Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/02/2013

"Merci, Très Saint Père"

Benoît XVI avait donné un signe au début de son pontificat, en déposant son pallium sur la tombe de Célestin V : le pape qui avait renoncé en 1294. Ci-dessous le message de l'abbé Bruno Le Pivain, directeur de la revue Kephas et curé de la cathédrale d'Angers :



Angers, le 11 février 2013, fête de Notre-Dame de Lourdes

Chers amis,

Comme vous, c’est avec stupeur que j’ai appris à midi l’annonce de la démission de notre bien-aimé Saint-Père Benoît XVI. Stupeur non sur le fait lui-même, qu’il avait d’ailleurs clairement envisagé dans son livre d’entretiens Lumière du monde, mais sur sa soudaineté, ou plus encore sur sa mise en œuvre, parce qu’entre l’idée et sa réalisation, il y avait un pas que la pratique de l’Eglise ne nous rendait pas facilement envisageable. (En deuxième lecture, c’est prudentiellement génial).

Pardonnez-moi : il y a huit ans, presque jour pour jour, j’avais passé une heure avec lui pour évoquer Kephas (il avait quitté sa retraite de Carême pour consacrer ce moment gratuit), revue qui a vu le jour parce qu’il l’avait souhaité (je garde toujours la lettre qu’il m’avait envoyé à ce propos) et dont il n’avait pas cessé de suivre le fil, jusqu’à s’excuser, lors d’une rencontre en avril 2010, de n’avoir plus suffisamment le temps de la lire... Il parlait de se retirer en Bavière après la mort de Jean-Paul II, de son livre sur Jésus, de l’Eglise, il s’intéressait à la France… Et deux mois après il devenait Benoît XVI, « humble serviteur dans la vigne du Seigneur », lui qui avait demandé par trois fois à Jean-Paul II de renoncer à sa lourde charge de Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Rapidement, le monde allait découvrir un homme totalement différent des caricatures ignorantes ou calomnieuses qu’on pensait intelligent de produire ici ou là. La vérité dérange souvent, c’est vrai. Que dire de son entrée aux Bernardins ?...

L’acte qu’il vient de poser dit qui il est, en même temps qu’il nous projette au cœur du mystère de l’Eglise, en pleine Année de la foi, et donne une leçon au monde entier.

C’est un acte d’une souveraine humilité, d’une immense liberté, d’une vérité sans faille. Jamais je n’ai vu fondues ensemble dans le même visage et si visiblement ces vertus essentielles, enveloppées dans une charité sans bornes et rayonnantes d’une joie si communicative et missionnaire. Les trois - liberté, humilité, vérité - sont d’ailleurs indissociables. C’est son sens passionné et inconditionnel de la vérité qui nourrit son humilité. C’est son humilité sereine qui le rend ouvert à « toute vérité, dite par qui que ce soit », selon l’expression de saint Thomas d’Aquin, reprise par le Bx Jean-Paul II dans Fides et ratio, encyclique majeure très travaillée par le Cardinal Ratzinger. C’est cette obéissance permanente à la réalité qui lui permet de nourrir la transparence d’une conscience dégagée de tout formalisme, de toute pression, pour vivre dans une liberté sans aucun frein, si ce n’est l’orientation continuelle à la vérité et à l’amour, à l’unité qui est sa Passion... comme le Christ.

On lui a souvent reproché de ne pas savoir communiquer, peut-être aussi parce qu’on ne prenait pas le soin de le comprendre (cf Ratisbonne ou le voyage en Afrique - les Africains, eux, avaient très bien compris). Du point de vue de la communication, cet acte est magistral ; il laisse pantois tous nos spécialistes, ceux de l’intérieur, les « vaticanistes » prétendument au courant des choses essentielles (ils oublient juste une donnée, le Saint-Esprit, sans lequel on ne sait rien de l’Eglise), ou ceux de l’extérieur, qui en seront pour leurs frais en matière de supputations sur la vieillesse du pape, ses défaillances, les luttes d’influences etc. ; aujourd’hui, il faut faire des copies, occuper le terrain, alors qu’il est déjà loin devant. Pour quelques semaines, c’est l’Eglise qui va occuper le devant de la scène, même si nous devrons subir les commentaires plus ou moins fielleux, ou ceux qui se prennent au sérieux en expliquant les secrets que personne ne sait (eux non plus, d’ailleurs), et le visage qu’elle va montrer sera celui de la réalité ; les médias autorisés n’auront pas eu le temps de préparer une autre chanson, même s’ils vont se rattraper : c’est lui qui donne le « la ». La leçon même donnée aux gouvernants, à tous ceux qui exercent une responsabilité dans la société ou l’Eglise est sans appel, mais elle est aussi débonnaire : c’est tout lui, doux et ferme. « N’ayez pas peur », avait dit Jean-Paul II, qui ne faisait que reprendre l’Ecriture, où Dieu, à chacune de ses apparitions, par la voix d’un ange ou d’un prophète, redit la même chose. Benoît XVI avait ajouté : « N’ayez pas peur du Christ, il n’enlève rien, il donne tout. »

Cet enseignant si précis et lumineux, cet ami si attentif, ce père si doux, ferme et souriant ne se contente pas des paroles qui, dans l’un et l’autre cas, ne suffisent pas ; à l’image du Christ dont il est le vicaire fidèle, il n’y a pas de distance entre ce qu’il dit, ce qu’il est et ce qu’il vit. C’est donc avec le même sourire radieux et confiant qu’il vient tous nous bousculer, de façon que cette Année de la foi ne soit pas seulement une joyeuse promenade pour vérifier les acquis supposés ou faire sa BA obligée, mais une immersion, par la grande porte du mystère de l’Eglise qui le rend présent, dans le Christ mort et ressuscité, Celui dont nous nous apprêtons à suivre les traces en ce temps de Carême. Deo gratias !

Malgré la si profonde vénération que je nourris pour lui, le bouleversement que cela représente pour moi comme pour chacun, je ne pense pas avoir été triste ou inquiet un seul instant : ce qu’il fait est bon et vrai, et bien fait. C’est plutôt une immense action de grâce pour l’Eglise du Verbe incarné, Lumière parmi les nations dans le Christ, dont le visage resplendissant brille en ce moment sur un monde si défiguré. Tout à l’heure, une journaliste de Famille chrétienne me demandait ce que je retenais de plus essentiel dans ce pontificat. Pour ma part, cela ne fait pas le moindre doute, et se résume en une formule de celui qui fut finalement le maître de Joseph Ratzinger, saint Augustin : « Gaudium de veritate ». J’ai souvent eu l’occasion de le redire : donnez-moi une semaine du pontificat de Benoît où il n’est pas question de la joie, vous gagnez un voyage pour Rio. Et continuez en explorant son œuvre depuis 60 ans : vous serez peut-être surpris. Je vous laisse ici un article paru dans Kephas au moment de son élection (n° 17). A vous de le prolonger et d’en tirer les conséquences. Il y a eu le Bx Jean-Paul II, pape de la sainte miséricorde, comme l’avait si bien illustré Benoît XVI lui-même lors du premier anniversaire liturgique de son entrée dans la Vie, le dimanche de la miséricorde, 23 avril 2006 : « Le mystère de l'amour miséricordieux de Dieu est placé au centre du Pontificat de mon vénéré prédécesseur. Rappelons, en particulier, l'Encyclique Dives in misericordia, de 1980, et la consécration du nouveau sanctuaire de la Divine Miséricorde à Cracovie, en 2002. Les paroles qu'il prononça en cette dernière occasion ont été comme une synthèse de son Magistère, soulignant que le culte de la miséricorde divine n'est pas une dévotion secondaire, mais fait partie intégrante de la foi et de la prière du chrétien. » Il y a maintenant Benoît XVI, le pape de la Joie véritable, qui est aussi une « synthèse de son Magistère »… N’est-ce pas ce qui manque le plus à notre monde, la joie du salut ? Pour la suite, la Providence veille, nulle crainte.

Depuis midi, les questions et les demandes viennent sans cesse. Elles disent votre amour du Christ et de l’Eglise… Vous avez raison : où iriez-vous, quand il a les promesses de la vie éternelle ? Aujourd’hui, l’Eglise resplendit de la grâce de l’Epouse. Dans deux semaines, l’homme le plus connu du monde entier, celui qui a rassemblé les foules les plus considérables (qui était à Cuatros Ventos lors de l’orage aux JMJ… Moment de grâce si exceptionnel !) va se retirer dans la prière solitaire jusqu’à la fin de sa vie, au cœur de l’Eglise, dans ce couvent voulu par le Bx Jean-Paul II pour prier pour la mission du Saint-Père. C’est tout, et ce n’est pas rien.

Pour tout cela, nous le remercions. Mais notre action de grâces va vers le Seigneur des Seigneur, le Roi des rois, il y a quelques jours célébré dans la pauvreté de la crèche, bientôt célébré dans l’humiliation de la Croix, puisque c’est à Lui seul que veut nous conduire notre si bien-aimé Benoit XVI : le Christ, unique Sauveur de l’homme. Le reste est littérature.

Sauf qu’en France, l’on se souviendra que c’est en la fête de Notre-Dame de Lourdes que Benoît XVI a choisi de convoquer ce consistoire - à l’étonnement des habitués, puisque c’est jour férié à Rome - pour délivrer cette annonce - en latin, of course - et que cela arrive sous son étoile, l’Epouse de l’Esprit Saint, lui qui va éclairer et guider les cardinaux bientôt réunis en conclave, de sorte que la promesse du Christ - « les portes de l’enfer… » - résonne paisiblement dans un monde désorienté.

« A qui irions-nous ? » Demeurons et continuons, pour l’Eglise, pour le monde, pour ceux qui suivent.

Merci, Très Saint-Père.

 

                                                            Bruno le Pivain

 

 

09:23 | Lien permanent | Tags : benoît xvi