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30/08/2013

Le "libéralisme catholique" : une imposture en théologie

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Dire que "le libéralisme a été fondé par Jésus" : une farce de cuistre, disséquée ici (sur spécimen) par Eric Levavasseur...

 

 

 

   


Ce spécimen est un texte, en ligne sur un blog qui se présente comme catholique et libéral ou plus précisément : "libéral conservateur", comme Michel Serrault dans La Gueule de l'Autre [*] était membre d'un parti "conservateur progressiste". Le conservatisme, c'est de conserver ; le libéralisme, c'est de laisser filer ; ''conservateur libéral'' est un oxymore.

''Catholique libéral'' est aussi un oxymore. Par définition le libéral se voit comme seule mesure de sa vie. Il n'y laisse donc pas place à Dieu : c'est du moins ce qu'en ont conclu Pie IX, Léon XIII, Pie X, Pie XI, Paul VI, Jean Paul II, Benoit XVI et le pape François (mais pas notre ''catholique libéral conservateur''). Se dire libéral malgré les papes est donc une attitude étrange de la part d'un catholique, sachant que l'on n'est catholique que si l'on vit dans la Tradition vivante de l'Eglise.

Cette attitude dévie hors de la foi. Surtout quand le catholique libéral cherche à nous démontrer que le libéralisme coïncide avec la théologie... Il esquive alors les réalités économiques et financières du monde actuel, pour ratiociner on ne sait quelle convergence abstraite. C'est ce que fait ce texte-spécimen. En voici des extraits substantiels (en bleu), accompagnés de nos commentaires.

E. L.

 

 

Le libéralisme aurait des racines théologiques 

 

> Raisonnement du texte : ''La Vérité vous rendra libre''(Jean 8, 32).  Une injonction déterminante pour le chrétien, et gage du fait irréductible qui s’impose à lui : Dieu s’adresse à lui non pas pour diriger ses actions, mais pour libérer ses initiatives. Comme le dit magnifiquement le théologien François Varillon, Dieu est ''l’initiative de nos initiatives''. S’il s’infuse dans l’homme, c’est pour lui insuffler du courage, de l’ardeur et de l’initiative, non pour le diriger comme une marionnette.  Pour faire de lui une aide précieuse au bien-être des hommes et du monde, un véritable co-créateur et un ami.  Le chrétien est en ce sens un libéral non pas par défaut, mais par excès : son expérience spirituelle propre lui prouve qu’il est éminemment libre de développer ses propres forces pour parcourir son propre chemin. >>

 

Cette perspective est faussée par l'idéologie libérale. En réalité, Dieu s’adresse à l'homme pour lui faire connaître son dessein aimant et les moyens de faire son Salut (Catéchisme de l'Eglise catholique). C'est évidemment ce que le P. Varillon développait par ailleurs ! Mais le texte libéral qui le cite – si brièvement – ne retient que le mot ''initiative'' et le décontextualise: il ne parle pas du but, la vie en Dieu qui est la sanctification. Le texte passe aussi sous silence le fait que Dieu a envoyé son Fils fonder l'Eglise, qui est autre chose qu'un agrégat d'individus. Le but de la vie serait-il (si l'on suit le texte) de vivre un épanouissement individuel, quitte à travailler philanthropiquement "au bien-être" des gens ? Ce n'est :pas l'avis du Catéchisme de l'Eglise catholique : " L’homme est par nature et par vocation un être religieux. Venant de Dieu, allant vers Dieu, l’homme ne vit une vie pleinement humaine que s’il vit librement son lien avec Dieu''.

Le texte libéral paraît supposer que Dieu est l'Alpha sans être aussi l'Oméga : un coucou qui pondrait son œuf et l'abandonnerait ! Dieu se serait absenté après la Création ? c'est l'hérésie cartésienne... Selon la foi catholique, Dieu n'est pas seulement ''ce qu'il nous faut au départ'' (pour mener notre barque comme il nous plaît pourvu qu'on soit sympa avec ceux qui nous entourent)...

Et pourquoi le texte parle-t-il de ''bientre'' ? L'Eglise n'est pas une ONG. Elle propose le chemin du Salut, pas des bains à bulles.

Quand le texte affirme : « Le chrétien est en ce sens un libéral par excès : son expérience spirituelle propre lui prouve qu’il est éminemment libre de développer ses propres forces pour parcourir son propre chemin », c'est confus. "Le chrétien est en ce sens un libéral par excès" , qu'est-ce que ça veut dire ?  que le libéralisme serait une exaltation du compagnonnage avec le Christ ? Mais le libéral se suit lui-même, pour un chemin terrestre, alors que le chrétien répond à l'appel de son Père des Cieux. En fait de chemin, le chrétien a une vocation : Dieu l'appelle à venir à Lui. Le libéral, au contraire, croit que l'homme ne se trace son itinéraire que selon ses désirs...  Réussir sa vie, pour le chrétien, c'est la couronner par la Vie Eternelle, accéder au Salut, répondre à sa vocation ; ce n'est pas "développer ses propres forces sur son propre chemin" , mais faire fructifier les talents reçus de Dieu pour son bien et celui de tous, et vivre librement son lien avec Dieu... "Deviens ce que tu es" n'est pas ''réalise-toi selon tes désirs''

 

 

Une lourde erreur sur la liberté

 

> « lI croit en Dieu, et par là croit à l’homme et à ses potentialités - qui sont somme toute quasi-infinies, en ce monde comme dans l’autre… Saint Thomas d’Aquin, Docteur de l’Église, pilier de la doctrine catholique et interlocuteur fondamental des relations théologie/philosophie, nous le prouve. L’étude profonde de Thomas d’Aquin convainc en effet quiconque du fait que l’alternative rigide entre liberté et vérité n’est plus valide aujourd’hui. »

 

Mais en réalité...

...le fait que liberté et vérité soient inséparables – comme le Créateur et la créature – est connu depuis la naissance de la foi chrétienne ! La formule "la vérité vous rendra libre" date des évangiles, source que même l'étude ''profonde'' (mdr) de ''Thomas d'Aquin'' ne saurait occulter.

 

> « Certains penseurs catholiques ont fait de l’insistance des modernes sur la liberté la cause de la dégénérescence de la civilisation européenne dans le relativisme et l’anarchie axiologique. La liberté, disaient-ils, doit être subordonnée à la vérité... Sous l’injonction de ''péché de naturalisme'', qui laisse à l’homme tous les pouvoirs, ils ont attaqué l’émancipation de la raison humaine vis-à-vis du dogme et de l’Église... »

 

L'auteur s'en prend donc ici à des ''penseurs catholiques'' dont il viendrait nous délivrer ! Que leur reproche-t-il ? de penser que la liberté soit ordonnée à la vérité ? mais c'est le sens indiscutable de la parole d'Evangile ''la vérité vous rendra libre'' (Jean 8)... D'autre part, ce que l'Eglise a épinglé n'est pas la liberté mais sa confusion avec la licence, et la naïveté de croire que tout est réductible à la seule Raison. Catéchisme de l'Eglise catholique : 7« Dans les conditions historiques dans lesquelles il se trouve, l’homme éprouve cependant bien des difficultés pour connaître Dieu avec la seule lumière de sa raison : "Bien que la raison humaine, en effet, à parler simplement, puisse vraiment par ses forces et sa lumière naturelles arriver à une connaissance vraie et certaine d’un Dieu personnel, protégeant et gouvernant le monde par sa Providence, ainsi que d’une loi naturelle mise par le Créateur dans nos âmes, il y a cependant bien des obstacles empêchant cette même raison d’user efficacement et avec fruit de son pouvoir naturel, car les vérités qui concernent Dieu et les hommes dépassent absolument l’ordre des choses sensibles, et lorsqu’elles doivent se traduire en action et informer la vie, elles demandent qu’on se donne et qu’on se renonce. L’esprit humain, pour acquérir de semblables vérités, souffre difficulté de la part des sens et de l’imagination, ainsi que des mauvais désirs nés du péché originel. De là vient qu’en de telles matières les hommes se persuadent facilement de la fausseté ou du moins de l’incertitude des choses dont ils ne voudraient pas qu’elles soient vraies'' (Pie XII, enc. Humani Generis : DS 3875). »

 

 

Saint Thomas cité pour contredire les papes

 

> Selon ce texte libéral, « la liberté s’impose d’elle-même comme l’accès à la vérité dès lors qu’on se rend compte qu’elle en est la condition suffisante et nécessaire. Liberté de conscience, libération de l’initiative individuelle et libre examen sont historiquement et philosophiquement fondés sur cette option théologique capitale qui est celle de l’autonomie des réalités terrestres dans leur libre parcours vers Dieu. »

 

Ce passage confond "liberté'' et "libre-arbitre". En réalité, le libre-arbitre est nécessaire pour trancher en faveur (ou non) de la Vérité, mais une fois qu'elle est révélée ! Le libre-arbitre et la liberté n'ont rien à voir avec la révélation de la Vérité, ni avec la raison qui permet d'y adhérer.

La liberté est ce qui caractérise l'homme qui a choisi la Vérité : «  La liberté de conscience n’est jamais une liberté affranchie DE la vérité, mais elle est toujours et seulement DANS la vérité. » (Jean-Paul II, Veritatis Splendor, n°64).  

L’initiative individuelle en religion est une notion libérale (''je fais ce que je veux''), alors que le chrétien parlera de sanctification personnelle (''j'agis en tant que personne humaine, créature de Dieu, au sein de mes frères et sœurs en humanité, sous le regard de Dieu notre Père, pour le bien de tous'') : voilà la notion catholique. Le catholique vit en communion par l'Esprit Saint avec Dieu et son Eglise, il s'appuie sur les Ecritures, la Tradition, l'enseignement de l'Eglise, la prière personnelle et commune et les sacrements ; il use de sa raison pour s'en pénétrer.

La Vérité n'est pas une chose qui serait évidente dès qu'on serait ''libre''. Sinon, pourquoi Dieu se serait-il révélé à l'Homme ? "La foi est l'adhésion de l'intelligence à une Vérité révélée", déclare le concile de Trente... L'adhésion est l'acte de la liberté, mais intellegere veut dire "lire à l'intérieur", et si la vérité doit être ''révélée'', c'est qu'elle n'est pas évidente !

La liberté de l'homme, c'est d'adhérer à une révélation faisant appel à sa raison et son sens de la justice. La liberté n'est pas une sorte "d'étincelle divine" autonome, suffisante à l'homme pour s'accomplir individuellement sous le regard lointain d'un Dieu-alpha (et non de Dieu le Père, présent vivant et vrai, attentif, de Dieu alpha et oméga).

A aucun moment le raisonneur libéral ne présente le Père comme le commencement et la finalité de ses enfants. Quand il parle de "l’autonomie des réalités terrestres dans leur libre parcours vers Dieu", il néglige le fait que ce parcours, pour être libre, doit être orienté vers Dieu dans le Christ  : "je suis le chemin, la vérité, la vie" ; en dehors de lui, le parcours n'est plus que fossé, mensonge et mort.

 

> Selon le texte libéral encore, « la théologie de Thomas d’Aquin porte en elle les germes du libéralisme politique et philosophique en ce qu’elle ouvre à la philosophie, à l’action individuelle et à la raison ''pure'' un champ parallèle à la théologie ».

Mais ce n'est pas l'avis de l'Eglise ! « Dans sa racine même le libéralisme philosophique est une affirmation erronée de l’autonomie de l’individu dans son activité, ses motivations, l’exercice de sa liberté. C’est dire que l’idéologie libérale requiert également un discernement attentif », dit Paul VI dans Octogesima Adveniens en 1971. Il poursuit  : « Un chrétien ne peut adhérer ni à l’idéologie marxiste (…) ni à l’idéologie libérale qui croit exalter la liberté individuelle en la soustrayant à toute limitation, en la stimulant par la recherche exclusive de l’intérêt et de la puissance, et en considérant les solidarités sociales comme des conséquences plus ou moins automatiques des initiatives individuelles, et non comme un but et un critère majeur de la valeur de l’organisation sociale » 

 

 

> Texte libéral : « ...À partir de ce point strictement théologique, Thomas d’Aquin a développé la thèse de l’autonomie des réalités terrestres qui a eu des répercussions considérables dans la conception anthropologique de l’Occident. L’homo laborans de John Locke, un des pères fondateurs du libéralisme, est d’abord l’homo per se potestavium de Thomas d’Aquin : celui à qui le créateur a accordé une consistance ontologique propre (des « droits naturels ») à la propriété, à la liberté d’initiative et de création, sur le modèle du créateur…  C’est une idée forte de saint Thomas d’Aquin que d’affirmer explicitement, dans un cadre (pourtant) théologique, que l’homme est à l’image de Dieu en ce qu’il possède la maitrise de son propre pouvoir : le « per se potestavium – avoir un pouvoir par soi-même » qui ouvre la IIème partie de la Somme de théologie est significatif à bien des égards. Par quoi nous sommes imago Dei, ainsi que Dieu nous veut, à sa ressemblance, c’est-à-dire comme celui qui s’autodétermine sans être un simple instrument. L’homme a été créé à la mesure de lui-même, comme métaphore vivante de Dieu (Paul Ricœur). Ce qui fait de lui, évidemment, un lieu de contradiction, comme celui de la bonté infinie et de la présence du mal, l’homme est celui qui est capable de charité et de bestialité. Mais aussi un lieu d’infini. »

 

Mais en réalité...

...si Thomas développe la thèse de l’autonomie des réalités terrestres, il développe beaucoup la notion d'analogie, conforme avec la notion d'une autonomie de la créature véritable uniquement au sein de la Vérité.  Il y a donc pour lui une communion entre la réalité terrestre et la Vérité. L'observation de la première amène à comprendre la seconde : "veritas est adæquatio intellectus et rei", la vérité est l'adéquation de la pensée et des choses.

 

 

> « Il ne faut pas sous-estimer la puissance anthropologique considérable de la pensée d’Aristote dont se sert Thomas d’Aquin pour développer la vérité chrétienne, alors même que le Stagirite se contente d’un univers qui laisse à la seule action humaine les forces d’outrepasser la contingence du monde. L’homme ne saurait se mouvoir dans la création comme toutes les autres créatures. C’est parce qu’il est par lui-même principe de ses actes qu’il est au-dessus du reste des créatures - « Semper autem id quod est per se magis est eo quod est per aliud – Or ce qui est par soi est toujours plus grand que ce qui est par un autre » (IIa IIae qu. 23, art. 6, resp.)

 

Mais en réalité...

...si lhomme est au-dessus des autres créatures, c'est qu’il est à l’image de Dieu parce qu’il a une âme. L'homme n’est pas la cause première des créatures : animaux, minéraux, végétaux ! Seul Dieu est un être per se : un être qui existe par lui-même. La citation latine ne s’applique pas en la matière : c’est une cuistrerie pure et simple.

 

 

> « Et là, saint Thomas a cette formule magnifique, qui pourrait devenir le mot d’ordre du libéralisme chrétien : ''Dieu gouverne les inférieurs par l'entremise des supérieurs, non que sa providence soit en défaut, mais par surabondance de bonté, afin de communiquer aux créatures elles-mêmes la dignité de cause'' (Somme de théologie, I pars 22, art. 3). ''Être par soi'' et accéder à la ''dignité d’être une cause'', c’est là le point nodal d’une théologie non de la libération, mais d’une théologie qui libère… »

 

« ...qui pourrait devenir le mot d'ordre du libéralisme chrétien'' ? seulement si le libéralisme, culte de la volonté individuelle de l’homme, était compatible avec la communion de l’homme et de son Père des Cieux, qui est le sens de la foi chrétienne ! L'auteur peut aligner autant de citations de saint Thomas qu'il voudra, ça ne rendra pas compatibles : a) l' ''autonomie'' vis-à-vis de Dieu – d’un homme tirant sa gloire de lui-même, autonomie perçue comme un moyen d’épanouissement pour le ''bien-être'' hors de toute perspective de salut, b) le règne de Dieu sur les âmes par le biais de la sanctification de ses serviteurs... On sait que l’officier, le patron, le politicien peuvent atteindre la sanctification en s'occupant de leur prochain plus faible ('' la politique est le domaine de la plus vaste charité'', disait Pie XI),  et que ''c'est toujours pour le bien commun que le don de l'Esprit se manifeste dans un homme" (1 Corinthiens 12,7) : mais cette possibilité de sanctification (par le service rendu aux subordonnés) n'est pas ce dont nous parle le texte libéral : au contraire, il justifie les hiérarchies par le fait que les ''supérieurs'' seraient tels par eux-mêmes ! Comme si le fait d'occuper un niveau supérieur rendait béni de Dieu... C'est ce qu'on pensait sous Louis-Philippe, ou dans la Nouvelle-Angleterre de La Lettre écarlate.

 

La justification par le profit et la réussite

 

> « L’histoire de l’Église continuera en ce sens, et l’histoire de ce bas-monde lui en donnera des justifications factuelles. C’est face à l’ingérence du pouvoir républicain de la Révolution française que des catholiques comme Montalembert et Frayssinous ont commencé à se rapprocher des libéraux. Le livre de Lamennais, "Des Progrès de la Révolution et de la guerre contre l’Église" de 1829 fut l’acte de naissance du catholicisme libéral. Par suite, les expériences de totalitarisme à tendance étatiste et socialiste – ce qui est idem - du XXème siècle ont naturellement dirigé les hauts dignitaires romains vers un libéralisme bien compris. Ainsi Jean-Paul II qui affirme''L’ordre social sera d’autant plus ferme qu’il n’opposera pas l’intérêt personnel à celui de la société dans son ensemble, mais qu’il cherchera plutôt comment assurer leur fructueuse coordination. En effet, là où l’intérêt individuel est supprimé par la violence, il est remplacé par un système écrasant de contrôle bureaucratique qui tarit les sources de l’initiative et de la créativité.''  (Jean-Paul II, Centesimus Annus, 1991)

 

Ces affirmations sont fausses ou biaisées. Jamais Rome n’est revenue sur sa condamnation du libéralisme. Et l'auteur fait dire à Centesimus Annus autre chose que ce qu'elle dit. Il affirme en effet : « les expériences de totalitarisme à tendance étatiste et socialiste – ce qui est idem - du XXème siècle ont naturellement dirigés les hauts dignitaires romains vers un libéralisme bien compris.» La notion de''libéralisme bien compris'' est inconsistante. Un libéralisme qui admettrait le contraire du libéralisme ne serait plus... libéral ! Et que dit aussi l'encyclique de Jean Paul II ? Ceci : '' 42. ...Si sous le nom de « capitalisme » on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu'elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s'il serait peut-être plus approprié de parler d'économie d'entreprise ou d'économie de marché, ou simplement d'économie libre. Mais si par 'capitalisme' on entend un système où la liberté dans le domaine économique n'est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale et la considère comme une dimension particulière de cette dernière, dont l'axe est d'ordre éthique et religieux, alors la réponse est nettement négative. » Puisque tout ''encadrement juridique ferme'' est proscrit par l'idéologie libérale, qui refuse que l'économie soit ordonnée au non-économique (l'éthique et le religieux), la position de Jean-Paul IIni d'aucun autre pape – ne saurait être présentée comme un ralliement au libéralisme !

 

> « L’opposition consacrée par la philosophe et mystique Édith Stein, déportée dans les camps nazi et sainte patronne de l’Europe, entre l’ ''égocentrisme'' des contemporains et le ''théocentrisme'' thomasien ne saurait mettre un frein à cette explication. Il s’agit en fait, avec Thomas d’Aquin, d’un « théocentrisme égoïque et libéral » : une auto-justification de Dieu à travers les intérêts personnels de l’homme. Si, comme Thomas d’Aquin le montre, Dieu nous a laissé libre de nos choix, soutient nos initiatives personnelles et nous pousse à être cause de nous-même, alors les grands axes de la philosophie libérale trouvent ici une justification théologique profonde. Et nous engage à être des chrétiens libéraux, vecteurs de liberté, d'entrepreneuriat et d’initiative, seuls à même de faire de nous de véritables co-créateurs.. ».

 

 On a du mal à ne pas rire. (On croirait entendre Cromwell : "Dieu a voulu que la ville tombât entre mes mains, je n'ai donc fait aucun prisonnier...")  Ce paragraphe, digne du protestantisme WASP d'autrefois, c'est tout simplement la justification religieuse par la prospérité personnelle... « Un ''théocentrisme égoïque et libéral'' » ? c'est justifier l'existence de Dieu par ma réussite. « Si Dieu nous a laissé libres (…) [Dieu] soutient nos initiatives personnelles » ? c'est l'idée – radicalement fausse – selon laquelle Dieu nous a laissés libres pour que... nous nous ''réalisions''.

 

On peut se demander pourquoi l'auteur attache à la réussite personnelle tant d'importance qu'il réduit Dieu au rang de faire-valoir... Et l'on est songeur en voyant que ce texte est encensé (de loin) comme une référence théologique par des sites libéraux-conservateurs sous enseigne catho.

 E.L.

____________

[*] film de 1979, avec Michel Serrault et Bernadette Lafont.http://www.dailymotion.com/­video/x1ld58_la-gueule-de-l-­autre-serrault_fun

 

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Commentaires

LA SCIE EGOÏQUE

> Imparable ! Magnifique dissection du libéral-nombrilique qui se prend pour un dieu et découpe la théologie catholique à la « scie » égoïque.
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Écrit par : Denis / | 30/08/2013

UN AUTRE

> Connaissez vous Charles Gave ?
Son livre, Un libéral nommé Jésus, est disponible sur le net.
http://www.librairal.org/wiki/Charles_Gave:Un_lib%C3%A9ral_nomm%C3%A9_J%C3%A9sus

Il y a malheureusement beaucoup de personnes intelligentes et actives (orgueil ?) qui vont dans cette direction oxymorique comme vous le dites.
On peut trouver au premier chapitre du livre cité ci dessus :

"Ce que nous dit le Christ, encore et encore, c’est qu’il n’y a de morale "qu’individuelle ".
Il n’y a d’amour qu’individuel.
Voilà la loi du Seigneur.
• Il n’y a pas d’amour collectif,
• Il n’y a pas de responsabilité collective,
• Il n’y a pas de morale collective"
______

Écrit par : porte-cierge / | 30/08/2013

DES NUANCES QUE LA DROITE REFUSE

> La citation de Jean-Paul II contient des nuances que la droite libérale refuse d'admettre :
- il ne parle pas de "capitalisme libéral", et fait ainsi une distinction entre le libéralisme (idéologie) et l'usage de l'argent (capital)
- il dit noir sur blanc que mieux vaut parler d'économie "d'entreprise" que de "capitalisme"
- et dans la phrase que E. Levavasseur a soulignée, il dit avec force que l'économie doit être ordonnée à des fins non économiques : ce qui est le contraire du libéralisme.
Que tout droitier libéral rumine bien ces choses avant de prendre feu et flamme et de traiter EL de dangereux bolchevik.
______

Écrit par : Perrin / | 30/08/2013

PAUL VI CONDAMNE LE LIBERALISME

> Paul VI dit ici qu'un catholique ne peut pas plus adhérer à l'idéologie libérale qu'à l'idéologie marxiste.
Qu'est-ce que les cathos libéraux peuvent objecter à ça :
qu'ils savent ce qui est catholique mieux que le pape ?
Surtout que JP II et B XVI ont dit la même chose que Paul VI dans leurs encycliques.
Les libéraux ne savent pas lire ?
______

Écrit par : P. Hemmerlin / | 30/08/2013

LE FAIT EST

> Le fait est qu'on a l'impression de gens qui ne veulent rien savoir. On leur met un texte sous les yeux, ils voient autre chose et partent en biais.
Une bonne retraite ignacienne, pour réduire l'entorse au cerveau ?
______

Écrit par : Johan Winart / | 30/08/2013

@ Johan

> non, de St Ignace il retirera uniquement l'usage des talents et uniquement pour faire un bonne carrière.

PS : Pirlouit demande si vous n'avez pas vu Biquette ?

@ Perrin,

> non, je viens de me faire accuser sournoisement de libéralisme, de racisme néo-colonialiste parce qu je faisais de la pub pour le pèlerinage pour (la nouvelle évangélisation de) la France Selon mon interlocuteur prier pour la France c'est ça. Son raisonnement (?) est le suivant :
1/la France est un pays libéral donc prier pour elle c'est prier pr le succès d'un pays libéral (alors qu'on ne cesse de parler de partage et de fraternité, de personne et de culture au service du monde)

2/ la France est un pays riche, donc prier pour elle (alors que j'explique largement que cela consiste à prier pr sa conversion) c'est se détourner de la pauvreté du Tiers monde.
3/ il semble que pour lui, prier pour la France = prier pour les blancs puisqu'il dit que c'est raciste.
Alors que s'il nous avait fait l'honneur (s'il avait eu l'honnêteté) de lire, il aurait vu que les immigrés sont invités (belle preuve de racisme) et que pour nous la France convertie, c'est une France fraternelle préoccupée du monde et qu'un Français c'est quelqu'un de culture française. C'est lui qui a parlé de couleur de peau.

Le plus "drôle" étant qu'il s'agit d'un membre de la grosse bourgeoisie africaine, complètement européanisé, qui a bien tiré son épingle du jeu colonial. Il crache dans la soupe.
Les immigrés qui viennent au pélé pour la France ce ne sont pas les plus riches !
______

Écrit par : E Levavasseur / | 30/08/2013

> "Une bonne retraite ignacienne, pour réduire l'entorse au cerveau ? "

En fait le problème n'est pas intellectuel, il est d'abord moral parce que la foi a été réduite à un élément culturel de la vie quotidienne.
L'intellect est mis au service du mode de vie qu'on désire conserver et du coup ça devient un problème moral.

Le libéral-conservateur-catholique(on dirait une blague!) est souvent:

-issu d'un milieu aisé et est très imprégné voire inconscient de la confusion qu'il opère entre le savoir-vivre de son milieu et la morale naturelle.
- ou qui vient d'accéder à une aisance qu'il n'a pas envie de lâcher
- sociologiquement catholique : ça se fait
- ou bien "parvenu du catholicisme" c'est-à-dire qu'il a vu l'Eglise comme le club dans lequel le catho sociologique manifeste une aisance qu'il envie (c'est le cas de l'auteur du texte) et où il a voulu entrer par amour/besoin des cérémonies, traditions, et désir de fréquenter des gens qu'il estime supérieurs. (ne riez pas ! c'est vrai !)
Dans les deux cas, la foi est réduite à un ensemble de rites, agréables à regarder, permettant des pauses psychologiques, nécessaires à l'ordre social, utiles à une vie mondaine.

Qu'il soit de type "économique" (c'est le cas ici) ou "moral"(le "progressiste"), le libéral-catho voit dans la vie spirituelle un élément purement culturel.
La prière est un rite, une déclaration de principes.
On ne croit pas à ce qu'on dit, on ne croit pas qu'on parle à une personne mais on énonce des idées, belles en soi, mais inconsciemment considérées comme irréalisables (le partage, la prière, la résurrection des morts...)

Pour le premier, le mot "conservateur" est sensé tempérer le tout ; il est utilisé pour montrer qu'on refuse que le libéralisme ne change trop l'ordre social, qu'on est "raisonnable", quelqu'un de fréquentable : " je suis très sensible aux paroles du pape".
On est libéral mais jusqu'à ce que ça ne change pas la domination sociale dont on bénéficie, tant qu'il n'y a pas trop de nègres dans la rue...
(pour le second c'est le mot "social"dont on s'affuble pour faire coïncider la sagesse éternelle avec les dernières lubies morales : le pape se trompe ds le domaine moral, moi je sais)
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Écrit par : E Levavasseur / | 30/08/2013

DARWINIEN

> Le libéral, celui qui l'est bien consciemment, intellectuellement si on peut dire, est, en profondeur darwinien, ou l'inverse. C'est quelqu'un qui à réussi ou hérite de la réussite de sa famille. Sa doctrine vise donc à ériger sa réussite en vertu.
______

Écrit par : Pierre Huet / | 30/08/2013

Plusieurs remarques dans ce commentaire ; il y a tant à dire.

1-@P. Hemmerlin
Vous dites :"Paul VI dit ici qu'un catholique ne peut pas plus adhérer à l'idéologie libérale qu'à l'idéologie marxiste. Qu'est-ce que les cathos libéraux peuvent objecter à ça : qu'ils savent ce qui est catholique mieux que le pape ?"
Ils savent ce qui est catholique mieux que le pape. C'est tout à fait ça!. Et ils en sont convaincus ! J'avais justement il y a quelques années fait cette remarque par mail à un catholique libéral qui officie sur le net et dans les universités. Je lui avais mis la citation de Paul VI dans mon mail. Et il m'avait répondu grosso modo que les papes étaient mal formés en économie, etc...(et même il faisait ce que PP a signalé récemment: il réfutait tous les termes que j'employais) En clair lui il avait compris ce que ... les Prix Nobel d'économie qui travaillent auprès du Saint-Père dans l'Académie Pontificale des Sciences Sociales et qui ne sont pas libéraux n'ont pas compris. (http://www.pass.va/content/scienzesociali/en/academicians.html ).

2-Les libéraux classiques et néo-classiques fondent leurs travaux sur l’utilitarisme. En gros le but de l’homme c’est la recherche égoïste du plaisir. Transposé à l’économie c’est la recherche égoïste du profit. (voir Initiation à la philosophie morale de G. Kalinowski (SEI 1966, pages 62-63, « Les morales du plaisir et du bonheur (morales hédonistes) » ) Kalinowski n’était pas un farfelu, mais un ami de Jean-Paul II. A cet économiste libéral catholique avec qui j’avais échangé j’avais parlé de ce lien avec l’hédonisme. Il m’avait répondu : « Hayek ». Parce qu’Hayek n’aurait pas été utilitariste ni hédoniste, ni égoïste. Je n’en suis pas si sûr. En tous cas il ne croyait pas au don et à la gratuité. Car le libéral vous dit qu’en dehors de l’économie qui doit être libérale et marchande tout le reste repose sur le don (pas de taxes, que de la charité privée). Je viens de lire « Eh bien dites : don » de Pascal Ide (1997 Editions de l’Emmanuel) Page 13 on trouve ce qui suit en note de bas de page : « C’est ainsi que l’ultralibéral Friedrich August von HAYEK, porte-parole d’une longue tradition estime que « nous faisons généralement le plus de bien lorsque nous recherchons le profit (cf. Droit,législation et liberté. Une nouvelle formulation des principes libéraux de justice et d’économie poilitique, trad Raoul Audouin, Paris, PUF,1980,chap 11) ». Si, ça ce n’est pas une tendance à l’égoïsme, qu’est-ce que c’est ?

3-Il est assez commun de voir des personnes nous raconter que le libéralisme et le christianisme sont compatibles. En général elles ont fait une école de commerce (etc …) et confondent magistère et école de commerce…
Un exemple : https://www.google.fr/#q=un+lib%C3%A9ral+nomm%C3%A9+j%C3%A9sus
On trouve dans leur discours beaucoup de références. On va chercher du saint Ignace, du Suarez…etc. Pour ce qui est de Suarez et l’école de Salamanque: relire « la dérive totalitaire du libéralisme ». Selon Mgr Schooyans c’est une voie sans issue. (Son ouvrage dans son édition de 1995 fait apparaître une lettre sur laquelle on voit une reproduction de la signature manuscrite de Jean-Paul II qui le remercie pour cet ouvrage fidèle au Magistère. On en parle là ainsi que d’un ouvrage qui date un peu « Le libéralisme est un péché » pour lequel la SC de l’Index a tranché favorablement au XIXème siècle sans jamais revenir sur cette décision http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/assr_0335-5985_1993_num_82_1_1655_t1_0338_0000_4 )
Saint Ignace c’est parce qu’ils se sont aperçus que l’individu libéral est une boîte noire et que le mécanisme du choix leur est parfaitement incompréhensible. Alors on essaye de bricoler. J’avais vu sur un de leur site un ouvrage sur le sujet.
4-Lorsque je vois l’homme tel que conçu par les libéraux(car il n’a pas grand-chose à voir avec la réalité), il se trouve devoir choisir entre plusieurs possibilités. Or le fait est qu’en même temps, il ne veut pas choisir. En ce sens, et en ce sens limité seulement, Sartre aurait raison. Nous sommes condamnés à la liberté, c’est-à-dire à choisir. Or le libéral ne veut pas choisir car il veut tout. C’est ce que l’on appelle le « calcul du plaisir » (Jean-Paul II emploie l’expression dans « Amour et responsabilité »). En économie c’est le calcul du profit. On cherche à maximiser, car en rien on ne veut…renoncer. Quelqu’un me faisait récemment remarquer que celui qui face à plusieurs choix, se dit dans un premier temps je vais choisir la première alternative puis se dit après l’avoir choisi « ah oui, mais là je ne suis plus libre de n’avoir pas choisi la seconde » et que se disant alors « je vais plutôt choisir la seconde », et ce faisant se dit « ah oui mais la première était quand même bien, il faut donc que je la choisisse » et choisit alors la première puis se dit…etc se retrouve tout simplement pris dans une formidable double-contrainte qui l’empêche purement et simplement de choisir et donc d’être jamais un jour véritablement libre. D’où leur recours à mon avis inutile à Saint Ignace; car dans un tel cas de figure aucun discernement n'est possible. C’est que la liberté du libéral consiste à choisir ceci ou cela (sans renoncer, en maximisant à tout prix donc). Ce n’est pas forcément complètement mauvais que d’avoir plusieurs possibilités. Mais la liberté du christianisme ne consiste non pas tant à choisir ceci ou cela, mais bien plutôt à ne pas avoir d’entraves pour aller vers un but, qui est Dieu. On peut lire sur le sujet l’excellent livre « Aimer comme Dieu nous aime » de François-Marie Humann.
5-Les libéraux qui veulent faire converger libéralisme et catholicisme finissent inéluctablement par se rattacher à des auteurs "déviants". C’est inévitable. On ne peut pas ménager la chèvre et le chou.
C'est déjà le cas avec Suarez. Ca l'est aussi avec Varillon. Renseignez-vous, par exemple sur ce que pense quelqu’un comme le Père Pierre Descouvemont de la pensée de F. Varillon… Pour l’avoir entendu à plusieurs reprises en conférences il explique que c’est lui qui nous vaut la fameuse formule « Dieu Tout Puissant dans son Amour ». En clair une négation de la Providence. Vous ne serez pas déçu du voyage. C’est dans ce genre d’intervention qu’il en parle, même si au cas présent il ne le fait pas (http://www.youtube.com/watch?v=lHc6um9489o ). Le Père Descouvemont parle de la bourgeoisie libérale française du XIXème siècle en disant qu’elle était voltairienne, qu’elle refusait donc le mystère de… la Providence.
6-L’auteur dit : « Le chrétien est en ce sens un libéral non pas par défaut, mais par excès : son expérience spirituelle propre lui prouve qu’il est éminemment libre de développer ses propres forces pour parcourir son propre chemin. » Surtout : « libre de développer ses propres forces pour parcourir son propre chemin ».
Voilà qui est parfaitement égocentrique. « parcourir son propre chemin». « Pour faire de lui une aide précieuse au bien-être des hommes et du monde » Le but de la vie c’est le bonheur. Et le bonheur ce n’est pas le bien-être, ce n’est pas plus l’épanouissement de soi, ce n’est pas l’état dans lequel je serais une fois que je l’aurais atteint (lorsque je serais riche, lorsque je serais ceci ou cela), ce n’est pas un autre état de moi-même, mais c’est… un Autre. C’est-à-dire Dieu. C’est un peu plus exaltant que mon petit chemin à moi. C’est que le libéral, dans le fond, inéluctablement ce qui le préoccupe ce n’est pas Dieu, mais son petit chemin à lui, en clair faire du business et croire en Dieu car c’est plus confortable. Je vois mal la place de la Croix dans « une aide précieuse au bien-être des hommes ».
7-Pour ceux qui n’aiment pas payer des impôts (il y en a beaucoup chez les catholiques libéraux) Pascal Ide dans l’ouvrage précité écrit (page 234-235) (il s’inspire de l’ouvrage de Jean Pliya, « donner comme un enfant de roi ») : « Maintenant, il faut se rappeler que tout pouvoir vient de Dieu, selon le mot de Jésus à Pilate (Jn 19,11), ce qui ne signifie nullement qu’il faille idolâtrer l’Etat ni le déclarer infaillible. La conséquence immédiate et a priori choquante est que faire son devoir de citoyen, c’est rendre grâces à Dieu : « Que chacun se soumette aux autorités en charge » (Rm 13,1) En particulier pour l’argent. Ce que je dis de l’impôt vaut pour toute demande imposée, juste ou non. Mais l’argent est investi affectivement plus que beaucoup d’autres biens matériels : il est la première source de sécurité. Aussi les injustices prétendues ou réelles, en ce domaine, sont-elles parfois ressenties comme des frustrations très profonde. Elles peuvent susciter des haines assassines. Combien de familles unies se sont déchiquetées pour des questions d’héritage. Voici ce qu’affirme Jean Pliya au sujet des paiements injustes : « si par exemple, vous vous trouvez contraint de faire quelque paiement que vous croyez injuste, soit pour tel objet que vous vous êtes forcé de payer une seconde fois, faute de pouvoir justifier d’un premier paiement, soit pour acquitter les dettes follement contractées par un autre dont vous êtes naturellement ou dont vous vous êtes, par complaisance, constitué garant ; soit pour solder quelque impôt exagéré, inique, destiné au gaspillage, soit enfin de toute autre manière. Si l’on a pouvoir d’exiger ce paiement de vous et si l’on use de ce pouvoir, c’est Dieu qui le veut ainsi ; c’est lui qui vous demande cet argent et c’est bien réellement à lui que vous le donnez quand vous acceptez en esprit de soumission à sa divine Providence la contrainte qui vous est faite. » Allons encore plus loin : « Supposez deux personnes : l’un, par esprit de conformité à la volonté de Dieu, exécute un paiement peut-être même tout à fait injuste, mais que l’on est en mesure d’exiger d’elle ; l’autre, de son propre choix et de libre volonté consacre une somme égale en aumônes. Eh bien, sachez-le, quelques admirables avantages que l’aumône procure même dès cette vie à ceux qui la font, l’acte de la personne qui fait le sacrifice de son argent non de son propre mouvement, non en faveur de quelqu’un de son choix, mais par esprit de conformité à la volonté divine, est une œuvre plus profitable encore, parce que [ et voilà la raison décisive]étant dégagée de toute volonté propre, elle est plus pure, plus agréable à Dieu. » Encore une fois je ne fais pas ici une théorie de l’argent, de l’Etat, de l’impôt, mais propose une conduite à tenir attitude concrète et pacifiante à l’égard du don. Une telle manière de vivre suppose bien entendu la foi et la confiance en la Providence divine. Et l’abandon est source d’une grande paix. Acceptées, ces situations, qui ne sont ni si rares ni si extrêmes, sont autant de chemins de sainteté. »
A relire ce que je viens d'écrire, je peux me tromper, mais je perçois dans le libéralisme comme un malaise, un hiatus quand à la notion de Divine Providence et quant au fait de faire la volonté de Dieu.
8-Pour terminer deux choses: on peut lire sur la liberté "Jean-Paul II, pape personnaliste : La personne, don et mystère" (Recherches Carmélitaines,2008). Et je mets ci-dessous un excellent article de Liberté Politique sur la liberté de conscience chez Karol Wojtyla: La liberté de conscience chez Karol Wojtyla
LA LIBERTE est la propriété principale de la personne humaine en tant que faculté de disposer de soi-même pour agir. Si cette définition dans sa généralité est acceptée de tous, il n'en est pas de même quand on parle de libertés particulières comme la liberté de conscience.
Peut-être la liberté de conscience est-elle l'une des formules les plus controversées qui soient. Comment la liberté de conscience, que Grégoire XVI qualifiait de délire (encyclique Mirari vos, 1832), il y a cent soixante-dix ans, est-elle devenue un droit inviolable de la personne humaine aujourd'hui, c'est ce qu'il s'agit d'expliquer.
Il faut remarquer d'abord qu'il s'agit d'un problème philosophique, et plus précisément anthropologique, appelant une solution proprement philosophique. Si le magistère de l'Église est intervenu, alors que la philosophie ne tombe pas directement sous sa compétence, c'est que ce problème anthropologique est nécessairement connexe à la recherche par l'homme de sa fin dernière, dont l'Église est médiatrice.
La liberté est aveugle : elle est guidée par l'intelligence qui lui propose un objet à chercher. L'intelligence elle-même est un écran vide sur lequel s'imprime l'image d'une chose. Par l'image qu'elle imprime en vertu de sa réalité, la chose attire la volonté dans la mesure même de sa réalité, c'est-à-dire la mesure où elle est bonne. La première chose connue par l'intelligence lui a procuré les notions d'Être et de Bien. Désormais tout ce qui sera connu et voulu le sera à l'intérieur de ces notions d'Être et de Bien. Ces notions constituent la Vérité. La Vérité est objective, c'est-à-dire qu'elle vient du dehors comme une perfection qui s'impose par elle-même au sujet connaissant imparfait. Il en résulte que la liberté comme faculté de se déterminer soi-même à un acte dont l'objet est un bien quelconque, est intrinsèquement dépendante de la Vérité du Bien. Réciproquement la Vérité et le Bien sont indépendants du sujet et s'imposent à tous comme tels.
Cette dépendance de la liberté subjective vis-à-vis de la Vérité du bien objective, a été universellement reconnue depuis l'Antiquité jusqu'à la fin du Moyen Âge. Même le platonisme, en quoi on reconnaît à bon droit la source de l'idéalisme moderne, était une philosophie réaliste parce qu'il considérait les idées comme le monde réel où l'intelligence pénétrait de plain-pied par une connaissance objective.

Naissance du subjectivisme

C'est ce qui le distingue du subjectivisme qui apparaît à partir du XVIe siècle. Préparé par le déclin philosophique inauguré par le nominalisme au XIVe siècle, qui mettait l'accent sur la singularité des choses, et niait les idées universelles comme n'étant que des mots (nomina), le subjectivisme explose d'abord dans le domaine religieux avec Luther, puis trouve avec Descartes son expression philosophique. Le premier centre la religion sur la foi du sujet, le second centre la philosophie sur la pensée du sujet. En s'enfermant dans son poêle à Amsterdam, Descartes se préserve de la réalité objective. Kant à la fin du XVIIIe siècle radicalise le subjectivisme par l'agnosticisme. On ne connaît que les apparences ou phénomènes. On ne connaît pas ce que sont les choses. On projette sur le monde sensible des catégories rationnelles a priori. Chaque sujet a sa vérité qu'il applique à lui-même, aux autres et aux choses. Ce qui modifie complètement le régime de la liberté coupée du réel.
La conscience subjective s'est substituée à la connaissance objective, aussi bien dans le domaine moral que dans le domaine philosophique. Une véritable révolution culturelle s'est opérée en trois siècles, inversant le sens des valeurs, et nous sommes toujours immergés dans un monde subjectiviste, dominé par une philosophie de la conscience, et d'où la philosophie de l'être a été éliminée, tandis que règne la liberté de conscience.
Les philosophes du siècle des Lumières, c'est-à-dire du rationalisme triomphant, se sont faits les prophètes de la liberté de conscience, c'est-à-dire de l'affranchissement de la raison morale à l'égard de toute norme extérieure objective. Quand Voltaire disait : " Écrasons l'infâme ", il accusait de tyrannie l'Église catholique qui prétend imposer une loi morale à la liberté. Mise en pratique par la Révolution française sous peine de mort, cette idéologie de la liberté de conscience absolue lui survivra au siècle suivant, et se montrera si virulente que le magistère de l'Église dut la condamner explicitement, car elle avait pénétré le catholicisme sous la forme du libéralisme de Lamennais.

L'Église devant la norme morale

En effet, la mission de l'Église est de prêcher l'Évangile, c'est-à-dire la Bonne nouvelle du Royaume des cieux : celui-ci consiste dans la vision de Dieu, à laquelle on se dispose par la foi à la vérité révélée par le Christ. La foi est une obéissance libre à la Vérité divine transcendante qui surélève l'intelligence du sujet jusqu'à elle-même comme objet immédiat. On comprend pourquoi l'Église à toujours revendiqué l'objectivité de la connaissance intellectuelle : la fin dernière de l'homme consiste dans cette objectivité de la connaissance immédiate de Dieu. Par suite elle revendique l'objectivité de la norme morale qui conduit l'homme à cette fin, et la propose comme voie nécessaire pour l'obtenir. Elle la propose, et ne l'impose pas à la liberté. La nécessité de cette norme est uniquement celle du moyen nécessaire pour obtenir la fin ; elle respecte totalement la liberté. C'est une nécessité objective, non subjective.
En ce même début du XIXe siècle, Hegel prolonge le subjectivisme de Kant par la dialectique de l'esprit. Le sujet est la thèse ; il s'oppose comme objet de la négation de lui-même qui est l'antithèse ; enfin il surmonte l'opposition de l'objet et du sujet par la synthèse de la thèse et de l'antithèse. Par cette dialectique, Hegel pense reconstruire logiquement le monde, que Descartes et Kant avaient séparé de l'intelligence. Appliquée à la norme morale subjective, la dialectique fait de l'opposition à la norme une source de progrès indéfini vers le bien de l'homme. Marx, appliquant cette dialectique à la matière, en tant que disciple du matérialisme absolu de Feuerbach, en fait la loi du progrès de la société humaine et de son histoire. Telle est l'origine du marxisme, dialectique matérialiste historique qui triomphera au XXe siècle. De même, la dialectique hégélienne, appliquée au peuple allemand, donne naissance au pangermanisme d'une part, au mythe nietzschéen du surhomme d'autre part, qui seront les sources de l'idéologie nationale-socialiste et de sa tentative de dominer le monde en ce même XXe siècle.
Ainsi le subjectivisme absolu, s'exprimant dans la formule de la liberté de conscience au XIXe siècle, a abouti à la genèse de deux idéologies qui ont imposé aux consciences personnelles la plus inhumaine et la plus meurtrière des tyrannies au XXe siècle.

Au XXe siècle, changement de problématique

Il en résulte un changement complet de problématique pour la liberté de conscience d'un siècle à l'autre. Pendant tout le XIXe siècle, le magistère de l'Église a affirmé la nécessité objective de la vérité du Bien, proposée à la liberté comme norme de la conscience. C'était la problématique de la subordination du sujet à l'objet, parce que l'objet est vrai et bon. D'où la condamnation de la liberté de conscience qui la rejette. Au XXe siècle la tyrannie de l'idéologie marxiste et de l'idéologie nationale-socialiste étant imposée par la force à des dizaines de millions d'hommes, le magistère de l'Église a dû affirmer la suprématie de la personne humaine, excluant toute contrainte de la part des pouvoirs publics en matière de conscience et de religion (Vatican II, Dignitatis humanae, 1965). C'est la problématique de la supériorité du sujet par rapport à tout pouvoir extérieur (et en particulier à toute idéologie imposée) en ce qui concerne la liberté de conscience et de religion. L'Église condamne ceux qui s'opposent à la liberté subjective de conscience, mais elle maintient la condamnation de la liberté objective de conscience. Elle n'a donc pas changé de position : elle a complété sa position antérieure en faveur de la norme objective de la conscience, en défendant la liberté subjective contre toute oppression extérieure au sujet. Il y a succession historique de deux problématiques de la liberté de conscience face à l'évolution de la situation du monde, mais il n'y a aucune contradiction : le libéralisme reste condamné, comme le marxisme et le national-socialisme.

Renverser la tyrannie subjectiviste à partir de ses propres fondements

Dans les deux cas de figure, l'ennemi est le subjectivisme, soit quand il rejette la norme objective de la conscience personnelle, soit quand il s'impose lui-même par la violence à la conscience personnelle d'autrui. N'ayant plus aucune limite, sa revendication de liberté devient totalitaire et dictatoriale. Paradoxalement, elle devient négation totale de liberté pour les autres. Elle est devenue monstrueuse. S'il en est ainsi, est-il possible d'élaborer une doctrine de la liberté de conscience à partir du sujet, c'est-à-dire à partir des fondements qui ont donné naissance au subjectivisme ? C'est cette gageure apparente qu'a tenue et réussie Karol Wojtyla. Il est impossible de situer la doctrine de la liberté de conscience de Karol Wojtyla sans ces préliminaires historiques et philosophiques, tant elle est liée à tout cet ensemble. Le jeune polonais est devenu adulte quand sa patrie subissait successivement l'oppression des deux idéologies totalitaires, le national-socialisme de 1939 à 1945, le marxisme léninisme à partir de 1945. D'où la nécessité, pour l'élite catholique, d'une résistance culturelle, et d'une anthropologie adaptée pour la structurer intellectuellement. Après ses études sacerdotales menées jusqu'au doctorat en théologie, qui lui firent connaître la doctrine de saint Thomas d'Aquin fondée sur la connaissance objective, il se consacra à la recherche philosophique en vue d'une thèse de doctorat.
Peut-être parce qu'il s'agissait d'établir des structures subjectives de la personnalité face au marxisme, plus probablement encore en raison d'affinités de tempérament intellectuel, Karol Wojtyla s'orienta vers la philosophie allemande, sanctuaire du subjectivisme. Il était attiré par la phénoménologie de Husserl, disciple de Kant, qui, du moins dans la première période de son enseignement, avait prôné un retour au réel. Son élève, Max Scheler, continua dans cette voie, même quand son maître retourna au subjectivisme idéaliste pur. Se basant sur la méthode phénoménologique de l'Einfühlung, ou expérience interne des émotions, il établit la Materialewertethik qui sera le sujet de la thèse de Karol Wojtyla. Celui-ci conclut qu'il n'était pas possible de bâtir une éthique chrétienne fondée sur les seules valeurs matérielles expérimentées par Scheler dans les émotions. Cependant il y trouva le principe de sa propre méthode phénoménologique, par l'extension de l'expérience subjective de Scheler aux valeurs spirituelles de l'action humaine responsable, donc de la personne.
Dès lors Karol Wojtyla se consacra à l'analyse de l'expérience subjective que la personne a d'elle-même dans son action volontaire. Ce qui le conduisit à l'établissement de deux disciplines scientifiques. La première est une anthropologie de caractère spéculatif, décrivant la personne agissante. La seconde est une éthique, étudiant les valeurs qui déterminent l'action de la personne : c'est une axiologie, de caractère pratique. L'anthropologie explore les données de la conscience de soi dans l'acte, tandis que l'axiologie, s'appuyant sur les résultats de l'anthropologie, indique à la conscience morale les valeurs à rechercher par la liberté. Cette distinction est d'ordre intellectuel seulement, car dans la réalité tout acte de la personne est moral en soi.

Retour sur la rupture : aux origines du modernisme

À André Frossard, Karol Wojtyla, devenu pape, a dit qu'il ne pourrait pas vivre dans un monde qui ne serait pas post-kantien. À première vue cette réflexion surprenante pourrait amener à se demander : " Serait-il subjectiviste ? " La réponse à cette question fondamentale exige d'abord des explications historiques. Le plus grand génie philosophique du Moyen Âge, saint Thomas d'Aquin, héritier d'Aristote, a exposé sa propre philosophie à l'intérieur de sa Somme théologique. Elle est fondée sur l'expérience externe des choses, et donc de l'homme. Elle reçoit de Boèce sa définition de la personne : " Substance individuelle de nature raisonnable. " Or cette définition dont il fait un usage admirable dans l'étude théologique du mystère de la Sainte Trinité, n'est pas mentionnée une seule fois dans la partie de la Somme consacrée à l'homme dans son étude de la création. Plus étonnant encore, jamais saint Thomas n'y désigne l'homme comme personne. Seule la nature humaine y est analysée, avec la grâce originelle — l'image de Dieu dans l'homme. Ainsi saint Thomas a légué à l'Église jusqu'à notre époque une anthropologie non personnelle, peut-être sous l'influence de saint Augustin et de sa conception platonicienne de l'homme. Il est certain qu'à l'époque de saint Thomas, l'homme n'était pas considéré en lui-même, mais seulement comme créature de Dieu, totalement dépendante de lui dans son être et son agir. Le péché originel n'est-il pas une revendication d'autonomie ?
Il y avait une lacune dans cette vision de l'homme seulement comme partie de l'univers. Aussi ne doit-on pas s'étonner que, dès le XIVe siècle, une réaction nominaliste mette le sujet singulier au premier plan.
Guillaume d'Ockham, père du nominalisme, rejette les philosophies de l'universel, platonisme et aristotélisme, pour s'attacher exclusivement aux choses et aux mots qui les signifient. Seul le sujet importe. Les idées générales ne signifient rien, mais on reste encore dans l'objectivité de la connaissance. C'est l'époque où Philippe le Bel réintroduit le droit romain, où la personne est sui juris. Malheureusement cette apparition du sujet dans le monde de la pensée se réalise, non seulement dans l'opposition aux philosophies dominantes, mais dans la rébellion contre l'autorité de l'Église romaine. Alors naissent le nationalisme et le gallicanisme, et bientôt le conciliarisme. De la sorte, tandis que l'Église romaine reste fidèle à sa tradition philosophique et théologique, la notion de sujet se développe dans un contexte anti-romain, laïc et anti-intellectualiste. Ce qui pouvait être un élément de progrès, se révèle en fait destructeur, et aboutira au subjectivisme, religieux avec Luther, philosophique avec Descartes.
L'Église de la Contre Réforme et du XIXe siècle reste sur la défensive, et le fossé se creuse entre la culture profane subjectiviste, et la doctrine catholique résolument objective. Les tentatives de conciliation se révèlent désastreuses, comme la crise moderniste, et montrent l'impossibilité d'un compromis.

Un pont reliant les deux cultures

Alors intervient l'intuition géniale de Karol Wojtyla. Il a su déceler chez Kant ce qu'il y avait de vrai : la primauté du sujet ; et le séparer de l'agnosticisme destructeur, qui le défigurait et le rendait aveugle, en lui restituant sa pleine dignité de sujet connaissant et conscient. Par-dessus tout, il trouvait chez Kant que le sujet humain, la personne, est la seule réalité que Dieu ait créée pour elle-même, qui ait en elle-même sa propre fin, et qui ne puisse être utilisée comme moyen. Cette notion de la personne allait devenir le principe fondamental de l'anthropologie de Karol Wojtyla, qui se situe donc dans la ligne de Kant.
Anthropologie subjective certes, mais non subjectiviste, car la méthode phénoménologique de Karol Wojtyla, issue de celle de Scheler, est réaliste, ce qui l'oppose au subjectivisme. Elle se fonde sur l'expérience de sa propre subjectivité que la personne a intuitivement quand elle agit. Ce qui fait son originalité par rapport à tous les systèmes subjectivistes, est en même temps ce qui lui est commun avec la philosophie de saint Thomas d'Aquin ; car cette phénoménologie réaliste de la conscience a son origine dans une connaissance objective de la personne. Comme l'expérience interne complète l'expérience externe, l'anthropologie subjective de Karol Wojtyla complète l'anthropologie objective de saint Thomas. Elle est un pont reliant les deux cultures, l'ancienne et la nouvelle.
Il en est de même pour l'éthique qui en dérive. L'analyse anthropologique de l'expérience que la personne a d'elle-même dans l'action met en évidence les structures de l'autodétermination, à partir desquelles la personne est à la fois sujet et responsable de son acte. Il y a une transcendance horizontale de la volonté, par laquelle elle domine son acte : Ordonnée au bien universel, elle est libre par rapport à son acte particulier : agir ou ne pas agir, faire ceci ou faire cela. De plus, il y a une transcendance verticale de la volonté par rapport à la personne comme objet qui, elle aussi, n'est qu'un bien particulier et qu'elle domine. Ainsi la personne comme sujet de l'acte est libre par rapport à elle-même comme objet dont elle dispose, et qu'elle détermine dans l'acte. Cette autodétermination de la personne joue un rôle capital dans l'éthique axiologique de Karol Wojtyla.
L'axiologie est la science des valeurs personnelles pratiques. Celles-ci sont des actes mesurés par l'ordonnance de la personne à son propre accomplissement, valeur finale qu'elle expérimente dans sa conscience ; corrélativement, le mal est expérimenté comme opposé à cette valeur, c'est-à-dire comme ne convenant pas à la personne. La conscience est la norme subjective, ou mesure, de la moralité des actes humains. Tout acte humain, étant dirigé librement vers ce qui paraît convenir au sujet, est nécessairement confronté à la norme de la conscience, qui est la convenance à l'accomplissement absolu de la personne : c'est ce qui fait que tout acte humain est de soi moral, bon ou mauvais : il n'y a pas d'actes indifférents. La conscience juge les actes, les commande ou les condamne. Elle consiste dans une conviction intime sur le bien ou le mal moral d'un acte déterminé. Cette conviction oblige à agir en conformité avec son contenu : réaliser le bien, et éviter le mal. Cette obligation se manifeste immédiatement à la conscience qui l'expérimente. Elle manifeste de même que la personne est la cause efficiente des valeurs morales, responsable de l'acte bon ou mauvais.
Dans ces conditions, la liberté de conscience n'a pas le sens positiviste du langage courant, privé de base spirituelle, qui aboutit à un principe d'anarchie, selon Max Scheler. Elle signifie l'autonomie de la personne dans la prise de décision d'une action déterminée, excluant toute pression externe, en vertu d'une norme immanente qui s'impose par elle-même à la personne comme sa propre perfection.

Liberté de conscience contre subjectivisme

En conclusion, l'éthique axiologique de Karol Wojtyla s'oppose au subjectivisme de l'éthique de Kant exprimé dans l'impératif catégorique : " Agis de telle sorte que ton action puisse être érigée en loi pour tous. " Cet axiome a conduit à l'écrasement de la personne au nom de la raison par les idéologies et les régimes totalitaires. L'anthropologie subjective qui fait connaître la réalité de la personne se construisant elle-même par ses actions, et l'éthique qui dirige ces actions vers l'accomplissement personnel, établissent la dignité suprême de la personne et assurent sa liberté de conscience face à tout pouvoir externe, à partir de l'expérience immanente du bien et du mal.
De même, l'éthique de Karol Wojtyla s'oppose au matérialisme qui confond la liberté de conscience avec la licence : pragmatisme, utilitarisme, hédonisme, soumettent la personne aux biens matériels qui sont les seules valeurs. Cela aboutit à la destruction de la personne par les abus sexuels, l'alcool, la drogue ; comme aussi par la violence sous toutes ses formes : individuelle, sociale, nationaliste. Cette liberté sans norme banalise l'avortement et l'euthanasie. Dans le domaine économique qui domine la politique, le capitalisme sauvage, la libre concurrence, le jeu des marchés, la spéculation sans frein écrasent aussi la personne qui n'est plus qu'un matériau économique. La hiérarchie des valeurs, c'est-à-dire la transcendance de la personne par rapport à son corps et à tous les biens matériels, l'obligation de son accomplissement dans toutes les dimensions — spirituelle, familiale, sociale — restaurent la véritable liberté de conscience contre le positivisme juridique, qui s'aligne sur les mœurs au lieu de les régler : tel est l'apport de l'éthique de Karol Wojtyla dans le domaine de la liberté de conscience face aux erreurs contemporaines.
Cependant, il ne faut pas oublier le complément considérable qu'elle a aussi ajouté à la morale chrétienne traditionnelle. Celle-ci considère les actes humains indépendamment du sujet : elle étudie et dirige la faculté volontaire, ses actes, leur orientation vers leur fin et le bien en général, mais non l'effet de ces actes sur le sujet qui y est impliqué. Karol Wojtyla établit une morale totale et concrète, dont le sujet n'est pas seulement l'action, mais aussi la personne en action. Non seulement il rejoint les conclusions de la morale traditionnelle par l'expérience subjective et la méthode phénoménologique, mais surtout il montre que la personne se réalise elle-même par ses actes. Cette autoréalisation de l'homme est le sommet de son éthique. Alors que dans la morale traditionnelle, la liberté de conscience est absurde : privée de la lumière de la vérité objective sur le bien, elle est aveugle et ne peut guider l'action, l'éthique de Karol Wojtyla lui donne un sens fondé sur l'expérience subjective de la valeur du bien. Non seulement la liberté de conscience acquiert ainsi droit de cité dans l'Église, mais elle est même nécessaire à l'autoréalisation de la personne. Elle ne se substitue pas à la vérité objective, encore moins l'exclut-elle. Elle se juxtapose à elle pour la compléter dans une parfaite harmonie, car elles sont coordonnées.

Au premier rang des droits : la liberté religieuse

C'est dans le domaine de la liberté religieuse que l'éthique de Karol Wojtyla a apporté la plus importante nouveauté. Au concile Vatican II, deux tendances s'affrontaient sans possibilité de compromis au sujet de la liberté religieuse. Certains évêques, pragmatiques, prônaient une liberté absolue, à la limite de l'indifférentisme, erreur condamnée par Grégoire XVI : " Toutes les religions se valent ", ou du libéralisme. À l'opposé, d'autres évêques refusaient la liberté religieuse en raison de la nécessité de l'adhésion à l'unique vérité catholique pour parvenir à la béatitude éternelle. Les uns et les autres se situaient dans la même problématique traditionnelle de la Vérité divine objectivement révélée. Les partisans de la liberté religieuse étaient plus attentifs à la situation concrète de l'Église dans le monde : la politique démocratique des États-Unis à l'égard de toutes les confessions leur paraissait l'idéal, excluant tout privilège pour l'Église catholique. Leurs adversaires, théologiens conservateurs, y subodoraient une concession dangereuse au subjectivisme ambiant. C'était l'impasse. Alors le jeune évêque polonais Karol Wojtyla proposa sa solution : la liberté religieuse, c'est-à-dire la faculté de choisir son orientation vers une fin ultime déterminée, est un droit inné de toute personne, antérieurement à la considération de l'objet du choix et de sa vérité. Il fallait adopter une nouvelle problématique, la problématique subjective, sans renoncer à la problématique objective, mais en les juxtaposant. Considérer le problème d'abord du côté du sujet, puis du côté de l'objet. Liberté du sujet vis-à-vis de lui-même, nécessité de l'objet vis-à-vis de la fin dernière. La personne est libre de se mouvoir vers une fin dernière de son choix en vertu du fondement subjectif de la liberté de conscience en général, exposé ci-dessus : les pouvoirs publics doivent donc respecter la liberté religieuse ; c'est sur ce plan du droit public que se place la déclaration conciliaire Dignitatis humanæ. D'autre part, la personne a une liberté objective d'adhésion vis-à-vis de la foi : c'est ce qui fait son mérite. C'est aussi le fondement de la tolérance, au cas où cette liberté objective adhère à une religion fausse.
À la suite de l'archevêque Lefebvre, qui rejeta la liberté religieuse par incapacité de comprendre la problématique subjective, les théologiens traditionalistes, qui essaient de justifier la liberté religieuse dans une problématique exclusivement objective, traitent en réalité de la tolérance, qu'ils confondent par erreur avec la liberté religieuse. Ils écrivent de gros volumes bourrés de références historiques et canoniques, alors que la solution est philosophique et tient en quelques mots.
Il reste que la liberté religieuse a toujours existé dans l'Église : qu'on pense par exemple à l'interdiction des baptêmes forcés, ou à la reconnaissance de nullité des mariages religieux contractés sous la contrainte. La déclaration conciliaire n'a fait qu'expliciter ce qui était demeuré implicite, faute d'un outil intellectuel adéquat d'explication de ce que Léon XIII appelle liberté psychologique dans son encyclique Libertas (1888). Cet outil est l'œuvre anthropologique de Karol Wojtyla. Devenu le pape Jean Paul II, il occulte volontairement son rôle de philosophe, afin d'éviter la confusion avec le magistère de Pierre. Cependant sa pensée sur la personne humaine est toujours sous-jacente à son enseignement apostolique, si bien qu'il a pu lui-même, en faisant le bilan de son long pontificat, le résumer en une manifestation de la dignité de la personne humaine, créée à l'image de Dieu et rachetée en Jésus-Christ. En particulier, il ne cesse de revendiquer au premier rang des droits de la personne humaine, le droit à la liberté religieuse.
FR. PH. J.
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Écrit par : ND / | 31/08/2013

COACH

"Dieu s’adresse à lui non pas pour diriger ses actions, mais pour libérer ses initiatives. Comme le dit magnifiquement le théologien François Varillon, Dieu est ''l’initiative de nos initiatives''. S’il s’infuse dans l’homme, c’est pour lui insuffler du courage, de l’ardeur et de l’initiative, non pour le diriger comme une marionnette"
En gros notre auteur libéral fait de Dieu un sorte de coach ! en plus du faire-valoir du libéral !
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Écrit par : Aurélien Million / | 31/08/2013

BULLE COINCEE

> Excellente analyse et percutante offensive. Un grand merci Eric! Mais quelle brèche peut-elle ouvrir chez des êtres qui n'entendent plus rien, qui se sont à ce point repliés dans la bulle de leur auto-suffisance satisfaite?
Quand on affirme que les papes n'ont rien compris à l'économie et qu'il faut la leur expliquer, on n'est plus très loin de penser, dans son délire pervers-narcissique, que Dieu n'a rien compris aux principes immuables du Marché auto-régulé, et qu'il faut les lui expliquer, textes de Milton Friedman et de Friedrich Hayek à l'appui.
Sans doute le Christ est-il venu sur terre pour entendre les leçons de libéralisme des jeunes diplômés en école de commerce, afin que le Fils
en informe le Père.
Ces gens, dans la sphère douillette dans laquelle ils sont confinés, vivent un enfer sans même le savoir. Tout leur être est esclave d'une nostalgie si archaïque, celle la fusion originelle avec le sein de maman, dans laquelle ils se vivaient si naturellement comme le centre de l'univers, comme un unique et exclusif objet d'amour et d'attention.
Ils sont structurés psychiquement dans le déni du Père.
SL

[ PP à SL - "structurés psychiquement dans le déni du Père." : et en cela similaires aux "progressistes" qu'ils prétendent combattre. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Serge Lellouche / | 31/08/2013

'LA NEF' CONTRE LE LIBERALISME

> Dans 'La Nef' de septembre, l'éditorial de Christophe Geffroy va dans le sens de la synthèse d'Eric Levavasseur. Il souligne avec force le lien entre la crise sociétale, le libéralisme et la phobie antireligieuse postmoderne. Et, comme E.L., il montre qu'un catholique ne peut pas ne pas subordonner - en antériorité - la liberté à la vérité ! Extraits (les majuscules sont de moi) :

" Ce monde, souvent qualifié de postmoderne, se caractérise par la primauté de la volonté et cela explique pourquoi le libéralisme en est devenu l'idéologie consubstantielle. La vérité s'adresse à l'intelligence, la liberté à la volonté. Or, la volonté n'est droite que si elle est éclairée par l'intelligence (elle-même formée) : l'intelligence est première, la volonté suit. C'est pourquoi LA VERITE PRIME LA LIBERTE en ce sens qu'elle est ANTERIEURE. Le Christ a résumé cela lorsqu'il nous a dit : 'la vérité vous rendra libres' (Jn 8,32), et non pas : 'la liberté vous donnera la vérité' - même si la vérité doit pouvoir être atteinte en toute liberté [...]

Or le drame moderne est d'avoir inversé les pôles et d'avoir fait de la liberté la seule fin de l'homme et de la société, indépendamment de toute vérité réputée inaccessible ou subjective, donc sans valeur commune pour tous. [...]

La victoire de la postmodernité libérale s'inscrit sur une très longue durée. Elle se manifeste principalement par le rejet progressif de Dieu à différents niveaux. [...]

Le primat actuel de la volonté, et donc aussi de la liberté (on retrouve ici LE LIBERALISME) est la conséquence logique de cette évolution - et une revendication comme le 'GENDER' s'inscrit dans cette filiation issue du nominalisme.

Cette postmodernité libérale qui nous paraît aujourd'hui indétrônable est en réalité très fragile. Souvenons-nous de l'avertissement salutaire de Newman. A nous de contribuer à la renverser. C'est possible. "
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Écrit par : PP / | 31/08/2013

CEUX QUI PENSENT Y CROIRE

> Pour reprendre l'aphorisme de W. Cavanaugh (que je cite de mémoire) : "Dieu est mort, pour ceux qui n'y croient pas comme pour ceux qui pensent y croire".
F.


[ PP à F. - Ceux qui "pensent y croire" sont ceux que Mgr Daucourt appelle les "athées pieux", et ceux dont Saint-Simon disait : "Ils cherchent à s'avantager de l'autorité divine."

réponse au commentaire

Écrit par : Feld / | 01/09/2013

Levavasseur, Serge,

> je vous embrasse tous les deux! Trop-plein de joie à lire vos mots dont la vérité profonde est tellement libératrice, et d'abord sur le plan psychologique, nous qui sommes continuellement, pluri-quotidiennement agressés par le poison libéral qui pénètre jusqu'au coeur de chacune de nos cellules.
Le remède, oui, c'est ce décentrement de soi pour remettre Dieu-Père infiniment aimant au coeur de nos destinées, personnelles et communautaires.Et quand enfin flanche notre hautain ego, quand éclate notre étroite raison raisonneuse, quelle paix, quel repos! Plus aucun de ce stress, de ces angoisses, de cet hyper-activisme dont sont affligés nos contemporains dépressifs. On ne connait plus l'ennui ni la lassitude, mais on va de surprise en aventures, de nouveautés en renaissances, avec cette certitude : on ne craint rien dans les bras de la Providence. On peut enfin se donner à fond, sans plus de retenue, tout miser sur l'instant présent sans se préoccuper de demain, non parce que:"après nous le déluge", mais parce que tout ce qui est donné aujourd'hui est semence mystérieuse pour demain.
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Écrit par : Anne Josnin / | 01/09/2013

LIBERAL = HERETIQUE

> "L’homme a été créé à la mesure de lui-même, comme métaphore vivante de Dieu (Paul Ricœur). Ce qui fait de lui, évidemment, un lieu de contradiction, comme celui de la bonté infinie et de la présence du mal, l’homme est celui qui est capable de charité et de bestialité."

Le nombre d'erreurs, donc d'hérésies d'un point de vue catholique, contenues dans ce simple paragraphe est incommensurable. L'homme n'a pas été créé à la mesure de lui-même, mais à celle de Dieu. Ou alors on ne voit pas comment il serait une "métaphore de Dieu" dans le même temps. Il est amusant de voir que c'est en niant la grandeur de l'homme comme image de Dieu que l'on arrive à déifier l'homme, paradoxalement.
Ensuite, en déduire que comme métaphore de Dieu, il serait un lieu de contradiction, est absurde, Dieu étant justement de par sa perfection la simplicité même. C'est croire aussi que Dieu serait le créateur du mal. C'est oublier le péché originel, et le fait que c'est l'homme qui a choisi de connaître le bien et le mal, justement pour se faire Dieu.
Bref, cette auto-divinisation a été radotée cent mille fois depuis au moins la Renaissance, mais elle marche toujours. Et plus la connaissance, même matérielle et scientifique, nous apprend quels vers de terre nous sommes dans l'univers, plus nous sommes tenus de nous gargariser de notre grandeur.
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Écrit par : JG / | 02/09/2013

L'HERESIE CATHOLIQUE LIBERALE : MAIS "OPPORTET HAERESES ESSE"

> Les grandes avancées de la foi catholique ont toujours procédé par des ripostes vigoureuses contre les idées qui ont travaillé à sa perversion. L'hérésie «catholique»-libérale suscitera en retour une intelligence renouvelée et approfondie du cœur du cœur de notre foi : le mystère de la relation trinitaire.
La "modernité libérale" n'est-elle pas d'abord l'autre nom du sinistre voile noir jeté vers cette relation trinitaire? Le libéralisme n'est-il pas avant tout tentative, on le sait vouée à l'échec par la croix du Christ, de tarissement de cette inépuisable source d'amour des relations entre tous les êtres?
Cette idéologie est en cela une manifestation du diviseur, car elle œuvre à isoler les personnes (et les communautés) les unes à l'égard des autres, toutes pourtant communément porteuses dans leur particularité de la même image de Dieu, qui fonde dans l'humanité et dans toute la création, cette famille spirituelle unique.
Le libéralisme est profondément œuvre d'émiettement de cette famille universelle qui en Jésus-Christ est le synonyme de catholicisme.
Maxime le confesseur voyait le péché originel comme processus entraînant cet émiettement de l'humanité vers l'individualisation, autre nom de la dépersonnalisation. «Satan nous a dispersé» disait de son côté Cyrille d'Alexandrie.
Le même diviseur use du mensonge pour déclarer qu'il est le grand promoteur et le grand défenseur de l'individu, alors qu'il en est le grand fossoyeur, précisément dans la mesure où la personne humaine est pleinement révélée à elle-même dans toute sa profondeur et dans son irréductible unicité PAR la relation qu'elle établit avec son prochain.
Le libéralisme est tentative de destruction de cet art si subtil et incertain de la relation. Ce processus libéral est poussé à son achèvement mortifère lorsqu'à la relation entre les personnes (source de vie élancée vers la fraternité universelle) se substituent des mécanismes impersonnels et instrumentaux entre des individus devenus les jouets du Marché et du Droit.
Par ces mécanismes pleinement mis en œuvre, le libéralisme c'est, pour reprendre les mots de François à Lampedusa, la mondialisation de l'indifférence des uns à l'égard des autres, inversion diabolique de l'amour trinitaire qui est inlassable don de vie des uns vers les autres.
Viendra un jour où les mots auront retrouvé vie et sens; alors, les gouttes froides ruisselantes sur nos fronts, la gorge serrée par la honte, nous serons saisi d'effroi et de stupeur, d'avoir pu associer, avec une telle banalité, ces deux mots, l'un porteur de mort l'autre de vie, libéralisme et catholicisme.
Saint-Augustin parle ainsi de notre salut par le Christ rédempteur rétablissant la relation et l'unité surnaturelle et universelle : «Nous qui étions dissociés et opposés par les voluptés, les cupidités et les impuretés diverses de nos péchés, purifiés par le Médiateur, nous nous élancerons en plein accord vers la même béatitude, et fondus comme en un seul esprit par le feu de la charité, nous serons alors devenus un, non seulement par l'effet de notre commune nature, mais par les liens d'une commune dilection ».
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Écrit par : Serge Lellouche / | 03/09/2013

@ serge

-"la personne humaine est pleinement révélée à elle-même dans toute sa profondeur et dans son irréductible unicité PAR la relation qu'elle établit avec son prochain"
-"source de vie élancée vers la fraternité universelle"
etc etc
Aaaah ! Serge quel dommage que vs ne puissiez venir au pélé !

Il y a une hérésie très répandue chez les catholiques et à laquelle je suis confronté de jour en jour dès que nous parlons de la necessité (pas de l'option), que dis-je de l'automaticité anthropologique de prier pour son pays comme pour sa famille et le monde (sans sauter une de ces étapes, ni en rester à une de ces étapes)
Cette hérésie on pourrait l'appeler le "familiarisme".
Elle se résume à ceci :
"Jean Paul II a bcp enseigné sur la famille, elle est fondée sur un sacrement, Jésus est né au sein d'une famille,on prie en disant "Notre Père" donc LA structure de solidarité, de charité chrétienne et naturelle, c'est la famille, il n'y en a pas d'autres qui soit naturelle sinon elle relève de l'optionnel."

Cette hérésie est fréquente chez les cathos classiques qui y puisent la justification de leur manque d'engagement en dehors de leurs parents frères et sœurs qu'ils aiment, bref un manque d'engagement dans et pour le monde au delà de la famille sauf quand ça les intéresse ou quand ça leur rapporte quelque chose matériellement ou moralement.
Pour eux, la famille est sacrée car fruit d'un sacrement (c'est vrai !) elle en est la conséquence.
Or argumentent-ils, il n'y a pas de sacrement à l'origine d'un peuple.
Vous voyez la faute de raisonnement ?
Il faut leur répondre que la famille est un NOYAU
Et qu'à terme nous sommes tous apparentés, tous enfants du Père, et que la solidarité qui en résulte automatiquement n'est pas plus discutable que notre filiation avec le Père, que la vocation de l'amour est l'élargissement
Le monde n'est pas DIVISé en individus, familles, nations mais il est FORMé de personnes, de familles et de nations.
Par conséquent l'amour au delà du cocon n'est pas la conséquence d'un choix personnel mais une vocation anthropologique.
D'ailleurs on fonde son couple, sa famille avec quelqu'un de l'extérieur !
Le "familiarisme" , c'est le nationalisme appliqué à la famille**.

Depuis soi-même en passant par le couple, la famille, les amis, son pays, jusqu'à l'Humanité entière et au delà, le monde invisible, l'amour est une poupée russe.
Qui commence par soi puis ses proches
Pourquoi parlons-nous autant de "nation", de "patrie" ? Parce que la famille vue pour elle même n'a pas de sens et n'est pas la structure adaptée aux problèmes d'aujourd'hui dans le monde.
Il faut que les personnes se souviennent que le monde est fait de personnes (et pas d'individus) qui se révèlent en agissant les uns pour les autres.
La famille c'est bien mais ce n'est plus suffisant
Un papa et une maman tout seuls contre Taubira ou Lagarde ne peuvent rien mais l'union de toutes les familles (c'est ça un peuple) peut agir localement sur son gouvernement puis l'union entre famille de peuples élargit la lutte.
Ça part de la base mais ça DOIT partir


**la nation est un groupe de personnes unis par une même culture disait JP II
La culture est un développement notamment du sens du beau (l'art) et du juste (les us etc coutumes), des règles pour vivre ensemble
Aucune culture ne révèle entièrement le Beau qui est le visage de Dieu ni la Justice avec un "j" majuscule qui n'est que de Dieu mais elle en participent chacune à son niveau

Si un peuple croit que seule sa culture montre le visage de Dieu, il s'aime pour lui-même, en rupture avec les autres peuples : il a un amour désordonné de lui-même ce qui est l'exact définition de l'orgueil.
Les cultures des peuples du monde sont un peu comme ces portaits-puzzle : http://www.wallpapersfame.com/uploads/wallpapers/2012/06/22/1617/preview_1fdbd66d1dc5516332b5fbcfa2f1e0cb.jpeg

Avec cette image en tête, on voit bien alors combien il est catastrophique que les peuples ne soient pas unis !
Alors vous imaginez où nous en sommes sachant que les familles ne sont même pas unies entre elles ?
La catastrophe du divorce ?
De la solitude ?
Les pixels qui composent les photos qui ensemble font le portrait puzzle de Dieu ne sont même pas unis !
Et ceux qui le sont font du familiarisme et ne veulent pas s'unir aux autres !
Et en plus, qu'est-ce qu'une photo qui n'a pas de support matériel ?
C'est notre cas : nous sommes coupés de la nature.
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Écrit par : E Levavasseur / | 03/09/2013

HISTOIRE DU CATHOLICISME LIBERAL

> Il faut lire le livre de François Huguenin "Histoire intellectuelle des droites",Tempus-Perrin, qui explique notamment ce que fut le "catholicisme libéral" au XIXe siècle. Rien à voir avec ce qu'on appelle "libéralisme" aujourd'hui. C'était un effort pour mettre le catholicisme en état d'évangéliser la société nouvelle, en abandonnant les crispations politiques nostalgiques de l'Ancien Régime. Alors qu'aujourd'hui, le "libéralisme" est une idéologie soumettant tout à une forme d'économie instrumentalisant les plus bas instincts.
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Écrit par : gnafron / | 09/09/2013

Cardinal Henri de Lubac ; Catholicisme ; les aspects sociaux du dogme (p.200-204) :

« Dans pareil contexte doctrinal, il apparaît de plus en plus clairement que le mot d'ordre du chrétien ne peut plus être « évasion » mais « collaboration ». Il s'agit pour lui de travailler avec Dieu et les hommes à l'oeuvre de Dieu dans le monde et dans l'humanité. Le but est donc unique : c'est à la condition d'y tendre avec tous, au lieu de poursuivre son jeu égoïste, qu'il peut se permettre d'avoir une part au triomphe final, de trouver une place dans le salut commun : in redemptione communi. La cité des Elus n'accueille pas les « profiteurs ». D'où la responsabilité du chrétien en face de ses frères « infidèles ». Toute grâce est gratia gratis data, c'est à dire, selon le vieux sens de l'expression, donnée en vue des autres. La grâce du catholicisme ne nous a pas été donnée pour nous seuls, mais en vue de ceux qui ne l'ont pas, comme la grâce de la vie contemplative, ainsi qu'une sainte Thérèse l'a si bien compris, est donnée à des âmes de choix en faveur de ceux qui peinent dans les labeurs de la vie active. La fidélité à cette grâce qui nous fait membres de l'Eglise exige donc de nous deux choses : concourir au salut collectif du monde, en prenant part, chacun selon notre vocation propre, à la construction du grand Edifice dont nous devons être à la fois les ouvriers et les pierres ; concourir en même temps au salut individuel de ceux qui restent apparemment des « infidèles ». Deux devoirs qui se compénètrent ; deux manières, si l'on peut ainsi parler, de faire mûrir la Rédemption.(...) Ceux qui, en recevant le Christ, ont tout reçu, sont établis pour le salut de ceux qui n'ont pu le connaître. Leur privilège est une mission. Point d'autre moyen pour eux de conserver leur richesse, car dans l'ordre spirituel « on ne possède que ce que l'on donne » (...) Le jugement sera rendu à l'encontre des privilégiés, sur le rendement en bien commun de leurs privilèges pour ceux qui en étaient exclus(...)Nul n'est chrétien pour soi seul. »
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Écrit par : Serge Lellouche / | 12/09/2013

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