22/02/2014
Ukraine : vers la partition ?
Les régions russophones et industrielles de l'Ukraine (Kharkiv, Donetsk, Dnipropetrovsk, Lougansk et la Crimée) mettent en cause la légitimité de Kiev et décident de s'autogérer :
Dernières nouvelles : la Rada (Assemblée nationale) de Kiev, court-circuitant l'accord signé vingt-quatre heures plus tôt, proclame la destitution du président Ianoukovitch. Aussitôt les dirigeants des régions du sud-est annoncent : "les décisions prises par le parlement ukrainien dans de telles circonstances font douter de leur légitimité et de leur légalité... Les organes de l'Etat central sont paralysés. Tant que l'ordre constitutionnel et la légalité ne seront pas restaurés […], nous avons décidé d'assumer la responsabilité de protéger l'ordre, ]a constitution, la légalité, les droits des citoyens et leur sécurité sur nos territoires." Allant plus loin, certains représentants de la Crimée demandent son adhésion à la Fédération de Russie. Selon le politologue kiévien Volodimir Fesenko, "la révolution l'a emporté à Kiev mais pas dans toute l'Ukraine...'' Les milieux économiques est-ukrainiens envisagent au minimum une fédéralisation de l'Ukraine, pour que la moitié orientale puisse rejoindre l'union commerciale proposée par Moscou. Dans un quotidien économique ukrainien, Serguéi Glaziev, conseiller de Poutine, constatait le 6 février : "Aujourd'hui, les relations économiques, culturelles et humaines entre les régions de l'est et de l'ouest de l'Ukraine sont moins fortes que les liens qui existent entre l'Ukraine du sud-est et la Russie, et entre les régions occidentales et l'UE."
Mais à Lviv, bastion de l'ouest ukrainien, le maire Andriy Sadovi (entouré de leaders ultra-nationalistes) tient des propos belliqueux contre ses homologues de l'est : "Nous ne céderons pas un centimètre de terre ukrainienne à qui que ce soit !"
Si l'Ukraine de l'ouest refusait ''de céder un pouce'' de l'Ukraine de l'est aux... Ukrainiens de l'est, ce serait la guerre civile. Spectre qui réjouirait sans doute BHL, mais qui aurait de quoi faire peur aux gens sensés, et qui risquerait de placer Bruxelles dans une position impossible vis-à-vis de Moscou – même si le Kremlin cherche pour l'instant à paraître au dessus de la mêlée. C'est là que se mesure l'irresponsabilité de l'Union européenne : si elle avait coopéré avec la Russie dès le début, la situation ne serait pas ce qu'elle est. Tous les commentateurs compétents en conviennent.
En revanche, les journalistes des télévisions françaises poussent de petits cris joyeux depuis hier soir. Ce qui leur plaît par dessus tout est la libération de Ioulia Timochenko, considérée à Bruxelles comme l'Innocente absolue, alors qu'il s'agit d'une personnalité plus que suspecte [*] et que les manifestants de Maïdan ne prononçaient pas son nom.
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[*] Comme les deux Viktor (Iouchtchenko et Ianoukovitch), Mme Timochenko faisait partie des politiciens locaux devenus subitement millionnaires et manoeuvrés par les divers groupes d'oligarques – avant et après la « révolution orange ». Revanche d'un groupe d'oligarques sur un autre, l'arrivée de cette dame à Kiev dans les prochaines heures sera présentée par les médias français comme ''une grande victoire de l'Occident et de la démocratie''.
17:58 Publié dans Russie-Ukraine-etc | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : ukraine
Commentaires
> C'était couru.
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Écrit par : Daniel Ansiau / | 22/02/2014
TOUT SUR LE MÊME SCHÉMA
> Il est certain que les journalistes parisiens ont une façon assez détestable de tout raconter sur le même schéma, que ce soit l'Ukraine ou la Syrie... Puis-je cependant me permettre une ou deux remarques, de la part d'un lecteur régulier de ce blog? Je n'ai jamais commenté jusqu'ici, mais le sujet me paraît important (et je m'en occupe par ailleurs).
D'autre part, la légitime antipathie qu'inspirent les tendances nazies des nationalistes ukrainiens ne doit pas dissimuler le fait que la partie adverse s'appuie aussi sur des gens assez douteux: je veux parler du "Front ukrainien", constitué par certains politiciens du Parti des régions à partir d'organisations telles que les "Night Wolves" (club de bikers proches des thèses du nationalisme russe), les cosaques du Don, l'organisation "Oplot", etc... On retrouve jusqu'à la même rhétorique: ainsi le maire de Kharkov, pro-russe notoire, traite un de ses adversaires de "juif". Or à vous lire, on a l'impression que les seuls extrémistes se trouvent sur le Maïdan! Voyez les évêques grecs-catholiques: s'ils condamnent la violence dans leurs déclarations, ils citent comme premiers responsables les forces de police, pas les manifestants.
D'autre part, chose plus essentielle à mon avis, c'est depuis l'Europe qu'on a l'impression d'avoir affaire à une partie d'échecs entre les USA/l'UE et la Russie. Il me semble plutôt (je tiens cet avis d'Ukrainiens, et les renseignements que j'ai pu récolter par ailleurs confirment leur impression) que la lutte se déroule plutôt entre deux formes d'un même patriotisme ukrainien: celui qui veut l'indépendance absolue de l'Ukraine, et dont les éléments les plus extrémistes sont instrumentalisés depuis la fin de la guerre par les USA, et celui qui ne conçoit l'Ukraine que comme élément de l'ensemble (post)soviétique... ce qui correspond naturellement aux prétentions de la Russie, qui s'est construite précisément en accaparant l'héritage commun de tous les Slaves orientaux (la Rus' de Kiev).
Ce n'est pas un hasard si depuis le début des événements de nombreuses villes d'Ukraine, plutôt dans l'ouest, ont vu leur population aller abattre les statues de Lénine.
FM
[ PP à FM - Entièrement d'accord. Mais la ligne de force essentielle est la division géographico-historique entre l'est et l'ouest de l'Ukraine : l'ouest anciennement sous la domination de Vienne, et l'est dans l'orbite impériale russe depuis toujours. Les amnésiques européens ne sont pas capables de reconnaître les linéaments de l'histoire, qui ne jouent plus en France, mais qui jouent encore en Europe centrale et orientale. D'où le perpétuel plantage de la France officielle (pauvre Fabius) vis-à-vis de cette Europe-là.
L'Allemagne au contraire, a conservé la conscience de ces choses. D'où son jeu efficace et tordu : d'un côté elle pousse les nationalistes ouest-ukrainiens, comme elle le faisait sous Guillaume II et sous Hitler ; d'un autre côté elle travaille avec Poutine, partenaire incontournable de l'économie allemande. ]
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Écrit par : FM / | 23/02/2014
NATTE BLONDE
> Jack Dion a raison, nous aimons les histoires à la Tintin : la madone ukrainienne et sa fausse natte injustement emprisonnée libérée par des révolutionnaires épris de liberté et de justice - "vous êtes des héros !" - "elle est indestructible !" - "Ianoukovitch destitué, retour de Timochenko !"
Après avoir vibré sur la série 'Tintin aux printemps arabes', je sens qu'on aimerait bien qu'elle devienne présidente, quelle saga, de quoi faire un nouvel album, 'Tintin et le mystère de la natte blonde'.
DV
[ PP à DV - Excellent. D'autant que sa prestation d'hier soir à Maïdan n'a pas du tout été accueillie par des transports d'enthousiasme. La foule répondait par des slogans scandés qui étaient ceux de l'extrême droite : "Ukraine réveille-toi", "Gloire aux héros", les mots d'ordre de l'OUN-UPA de 1941. ]
réponse au commentaire
Écrit par : DV / | 23/02/2014
à DV et PP
> Pendant que les Allemands manoeuvrent en experts entre les Ukrainiens et les Russes, les Français ne veulent qu'une chose : combattre Poutine parce qu'il est méchant avec les gays. (Ce que d'ailleurs il n'est pas, sauf à considérer comme méchanceté l'interdiction de la "propagande homosexuelle auprès des mineurs" : seule loi de ce genre prise en Russie).
Instructif : les habitués de la seule boîte gay de Sotchi attendent avec impatience le départ des journalistes français "qui les harcèlent".
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Écrit par : g.guillemot / | 23/02/2014
ALLEMAGNE
> doit-on en conclure que, après avoir eu la vision à oeillères de Madeleine Albright sur l'ex Yougoslavie, nous avons maintenant celle de Fabius sur l'Ukraine.
L'allemagne autrefois qualifiée de nain politique est en train de sérieusement grandir. Hasard ? C'est aussi la dernière grande nation europeenne non inféodée aux US ! Kohl, Merkel les nouveaux visionnaires de l'Europe (pour ce qui concerne la politique) ?
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Écrit par : franz / | 23/02/2014
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