est un meilleur guide pour penser la technique d’un point de vue chrétien. La technique, bonne en soi, a été abîmée par le péché ; elle doit donc être rachetée. Tolkien, lui, ne confond pas l’art, la technique, avec le « système technicien » qui triomphe avec la société industrielle.

Blaise


[ PP à Blaise - Genèse 2:19,20 est exactement le contraire d'une apologie de la "technique" ! Dans la culture hébraïque, donner un nom c'est prendre en charge (sous responsabilité) l'être que l'on nomme. Donner un nom à chaque espèce, c'est prendre en charge (sous responsabilité) la diversité - la biodiversité - des êtres vivants. Rien à voir avec le monde productiviste industriel qui surgira 2500 ans plus tard...
Ajoutons que Genèse 11 (la tour de Babel) est virtuellement une polémique contre la technique comme seul horizon ; et que les commentaires rabbiniques ont souligné cet aspect.
Ne laissons pas la pensée unique continuer à dénoncer la Bible comme matrice d'un monde de dé-création, dont est seul responsable (en fait) le siècle des Lumières : autrement dit le siècle du rejet de la Bible. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Blaise / | 26/03/2014

@ PP

> De quelle technique parlez-vous? de la technique avant la chute (Adam) ou de la technique après la Chute (Babel)?

La « technique comme seul horizon », coupée de sa finalité éthique, est dénoncée par la Bible à travers la figure de Babel: la technique devient alors un instrument de pouvoir et ne sert plus à glorifier Dieu. Je rappelle simplement, contre Ellul, que la technique est instituée par Dieu « à l’origine » : Adam est placé dans le jardin d'Eden « pour le cultiver et le garder ». Le problème, avec Ellul, c'est qu'il amalgame l’activité technique comme telle avec ce qu'elle est devenue dans notre société industrielle productiviste.

Dans "Laborem exercens", 4 Jean-Paul II insiste sur la dignité que revêt le travail humain dès le commencement : « L'Eglise trouve dès les premières pages du Livre de la Genèse la source de sa conviction que le travail constitue une dimension fondamentale de l'existence humaine sur la terre. L'analyse de ces textes nous rend conscients de ce que en eux parfois sous un mode archaïque de manifester la pensée ont été exprimées les vérités fondamentales sur l'homme, et cela déjà dans le contexte du mystère de la création. Ces vérités sont celles qui décident de l'homme depuis le commencement et qui, en même temps, tracent les grandes lignes de son existence terrestre, aussi bien dans l'état de justice originelle qu'après la rupture, déterminée par le péché, de l'alliance originelle du Créateur avec la création dans l'homme. »

Blaise


[ PP à Blaise - Ce n'est pas moi qui ai soulevé ce sujet. Je suis simplement intervenu pour souligner l'un des sens du second récit de la Création, suivi bien après - et évidemment après la Chute - par l'histoire de Babel. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Blaise / | 26/03/2014

ELLUL

> On a toujours de bons arguments, de bonnes références et de pseudo-justifications théologiques sous le manteau pour sauver quelque chose de l'auto-glorification de l'homme par la Technique.
Toute la première partie de ce chapitre d'Ellul est d'ailleurs consacrée à ces théologies modernes, catholiques ou protestantes, qui se sont employées à légitimer la Technique, à démontrer sa sainteté, en croyant y voir une marque de «la grandeur de l'homme», et en projetant sur l'Eden nos vues imprégnées de productivisme.
Pour comprendre cette incompatibilité radicale de la Technique avec la miraculeuse universalité de la création, et donc le lien direct de la Technique et de la Chute, toujours avec Ellul, il faut peut-être prendre les choses dans l'autre sens, du point de vue de l'Eden, cette fois-ci non plus avant la Chute, mais après.

Je traduis ci-dessous l'argumentation d'Ellul et le cite en italique : c'est seulement à partir de Caïn que la Bible parle pour la première fois de Technique. La Chute a provoqué une rupture complète, l'universum crée, la communion entre Adam et Dieu sont brisées. Toutes les autres ruptures suivent : entre Adam et Eve, entre l'homme et l'animal etc... «L'universum est rompu : alors il faut des moyens. Des moyens pour essayer de faire tenir ensemble les morceaux. Des moyens pour établir de nouvelles relations dans ce monde sans relation ».
Quand il n'y a plus de communion, il faut des médiations. Ces intermédiaires comblent la distance désormais établie « entre Dieu et l'homme, entre les hommes, entre l'homme et la matière (…) Nous sommes alors lancés dans le monde des moyens, dans leur multiplication sans fin sans frein ».
Les moyens techniques prolifèrent, car la parole est elle-aussi brisée. Notre langage, dégradé, «n'est plus immédiatement le prolongement du Verbe incarné ». La parole « ne suffit plus à établir les ponts entre les fragments du monde ». Adam a désormais besoin d'autres moyens que la seule parole pour assurer sa domination : «ces moyens ne seront plus ceux de la communion, mais ceux de la contrainte, du déchirement, de l'utilisation, de l'exploitation ».
C'est donc très précisément ici que se situe l'enjeu de la Technique, dans ce monde devenu hostile à l'homme. La nature qui produisait TOUT en abondance, se refuse désormais à lui : «il n'était pas, en Eden, utile d'avoir un outil, parce que l'on avait tout ».
Adam est maintenant placé dans un rapport de lutte avec la nature. Il doit blesser la terre pour se nourrir, « il domine par ses moyens, c'est à dire par sa technique, qui ne peut pas être un instrument de l'amour, mais de la domination ».
La Technique devient, selon Leroi-Gourhan « une enveloppe protectrice que l'homme établit autour de lui! ». Et, dans cette vue, l'homme n'a désormais plus comme seul horizon et seul impératif, que celui de l'efficacité.

Cette préoccupation nouvelle est totalement incompréhensible dans l'Eden d'avant la Chute : «il faut maintenant qu'Adam réussisse à … Mais que signifie la réussite dans un monde de la gratuité et du don ? ».
Au monde de la liberté a succédé celui de la nécessité. La Technique est une béquille pour un monde divisé, sans amour et sans communion.
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Écrit par : Serge Lellouche / | 26/03/2014

@ PP

> Je viens de relire votre réponse à mon commentaire ; je ne l’avais pas lue avec assez d’attention (mais la réciproque est vraie). Bien sûr, je ne parlais pas de la domination de l’homme sur les animaux, à travers son pouvoir de nomination. La technique exercée par l’homme au chapitre II de la Genèse concerne son travail de cultivateur ; Dieu charge Adam de « cultiver » le jardin d’Eden, et de « le garder ». Il n’est pas dit qu’il doive élever les bêtes. Comme je l’ai déjà indiqué, ce n’est qu’après que l’humanité ait été chassée du jardin qu’intervient le pasteur Abel, qui met à contribution les bêtes qu’il élève et qui les tue même. Ainsi, le fratricide commis par Caïn succède à la mise à mort par Abel des « premiers nés de son troupeau » (Gn 4 : 4).
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Écrit par : Blaise / | 26/03/2014

CRÉATURES

> Une chose qui m'a frappé à la première lecture du "Cantique des créatures" - je devais avoir une dizaine d'années - c'est que François ne rend pas grâce à Dieu pour la Création en général, mais pour certaines de ses créatures : le soleil, la lune et les étoiles, l'air, l'eau, le feu, la terre, les hommes qui progressent sur le chemin de la sainteté, et la mort corporelle.
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Écrit par : Blaise | 26/03/2014

@ PP,

> Ce que vous dites sur la culture hébraïque dans laquelle nommer une espèce consiste à "la prendre sous son aile" est passionnant, m'interpelle et pour tout dire me remplit de joie.
Avez-vous une référence d'un texte en particulier ?

SL


[ PP à SL - Non, pas de texte en particulier, ça s'induit de la culture biblique ancienne -
p. ex. in 'Dictionnaire de la Bible' (Bouquins) :

"Les noms ne sont pas des étiquettes conventionnelles : ils révèlent l'essence d'un être ou sa destinée (Isaïe 1,26). Donner un nom, c'est faire exister. Ainsi Dieu dans la Bible nomme ce qu'Il crée : jour, nuit, ciel, terre... (Genèse 1,3-10). Nommer, c'est aussi dominer : Adam donne un nom aux animaux (Genèse 2,20)..."

Adam "domine" au sens où il "prend en charge" l'être dont il a qualifié l'existence ! Donner un nom c'est exercer un pouvoir, mais Dieu, en déléguant à l'homme le soin de nommer les animaux, l'invite à être envers eux comme Lui envers toute la création : bienveillant. L'homme "nomme" les animaux mais ne les a pas créés ; il n'a donc qu'un pouvoir délégué, dont il doit rendre compte. La création n'est pas livrée à son arbitraire.
D'autant qu'en nommant chacune des espèces, Adam reconnaît et assume leur diversité, ce qui l'engage à ne pas la faire disparaître. On retrouve cette idée avec l'arche de Noé.
En quelques mots la Genèse donne ainsi, comme en germe, la totalité des dimensions du rôle dont Adam est investi en tant que membre-responsable de la Création... ]

réponse au commentaire

Écrit par : Serge Lellouche / | 26/03/2014

@ S. Lellouche

> Le problème, en fait, c'est que Jacques Ellul fait une lecture erronée de la Bible. Si vraiment l'état adamique était un équivalent du Club Med, si toutes choses lui venaient sans qu'il ait à lever le plus petit doigt, alors il ne travaillerait pas. Ce n'est pas ce que nous enseigne la Bible: avant la Chute, Adam cultive - et pas avec des mots! Après la Chute, cette activité qui était faite en accord avec le sol devient douloureuse; le sol lui résiste.

La technique n'est pas comme telle une autoglorification de l'homme, mais, sous le régime du péché, elle tend à le devenir.
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Écrit par : Blaise / | 26/03/2014

@ PP

Curieusement, le commentaire que j'avais posté n'a pas été publié.

Le voici.

@ PP

De quelle technique parlez-vous? de la technique avant la chute (Adam) ou de la technique après la Chute (Babel)?

La « technique comme seul horizon », coupée de sa finalité éthique, est dénoncée par la Bible à travers la figure de Babel: la technique devient alors un instrument de pouvoir et ne sert plus à glorifier Dieu. Je rappelle simplement, contre Ellul, que la technique est instituée par Dieu « à l’origine » : Adam est placé dans le jardin d'Eden « pour le cultiver et le garder ». Le problème, avec Ellul, c'est qu'il amalgame l’activité technique comme telle avec ce qu'elle est devenue dans notre société industrielle productiviste.

Dans "Laborem exercens", 4 Jean-Paul II insiste sur la dignité que revêt le travail humain dès le commencement : « L'Eglise trouve dès les premières pages du Livre de la Genèse la source de sa conviction que le travail constitue une dimension fondamentale de l'existence humaine sur la terre. L'analyse de ces textes nous rend conscients de ce que en eux parfois sous un mode archaïque de manifester la pensée ont été exprimées les vérités fondamentales sur l'homme, et cela déjà dans le contexte du mystère de la création. Ces vérités sont celles qui décident de l'homme depuis le commencement et qui, en même temps, tracent les grandes lignes de son existence terrestre, aussi bien dans l'état de justice originelle qu'après la rupture, déterminée par le péché, de l'alliance originelle du Créateur avec la création dans l'homme. »
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Écrit par : Blaise / | 26/03/2014

@ Serge Lellouche

> Comptez-vous, à l'image de Socrate, chasser les poètes de l'Eden des origines, et proscrire les peintres et les musiciens paradis? Au fond, puisque la technique serait, d'après vous, une conséquence malheureuse du péché originel, quelle place lui accorder dans l'au-delà? Etant historien de l'art, j'ai le malheur d'être dans le camp des réprouvés, puisque pour vous la technique est forcément une "autoglorification de l'homme".
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Écrit par : Blaise / | 26/03/2014

TECHNIQUES

> Il existe une technique destructrice de la création, il en existe une aussi qui est réparatrice. Couper des arbres, en planter ce n'est pas la même chose.
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Écrit par : Blaise / | 26/03/2014

Blaise,

> La technique est instituée par Dieu, dites-vous, La preuve : Adam est placé dans le jardin d'Eden « pour le cultiver et le garder ». Quel raccourci ! Vous induisez ainsi, de façon automatique et indiscutable, le lien travail/technique.
Qu'est-ce qui vous permet d'établir un lien, qui vous semble si évident, entre la Technique et le fait qu'Adam cultive et garde le Jardin d'Eden ? Une pure et simple projection mentale vers un monde édénique que vous appréhendez par le prisme d'un imaginaire techno-productiviste, aussi soft soit-il.
Vous faites exactement la même projection en citant cet extrait de «Laborem exercens» sur la dignité originelle du travail humain. L'homme travail depuis le commencement DONC il y a technique depuis le commencement. Quel raccourci ici encore et pour les mêmes raisons!
Précisément, Ellul dit qu'il y a travail depuis le commencement, selon la volonté de Dieu, mais que ce travail est d'une nature radicalement autre que le «travail» tel que notre imaginaire utilitariste moderne nous le fait concevoir. En cela, il déconnecte complètement travail et technique, et pour le coup réarticule travail et dignité humaine.
Le travail n'y est pas nécessité, il est pure gratuité. Il est totalement inutile, il est de l'ordre du jeu d'enfant. Il n'attend rien en retour, il n'est qu'un don. Il ne produit rien (il n'y a rien à ajouter), il n'est que louange.
Cette réalité du travail en Eden nous est devenue proprement inconcevable, sinon par grâce.
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Écrit par : Serge Lellouche / | 26/03/2014

SUR LA TECHNIQUE

> Peut-être qu'il y a une bonne technique qui s'exerce dans son domaine propre, et ne doit pas en sortir. Il est sûr qu'une "technique" érigée en alpha et omega ne peut être que néfaste et non biblique. Peut-être qu'il reste à approfondir les notions.
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Écrit par : Aurélien Million / | 26/03/2014

TECHNÈ

> Je pense que Blaise garde surtout la notion technique au sens premier de "technè", qui, si je ne me trompe pas, implique autant l'artiste que l'artisan.

Là où Ellul dénonce une vision UTILITAIRE du travail après la chute, je pense que l'on peut tout à fait considérer (n'ayant pas lu Ellul, cela viendra vite j'espère!) que le travail d'avant la chute pouvait tout à fait comporter une dimension "artistique", bien que cela soit secondaire. La première caractéristique de ce travail avant chute étant la GRATUITE. Je pense qu'il ne faut se poser des questions sur l'importance d'une possible technicité de ce travail uniquement après que l'on a rappelé le PRIMAT DE LA GRÂCE de ce travail. Moyen aussi d'éviter de revenir à un utilitarisme soft.

Bon, mais postuler sur l'avant-chute, qui nous est très inintelligible par essence, il faut avoir les dimensions d'un Ellul pour cela (ce qui n'est pas mon cas!).
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Écrit par : Charles-Marie / | 26/03/2014

ROBOT

> et "l'homme -robot" dont parle V Georghiu ?
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Écrit par : E Levavasseur / | 26/03/2014

@ Serge Lellouche

> La tekhnê, en grec, c’est une « manière de faire », un moyen employé en vue d’une fin. Il existe ainsi des techniques de nage (brasse, crawl…), de jeux de cartes, corporelles (maquillage, tatouage), de peinture (fresque, acrylique), etc. Saint Ignace de Loyola lui-même a proposé à ses compagnons un certain nombre de techniques d’ordre spirituel afin de les aider à progresser dans leur vie de foi. Ajoutons qu’écrire un roman policier, par exemple, suppose la maîtrise de tout un savoir-faire technique. Je ne réduis pas la technique au seul travail, puisqu’elle s’étend aux activités humaines les plus variées, y compris le jeu.

Alors je me demande si Ellul n’« appréhende » pas la technique « par le prisme d’un imaginaire techno-productiviste » – imaginaire qui n’a pas existé de toute éternité. Je ne vois pas pourquoi, – que ce soit pour son plaisir ou pour gagner sa vie – danser, jouer d’un instrument de musique, jouer à la marelle, reconnaître des crus de vins différents, devrait nécessairement gagner les gens qui les pratiquent à un « imaginaire utilitariste ». D’ailleurs, quand vous me lisez et que vous m’écrivez, vous mobilisez des compétences techniques qui n’ont, à mon humble avis, pas grand-chose d’« utilitariste ».

Non seulement le travail n’obéit pas forcément à une logique utilitariste (les moines le savent bien), mais la technique peut être un lieu d’expérimentation de la gratuité. Exemple : Le peintre Pierre Soulages est un ouvrier irréprochable, très soucieux de la technique employée, qui fabrique lui-même ses outils, mais lorsqu’il commence à peindre il ne sait pas ce qu’il découvrira. Ce qu’il fait, il le reçoit comme un don. Dans sa lettre aux artistes, le concile Vatican II respectait la distinction entre la vocation des artistes, qui est de communiquer la « beauté » et la « vérité » aux hommes, et leur tendance, toujours menaçante, à l’utilitarisme : « Que ces mains soient pures et désintéressées ! Souvenez-vous que vous êtes les gardiens de la beauté dans le monde »

Si j’établis une corrélation entre la technique et le fait qu’Adam cultive le jardin d’Eden, c’est parce que la culture est par définition une activité technique, et que c’était déjà le cas lorsque le chapitre II du Livre de la Genèse fût composé. A quoi bon postuler un travail en tout point différent de ce qu’il est aujourd’hui ? La Bible ne nous dit pas cela… ce qu’elle nous enseigne, c’est que le péché est venu troubler les relations jusque là harmonieuses entre l’homme et la femme, l’être humain et les bêtes, l’homme et la terre, la femme et son pouvoir reproducteur. Mais la condition humaine n’a pas substantiellement changé, en tout cas rien ne nous permet de penser une telle chose. A moins de se persuader, comme Origène, que la vie charnelle de l’homme est une conséquence du péché originel.

Pourquoi Ellul pensait-il que, pour assurer la dignité du travail, il lui fallait se débarrasser de la technique ? voilà qui est pour moi bien mystérieux. Il lui aurait pourtant été facile de faire le partage entre les techniques et le « système technicien » de l’époque moderne et contemporaine, qui s’est autonomisée pour se retourner contre ses prétendus maîtres. La technique, un obstacle à la louange ? c’est tout le contraire : à l’église, chaque dimanche, nous chantons pour Dieu, tandis qu’un musicien accompagne nos prières à l’orgue.

Pour moi la vraie question, c'est : la technique, pour quoi faire? le juste accord des moyens aux fin est essentiel. En ce sens, je me sens plus proche d'Ivan Illich.
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Écrit par : Blaise / | 27/03/2014

CLÉS

> Une clé de compréhension sur le sens et la place du travail et de la technique est cachée je crois à Nazareth, dans l'humble quotidien du charpentier et des siens, de la communauté marginale de ses habitants sous l'occupation romaine.
Une autre dans l'éthologie animale et les neurosciences. Qui vont dans le même sens d'une aptitude première à l'empathie, qui se développe par empêchement d'agir. C'est cette empathie première qui serait à l'origine du langage, d'abord simple vocalise pour consoler, apaiser, avant d'être outil au service de l'action.
L'empathie serait alors la source oubliée, perdue du développement du travail et de la technique dans l'histoire humaine. (je m'appuie sur le livre de Boris Cyrulnik, "de chair et d'âme". Il entend par empathie "un processus affectif qui permet le partage d'une expérience psychique intime, alors que les deux subjectivités restent séparées", déjà présente chez les dauphins, les éléphants ou les chiens par exemple.)
Empathie qui serait à l'origine de la morale ( "l'aptitude à désorganiser son propre monde intime quand celui d'un proche est désorganisé" comme "base cognitive de la morale",celle-ci vue comme "ensemble de conduites organisées par le projet de faire du bien et d'éviter le mal"-p145). La morale donc serait antérieure et déconnectée du souci d'efficacité, même un arrêt provisoire de l'action en cours puisqu'elle commence par nous désorganiser.

Boris Cyrulnik parle aussi d'"empathie d'objet", que l'on retrouve chez le chat, qui permet de se mettre à la place de la proie, mais uniquement comme nourriture,(empathie de corps qui permet d'anticiper le mouvement de sa proie) non comme ayant une vie psychique intime, empathie d'objet reprise dans l'action technique (ainsi l'architecte qui se représente un pont réalise une "empathie de pont"). Ce serait donc une empathie "mutilée" qui permettrait de gagner en efficacité. Ce ne sont là que pistes de réflexions balbutiantes, mais quand je lis ceci:
" Ce n'est donc pas le langage qui fonde l'empathie en l'interprétant comme un calcul rationnel de coûts et de gains, c'est une aptitude émotionnelle à se laisser modifier par le monde d'un autre, auquel on est attaché",
je me dis que le rationalisme cartésien-libéral (voir A.Smith en particuliers) fondé sur l'intérêt égoïste bien compris, à l'origine de notre société technico-utilitariste, est en train d'être démonté scientifiquement dans le même temps où il s'effondre économiquement et moralement. Il nous faut réapprendre à être homme dans cette solidarité première entre tous les vivants, dans ce grand ballet de l' univers dont la danse est d'abord expression gratuite et joyeuse du don. Et à partir de là retrouver le sens du Bien Commun Universel, à l'opposé de la somme des intérêts particuliers où la fascination pour la raison technicienne nous a enfermé.
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Écrit par : Anne Josnin / | 27/03/2014

@ Anne Josnin

> Très intéressant, ce que vous écrivez ! L’apport de l’éthologie animale et des neurosciences permet de réfuter efficacement la théorie utilitariste d’André Leroi-Gourhan, qui a malheureusement inspiré Jacques Ellul, et pour qui la technique (ou l’outil ?) serait apparue pour satisfaire les besoins de l’homme. En tant que chrétien, je me refuse à croire à ces récits d’origine, chers aux libéraux, qui expliquent l’existence de la civilisation soit par un conflit primordial (Hobbes), soit par les besoins physiques à satisfaire (Locke) ; bref, toujours par un manque, une déficience qui menacerait les individus atomisés dans leur existence même. Tous ces discours misérabilistes font abstraction de la bonté originaire de la création, du fait que les hommes ont été créés pour Dieu et qu’ils s’accomplissent dans la charité et l’amour. D’ailleurs, dans de tels systèmes de pensée, la sociabilité, l’empathie sont des choses artificielles, consécutives à la nécessité autrement capitale d’assurer sa survie.
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Écrit par : Blaise / | 27/03/2014

@ Charles-Marie,

> j'adhère à ce que vous écrivez, et dans ce que j'ai essayé de traduire de la pensée d'Ellul, celui-ci ne dit rien d'autre.
Dans son propos, travail utilitaire = travail technique, dans le sens où l'utilitarisme suppose recherche d'efficacité, et que cette recherche est le fondement même du monde technique tel que défini par Ellul.
Et pour ma part, je suis intiment convaincu, je dirais même de toute ma foi, par l'affirmation d'Ellul : dans ce monde édénique de la gratuité et du don pur, où règne la miraculeuse communion universelle en Dieu, la recherche de l'efficacité n'a rigoureusement aucune place !
Le penser sous-entendrait ni plus ni moins que la Création de Dieu est imparfaite, et qu'il faudrait donc inventer des moyens techniques performants pour combler ses nombreuses lacunes.
C'est pour cela qu'on n'en finit pas de tourner autour du pot et d'éluder la question lorsque l'on ressasse ce type de platitude : la technique n'est ni bonne ni mauvaise en soit, tout dépend ce que l'on en fait. La théologie a été imprégnée de ce lieu commun d'une "neutralité" de la technique : que l'homme fasse bon usage de la technique et tout ira bien. Sa dimension intrinsèque de recherche d'efficacité, qui rompt avec l'accueil émerveillé des dons du créateur, est ainsi soigneusement éludée.
Ce n'est donc pas le travail, ou «l'action» qui est en cause ici. Sauf que, comme vous le dites à juste titre, nous sommes tous tellement imprégnés de toutes nos fibres de ce monde de la chute et du monde technicien qu'elle a suscitée, que la réalité du travail en Eden nous est quasiment inconcevable, inimaginable. C'est une réalité radicalement renversante. Ou alors la Chute n'est qu'une simple broutille, un désagréable accident de parcours.
Mais intuitivement et à la lecture de la Genèse, on ne peut que vous rejoindre sur cette dimension fondamentalement artistique et poétique du travail en Eden. L'homme en Eden est d'abord Parole, prolongement du Verbe incarné. Oui, selon nos conceptions, il nous est inconcevable d'imaginer que le travail puisse être avant tout Parole et Louange.
Allez dire aujourd'hui à un agro-manager encartés à la FNSEA et avachi sur son gros tracteur efficace, qu'Adam, dans son obéissance totale à la Parole de Dieu, faisait fructifier la terre en chantant à poumons déployés des louanges au créateur de toutes choses, en la caressant de ses mains dans une infinie gratitude du coeur, en la nourrissant de ses larmes de joie et en lui annonçant la promesse de sa gloire éternelle!
Ce sera sos-psychiatrie directe, j'vous assure! Oui, inimaginable...
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Écrit par : Serge Lellouche / | 27/03/2014

SANDRINE TREUILLARD ET St FRANÇOIS

> Je vous informe d'une vidéographie réalisée par l'artiste Sandrine Treuillard, d'après un extrait des Fioretti de saint François d'Assise, "La vision de Jean de l'Alverne" : http://treuilsanaturemorte.blogspot.fr/2012/01/la-vision-de-jean-de-lalverne.html
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Écrit par : Camille Fornello / | 28/03/2014

DE NOUVEAU

> "Adam, dans son obéissance totale à la Parole de Dieu, faisait fructifier la terre en chantant à poumons déployés des louanges au créateur de toutes choses, en la caressant de ses mains dans une infinie gratitude du coeur, en la nourrissant de ses larmes de joie et en lui annonçant la promesse de sa gloire éternelle! "
Merdalors, Serge, c'est malin, tu me fais pleurer.
Et dans l'éternité bienheureuse, ce sera de nouveau comme ça ? Mon Dieu, reviens, vite !!!
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Écrit par : PMalo / | 28/03/2014

Serge :

> "La théologie a été imprégnée de ce lieu commun d'une "neutralité" de la technique."

Le catholicisme dans lequel j'ai été élevé, et encore aujourd'hui, ne nous parle que de Dieu et de l'Homme-individu, de leur relation et de la morale.
Tout le reste n'est même pas mentionné, et si par malheur on ose en parler, c'est de cette manière totalement neutre.
L'environnement ? Neutre. Tout dépend blablabla.
La technique ? Neutre. Tout dépend blablabla.
Mon travail ? Neutre. Tout dépend blablabla.
Mon mode de vie ? Neutre. Tout dépend blablabla.
Etc.

PMalo


[ PP à PM - Ce "catholicisme" sociologique, oui, mais pas celui de la Bible, du magistère de l'Eglise catholique et des théologiens... Et ça prouve que trop de catholiques français ne s'intéressent pas à ce que dit leur Eglise... ]
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Écrit par : PMalo / | 28/03/2014

ICÔNES

> Je réagis au commentaire de PMalo:
"L'environnement ? Neutre. Tout dépend blablabla.
La technique ? Neutre. Tout dépend blablabla.
Mon travail ? Neutre. Tout dépend blablabla.
Mon mode de vie ? Neutre. Tout dépend blablabla."

C'est tout le contraire de la tradition orientale de l'iconographie:

Toute la technique de l'iconographie byzantine et russe est porteuse de sens. Quelques exemples: le souci des matériaux qui doivent faire participer à l'icône un maximum du monde crée, le minéral avec la craie et les pigments (terres),l'eau, l'animal avec l'oeuf qui sert de liant et les pinceaux en écureuil ou martre, le végétal avec le bois.

Le travail de l'iconographe s'apparente à l'action liturgique ("soumettre la terre c'est la transformer en Temple cosmique d'adoration et l'offrir à Dieu" extrait de L'Art de l'icône, théologie de la beauté de Paul Evdokimov, un classique très apprécié de Benoit XVI).

le mode de vie de l'iconographe est indissociable de son oeuvre, il doit vivre dans la prière et l'ascèse (cf le Concile des Cent chapitres)
Cette tradition que nous avons perdue en Occident unifie technique, beauté et vérité.
Les iconographes catholiques dont je fais partie tentent de redonner cette perception unifiée de l'univers.
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Écrit par : marie-ange / | 28/03/2014

Marie-Ange :

> nous avons effectivement BEAUCOUP à apprendre de nos frères orientaux ! C'est pour moi une évidence !!!
Les orthodoxes que je croise de temps en temps me surprennent toujours positivement par leur vision du monde beaucoup plus théocentrée, christocentrée que la nôtre, catho occidentaux, avec tout ce qui en découle naturellement, aussi bien théologiquement que dans leur vie quotidienne, leurs engagements écologiques, politiques, sociaux, etc, intrinsèquement liés à leur foi, et non pas à des réflexes de milieu sociologique.
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Écrit par : PMalo / | 29/03/2014

@ Serge Lellouche

> Disons, pour clarifier ma pensée, que ce n’est pas simplement l’usage que l’on fait d’une technique « neutre », – et dont soi-disant nous disposerions à notre guise en arbitres souverainement libres, – qui peut être qualifiée de « bonne » ou de « mauvaise » ; plus radicalement, c’est l’inventivité technicienne qui doit être interrogée. Contrairement à ce que nous assène la désolante rhétorique du progrès, il n’existe pas de déterminisme en histoire des techniques : si nous n’étions pas aussi dépendants de multiples structures de péché, nous aurions pu faire l’économie d'inventions plutôt néfastes.

Pour le reste, évidemment, je ne peux être d’accord avec vous. Du moins cet échange aura permis de clarifier les positions respectives. Ma conviction demeure que Ellul est à bien des égards un pionnier de premier plan pour réfléchir sur les « systèmes techniques » de l’ère capitaliste ainsi qu’à la logique interne à ces mondes artificiels : le « progrès » ou à la fuite en avant technicienne, productrice d’aliénation en retour. Toutefois, c’est un auteur inégal, capable aussi bien d’écrire des sottises (dans des domaines aussi divers que la BD ou l’islam). Nous devons donc exercer un strict droit d’inventaire.
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Écrit par : Blaise | 29/03/2014

@ Serge Lellouche

> D’après Ellul, la technique impliquerait nécessairement la recherche d’efficacité ; du même coup, elle serait porteuse d’une appréhension utilitariste du Cosmos. Je suis partiellement d’accord sur ce premier point, à condition de procéder à la reformulation suivante : la technique est ce qui permet aux animaux, et plus spécifiquement aux hommes, d’avoir prise sur le monde environnant ; elle suppose une juste adéquation des moyens aux fins. Mais l’usage d’une technique, quelle qu’elle soit, ne s’accompagne pas forcément d’une recherche de « performance », de « productivité » ou de « maximisation des profits ». La façon peu « rationnelle » dont certaines techniques ont été gérées au cours de l’histoire, suffirait à le démontrer. La défaite française d’Azincourt s’explique, par exemple, par des motifs tout-à-fait fondés de la part de la noblesse, mais étrangers aux considérations proprement utilitaristes : l’honneur qui s’attachait à leur statut social obligeait, au sens fort du terme, les aristocrates à combattre leur ennemi à cheval et en combat singulier. Le soupçon d’« utilitarisme » qu’Ellul fait peser indifféremment sur toute technique nous conduit d’ailleurs à des situations absurdes : si je me tiens debout et que je marche, je donne une orientation à mon parcours, en vue d’une fin déterminée, et je compte bien obtenir des résultats satisfaisants – autrement dit ne pas m’effondrer sur place. Dois-je considérer pour autant que la marche est dominée par un imaginaire utilitariste ? L’efficacité recherchée ici, au même titre que la technique, c’est la bonne adéquation des moyens aux fins.

Pourquoi rit-on de Dom Quichotte ? parce que son accoutrement, sa façon de se comporter et d’envisager la guerre sont en complet décalage par rapport aux us et coutumes de son époque, à l’état des choses tel qu’il s’impose à tous quoi qu’on en ait. Au regard des lecteurs de Cervantès, Dom Quichotte paraît être une survivance grotesque de l’ancien monde – un archaïsme injustifiable. Pourtant, de son point de vue, qui est celui des romans de chevalerie, dépositaires des valeurs de la noblesse d’épée, il n’y a rien dans son armement et dans son éthique de vie qui soit à contre-emploi. Ce qui fonde l’« efficacité », c’est l’adaptation à une totalité culturelle, à la fois matérielle et immatérielle. L’« efficacité » est relative au contexte social ; il n’y a donc pas de vérité de l’efficacité que la philosophie utilitariste serait chargée de nous révéler. C’est pourtant de tels prémisses utilitaristes (réfutés avec succès par Anne Josnin) qu’Ellul est parti pour élaborer sa conception de la technique, qu’il ne lui restait alors plus qu’à dénoncer.
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Écrit par : Blaise / | 29/03/2014

@ Serge Lellouche

> Ellul n’hésite pas à jouer sur l’antinomie entre d’une part le don gratuit et premier que Dieu fait à l’humanité et d’autre part la « recherche de l’efficacité » par la technique. Ou bien… ou bien… ! Ellul postule donc une pure réceptivité de l’homme dans l’Eden, qui ne saurait qu’exprimer sa gratitude devant la profusion des dons de Dieu. Faire plus, ce serait déjà affirmer son autonomie personnelle et trouver à redire quant à la perfection de la Création. Si Ellul était vraiment rigoureux il devrait considérer que toute activité un tant soit peu créative, manifestant chez les hommes et les bêtes une disposition à être sources de leurs actes (à la différence des végétaux), « ajoute » à la Création de Dieu. La technique se caractérise surtout par le franchissement d’un seuil dans l’expérience animale du monde, par le passage à un degré de complexité supérieur aux simples actes tels que se lever, regarder, saisir un objet, parler, copuler… Si je chante (même faux), si j’invente une nouvelle recette de cuisine, j’ajoute à la Création au même titre que lorsque je mets au point un nouvel outil, par exemple un métier à tisser, un verre, un crayon ou un dé à coudre. Il n’y a pas de différence ontologique décelable. Cet argument de la perfection complète et achevée du monde, conçu sur le modèle du Cosmos des Grecs, a joué un rôle dans les polémiques antijudaïques de l’Antiquité. Jacques Ouaknin, dans son livre « Corps-âme-esprit par un juif » rapporte ainsi le dialogue qu’eut Rabbi Aquiba avec un Romain. Ce dernier l’interpelle : « Vous les juifs, vous blasphémez votre Dieu, car vous considérez que son œuvre est imparfaite. |…] Vous pratiquez la circoncision parce que vous considérez l’homme imparfait à sa naissance. » Et Rabbi Aquiba de répondre : « En vérité, l’éternel a créé un monde inachevé, et Il a laissé une place pour l’intervention humaine. Pour confectionner ces beaux gâteaux, l’intervention de l’homme a bien été nécessaire ! » Et je m’interroge : pourquoi présentons-nous à l’Offertoire le blé et le raisin déjà transformés par la technique, « dégradés » en pain et en vin ? Le fait que le Christ ait été charpentier ne fonde-t-il pas la légitimité des travaux manuels, comme le pensait Jean-Paul II ? Plusieurs apôtres étaient pêcheurs, saint Paul était tisserand !!!
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Écrit par : Blaise / | 29/03/2014

@ Serge Lellouche

> Dernier point : Ellul s’est adonné à un périlleux exercice de théologie-fiction, en spéculant sur la nature supposément non-technique du travail dans l’Eden avant la Chute. On peut légitimement s’interroger : pourquoi labourer, semer, récolter serait-il plus « utilitariste » que chanter pour obtenir des résultats identiques ? Par le travail, tel qu’Ellul le décrit, Adam agit sur la Création : si les techniques changent, leur finalité demeure la même. Il n’y a pas de raison de penser que le désintéressement ou la recherche du profit serait attaché à tel outil (la charrue, la faucille…) plutôt qu’à tel organe humain (la voix chantée ou parlée) ; que le premier serait plus rétif à l’action de grâce que l’autre. Apparemment Ellul a infléchi son argumentaire : il ne s’agit plus pour lui d’opposer simplement la profusion des dons de Dieu aux techniques humaines venues palier un manque ; il cherche implicitement à opposer les techniques dégagées de la matière, c’est-à-dire ayant recours à la parole – aux techniques impliquées dans la matière. Les conséquences du péché originel sont pour ainsi dire vues comme une chute dans la matière. Il s’agit pour Ellul d’établir la prédominance des « arts libéraux » (comprenant les opérations intellectuelles) sur les « arts mécaniques » (toutes les actions opératives exigeant l’usage de la main). L’argumentaire est aussi vieux que les Grecs ; Léonard de Vinci s’en servait pour défendre la dignité supérieure du peintre par rapport au sculpteur : L’« exercice tout mécanique » du sculpteur, « le visage tout enduit et enfariné de poudre de marbre, semblable à un boulanger » contraste avec l’« effort intellectuel » du peintre qui n’utilise que la quantité de matière nécessaire à son « dessein ». A ce type de hiérarchisation des hommes, John Ball avait une réponse toute prête : « When Adam delved and Eve span / Who was then the gentleman ? »

La Bible, elle, ne disjoint pas le travail technique et le service de Dieu : parallèlement à la magistrature qu’il exerce par délégation sur les bêtes (Gn 2 : 19-20), et qui n’inclut aucun droit d’usage puisque l’humanité reste nue et végétarienne, Adam reçoit pour charge de cultiver le jardin d’Eden – qui appartient à Dieu (Gn 2 :15). Nous sommes loin de ce spiritualisme éthéré dans lequel s’est complu Jacques Ellul, et qui a fait tant de ravages dans la chrétienté tardive du XIXe siècle. J’espère qu’avec l’éveil de la conscience écologique, les chrétiens, en méditant les Ecritures, seront sensibilisés à la dignité de la technique, trop longtemps avilie par l’utilitarisme moderne. Les militants de l’Arts & Crafts avaient déjà entrepris cette lutte, mais force est de reconnaître qu’ils ont été entièrement digérés par le système.
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Écrit par : Blaise | 29/03/2014

Marie-Ange

> Les chrétiens latins n'ont pas « perdu » la tradition de l'iconographie byzantine, puisqu'ils ne l'ont jamais eue. Au-delà des définitions dogmatiques communes concernant les saintes images, il existe entre catholiques et orthodoxes de profondes divergences dans ce domaine, y compris théologiques (songeons au bref "Sollicitudini nostrae" de Benoît XIV). De toute façon, tout n'est pas à mettre sur le même plan : si vous trouvez dans la tradition de l'image développée chez les Grecs de quoi abreuver votre spiritualité, pourquoi pas? Mais il ne s'agit pas d'un "retour".
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Écrit par : Blaise / | 29/03/2014

ELLUL ET VATICAN II

> Pour Ellul, qui sollicite Gn 1, 31 et Gn 2, 2, la Création est « complète et achevée » ; l’homme n’a donc « rien à y ajouter ».
A l’opposé, le Midrach Rabba sur la Genèse, au Ve siècle av. J.-C., témoigne de la conscience aiguë que le peuple juif avait alors de l’inachèvement de la création : « De tout ce qui a été créé dans l’œuvre des six jours, il n’est rien qui ne soit à parachever et que l’homme ne doive rectifier (Bereschit Rabba 11). »
De plus, en Genèse 1, l’œuvre de la Création trouve son achèvement dans le repos de Dieu au septième jour, repos que les enfants d’Israël actualisent rituellement, pour ainsi dire, après avoir travaillé tous les autres jours de la semaine. « Ne pas travailler le jour du sabbat est plus qu’accomplir un rite avec une obéissance scrupuleuse. C’est une façon d’imiter Dieu », observe le rabbin Jacob Neusner (cité par Joseph Ratzinger/Benoît XVI dans "Jésus de Nazareth", 2007, p. 130).
Il existe en effet une étroite correspondance entre la Création « ex nihilo » de Dieu et le travail physique des hommes. Mais soulignons-le, l’ « achèvement » dont il est question ici, concerne davantage un acte de fondation des éléments du monde que la réalisation d’une totalité cosmique ayant atteint son point de « perfection » dès le commencement. Car la Création ne peut trouver son accomplissement que dans Jésus, « l’homme parfait qui a restauré pour les fils d’Adam la ressemblance divine, altérée dès le premier péché ». (GS § 22. 2).

Le document conciliaire "Gaudium et Spes", que je viens de citer, insiste d’autre part sur l’achèvement eschatologique du monde façonné par l’homme : Dieu, annonce le Concile, nous prépare une nouvelle terre où « […] ce qui fut semé dans la faiblesse et la corruption revêtira l’incorruptibilité. La charité et ses œuvres demeureront et toute cette création que Dieu a faite pour l’homme sera délivrée de l’esclavage et de la vanité » (§ 39.1)
« La charité et ses œuvres », c’est-à-dire tout ce qui dans l’agir humain aura été ordonné à la charité divine.
Car il s’agit que les hommes, « renonçant à l’amour-propre et rassemblant toutes les énergies terrestres pour la vie humaine », « s’élancent vers l’avenir, vers le temps où l’humanité elle-même deviendra une offrande à Dieu. » (§ 38. 1) Alors, « […] ces valeurs de dignité, de communion fraternelle et de liberté, tous ces fruits de notre nature et de notre industrie, que nous aurons propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit, nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père "un royaume éternel et universel : royaume de vérité et de vie, royaume de sainteté et de grâce, royaume de justice, d’amour et de paix". Mystérieusement, le royaume est déjà présent sur cette terre ; il atteindra sa perfection quand le Seigneur reviendra. » (§ 39. 2)

Inutile de se voiler la face, il existe une réelle incompatibilité de la théologie d’Ellul avec l’enseignement magistériel prodigué par l’Eglise catholique.
Mais en quoi consiste au juste la source de ce désaccord ?
J’ai d’abord soupçonné chez cet auteur l’influence pernicieuse de la cosmologie gréco-romaine, qui l’aurait rendu insensible au fait que « toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement. » (Rm 8, 22) D’autant plus qu’il semblait avoir comme effacé la bonne nouvelle du Salut dans le Christ et la proclamation par les premiers chrétiens que « Dieu s’est plu à faire habiter en lui [le Christ] toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. » (Col 1, 19-20)

Cependant, le rôle joué par son protestantisme très marqué par l’influence de Karl Barth me semble être un facteur bien plus déterminant. Nous allons le voir.

Ellul, qui adopte une interprétation historiciste du péché originel, soutient que le travail d’Adam avant la Chute ne lui était pas nécessaire pour gagner sa vie, parce que sa subsistance était un don gratuit de Dieu, « sans relation de nécessité avec le travail ». (Ellul s’écarte ici de Gn 2, 4b-5 qui fait du travail de l’homme un préalable indispensable, avec la pluie, de la fertilisation du sol. Autrement dit, refuser de cultiver le jardin, c’est se condamner non seulement à rompre l’alliance originelle avec Dieu mais encore à mourir de faim).
Il considère, en effet, que l’initiative humaine en prétendant poser des actes dont elle pourrait s’attribuer le mérite, est hautement condamnable ; aussi conçoit-il les dons gratuits de Dieu de telle façon qu’ils préviennent toute « possibilité de glorification personnelle » à travers l’habileté technique. Les besoins et les désirs de l’homme sont comblés avant même qu’ils aient l’heur de naître. Ce n’est pas un père castrateur comme le croyait Freud, mais un père maternant !
Sa conviction intime, c’est que l’homme ne saurait se prévaloir de son mérite propre pour assurer son salut. L’influence de Karl Barth est ici perceptible : pour ce dernier, du fait de la transcendance de Dieu, « les œuvres humaines sont disqualifiées d’emblée, et l’amour infini de Dieu pour sa Création s’inscrit dans un mouvement dialectique entre son "Oui" à l’homme et son "Non" à ses œuvres. » (www.jacques-ellul.org/influences/karl-barth)

Jean Daniélou, quant à lui, soulignait que la position barthienne tendait à l’annihilation pure et simple de la liberté humaine : « Reprenant le "solus Deus" de Luther, il dénonce toutes les prétentions de la liberté humaine, qui lui paraissent attentatoires à la souveraineté absolue de la liberté divine. Tout ce que Dieu lui-même n’opère pas dans l’homme est néant. » (DANIELOU Jean, « Dieu et nous », Grasset, 1956, p. 89) La seule attitude concevable pour l’homme, dans cette anthropologie où la créature n’est que pure réceptivité devant son créateur, est la gratitude, l’action de grâce.

La « perfection » de la Création telle que la comprend Ellul consiste en la profusion de la Grâce originelle qui ne laisse place aucune à ce qui serait un domaine propre à la créativité humaine. La transcendance divine creuse un abîme entre la Grâce, purement extrinsèque, et le vouloir humain, dont les œuvres ne sont que néant.
Il n’était dès lors pas envisageable pour Ellul de reconnaître avec le Concile Vatican II « une juste autonomie des réalités terrestres » ayant « leurs lois et leurs valeurs propres » (GS 36). Il lui aurait fallu pour cela accepter l’analogia entis que les barthiens refusaient avec véhémence comme une « invention de l’antéchrist ».

Thomas d’Aquin, qui a en quelque sorte fixé l’enseignement catholique sur le sujet, explique que c’est parce que Dieu a voulu « communiquer aux choses sa ressemblance non seulement quant au fait d’être, mais également quant au fait d’être cause d’autres choses (Contre les Gentils, III, 70, § 7) que nous avons la possibilité d’accéder à une certaine vérité sur le monde et sur Dieu. Bref, les créatures sont des « étants » qui participent, jusque dans leur autonomie de sujet, à l’être unique qui est Dieu. Aussi, l’agir animal et humain, ses capacités techniques et fabricatrices sont-ils vus très positivement par l’Eglise parce qu’ils disent quelque chose de la nature même de Dieu ; les œuvres de l’homme seront même « purifiées », « illuminées », « transfigurées » (GS 39.2) lorsque le Christ aura remis le Royaume à son Père.

Pour Ellul, la technique « ne peut être qu’un phénomène de la Chute » en discontinuité radicale avec l’ordre de la Création voulu par Dieu.
Ellul assimile ici la technique à l’outil, c’est-à-dire à un artefact venu suppléer aux organes fournis par la nature (une lame de couteau est quand même plus efficace que les doigts des deux mains !). Cela lui permet d’établir une opposition tranchée entre la nature (les œuvres de Dieu) et la culture (les œuvres de l’homme, sources d’orgueil). Dans la réalité concrète et observable les partages nature/technique, nature/outil, nature/culture ne sont pas si évidents que cela, même au niveau infra-humain, chez les bêtes.
Son barthisme, profondément dualiste, qui implique une concurrence de l’action divine et de l’agir de l’homme, le prédisposait à accueillir favorablement les définitions utilitaristes de la technique/de l’outil formulées par exemple par un Leroi-Gourhan.
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Écrit par : Blaise / | 31/03/2014

APRÈS

> Une petite distraction de ma part : le Midrach Rabba est du Ve siècle APRES J.-C.
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Écrit par : Blaise / | 31/03/2014

L'ACTION HUMAINE ET L'ACTION DIVINE

> Donc, si je comprends bien, nous avons un extrême avec les barthiens qui dévalorisent complètement l'action humaine, en y voyant une source d'orgueil, et en face, l'autre extrême, les libéraux, genre Institut des libertés, qui professent une confiance dans l'action humaine confinant au nombrilisme.
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Écrit par : Aurélien Million / | 31/03/2014

@ Aurélien Million

> Tout-à-fait ! La tâche qui incombe aux théologiens depuis Vatican II, c'est de penser la juste articulation entre, d'une part, l'action providente de Dieu, et de l'autre, l'agir de l'homme. Et ce n'est pas toujours facile, bien sûr.
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Écrit par : Blaise / | 31/03/2014

@ Blaise,

> merci pour ces éclairages passionnants. Cela donne envie de se plonger dans la lecture de ces auteurs! J'aime l'idée d'inachèvement, qui nous projette hors de nous-mêmes, nous jette dans l'inconnu où nous attend Dieu. Ouvre à la liberté.
Pour Bergson, si l'homme est homo faber, avec sa main pour outil à fabriquer des outils, c'est pour ultimement la création de soi par soi, ce que le héro ou le saint réalisent chacun de manière unique. Aussi bien le travail comme la technique ont bien cette fonction développée par Jean-Paul II de moyens pour, en faisant, "se faire". On comprend en ce sens la critique de la société industrielle d'un Marx comme d'un William Morris , où le (la) geste du travailleur est scientifiquement déshumanisé (e), donc alliénante.
"Garder les yeux fixés sur la cible du bien", comme nous y invite Jollien, ici particulièrement le bien commun universel. Il s'agit au final d'inventer, chacun en liberté d'être, sa manière de participer à l'élévation du monde comme réponse à l'abaissement divin, à travers particulièrement la réalisation de soi comme Alter Christus. C'est pourquoi on en revient à Nazareth.
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Écrit par : Anne Josnin / | 31/03/2014

@ Blaise

> Si effectivement la théologie occidentale ne s'est guère intéressée à la portée spirituelle de l'art sacré, l'art est resté en Occident fidèle à la tradition commune jusqu'au XII° siècle. L'art roman et la peinture italienne partagent les mêmes fondements théologiques que l'art de l'Orient. La rupture se situe avec Giotto et Cimabue.
Quoi qu'il en soit, ce n'était qu'une illustration de cette possibilité d'harmoniser technique et recherche de vérité et de beauté. Et il me semble que la nouvelle évangélisation ne pourra se déployer pleinement que lorsque l'Eglise respirera de ses deux poumons. Nous avons tout intérêt à nous enrichir des diverses traditions.
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Écrit par : marie-ange / | 31/03/2014

> Serge, tu as du boulot ! ;)
J'attends ta réponse avec impatience !
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Écrit par : PMalo / | 31/03/2014

@ Blaise,

> Mon problème est très simple : Je ne veux pas rentrer dans un débat théologique sur Karl Barth tout simplement parce que j'en suis bien incapable.
Je ne veux pas plus me dérober par une pirouette, veuillez croire ma bonne foi sur ce point.
Mais rectifier une à une l'ensemble de vos affirmations définitives et professorales à propos d'un auteur et d'un livre dont vous n'avez visiblement pas lu une ligne de plus que celles citées en extrait plus haut, et qui sont liées à un chapitre de 25 pages contenu dans le développement d'un livre qui en contient plus de 400, m'obligerait à me coucher au plus tôt à cinq heures du matin, alors que je dois me réveiller à 6h30. Merci de votre compréhension.

Quand vous lirez la synthèse du livre complet (je l'avoue pas avant un bon bout de temps, y a une longue file d'attente!), je pense que vous constaterez par vous même que vous avez dit beaucoup de grosses bêtises en affirmant que Jacques Ellul :
- oppose l'action divine et l'agir humain, la grâce et le vouloir humain ;
- ne laisse aucun domaine propre à la créativité humaine ;
- identifie les œuvres humaines à l'autoglorification humaine ;
- annihile la liberté humaine ;
- n'appréhende pas la technique à l'aune du Nouveau Testament et des fins dernières,
etc, etc...

J'ai par contre le temps bien avant 6h30 demain matin, de vous faire patienter à la lecture de ces extraits, aux pages 158-159 du livre, situés dans la foulée des extraits auxquels vous avez réagi avec beaucoup trop de précipitation.
Je cite  :
«Et maintenant, il me reste à supplier le lecteur de ne pas me faire dire ce que je ne dis pas ! Je ne dis pas que la Technique est un fruit du péché. Je ne dis pas que la Technique est contraire à la volonté de Dieu. Je ne dis pas que la Technique est mauvaise en soi. Je dis seulement que la Technique n'est pas un prolongement de la création édénique, qu'elle n'est pas une obéissance de l'homme à une vocation qui lui serait donnée par Dieu, qu'elle n'est pas le fruit de la nature première d'Adam. Elle est le produit de la situation où le péché a mis l'homme, elle s'inscrit exclusivement dans le monde déchu, elle fait partie uniquement de ce monde déchu, elle est un produit de la nécessité et non pas de la liberté de l'homme (…)
D'un point de vue biblique, le problème des Techniques ne s'arrête pas avec cette origine (édénique). Et cela d'autant plus que, nous devons sans cesse le rappeler, bibliquement, ce n'est pas la Genèse qui donne le sens d'une réalité, mais bien au contraire, c'est la fin (…)
Dans l'Ancien Testament tout est rigoureusement fondé sur la promesse, c'est à dire que l'important est la promesse reçue aujourd'hui et qui doit absolument se réaliser – dans le Nouveau Testament, tout est rigoureusement fondé sur la résurrection et la présence/attente du Royaume : les événements passés qui nous sont donnés ne sont là ni pour nous donner une cause première, une origine, ni pour fixer, établir avec rigueur une situation acquise. Ils sont là exclusivement pour éclairer, expliciter la Résurrection et le Royaume.»
Fin de citation.

D'où une grande partie du développement qui suit, qui inscrit la Technique dans sa perspective eschatologique, et qui je crois vous surprendra par ses conclusions.
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Écrit par : Serge Lellouche / | 31/03/2014

JEAN-PAUL II

> J’ai cité abondamment le Concile Vatican II ; je peux tout aussi bien me référer à l’enseignement du pape Jean-Paul II, qui a beaucoup écrit au sujet de l’activité artistique, laquelle est particulièrement emblématique de l’activité technique et fabricatrice de l’homme. Ainsi, au § 1 de sa "Lettre aux artistes" (1999) :

« Dieu a donc appelé l'homme à l'existence en lui transmettant la tâche d'être artisan. Dans la "création artistique", l'homme se révèle plus que jamais "image de Dieu", et il réalise cette tâche avant tout en modelant la merveilleuse "matière" de son humanité, et aussi en exerçant une domination créatrice sur l'univers qui l'entoure. L'Artiste divin, avec une complaisance affectueuse, transmet une étincelle de sa sagesse transcendante à l'artiste humain, l'appelant à partager sa puissance créatrice. Il s'agit évidemment d'une participation qui laisse intacte la distance infinie entre le Créateur et la créature, comme le soulignait le Cardinal Nicolas de Cues : "L'art de créer qu'atteindra une âme bienheureuse n'est point cet art par essence qui est Dieu, mais bien de cet art une communication et une participation". »
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Écrit par : Blaise / | 01/04/2014

@ Serge Lellouche

> Je prends en compte les précisions apportées par Ellul ; mais s’il ne dit pas « que la technique est un fruit du péché », qu’elle serait « contraire à la volonté de Dieu » ou « mauvaise en soi », il se refuse pourtant à lui reconnaître une réelle positivité, conforme au dessein de Dieu à l’origine et à la vocation primitive de l’homme. Il ne s’agit pour lui que d’un palliatif, « d’un produit de la situation où le péché a mis l’homme », d’« un produit de la nécessité », de même que le signe de Dieu qui marque le front de Caïn ou que la manne qui nourrissait les hébreux au désert et qui a cessé une fois gagnée la terre d’Israël.

Les techniques sont donc, d’après Ellul, une réalité seconde, non essentielle à l’ordre de la création voulu par Dieu, et un signe visible de notre culpabilité en même temps qu’un secours temporaire à notre finitude.

Qu’advient-il, dans un tel système, du rôle de perfectionnement de la Création que la tradition juive comme l’Eglise catholique reconnaît à la technique, l’une mettant en exergue la circoncision, signe de la première alliance, l’autre la consécration du pain et du vin, signes de la nouvelle alliance ?

Les explications d’Ellul, pour le moment, ne me paraissent pas résoudre la dichotomie entre l’action divine et l’agir humain : nous avons les promesses de Dieu, auxquelles doit répondre la foi des hommes ; mais qu’en est-il de leurs œuvres ? Quelle place Dieu leur accorde-t-il dans son Royaume ?

Qu’en est-il, à la fin des temps, de l’opposition élullienne entre travail de la parole et travail manuel ?
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Écrit par : Blaise / | 01/04/2014

@ Marie-Ange

> Je ne parlais pas de l’ « art sacré », – formulation qui implique l’idée moderne d’esthétique – mais de la théologie des saintes images, et de la discipline ecclésiastique régissant leur confection. Le concile de Nicée II a pris un certain nombre de mesures disciplinaires qui sont restées lettre morte dans les Eglises latines ; et sa justification théologique des images a longtemps été méconnue : il a fallu attendre le Concile de Trente pour qu’elle fasse vraiment autorité.

Latins et Grecs ont certainement un fond théologique commun ; mais les divergences interviennent dès 789, date à laquelle la Cour de Charlemagne entend se démarquer de la théologie de Nicée II comme de la position iconoclaste : ce sont les reliques et non les images qui peuvent être vénérées. Il y a donc eu un phénomène de non réception du Concile, au grand dam du pape Hadrien Ier.

Si au XIe siècle l’Eglise latine accorde enfin toute sa place à la vénération des images, si à côté de l’« historia » (à but pédagogique) elle reconnaît la légitimité de l’« imago » (objet de vénération), elle s’écarte pourtant de la voie tracée par Nicée II. L’art roman, c’est une statuaire impressionnante qui renoue, par la consistance et les reliefs donnés aux figures, avec le réalisme des sculpteurs païens. Le rejet de la tridimensionnalité, accepté indifféremment par les Latins et les Grecs, est donc enfreint.

Quant à Giotto et Cimabue, bien que leur art constitue sinon une rupture, du moins une évolution notable dans l’art de peindre, il conserve néanmoins toute sa portée spirituelle, mais envisagée d’une manière renouvelée. Comment représenter adéquatement la vie d’un saint moderne et laïc ? voilà une question que Giotto devait avoir en tête. Question subsidiaire : comment donner un équivalent plastique de la spiritualité franciscaine, elle qui accorde une telle importance à l’humanité du Christ ?

Je suis entièrement ouvert à l’œcuménisme et au dialogue avec les orthodoxes concernant les images ; mais l’encadrement très strict de la pratique artistique tel qu’il a été édicté par les Grecs est-il forcément un gage de spiritualité ? Ne risque-t-il pas de figer la diversité des expériences spirituelles possibles ?

Et puis l’intérêt actuel pour l’art des icônes se fait trop souvent sur fond de méconnaissance : nous sommes tous, peu ou prou, influencés par les idées des peintres nazaréens allemands et des théoriciens et artistes « néocatholiques », qui ont tracé la voie d’un « art catholique » original au XIXe siècle, mais qui les connaît ? pourtant ces artistes permettraient de faire le pont entre les traditions catholiques et orthodoxes de l’image.
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Écrit par : Blaise / | 01/04/2014

@ Blaise :

> vous êtes apparenté à Bonaparte ?
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Écrit par : E Levavasseur / | 01/04/2014

@ Levavasseur

> Pourquoi cette question?
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Écrit par : Blaise / | 02/04/2014

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