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16/06/2013

" Benoît XVI : un pontificat qui fera date "

benoit xvi,revue kephas

Aperçu du numéro spécial de la revue Kephas :

 


 

http://www.revue-kephas.org


Le numéro 45 de Kephas (fondée parce que Joseph Ratzinger souhaitait une telle revue en France) est consacré au bilan du pontificat de Benoît XVI. Ce dossier très complet place la pensée et l'action de Joseph Ratzinger dans leur exacte perspective : « cette insistance croissante, spécialement ces dernières années, à évoquer, à décrire, à prôner même, la spiritualité des premiers chrétiens », souligne l'abbé Le Pivain, directeur de la revue.

 

Ainsi dans les propos de Benoît XVI au clergé de Rome, le 8 février dernier :

« Nous sommes, en tant que chrétiens, précisément aujourd'hui, toujours aussi des étrangers. Sur les lieux de travail, les chrétiens sont une minorité, ils se trouvent dans une situation d'étrangers ; il est étonnant que quelqu'un, aujourd'hui, puisse encore croire et vivre ainsi. Cela appartient également à notre vie : c'est la façon d'être avec le Christ crucifié ; ce fait d'être étrangers, en ne vivant pas selon la manière dont tous vivent, mais en vivant – ou en cherchant tout au moins à vivre – selon sa Parole, de manière très différente par rapport à ce que tous disent. C'est précisément ce qui est caractéristique pour les chrétiens... »

Patrick de Laubier (article Benoît XVI et la foi) rappelle les propos décapants de Joseph Ratzinger : « Il est possible que nous soyons au seuil d'une nouvelle ère, constituée tout autrement, de l'histoire de l'Eglise, où le christianisme existera plutôt sous le signe du grain de sénevé, en petits groupes apparemment sans importance, mais qui vivent intensément pour lutter contre le mal et implanter le bien dans le monde... » Et ceci, très actuel : « Il y a une révolte de l'homme contre les limites qu'il porte en lui comme être biologique. Il s'agit en fin de compte d'une révolte contre notre caractère de créatures. ''L'homme doit être son propre créateur'' : réédition moderne de l'antique tentative d'être soi-même Dieu, ou comme Dieu... »

Le christianisme, dit Benoît XVI, est « toujours en état de nouveau commencement » : « il faut toujours revenir de nouveau à l'Evangile et aux mots de la foi, pour vérifier, primo, ce qui en fait partie, secundo, ce qui change légitimement au fil du temps, et tertio ce qui n'en fait pas partie... »

Parick de Laubier désigne avec précision le phénomène contemporain  de déspiritualisation, et en identifie la nature sociologique : « La science a pris, note Benoît XVI, le visage d'une religion immanente faite par l'homme et pour l'homme privé du surnaturel. On assiste à une étonnante ''accélération de l'histoire'' et des modes de pensée débouchant sur un athéisme de masse. Le foyer sociologique de cet athéisme appartient à une classe moyenne des pays développés, bourgeoisie individualiste aux prises avec l'argent, le sexe et le pouvoir devenus les idoles du moment. C'est à cette nouvelle civilisation que Benoît XVI a voulu s'affronter en théologien professionnel et en pontife successeur de Pierre... »

La foi chrétienne est en conflit avec cette société bourgeoise (même si une partie de la bourgeoisie chrétienne ne s'en rend pas compte)... C'est normal, explique Patrick de Laubier : « Le scandale du christianisme n'est pas un malentendu, ce serait l'inverse qui serait inquiétant. Augustinien, Benoît XVI sait que la théologie de l'auteur des Confessions est une théologie de la conversion. Les chrétiens devenus à nouveau minoritaires, même en Europe, doivent rayonner leur foi comme l'ont fait les premiers chrétiens. Il importe alors de trouver un consensus pour établir un dialogue avec les non chrétiens et les anciens chrétiens... »

Sociologue devenu prêtre, Patrick de Laubier prend au sérieux ce que Joseph Ratzinger écrivait dès 1967 : « ...à la suite du concile, il devait apparaître à nouveau que la foi des chrétiens englobe la totalité de la vie, qu'elle s'inscrit au coeur de l'histoire de son temps, et qu'elle a une pertinence qui va au delà du domaine des représentations subjectives. »

La théologie de la libération souligne-t-il, « parut répondre à ce critère d'action sur le monde », mais sa déviation vers le marxisme l'a stérilisée. J'ajoute que cette expérience ratée nous assigne la tâche d'accompagner la nouvelle évangélisation par une nouvelle théologie de la libération, purement évangélique cette fois, et visant à changer les structures économiques d'oppression - comme Joseph Ratzinger l'indiquait dans son Instruction sur la liberté chrétienne et la libération (1986). Dans sa contribution à ce dossier (De saint Benoît à dom Gérard, permanence de la civilisation bénédictine), Gilles Banderier observe pour sa part : « Après la disparition – en Europe – du communisme, que personne ne regrettera, on a voulu nous faire croire qu'il n'y avait plus d'autre voie que le capitalisme mondialisé et sauvage. Or, des siècles avant qu'Adam Smith et Marx ne théorisent, l'un le libéralisme économique, l'autre la philosophie qui porte son nom, les moines ont, toujours sans le faire exprès, montré qu'il existait une troisième voie, respectueuse des hommes et de leur environnement... » Ainsi le catholicisme porte en lui, dit-il, « l'écologie, la décroissance », puisque dans la vision catholique « l'homme est au service de Dieu ».

Je me permets de citer un passage de mon propre article dans ce dossier de Kephas :

<<  Les rares journalistes qui prêtent attention aux actes du Vatican ont noté ses appels à une société nouvelle, très éloignée du modèle économique, financier et culturel mis en place à la fin du siècle dernier. Par exemple le chroniqueur économique de France Inter, Dominique Seux : vingt-quatre heures après l'annonce de la renonciation de Benoît XVI, ce journaliste souligne « le paradoxe d'un pontificat qui se sera déroulé au moment d'une crise économique sans précédent récent, crise que l'Eglise avait annoncée et décrite par avance ». Où est le « paradoxe » ? En ceci : presque personne dans les médias n'a fait écho à ce tocsin venu du Vatican, alors que Benoît XVI « avertissait des risques de bulles spéculatives et des méfaits du surendettement », souligne Dominique Seux. Revenant sur l'encyclique sociale Caritas in Veritate, il constate : « l'analyse de Benoît XVI sonne juste ». Le journaliste discerne même chez le pape « un côté révolutionnaire, presque marxiste, dans cette critique d'un système et pas seulement de comportements individuels... » Citant le paragraphe 40 de l'encyclique, Dominique Seux indique des formules qui l'ont frappé sous la plume d'un pape. Par exemple celle-ci : « une classe cosmopolite de managers qui souvent ne répondent qu'aux indications des actionnaires de référence, constitués en général par des fonds anonymes... » Ou celle-ci : « il faut éviter que le motif d'emploi des ressources financières soit essentiellement spéculatif et cède à la tentation de rechercher seulement un profit à court terme, sans rechercher aussi la continuité de l'entreprise à long terme et son service précis à l'économie réelle... »

[...] Selon les médias, l'action de Benoît XVI aurait favorisé chez les catholiques un repli « conservateur », voire « identitaire ». Mais le mot « repli » ne signifie rien quand on l'applique au christianisme : l'identité du chrétien est la Personne du Christ, qui est la Voie et non le repli ! La foi chrétienne est un acte de confiance, un pari, une marche en avant (comme l'a souligné le pape François dans l'homélie de sa première messe) ; elle n'est jamais un repli. Si nous avons la tentation de nous contenter « de l'unité de nos propres communautés », écrit Cavanaugh, « c'est que nous n'avons pas suffisamment saisi la nature de l'eucharistie : car devenir le Corps du Christ entraîne aussi que nous devenions  nourriture pour les autres, et cela implique souvent d'aller au delà de nos propres communautés et de notre propre confort »1.

Sous cet angle, le procès en « conservatisme » que la société fait aux catholiques (à Benoît XVI au premier chef) est incohérent. « Conserver » quoi ? Pas la société actuelle ! Ses gérants politiques et économiques ont multiplié les promesses irresponsables, polarisées précisément sur nos communautés et notre confort. Aveuglés par la recherche des effets d'annonce et de communication, ils ont abandonné toute réflexion en profondeur. Pire : c'est l'idée même de réflexion en profondeur – et tout ce qui contredirait leur système de marketing à court terme – qu'ils disqualifient sous le nom de « conservatisme ». Ils font ainsi un contresens dans l'emploi du mot, puisqu'une réflexion en profondeur aboutit justement à ne pas « conserver »... la société actuelle. C'est ce qu'écrit Benoît XVI dans l'encyclique de 2009 Caritas in Veritate (paragraphe 32) :

« On doit évaluer attentivement les conséquences sur les personnes des tendances actuelles vers une économie du court, voire du très court terme. Cela demande une réflexion nouvelle et approfondie sur le sens de l'économie et de ses fins, ainsi qu'une révision profonde et clairvoyante du modèle de développement... C'est ce qu'exige, en outre, l'état de santé écologique de la planète et surtout ce qu'on appelle la crise culturelle et morale de l'homme, dont les symptômes sont depuis longtemps évidents partout dans le monde. »

Dans son message pour la célébration de la Journée mondiale de la paix, le 1erjanvier 2010, Benoît XVI expliquait (paragraphe 5) :

« Il faut considérer que la crise écologique ne peut être appréhendée séparément des questions qui s'y rattachent, étant profondément liée au concept même de développement et à la vision de l'homme et de ses relations avec ses semblables et avec la création. Il est donc sage d'opérer une révision profonde et perspicace du modèle de développement, et de réfléchir également sur le sens de l'économie et de ses objectifs, pour en corriger les dysfonctionnements et les déséquilibres. L'état de santé écologique de la planète l'exige ; la crise culturelle et morale de l'homme le requiert aussi et plus encore, crise dont les symptômes sont évidents depuiis un certain temps partout dans le monde. L'humanité a besoin d'un profond renouvellement culturel ; elle a besoin de redécouvrir les valeurs qui constituent le fondement solide sur lequel bâtir un avenir meilleur pour tous. Les situations de crise qu'elle traverse actuellement – de nature économique, alimentaire, environnementale ou sociale – sont, au fond, aussi des crises morales liées les unes aux autres. Elles obligent à repenser le cheminement commun des hommes. Elles contraignent, en particulier, à adopter une manière de vivre fondée sur la sobriété et la solidarité, avec de nouvelles règles et des formes d'engagement s'appuyant avec confiance et avec courage sur les expériences positives faites et rejetant avec décision celles qui sont négatives. Ainsi seulement la crise actuelle devient-elle une occasion de discernement et de nouvelle planification. »

« Révision », « renouvellement », « nouvelles règles », « repenser », « planification » : les mots de Benoît XVI sont ceux d'un apôtre du changement, non d'un conservateur. Mais ce qu'il veut changer est le système économique, non la nature humaine... A l'inverse, les censeurs du pape veulent changer la nature humaine et non le système économique ! Plus exactement : ils veulent changer la nature humaine pour l'ajuster toujours plus au système économique, afin d'élargir sans fin le domaine de la consommation. Les « nouvelles moeurs » n'ont pas d'autre origine que ce mécanisme d'extension permanente : « la logique d'accumulation commerciale et financière exige impérativement le renouvellement de la consommation », soulignent en 2013 les auteurs du livre La Vie marchandise2. Le mariage gay « is good business », déclare le PDG de Goldman-Sachs, Lloyd Blankfein... « La néo-domestication de l'homme dont nous subissons les prémisses est portée par une spécialisation presque exclusive sur la technologie et l'économie », signale en mars 2013 le mensuel La Décroissance (par ailleurs engagé dans la bataille contre les effets de la loi Taubira, aux côtés de la revue L'Ecologiste avec laquelle le cardinal Ratzinger dialogua en 2004).

Durant tout son pontificat, Benoît XVI a prôné des changements décisifs dans le modèle économique et social des pays riches : changements qui auraient pour but de retrouver le « fondement solide » sur lequel bâtir un avenir « meilleur pour tous ».

Au contraire, le système consumériste – qui domine nos sociétés – nie l'existence de tout « fondement » et récuse toute « solidité ». Selon lui, la liberté et la démocratie consistent aujourd'hui à se libérer du réel : celui-ci doit devenir évanescent, malléable à l'infini, pour se soumettre au virtuel qui est l'abracadabra de toutes nos pulsions – elles-mêmes influencées par le marketing. Voilà pourquoi ce système développe une hostilité croissante envers le catholicisme : plaidant pour respecter (donc conserver) le réel, biotope de la condition humaine, l'Eglise s'oppose au productivisme-consumérisme qui blesse l'homme et la nature en niant les limites du réel. C'est cette attitude d'opposition qui est rebaptisée « conservatisme » par les productivistes... Les papes se font contestataires pour « conserver » l'humain. Benoît XVI fut un defensor civitatis, le pape François le sera également : c'est ce que leur reprochent les tenants d'un monde économique ennemi de la notion de cité. >>

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1 William Cavanaugh, Être consommé, L'Homme Nouveau 2007.

2 Bernard Floris et Marin Ledun (La Tengo éditions).

 

 

Commentaires

EN EFFET

> En effet très bon numéro de 'Kephas ! lire aussi celui de 'La Nef', sur Vatican II : quand on a lu ça on ne peut plus continuer à répéter les bêtises progressistes et intégristes (qui sont les mêmes, lues en sens inverse).
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Écrit par : emmeline / | 17/06/2013

THEOLOGIE DE LA LIBERATION, CARDINAL ERRAZURIZ, PAPE FRANCOIS

> Président du CELAM en 2007, le cardinal Francisco Javier Errázuriz déclarait, peu de temps avant l’inauguration de la Ve Conférence Générale d’Aparecida, que « La théologie de la libération n’est pas morte ! Plus encore, dans nos pays la dimension libératrice de la mission du Christ et de l’Eglise est une vérité assumée. Et la même chose peut être dite de l’Option préférentielle pour les pauvres. » (Luis Martinez SAAVEDRA, "La conversion des Eglises latino-américaines. De Medellin à Aparecida (1968-2007)", Paris, Karthala, 2011, p. 49.)
Errázuriz fait partie du groupe de huit cardinaux nommés le 13 avril dernier par François pour "le conseiller dans le gouvernement de l’Eglise" et l’aider à réformer la Curie.
Errázuriz s’inscrivait donc en faux contre le point de vue de Patrick de Laubier, qui affirme, à propos de la théologie de la libération, que « sa déviation vers le marxisme l'a stérilisée. » L’existence même de la Conférence d’Aparecida a donné tort à Patrick de Laubier : à cette occasion, les évêques d’Amérique Latine et des Caraïbes ont en effet proposé un enseignement pastoral dans la droite ligne de la Conférence de Medellin et du concile Vatican II.
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Écrit par : Blaise / | 24/06/2013

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