27/04/2013
Le mouvement anti-Taubira et les mouvements sociaux
Dans Le Monde (27/04), réflexions du politologue Pascal Perrineau sur les "mouvements sociaux" en France depuis 1984 :
Pascal Perrineau considère sept mouvements : 1984, contre la loi sur l'école ; 1986, contre une réforme universitaire ; 1994, contre le CIP ; 1995, contre une réforme des retraites et de la Sécurité sociale ; 2006, contre le CPE ; 2010, contre une réforme des retraites ; 2013, contre la loi Taubira. Perrineau voit des points communs à ces sept mouvements : ils expriment une "contre-démocratie" en marge du jeu parlementaire ; ils "font émerger des formes de vivre-ensemble", avec un aspect "festif et fusionnel" entre "des individus largement dépolitisés et désyndicalisés". Et ces mouvements n'ont rien à voir avec mai 1968, pour deux raisons :
a) 1968 étant encore dans l'optimisme économique des Trente Glorieuses, le mouvement de mai avait une caractéristique contradictoire : il véhiculait, à la fois, une utopie (étudiante) rêvant de remplacer la société de croissance par "autre chose", et une revendication matérielle (ouvrière) visant au contraire à partager les "fruits de la croissance" ;
b) depuis 1984, au contraire, les mouvements sociaux ne portent ni utopie ni revendications optimistes : dans un contexte de crise et de pessimisme, ils se contentent de défendre un état de choses - dans tel ou tel domaine - contre tout risque de changement.
Mais entre ces sept mouvements sociaux, il y a une différence que Perrineau ne voit pas. Elle concerne le septième mouvement, celui de 2012-2013 contre la loi Taubira. Il est d'une autre nature "mentale" que les quatre autres. Là il s'agit, non d'une mobilisation d'usagers défendant des droits acquis (contre un Savary ou un Juppé) - mais d'une mobilisation, désintéressée, pour les fondamentaux de la condition humaine. Les "Manifs pour tous" n'invoquent pas d'intérêts matériels mais l'intérêt moral et psychologique de futurs enfants ; et, au delà, le sens de la vie, la signification du vivre-en-société, la légitime autonomie de la société civile face aux prétentions du parisianisme... Les "Manifs pour tous" portent ainsi un message anthropologique.
Perrineau pressent cette profondeur d'enjeu. Il voit que le mouvement riposte à "une société de plus en plus libérale" qui nie les réalités. Mais le politologue se trompe en interprétant le mouvement anti-Taubira comme une "demande d'autorité, de verticalité, de repères forts", qui serait, selon lui, le symétrique inverse d'autres mouvements sociaux exprimant, quant à eux, une demande "d'égalité" et d'horizontalité : droits des homosexuels, droits des salariés, droits à l'environnement... Perrineau commet ainsi plusieurs erreurs. En effet : 1. on ne peut pas mettre dans le même sac le LGBT (soutenu par le big business) et les syndicalistes ou les zadistes nantais (qui résistent au big business) ; 2. interpréter le rejet de la loi Taubira comme une demande "d'autorité" est totalement hors-sujet.
Hors sujet, mais pas innocent... Si la mobilisation de masse était en faveur de "l'autorité" (?), vieille lune bonapartiste, elle passerait à côté des aspirations des gens d'aujourd'hui ! Ils ont soif d'emploi et de justice sociale, ils sentent que le modèle économique libéral est inique, factice, et que la société risque de s'effondrer sur leur tête. Ils commencent à voir que les mises en scène genre Taubira ont camouflé la ruine de l'Espagne, et qu'elles pourraient camoufler celle de la France. Donc le mouvement de masse anti-mariage gay ne prône pas "l'autorité" mais la vérité et la réalité : il dénonce dans la loi Taubira une opération gouvernementale de "diversion" (comme dit le député communiste Carvalho). Ce mouvement a vocation à rencontrer d'autres luttes, économiques, sociales, environnementales, qui elles aussi affrontent la société libérale, refusent les faux-semblants, et militent pour les réalités.
Les manifestants anti-Taubira ne doivent pas tomber dans le piège des politologues et des politiciens ! La mobilisation de masse n'est pas un "mai 68 de droite", formule dénuée de sens. Elle doit converger avec d'autres luttes sociales, les irriguer, et se laisser irriguer par elles. Elle doit s'ouvrir à toutes les aspirations de la société civile et aux questions de fond. Si cette chance historique était manquée, l'immense mouvement n'aurait servi à rien.
14:01 Publié dans Histoire, Idées, La crise, Social, Société | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : loi taubira, mouvements sociaux
Commentaires
QUESTIONS DE FOND
> oh oui, s'ouvrir aux questions de fond. Et pas à des réflexes UMP ou FN idiots.
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Écrit par : romaine / | 27/04/2013
NON REDUCTIBLE
> J'allais réagir en lisant le début de l'analyse de Pascal Perrineau, mais je vois, cher Patrice, que vous avez opportunément montré plus bas que le le dernier "mouvement social" qu'est le "Manif pour tous" est d'un tout autre ordre, non réductible à d'autres mouvements car portant un message anthropologique de la plus haute importance car il touche l'avenir de la société. Le pauvre Pascal Perrineau est à côté de la plaque...
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Écrit par : Michel de Guibert / | 27/04/2013
REVOLUTION CULTURELLE
> Si effectivement le mouvement anti-loi Taubira n'a rien d'un "Mai 68 de droite", il est au-delà à de tout clivage traditionnel, et je vous rejoins dans le non-sens de cette formule, il n'en demeure pas moins une prise de conscience qui n'en est qu'à ses débuts avec une mobilisation massive dont les motifs auront un impact lourd de conséquence à long terme. Il s'appuie sur une anthropologie forte, remarquable outil conceptuel
Il s'agit d'un reversement culturel profond qui met l'Homme au cœur des préoccupations et refuse avec une énergie forte toutes les dérives du monde occidental dans son nihilisme, sa déstructuration, son individualisme, sa course effrénée pour le seul profit et son mépris des plus fragiles.
Oui il s'agit bien d'une révolution culturelle dont on ne mesure pas, loin de là, toutes les conséquences.
Alkbert E
[ PP à AE - Oui, le mouvement est tendanciellement cela : c'est sa logique interne et sa raison d'être ; mais inconscientes. Il faut l'aider à en devenir conscient. Et, pour cela, à se libérer des vieux réflexes et des approximations liées à certains milieux ! Mais la réalité finit nécessairement par s'imposer. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Albert E / | 27/04/2013
BOULOT
> "Et, pour cela, à se libérer des vieux réflexes et des approximations liées à certains milieux" ? Il y a encore bcp de boulot, quand on voit maintenant des groupes ultra-tradis inviter comme orateurs les managers d'entreprises de com' ultralibérales (qui ont des budgets pour les purs croisés de la chrétienté).
Grosse manip dans l'air.
Pour l'opération Retour de Sarko on recrute.
"Avis aux jeunes gens
amateurs de gloire et d'argent
engagez-vous à Sarko Infanterie"
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Écrit par : brisebleu / | 27/04/2013
SONNONS
> Allo Maman bobo - Les Bobos font la Loi - T'obeiras à Tobira ?!
A la loi qui ment , ment !!! Un enfant a droit à un Père , à une Mère ... et à une bonne Terre , pour nourrir sa famille . Sonnons la reconquête de cette terre qu'il va falloir soigner ! Sainte Hildegarde inspirez nous !
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Écrit par : escargolibri / | 27/04/2013
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