Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/11/2012

"Nous ne prenons pas notre parti de voir un conformisme social abolir les progrès de tant de siècles pour le respect des plus faibles"

...déclare le cardinal Vingt-Trois à la messe de Lourdes :

cefnewogoettexte2[1].jpeg


 ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DES ÉVÊQUES

 messe du dimanche 4 novembre 2012 à Lourdes (Hautes-Pyrénées)

 homélie du cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris

 et président de la Conférence des évêques de France

 

 

Vivre de la foi

 

<< Le Seigneur Jésus Christ est entré à Jérusalem* pour la dernière étape de son ministère public. Il enseignait dans le Temple et des scribes, et des pharisiens, venaient lui poser des questions. Certains souhaitaient le mettre à l’épreuve, d’autres cherchaient à approfondir ce qu’ils savaient de son enseignement. L’Évangile de Marc ne nous dit pas dans laquelle de ces catégories se situait le scribe qui l’interrogeait, mais la manière dont il répond à Jésus et la conclusion du dialogue, indiquent que sa remarque était judicieuse et qu’il n’était « pas loin du Royaume ».

Le scribe cherche ce qui est l’essentiel de la foi : le premier commandement. Certains courants du judaïsme contemporains de Jésus, pour être sûrs de leur justice, multipliaient les commandements à l’infini et finissaient par transformer la loi, donnée par Dieu, comme signe de libération en un carcan insupportable, même pour leur propre conduite. Nous avons facilement tendance à condamner cet excès de légalisme. Même si nous oublions trop souvent que ce risque nous guette, nous aussi. La recherche continuelle de ce qui est imposé ou interdit, l’appel à des règles minutieuses, peuvent devenir le symptôme de notre crainte ou de notre incapacité à affronter le risque de la liberté. Un code de la route, même si on ne le respecte pas toujours, est moins exigeant pour notre liberté que la vertu de prudence qui nous incombe.

En cette Année de la foi, nous sommes invités à revenir à l’essentiel de notre foi en Dieu : notre foi en un Dieu Père, révélé par le Christ, son Fils unique, et habitant le coeur des croyants par le don de l’Esprit.

Bien souvent on nous pose une question analogue à celle du scribe : qu’est-ce que c’est d’être chrétien ? Or, comme le scribe, nos questionneurs ont déjà des éléments de réponse : être chrétien, c’est croire en Dieu et servir notre prochain. Nos difficultés commencent quand nous essayons d’exprimer les conséquences de ce double commandement que nous pressentons si exigeant.

Le christianisme apparaît à certains comme un carcan trop lourd à porter, surtout dans une civilisation dominée par la satisfaction des désirs individuels. De quel droit Dieu viendrait-il se mêler de notre vie particulière ? Bien entendu, cette objection exprime en elle-même sa contradiction. Si Dieu est Dieu comment pourrait-on lui contester le droit de s’occuper de nous ? Mais notre difficulté principale ne vient pas de cette contradiction. Elle vient de notre répugnance à accepter qu’il y ait des règles de vie et que ces règles soient ordonnées au bien de l’homme. Nous adhérons avec une certaine satisfaction à une religion de l’amour, mais nous acceptons difficilement les conséquences d’un amour total, « jusqu’à l’extrême », pour reprendre l’expression de Jésus.

Notre tentation de nous satisfaire de bons sentiments sans en supporter le poids, n’est pas seulement un travers des chrétiens. Elle se retrouve chez tous les croyants et même chez les incroyants. Comment vivre en société sans reconnaître qu’il y a certaines règles de comportement qui dépassent les désirs individuels et qui s’imposent à tous, non par moralisme ou aveuglement, mais simplement par un exercice de notre jugement à la lumière de la sagesse humaine et de notre conscience ? Comment ériger en règle générale, voire absolue, ce que chacun désire ou expérimente et ce qu’il veut faire reconnaître comme une règle commune par tous ?

Quand l’Église fait appel à la conscience humaine, elle ne cherche pas à imposer une conception particulière de l’existence. Elle renvoie à ce que notre civilisation a déchiffré du sens de la vie humaine et des impératifs du respect de la dignité personnelle de chacun. Les dix Commandements comme les évangiles ont été des éléments décisifs de ce long travail. Notre foi et notre sagesse chrétiennes ont joué un rôle important dans cette prise de conscience commune, mais elles n’ont pas été les seules. Les sages d’autres religions y ont aussi contribué, comme les humanistes de toutes les époques. Au nom de quelle sagesse, subitement surgie des désirs particuliers à notre pays et à notre temps, devrait-on rejeter ces acquis de l’humanité ? Faut-il comprendre que l’humanité ne peut progresser qu’en rejetant ses acquis et son histoire ? Quand ces impératifs de la conscience humaine sont contestés et rejetés jusque dans des lois qui définissent les conditions du vivre ensemble, nous ne pouvons pas nous taire.

Quand nous défendons le droit des enfants à se construire en référence à celui et à celle qui leur ont donné la vie, nous ne défendons pas une position particulière. Nous reconnaissons ce qu’expriment les pratiques et les sagesses de tous les peuples depuis la nuit des temps et ce que confirment bien des spécialistes modernes.

Quand nous rejetons l’idée que quelqu’un soit habilité légalement à disposer de la vie de son semblable, quels que soit son âge et son état de santé, nous ne défendons pas une position particulière. Nous rappelons simplement que la vie en société suppose que l’interdit du meurtre soit un des fondements de la confiance mutuelle.

La grandeur de la liberté humaine nous appelle à maîtriser nos comportements en ne cédant pas à tous les désirs.

Notre foi chrétienne ne fonde pas notre ambition sur nos capacités, mais sur l’amour absolu de Dieu qui nous a été révélé dans le Christ. Cette certitude nourrit notre conviction que les êtres humains sont capables de choisir ce qui est le meilleur, non pour satisfaire les souhaits de chacun, mais pour le bien de tous.

Nous ne prenons pas notre parti de voir un conformisme social abolir les progrès de tant de siècles pour le respect des plus faibles.

En cette année de la foi, c’est ainsi que nous pouvons aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toute notre force et notre prochain comme nous-mêmes. Que Dieu nous donne la force d’être fidèles à ces deux commandements dans tous les domaines de notre vie personnelle et de notre vie sociale. >>

 

_________

* évangile de ce 31e dimanche du temps ordinaire, année B.

 

 

Commentaires

D'OÙ VIENT CE CONFORMISME SOCIAL

> Le cardinal désigne le "conformisme social" comme la cause d'évolutions que le bon sens devrait rejeter. Le conformisme social actuel est une machine de guerre contre le bon sens,
c'est-à-dire contre les réalités : il "faut" combattre les réalités parce qu'il "faut" satisfaire toutes
les pulsions fantasmatiques. S'il "faut" satisfaire celles-ci, c'est parce que le pulsionnel (favoriser - voire susciter - TOUTES les pulsions) est le nerf du système économique, dans une société consumériste devenant "totalitaire" puisqu'elle prétend marchandiser la TOTALITE de ce que l'on peut faire faire à l'être humain*. Aucune critique des "nouvelles moeurs" (par exemple) ne tient debout sans critique du système économique qui les suscite et les impose : d'où l'expression "libéral-libertaire" forgée pour désigner ce conformisme social...

* et de ce qu'on peut faire de lui, y compris post mortem.
______

Écrit par : PP / | 04/11/2012

BEL EXEMPLE

> Christine Delphy offre un bel exemple de refus du réel :
« Pour nous, féministes radicales qui revendiquons une démarche matérialiste, nous sommes arrivées à la conclusion temporaire, après des années de réflexion, qu'il faut pour comprendre le patriarcat remettre en question l'idéologie patriarcale d'une façon radicale : rejeter tous ses présupposés, jusque et y compris ceux qui n'apparaissent pas comme tels mais comme des catégories fournies par le réel lui-même, par exemple les catégories de "femmes" et "d'hommes" » ( « L'ennemi principal, II : 'Penser le genre' », Paris, Éditions Syllepse, p. 230).
Sous-jacente à sa démarche, on trouve l'idée qu'il y aurait une ligne de démarcation nette entre le biologique et le social.
______

Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 04/11/2012

REPORTAGE

> En complément au commentaire de Blaise, je me permets de renvoyer à nouveau à ce reportage
http://www.youtube.com/watch?v=KQ2xrnyH2wQ
Ca démarre un peu lentement, mais ça vaut vraiment la peine d'être vu, surtout les dernières séquences, quand les théoriciens du "genre" se trouvent confrontés à leurs contradictions et montrent leur vrai visage, pas fort différent à mon sens de celui des obscurantistes de tous poils (créationnistes etc ...).
Il paraît que depuis, le gouvernement norvégien (pays pourtant le plus égalitariste au monde) a cessé de subsidier les centres de recherche sur le "gender".
______

Écrit par : luc2 / | 04/11/2012

INODORE

> Ce conformisme social ambiant , "libéral-libertaire" , n'a plus l'odeur politique de la gauche ou de la droite , il est inodore , comme l'argent qu'il sert ! Mais, comme le rappelle notre cher cardinal , notre incapacité à affronter le risque de notre liberté nous inflige des excès de légalisme avec des casse-tête d'alinéas à n'en plus finir ... Puissions nous cesser de vouloir satisfaire les souhaits de chacun et nous recentrer sur le bien de tous. Nous avons perdu un peu le sens de la gauche et de la droite, très bien , soyons des catholiques ambidextres (le coeur à gauche et le foie à droite qd même svp on ne change pas une équipe qui gagne). Et surtout, ne perdons pas le nord.
Mon ambition terrestre post mortem serait déjà de pouvoir apporter une contribution correcte au compostage local . Mais si un de mes os peut aider quelqu'un... Qu'il se serve.
______

Écrit par : escargolibri / | 04/11/2012

LA CLÉ DU CONFORMISME

> Entendu ce matin dans une méditation (je n'ai pas retenu le nom de son auteur) le rappel que pour aimer son prochain comme soi-même, il faut s'aimer, si on ne sait pas s'aimer, on dérive vers l'envie et l'aigreur. C'est peut-être la clé ou une clé de ce conformisme qu'on veut nous imposer. Le milieu dirigeant occidental moderne qui s'est habitué à tout maîtriser ne s'aime pas dans les limites que lui impose sa propre nature et ne particulier le fait "qu'homme et femme Il les créa". Le mal est d'origine spirituelle avant de provenir d'un système économique.
Si le libéralisme économique est le véhicule actuel de l'esprit libertaire, celui-ci en a eu d'autre dans le passé, il peut en avoir d'autres à l'avenir.
______

Écrit par : Pierre Huet | 04/11/2012

@ Pierre Huet

> Vous dites que « le libéralisme économique est le véhicule actuel de l'esprit libertaire ». Je n'en suis pas si convaincu... Mon analyse est plutôt que le libéralisme "économique" et le libéralisme "culturel" sont aujourd'hui en interaction constante et non hiérarchisée. C'est toute la complexité du phénomène, qui vient brouiller les frontières traditionnelles. Après tout, l'anticonsumériste Ivan Illich était lui-même un libéral dans la lignée de l'utilitarisme benthamien (voir sa critique de l'école et l'espèce de "marché" des connaissances qu'il voulait lui substituer – et l’analyse qu’en propose Marcel Gauchet : http://www.collegedesbernardins.fr/index.php/rencontres-a-debats/audio/seminaires.html?audio_category=seminaires&mode=detail&audio_id=97).
Vous devriez lire Jean-Claude Michéa; je me contente de le résumer.
______

Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 04/11/2012

LES 'GENDER STUDIES' ET L'ULTRALIBERALISME

> La notion de "genre" est en libre circulation depuis les années 1960 ; mais il a fallu attendre 1995 pour que le Saint-Siège, à travers sa diplomatie et quelques congrégations, marque sa réticence. Entre-temps, Judith Butler a publié son fameux livre "Trouble dans le genre" (1990), véritable machine de guerre contre le féminisme, et qui a fait prendre aux recherches sur le genre une orientation nouvelle, caractérisée par la pensée "queer". Alors que dans les années 80, les "gender studies" s’intéressaient aux « rapports sociaux de sexe », – autrement dit à l’expression sociale et hiérarchisée de cette différence – dans les années 1990-2000, de nombreux chercheurs adeptes de Butler, se sont appliqués à critiquer la sexualité "normée" et jusqu’à la dualité mâle/femelle.
L’historienne Michelle Perrot, qui appartient à la vieille école (l’histoire des femmes et l’étude des rapports sociaux de sexe), remarquait dans un colloque que la notion de « genre », même si elle l’utilisait, n’était pas satisfaisante ; et qu’elle ne voyait pas d’inconvénient à ce qu’elle soit remplacée par un concept plus pertinent. C’est qu’aujourd’hui cohabitent les deux tendances (féministes et post-féministes), qui sont profondément différentes, ne serait-ce que par leur rigueur intellectuelle.
Il est intéressant de noter que les "gender studies" ont connu leur mutation "post-structuraliste" justement dans les années 90, au moment même où l'ultra-libéralisme triomphait un peu partout.
______

Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 04/11/2012

@ Blaise Join-Lambert

> Le libéralisme économique véhicule de l'esprit libertaire, oui car celui-ci en a eu d'autres: pour autant que je sache, les systèmes socialistes n'ont pas été à la traîne pour promouvoir "les nouvelles moeurs". La convergence vers le système libéral-libertaire actuel s'est faite suite au discrédit qui a progressivement entaché le bloc socialiste et au ralliement des soixante-huitards au capitalisme.
______

Écrit par : Pierre Huet / | 05/11/2012

1968, 2012 ET LE CAPITALISME

> On ne peut pas parler du "ralliement des 68arts au capitalisme" (cf.PH). Beaucoup de mouvements en 68 se sont élevés pour dénoncer une société matérialiste et consumériste et les injustices sociales, tout un système lié au capitalisme (et autres totalitarismes). Si certains personnages "en vue" se sont compromis par la suite, rien d'étonnant, la manipulation et la récupération vont bon train ! Bien sûr la libération sexuelle était souhaitée par l'ensemble de la jeunesse, l'avortement clandestin faisait des dégâts importants et la répression policière également ...
Les labos pharmaceutiques du système ont inventés la pilule ! Génial ! ça calme, ça rapporte, tant pis si ça esquinte ... business is business .
Tout semble rentrer dans l'ordre, mais en fait un désordre encore plus profond s'installe de nouveau, on n'arrête pas le progrès (il se casse la gueule tout seul?), mais jusqu'à quand cette course folle ? Bon, allez, à chaque jour suffit sa peine (j'adore ces vieux poncifs), cette loi pourrie ne passera pas , sous le masque de l'ouverture et de la générosité , elle cache le calcul de tirer parti encore d'un plus grand désordre social et moral ! Tenez bon ! Prions mes frères !
Tenez bon.
______

Écrit par : escargolibri / | 06/11/2012

Les commentaires sont fermés.