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06/04/2013

L'écologie est une aide à la pédagogie

Le texte de mon intervention au séminaire d'enseignants auquel je participais les 3 et 4 avril :

écologie,enseignement



La pédagogie consiste, non pas (comme on l'entend dire oficiellement à gauche et à droite) à « arracher » l'enfant à son milieu naturel, mais à aider, patiemment, l'enfant à se construire en se libérant de ses pulsions : la pulsion du passage à l'acte (faire tout de suite tout ce qui passe par la tête, ce qui mène à la violence), la pulsion de boulimie (de téléphonie mobile ou de barres chocolatées), la pulsion d'évasion dans le virtuel (internet), la pulsion mimétique (des questions de vêtements aux réflexes de groupe), etc.

Toutes ces pulsions sont entretenues, exacerbées, par une tyrannie extérieure qui enveloppe l'enfant et l'adolescent : ce qu'on appelle le « marketing des comportements », la pression permanente, enveloppante, de la publicité commerciale sur la vie quotidienne de chacun et surtout du plus vulnérable : le jeune, auxquels le discours commercial ambiant répète : « tu es le centre du monde, seul compte ton point de vue. » Par ailleurs, le domaine du virtuel le plonge à la fois dans un univers d'instantanéité – un culte de l'impatience – et dans l'absence des valeurs : aucun repère, donc aucune conscience critique, car dans le monde de la consommation il n'y a ni bien ni mal.

Ce formatage du jeune consommateur est le contraire d'une pédagogie. Et il est, aujourd'hui, le concurrent et l'adversaire du pédagogue : un adversaire beaucoup plus puissant que le pédagogue... Les enseignants et les parents expérimentent ça tous les jours.

Maintenant, voici le noeud stratégique de notre sujet.

Cette exploitation-dégradation du mental par le commercial est l'aspect « humain » (si j'ose dire) du système économique, qui, par ailleurs, exploite-dégrade l'environnement naturel.

Ce système instrumentalise la nature et instrumentalise les populations, pour la même raison : vendre toujours plus pour produire toujours plus, sachant que le dogme de notre économie est l'idée de croissance constante – comme si les chiffres de l'économie pouvaient augmenter sans limite, alors que les ressources naturelles sont par définition limitées.

Ainsi, on s'acharne à arracher de la nature jusqu'à la dernière goutte du pétrole et jusqu'au dernier gramme des métaux rares sans lesquels l'économie moderne s'arrêtera.

De même, on s'acharne à injecter chez les humains (dans le « grand public ») des désirs inédits de plus en plus artificiels, pour ouvrir sans cesse de nouveaux marchés de comportements : surenchère que l'on retrouve jusque dans le domaine des moeurs, par une sorte d'extension abusive du marketing.

 

Mais ce problème indique, de lui-même, sa solution. Une solution pour la pédagogie...

 

L'enfant, en effet (et à plus forte raison l'adolescent) n'est pas toujours sensible aux appels à se distancier de soi et à se libérer des influences : le pédagogue a souvent du mal à lui faire « voir » ce qui ne va pas dans son comportement.

À l'inverse, l'enfant visualise bien les sujets d'écologie.

Une marée noire, c'est spectaculaire, sa cause est facile à identifier, et le système économique qui est derrière la cause peut être expliqué à l'enfant de façon imagée mais exacte. Une marée noire est un incident assez rare ? Mais on trouve sans arrêt dans l'actualité, hélas, analysés sur l'internet et dans beaucoup de publications, d'autres problèmes écologiques significatifs.

Les débats d'aujourd'hui fournissent d'innombrables exemples capables de nourrir des discussions passionnées avec les enfants et les adolescents (je parle d'expérience). Pour les enfants : doit-on fabriquer un enfant sans père ? doit-on nourrir des herbivores avec des farines animales ? doit-on transférer un gène de poisson dans une fraise ? Pour les adolescents : la terre est-elle un support neutre destiné à être dopé par des engrais artificiels, ou est-elle un milieu vivant, « une effervescence de micro-organismes dont la plante peut disposer avec ses racines » ? Faut-il fabriquer un enfant dans un utérus artificiel ? Peut-on fabriquer un enfant à partir de gamètes issus de deux parents du même sexe, de façon à ce qu'il soit biologiquement issu de chacun de ses deux parents du même sexe, comme cela est déjà possible avec des souris ? Et si tout ça est autorisé par la loi, dans quel genre de monde allons-nous vivre demain ? Etc.

Maintenant voilà le point central, sous l'angle qui est le nôtre dans ces deux journées de travail.

Etudier avec les enfants et les adolescents ces problèmes d'écologie, naturelle et humaine, met en action des ressorts psychologiques qui sont, justement ceux que la pédagogie veut éveiller. (Je parle ici de « pédagogie » et non « d'enseignement », parce que les parents sont concernés : l'école seule ne peut pas faire de miracles si les familles ne coopèrent pas).

La pédagogie vise à faire naître chez l'enfant la vertu humaine par excellence, qui est le sens de la responsabilité et l'aptitude à se fixer des limites.

Or la responsabilité et le sens des limites, c'est exactement la démarche écologique.

Je parle de l'écologie authentique : celle qui n'oppose pas la nature à l'homme, comme le voudraient quelques idéologues, ni l'homme à la nature, comme le voudraient quelques sophistes qui jouent sur les mots. L'écologie authentique situe l'homme à sa place dans la nature : l'homme membre de la nature mais responsable d'elle, ainsi que le récit de la Création au livre de la Genèse nous le dit clairement, quand Dieu crée l'homme à partir du limon de la terre puis lui confie le soin de « nommer » chaque espèce animale : c'est-à-dire de prendre en charge la biodiversité.

Ainsi :

1. L'homme est membre de la nature. Comme le reste de la création il est une créature limitée, et il doit le reconnaître, donc ne pas se laisser aller au vertige de l'illimité qui le déshumaniserait tout en blessant la nature. Cette idée est facile à expliquer aux enfants. (Peut-être un peu moins aux adolescents).

2. L'homme est responsable de la nature : il doit la « garder », comme dit le pape François, et la faire fructifier, comme un jardinier son jardin. On ne cultive pas un jardin en exploitant le sol à coups de produits chimiques qui le rendront stérile, en croyant lui arracher ainsi une production folle, toujours en augmentation. On cultive un jardin en travaillant « avec » la nature, et non pas « contre » elle. Ceci aussi est facile à expliquer...

Membre de la nature, responsable de la nature, l'homme peut ainsi savoir ce qu'il est et comment vivre en harmonie avec l'environnement, le « biotope », qui lui est confié.

L'homme est agent de l'écosystème général. Il doit en tirer le meilleur parti sans le dérégler, et pour cela il doit :

a) connaître les lois de l'écosystème (c'est la science écologique) ;

b) se fixer des limites, pour ne pas rendre inhabitable la planète qu'il lèguera aux générations futures.

Cette idée de « générations futures », à laquelle l'adolescent ne pense pas facilement, l'enfant y est sensible si on la lui explique bien. (L'enfant se pose des questions graves que l'adolescent ne se pose plus).

Et cette perspective des « enfants de demain et d'après-demain » aide l'enfant d'aujourd'hui, d'une part, à se décentrer de lui-même, démarche d'autoconstruction ; d'autre part, à acquérir la notion de la durée, notion vitale mais étrangère à la société de consommation actuelle ; enfin, à acquérir le sens de la responsabilité. Faire voir à l'enfant qu'il doit devenir libre, qu'il doit donc devenir responsable (responsable parce que libre), et que cette responsabilité s'exerce en faveur des humains si elle s'exerce en faveur de l'environnement : en découvrant ça, l'enfant découvre que tout est lié, ce qui donne à la fois le sens de l'humilité et le sens de la responsabilité.

On mesure ainsi tout ce que les sujets écologiques peuvent apporter à la mission éducative.

Ajoutons que l'écologie (authentique) est une science, et que les sciences sont le dernier obstacle au développement d'un relativisme total : danger qui menace « de dissoudre toute valeur universelle et en particulier la notion de vérité » comme disait le physicien Jacques Treiner il y a quinze ans. Danger auquel les adolescents sont particulièrement vulnérables, étant exposés en permanence au culte commercial de la subjectivité selon lequel 2+2 font 5 « si c'est mon opinion ».

Ajoutons encore que l'écologie est née aux antipodes du mythe darwinien du struggle for life, la lutte de tous contre tous. Elle voit la biosphère (les êtres vivants et leur support physique) non comme une arène où s'entretuer, mais comme une communauté de destin. La biosphère est un système doté d'une autorégulation, à laquelle devraient coopérer tous ses habitants pour en tirer le meilleur parti. C'est tout le contraire d'un jeu vidéo où l'on détruit tout ce qui bouge... Ainsi l'écologie peut aider les jeunes à se libérer de la fascination négative du virtuel, et à s'ouvrir aux appels de la réalité.

L'homme d'aujourd'hui ne sait plus qui il est, mais il peut le redécouvrir en se découvrant responsable de la Terre, notre maison commune. Responsabilité énorme et paradoxale, dans une époque d'angoisse et de faiblesse des individus ; mais son énormité même a quelque chose de tonique, et même d'héroïque : un message d'une énergie à réveiller les morts – et même à réveiller les élèves !

 

Commentaires

> Je diffuse largement le lien !
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Écrit par : Pierre Huet / | 06/04/2013

L'ECOLOGIE INTEGRALE NOUS EDIFIE INTERIEUREMENT

> Merci pour cet article magnifique. Oui, l'écologie intégrale - c'est-à-dire une écologie autant de l'homme que du reste de la nature, bien loin de l'opposition mortifère "écologie humaine contre écologie de l'environnement-sous-entendu-sans-l'homme" construit l'homme, "l'édifie intérieurement" comme dirait Hildegarde, et le pousse vers le haut, la dignité, le respect, la responsabilité, la conscience d'une communauté de destins.
Elle est à même de combattre la pulsion de mort du cycle emballé consommation-production-création de désirs-shoot de plaisir-consommation...
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Écrit par : Phylloscopus / | 06/04/2013

DESINTOXICATION MENTALE

> L'intoxication imaginaire et idéologique à haute dose, au service du règne des pulsions consuméristes boulimiques : "la fabrique de l'homme-cochon" comme dit le dernier numéro de La Décroissance. Les chemins de notre désintoxication mentale par l'émerveillement devant le beau et le vrai, face à ce qui nous dépasse infiniment et se dérobe à notre volonté de maîtrise.
Comment une écologie de l'homme pourrait-elle faire l'impasse sur ces questions qui touchent au symbolique, alors que la symbolisation est ce qui fait la spécificité de l'homme? Merci Patrice de contribuer à cette réflexion vitale pour le devenir de l'homme.
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Écrit par : Serge Lellouche / | 06/04/2013

D'UN DIRECTEUR D'ECOLE PUBLIQUE

> Enseignant, directeur d'école (publique) et membre du groupe académique "Education au Développement Durable" de mon département, je souscris totalement à ce texte qui remet bien les choses à leur place. La semaine de classe est de 24 heures (plus 1 heure d'aide personnalisée pour des élèves en difficulté) pour un temps hebdomadaire de 24 x 7 = 168 heures. C'est dire combien l'enseignant qui veut donner du sens à son travail et transmettre des valeurs à ses élèves ressemble souvent à Don Quichotte dont l'idéalisme se fracasse sur les réalités de notre monde... La priorité (que j'ai fait inscrire au règlement intérieur de mon école et que les parents ont signé) est la nécessaire cohérence éducative de tous les adultes (parents, enseignants) exerçant auprès des enfants, dans les propos tenus comme dans les attitudes encouragées. Il y va de la bonne santé psychique des plus jeunes. Je mesure chaque jour le délitement d'un consensus minimum sur ce qui nous fait vivre ensemble. Bien souvent, il nous reste l'esprit d'enfance si bien décrit par Georges Bernanos pour nous faire croire à notre mission d'éducateur.
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Écrit par : Pierre / | 07/04/2013

ANALYSE

> Heureux de découvrir ce texte ! Ce fut un plaisir également de se rencontrer (enfin) à Tours (sur ce, je retourne à la préparation de mon cours d'analyse de publicité pour mes élèves de 3e)
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Écrit par : Ren' / | 07/04/2013

A SUIVRE

> Merci pour ce texte. j'aimerais une suite qui approfondisse l'articulation vers l'espérance que vous laissez entrevoir en fin de texte.
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Écrit par : LeBigDuc / | 08/04/2013

ENSEIGNANTS

> Très bon article!
J'ai récemment écrit un livre pour les enseignants qui va dans votre sens, et que j'ai décidé de diffuser qu'il puisse toucher plus de personnes. Il correspond à 5 ans de recherches au Canada sur l'enseignement des sciences, et comment parler de la nature autrement:
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http://mageetabeille.blogspot.ca/

Merci pour tout!

Écrit par : beatrice / | 12/06/2014

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