21/10/2012
" Ecologie : le Ciel a les pieds sur terre "
par Serge Lellouche, pour la Fraternité des chrétiens indignés :
« La semence, c'est la Parole de Dieu » (Luc 8, 11)
L'Eglise parle de l'écologie. Les textes du magistère abordant la question se multiplient, la théologie de la création est en plein renouveau et la conscience chrétienne est en pleine mutation à cet égard. Certes, on en parle dans les paroisses, dans les homélies, dans les revues chrétiennes. La question est indiscutablement présente dans les esprits et on est sorti de l'indifférence. Patrice de Plunkett a récemment dessiné les contours de ce renouveau, largement insufflé par Jean-Paul II et Benoît XVI, relayés par les évêques, prêtres et laïcs. [1]
L'Incarnation réconcilie le Ciel et la terre
Pour autant, on peut dire cela clairement tout en faisant sereinement le constat parallèle d'un malaise chrétien sur la question écologique : comme une difficulté à se situer, comme si nous étions entre deux eaux, à la fois en plein questionnement et pourtant encore tributaires de blocages ou de confusions persistantes qui nous empêchent d'assumer pleinement ce tournant spirituel et tout ce qu'il implique d'une transformation radicale de notre regard posé sur le monde, y compris sur le plan politique.
Il me semble que ce blocage s'ancre dans la force d'une représentation mentale continuant d'opposer « le Ciel » à la « la terre », et l'homme à la nature. La conscience chrétienne reste encore largement imprégnée par un dualisme figé, issu d'une modernité fonctionnant sur des couples d'opposition, dont il s'agit aujourd'hui de rétablir les liens : Ciel/terre, homme/nature, foi/raison, etc...
Elles nous détournent de l'inscription terrienne de notre foi, de la reconnaissance des signes du Créateur au cœur du vivant terrien, et du plein émerveillement mystique face à une nature révélée dans sa profondeur et sa source céleste.
Ces mises en opposition nous coupent une fois encore d'un des fondements de la foi chrétienne : l'incarnation de Dieu dans la poussière de la vie terrestre, dans laquelle le Créateur nous a façonnés : « A la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu'à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise. » (Genèse 3, 19).
L'Incarnation ne supprime certainement pas la dualité de l'ordre du ciel et de celui de la terre, du Créateur et de la créature, mais elle rétablit leur lien dans le Christ, dans sa double nature divine et humaine, selon cette hypostase par laquelle le Verbe s'unit à une chair, dont par son humiliation est récapitulé et sauvé l'ensemble de la création.
« Je suis le pain vivant descendu du Ciel» (Jean 6, 51). Le Christ est le Ciel incarné qui s'immerge dans les eaux du Jourdain, qui s'agenouille dans la poussière pour laver les pieds des poussiéreux, qui sème la vie. Il nous ouvre les chemins du Ciel en nous ramenant les pieds sur terre. Il est le semeur qui nous réenracine dans la parole de Dieu (Luc 8, 11).
Dans la boue, il nous guérit de notre aveuglement : « Ayant dit cela, il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, enduisit avec cette boue les yeux de l'aveugle et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » - ce qui veut dire : Envoyé. L'aveugle s'en alla donc et revint en voyant clair. » (Jean 9, 6-8).
L'avant-goût terrestre et l'illumination du chemin de salut vers les trésors du ciel éternel, nous sont donnés dans notre absorption en cet humus dans lequel le Christ nous restitue à notre humanité participant de la vie divine, et dans notre humble consentement à reconnaître notre vraie et seule grandeur dans le divin fruit de notre rabaissement dans la poussière de la vie. Humus, humilité, humanité...
Les chrétiens des temps nouveaux prieront le ciel les mains et les genoux dans la boue.
Les tréfonds de l'inconscient humain sont pourtant marqués du sceau de la peur angoissée face à une nature dont, plus nous approchons l'intime réalité, plus nous sommes saisis de vertige devant la béance fondamentale sur laquelle elle repose. Les physiciens nous ont révélé que l'atome, structure élémentaire de la matière, est composé à 99,99 % de vide !
Mais, dans ce que nous croyons être notre noblesse, nous persistons à refuser de nous y abaisser, de voir sans crainte cette faille vertigineuse au cœur de la nature dont nous faisons partie intégrante - faille du fond de laquelle nous demeurons sourds au « ne crains rien » de Dieu.
La peur nous tenaille : celle de nous « salir » et de nous « perdre » dans cette terre qui nous renvoie à ce vide et à notre insupportable finitude.
A cet égard, la mode de la crémation, dernière volonté de purification-désincarnation-violente par le feu, n'est pas sans trahir ce refus de retourner à la terre « humus », où notre cadavre se fait nourriture ultime. Cette pratique ne concernait en France que 0,9 % des obsèques en 1980, passant à 25 % en 2004 ! Ces chiffres en disent long sur une soudaine mutation d'un rapport à la mort dont il s'agit d'évacuer, dans une dernière panique, la perspective de notre retour à la glaise.
La peur nous fait pressentir dans le vide atomique la menace effroyable de notre annihilation ; elle nous prive de la joie du cœur émerveillé de reconnaître dans ce « vide » la plénitude de l'Esprit, l'irrépressible poussée de la Vie en Lui, du milieu de chaque atome et de chaque cellule de vie.
La guerre contre la création, ou l'idolâtrie du progrès
Par manque de foi, par peur de cette terre à laquelle nous sommes naturellement appelés à retourner par notre mort, et parce qu'elle nous renvoie à notre mort, nous la défions et la méprisons : d'abord en ayant cessé de la toucher, de la prendre dans nos mains, de l'écouter, de lui parler, contrairement à ce que font encore tant de paysans à travers le monde.
L'agro-manager de notre temps ne connaît plus rien de la terre qu'il exploite, de toute cette micro- et macro- faune qui la parcourt et la traverse, de ces abeilles qui pollinisent, de ces arbustes et fleurs sauvages, de ces petits cours d'eau, dont chacun participe à son humble place, à un ouvrage tenant à de si fins équilibres sur lequels repose la vie de son champ. Non : il le dope et le viole.
En même temps que nous la méprisons, nous nous évertuons à attaquer cette terre vivant de ses insoupçonnables subtilités : à coups de pesticides, de labours violents, de fracturations hydrauliques, de cratères miniers dynamités, de forages pétroliers assassins, de stockage dans le sous-sol terrien de déchets nucléaires qui sont bombes de mort posées à jamais sous l'humus de la vie.
Puis nous l'étouffons en recouvrant l'horizon de notre enterrement futur sous de rassurantes couches d'asphalte, et l'oublions une bonne fois pour toutes en écoutant les infos sur France Inter au volant de nos voitures lancées toujours plus vite sur les strates épaisses de notre refoulement de la mort.
Mais cela ne suffit pas. Parce que son surgissement poétique gratuit échappe à notre volonté infantile de toute-puissance, nous voulons faire de la nature notre esclave - qui nous obéirait au doigt et à l'oeil - en la réduisant à des formes standardisées, codifiées, bref contrôlables : sa cartographie génétique est la base sur laquelle s'appuie notre fantasme de la remodeler selon notre convenance utilitariste ; et le brevetage de ses gènes, celle sur laquelle nous rêvons des profits juteux que l'esclave nature pourrait nous procurer.
L'infinie diversité des semences dont les paysans ont été, depuis le néolithique, les gardiens savants et inspirés par les vents et les pluies, se trouve enfin mise en boîte dans le catalogue officiel et mortifère des semences « sûres » car jugées productives, rentables et commercialisables. En cinquante ans d'agriculture productiviste, plus de 75 % de la biodiversité agricole a été éradiquée (source FAO) et la Cour européenne de justice, sous la coupe du lobby semencier, vient de désavouer l'association Kokopelli, il est vrai coupable d'un crime grave : oeuvrer à la libération de la semence face au monopole que cherchent à s'arroger les multinationales, et préserver ce qui peut encore l'être de leur variété. [2]
« La semence, c'est la parole de Dieu ». L'enjeu agricole, économique et humain autour des semences (la préservation ou la disparition de leur foisonnante diversité, la liberté des paysans de perpétuer ou renouer avec le savoir-faire ancestral de leur culture - ou bien leur asservissement au monopole que les multinationales entendent imposer) revêt une dimension profondément biblique. Notre rapport à la semence, ce fragile concentré de vie prêt à naître, est signe de notre accueil ou de notre déni de la parole de vie du Seigneur révélée en abondance au cœur de la création. Dans le langage des évangiles, notre foi n'est-elle pas elle-même comparée à un grain de sénevé ? (Matthieu 17,20 et Luc 17,6)
Dans sa théologie de la création, saint Bonaventure parle du premier livre que Dieu a écrit dans la création, celle-ci étant à la fois l'image et le récit de l'amour de Dieu, et l'humanité étant la créature qui a reçu la grâce de lire ce livre l'appelant à l'infini respect devant toute créature, chacune d'elles étant une expression réelle et particulière de l'amour de Dieu. Le péché de l'homme a brouillé sa capacité à lire le livre de la création, son regard ayant perdu cette étincelle de l'émerveillement par laquelle le Créateur est reconnu au plus intime de la création.
Mais, par l'Incarnation, la parole de Dieu s'unit avec la chair et la matière de toutes les créatures. Le Fils vient donc non seulement pour racheter l'humanité, mais pour conduire l'ensemble de la création à la plénitude de vie. Dans la Pâque de Jésus-Christ, la nature participe au drame du Fils de Dieu rejeté et à la victoire de la Résurrection (Matthieu 27,45-51 ; 28,2). Par le Christ cosmique, l'ensemble du cosmos est sanctifié. [3]
« Puis il leur dit : Allez dans le monde, proclamez l'évangile à toute la création. » (Marc 16, 15). Ô saint François, ravive en nous la liberté de nous tourner vers les animaux et les plantes, donne-nous la joie retrouvée de les écouter et de leur parler, retourne nos cœurs dans l'émerveillement d'y reconnaître nos frères et nos soeurs.
« Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu(...)Nous le savons en effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement » (Romains 8, 19-22).
Qu'attendons-nous pour rompre avec l'indifférence dédaigneuse de l'«homme civilisé » que nous croyons être dans notre superbe, et oser nous agenouiller dans la boue, aux pieds d'un monde vivant en attente, frémissant, souffrant, pour lui annoncer le salut de Dieu ? Qu'attendons-nous pour répondre au renversant appel du Christ ressuscité, qui place l'humanité, ici et maintenant, face à sa responsabilité devant les hommes, devant toutes les créatures et l'ensemble du cosmos?
Dans le concret historique de notre temps, cela donne la mesure du drame spirituel qui se joue sous nos yeux dans cette guerre massive livrée à la terre vivante, menée sous les canons de son mépris, de son étouffement, de sa lacération, de son empoisonnement, de sa marchandisation ou de son instrumentalisation eugéniste. Cette guerre a un nom séducteur que l'on invoque en enfumant les esprits : « le progrès ».
Un contre-sens chrétien : l'écologie, « panthéisme anti-humaniste » ?
Faisons en sereinement le constat : le monde chrétien occidental a dans une part importante épousé l'idéologie du « progrès », celle d'une guerre contre la vie à laquelle Dieu s'est matériellement uni en Son Fils. Cette guerre se camoufle aussi sous les doux noms de « développement » et de «croissance». Beaucoup de chrétiens ont vu dans ce «progrès» une manifestation de l'espérance chrétienne, plus sans doute qu'ils n'y ont reconnu une blessure infligée au Christ. Une confusion s'est installée dans les esprits entre une croissance de vie en Christ et une croissance mortifère intrinsèquement guerrière.
Il est temps de briser l'idole du « progrès » qui va avec celle de la « réaction », et de revivifier notre foi dans le réel de la terre vivante. Mais nous ne voulons pas nous salir et nous avons trouvé la parade efficace servant d'alibi à la préservation de notre âme et de notre corps pur : ce serait là, rendre un culte païen aux « dieux de la nature », se complaît-on à croire.
Oui, cette confusion mentale demeure bien présente : le Ciel c'est « notre truc » à nous les chrétiens, alors que la terre, c'est un truc un peu vulgaire de païens adorateurs de la terre-mère Gaïa et adeptes de philosophies immanentes à consonances new age.
Ils sont quand même récurrents, ces discours théologiques qui, mettant à juste titre les chrétiens en garde face à la tentation panthéiste de notre temps, contribuent ainsi parfois à entretenir dans les esprits cette opposition Ciel/Terre : non pas du fait de cette mise en garde pleinement justifiée, mais du fait qu'elle ne soit pas articulée à une nouvelle intelligence de la foi par laquelle serait éveillée notre perception de l'altérité de Dieu dans le foisonnant frémissement de la vie terrestre dans toutes ses manifestations.
De la même façon, ces discours «contre une certaine écologie» rappellent à juste titre le caractère central de l'homme dans le projet créateur, mais contribuent à la confusion quand cette proclamation de la primauté de l'homme n'est pas articulée à une intelligence de son lien fondamental à l'ensemble du monde vivant - dont l'homme sous le regard de Dieu est appelé à être le gardien et le protecteur bienveillant, car incarnant lui-même son plein aboutissement.
Dit autrement : les esprits chrétiens sont encore imprégnés par l'idée, erronée, selon laquelle la centralité de l'homme dans la création induirait un droit divin qui lui serait accordé d'exercer sur la nature sa puissance de domination par sa surexploitation productiviste et son objectivation techno-scientifique. Déjà, sous la monarchie de droit divin, les jardins « à la française » sur le modèle versaillais traduisaient cette volonté acharnée de transformer la nature en scène de théâtre, tyrannie géométrique où tout est calcul savant, au service de l’unique spectateur-inquisiteur, Louis XIV, qui observe à loisir tous ses courtisans sans qu’aucun ne puisse se dérober à son regard de monarque soupçonneux, traumatisé par la Fronde… quand Dieu lui-même, dans la Genèse, fait le Paradis terrestre de manière à ce que l’homme puisse s’y dérober à son regard, lorsque le poids de la honte le fera se cacher !
Le rappel à la centralité de l'homme au sein du monde vivant, indiscutable du point de vue de la cosmologie chrétienne, sert pourtant souvent d'inavouable prétexte dans lequel sa centralité est confondue avec sa toute-puissance prométhéenne. Selon Nicole Echivard, dans un récent ouvrage marquant, ce tragique contre-sens s'est opéré au cœur d'un XVIIe siècle au cours duquel l'alliance de Dieu et des hommes se brise. Bossuet écrit un hymne au génie créatif de l'homme, qui se voit chef de l'univers et de la création, s'attribue le pouvoir de domination sur elle, faisant fi de la royauté universelle du Christ. [4]
Il y a encore chez beaucoup de catholiques, une forme d'admiration face au spectacle du déploiement de force techno-industriel, devant la croissance toujours plus monstrueuse de la méga-machinerie productiviste, bien souvent identifiée de façon infantile à « notre grandeur nationale ». La glorieuse industrie nucléaire française (notre fierté à tous, n'est-ce pas ?) : un jour béni viendra où nous découvrirons la grandeur de la France dans le consentement d'une nation suffisament adulte et confiante pour renoncer enfin à cette folie destructrice solidement tenue par les secrets et les mensonges d'Etat. La France sera ce jour-là vivant signe du Ciel auprès des nations.
Sympathique utopie de doux rêveurs, ou force de notre foi revivifiée, irrésistiblement attirée vers l'horizon de l'inconnu providentiel ?
La centralité de l'homme, n'hésitons pas même à dire sa supériorité sur le reste du monde vivant, du point de vue de la foi chrétienne, induit en effet une sensibilité et une attitude exactement inverse, puisée au coeur du mystère de l'amour trinitaire : son renoncement à toute domination sur le vivant et son divin désir de le servir, de le travailler avec mesure et respect, de le contempler dans l'émerveillement et de louer en lui le don de vie du Seigneur. L'homme ne peut être co-jardinier de la création que, et seulement, dans l'humilité du Christ : sans quoi il sombre dans la toute-puissance.
Prendre au sérieux cette vocation humaine et particulièrement chrétienne au cœur de la création, induit un désir ardent d'une nouvelle civilisation, par une transformation radicale du système économique réencastré dans une anthropologie du don et de la gratuité, elle même réarticulée et subordonnée au mystère trinitaire.
Ces discours peuvent parfois apparaître d'autant plus suspects que la critique théologique d'un certain panthéisme, et d'une certaine anthropophobie, servent souvent d'alibi à la critique d'une écologie dont on se complaît à identifier la radicalité subversive à ses supposées dérives malthusiennes et anthropophobes : ce qui traduit une ignorance de l'écologie, voir une malhonnêteté intellectuelle pleine d'arrière-pensées politiques bien conformes.
Il est affligeant de lire sur des sites ou blogs chrétiens ce mépris affiché à l'égard des décroissants, automatiquement identifiés à des sectaires utopistes ou à des « ayatollahs verts », afin de mieux se détourner du chemin de sobriété fraternelle sur lequel ils nous précèdent et qu'ils nous invitent à arpenter.
Caricaturer l'écologie jusqu'à l'extrême en voulant y voir un « gauchisme vert », un anti-humanisme militant ou un néo-paganisme plus ou moins ésotérique, s'acharner à se polariser sur les dérives qui peuvent traverser certaines de ses franges en insinuant qu'elles sont l'écologie dans son ensemble, est le plus sûr moyen de refuser de reconnaître dans l'écologie (au sens plein et d'abord humain) le grand signe des temps qui se présente à nous, chrétiens.
Levons également toute ambiguïté sur ce point : le renouveau de notre foi chrétienne vécue dans notre ancrage terrien, donc aussi dans le retour au réel de la vie locale, n'a rigoureusement rien à voir avec l'idolâtrie identitaire, partout en plein essor. Ce serait un contre-sens fatal.
Le ré-enracinement terreux de la foi n'est pas un repli défensif et peureux dans une communauté culturelle unie dans un sang « pur » mythifié, ni un retour à un « âge d'or » fantasmé . Il est redécouverte, dans le Christ, de cette fraternité universelle partagée dans notre commune pauvreté avec nos frères aux quatre coins de la terre.
Ces postures défensives et frileuses freinent l'élan de vie chrétien : elles nous retiennent d'être à notre tour signes évangélisateurs vers le mouvement écologiste dans son ensemble. Ne sommes-nous pas appelés à témoigner du Christ et à l'imiter dans sa relation à l'humanité, par la conversion radicale de notre relation à la nature, qui passe par la conversion radicale de la relation entre les hommes? Le Tout-Puissant, créateur de toute chose, s'est abaissé dans le Christ jusqu'au lavement de nos pieds, dans le renoncement absolu à toute gloire et à tout pouvoir terrestre.
N'est-ce pas le moment pour les hommes de devenir enfin adultes, de renoncer à leur sentiment de toute-puissance conquérante, et à leur tour de rendre les armes devant une nature enfin accueillie et aimée pour ce qu'elle est ?
Hymne à la création, la poétique vulnérabilité du vivant
Méditons ce que Benoît XVI disait prophétiquement aux Allemands il y a plus d'un an : « La raison positiviste, qui se présente de façon exclusiviste et n’est pas en mesure de percevoir quelque chose au-delà de ce qui est fonctionnel, ressemble à des édifices de béton armé sans fenêtres, où nous nous donnons le climat et la lumière tout seuls et nous ne voulons plus recevoir ces deux choses du vaste monde de Dieu (...) Il faut ouvrir à nouveau tout grand les fenêtres, nous devons voir de nouveau l’étendue du monde, le ciel et la terre et apprendre à utiliser tout celade façon juste (…) Je dirais que l’apparition du mouvement écologique dans la politique allemande à partir des années soixante-dix, bien que n’ayant peut-être pas ouvert tout grand les fenêtres, a toutefois été et demeure un cri qui aspire à l’air frais, un cri qui ne peut pas être ignoré ni mis de côté parce qu’on y entrevoit trop d’irrationalité. Des personnes jeunes s’étaient rendu compte quelque chose ne va pas dans nos relations à la nature ; que la matière n’est pas seulement un matériel pour notre faire, mais que la terre elle-même porte en elle sa propre dignité et que nous devons suivre ses indications (…) Il existe aussi une écologie de l’homme.L’homme aussi possède une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté. L’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée de soi. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est aussi nature, et sa volonté est juste quand il écoute la nature, la respecte et quand il s’accepte lui-même pour ce qu’il est, et qu’il accepte qu’il ne s’est pas créé de soi. C’est justement ainsi et seulement ainsi que se réalise la véritable liberté humaine. » [5].
A la lumière de notre foi, il n'y a plus d'opposition entre la sensibilité aux questions sociales, éthiques ou environnementales. La protection de la vie de l'embryon, du fœtus humain, de l'enfant en pleine croissance, de tout adulte dans sa part de vulnérabilité, du vieillard agonisant aux portes de la Vie, relève du même désir ardent que d'être les bienveillants protecteurs et serviteurs émerveillés de l'ensemble d'un monde vivant dont le déploiement aussi fragile qu'irrépressible, aussi discret que majestueux, est partout un cri du cœur du Créateur assoiffé d'être accueilli par nous en son fils Jésus-Christ.
L'idéologie du progrès, qui identifie le processus de civilisation à un arrachement continu et inéluctable de l'homme à son assise terrestre (à la part viscéralement instinctive et animale qui l'habite, à l'incommensurable ontogénèse qui le relie à l'ensemble du monde vivant), butera d'une façon ou d'une autre sur le réel qui se rappellera à elle. Le mensonge du progrès, partout se fissure.
La redécouverte de leur continuité n'exclut précisément pas la nette différenciation et la franche hiérarchisation du vivant végétal, animal et humain. Seuls les semeurs de confusions professionnels, qui fantasment secrètement l'avènement d'un transhumain tout-puissant définitivement dénaturé dans sa nano-biochimico-numérico-mutation, s'empresseront de pointer dans cette miraculeuse réconciliation une « indifférenciation », un « retour en arrière », un « obscurantisme », une « régression fusionnelle » et une dépréciation « biocentrique » de la valeur de l'homme - quant elle est restitution par grâce de sa dignité d'humble gardien de la création de Dieu.
« La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant » [6], porteur de l'ensemble du monde vivant non seulement par inscription biologique, mais plus profondément que tout par inscription mystique de cette vie de la création pleinement achevée en lui dans le Fils incarné.
Le temps est venu de nous agenouiller et de faire silence face à la splendeur vibrante de la création, et, à la suite de sainte Hildegarde de Bingen, de nous laisser saisir par sa poésie mystique et d'entendre réellement en elle la grande symphonie de l'Esprit.
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(1) Dans L'Osservatore Romano du 23 septembre : http://plunkett.hautetfort.com/archive/2012/09/22/l-osservatore-romano-signale-la-montee-du-sens-ecologique-c.html
Voir aussi le site de Mahaut, « réflexions d'une catholique sur l'écologie » : http://visiblesetinvisibles.org/
(2) Kokopelli : http://kokopelli-semences.fr/
(3) Romains 8, 18-22.
(3) La théologie de la création de Saint Bonaventure : http://sfp-healing.org/fr/conversations/franciscain/73-la-teologia-della-creazione-di-san-bonaventura.html
(4) Nicole Echivard, Vert comme l'Espérance ; plaidoyer chrétien pour l'écologie, Editions Médiaspaul, 2012. Ecouter l'auteur ici : http://radionotredame.net/vie-de-leglise/nicole-echivard-vert-comme-lesperance-plaidoyer-chretien-pour-lecologie/
(5) Benoît XVI, Discours devant le Bundestag, Septembre 2011 : http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2011/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20110922_reichstag-berlin_fr.html
(6) "Car la gloire de Dieu, c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme, c'est la vue de Dieu. Si la révélation de Dieu par la création donne la vie à tout être vivant sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Verbe donne-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu!" (Irénée de Lyon, Contre les hérésies, IV,20,7 - Cerf 1984).
12:53 Publié dans Chrétiens indignés, Ecologie, Idées, Planète chrétienne, Social, Société, Témoignage évangélique | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : écologie, chrétiens indignés
Commentaires
NAISSANCE DE LA THEOLOGIE CHRETIENNE, SENS DE LA CREATION, DIMENSION COSMIQUE DONC ECOLOGIE
> "Si les Ecritures anciennes, gouvernées par l'esprit de prophétie, regardaient toujours vers l'avenir, les Nouvelles résumaient, dans la parousie du Christ, le message suprême du Salut et invitaient à l'approfondir selon les tout nouveaux paramètres inspirés des Apôtres. Il suffira désormais d'analyser, à l'aide des deux Testaments, les origines lointaines (divines) et proches (humaines) de Jésus pour remonter au dogme trinitaire et entrevoir les interactions des Trois dans la création du monde et de l'homme. La dimension divine du Nazaréen l'engage dans (l'existence et) l'efficacité des Trois par rapport à la création et, surtout, à la constitution, au destin et au parcours de l'homme... "
" La lumière du second Adam ouvrira la voie à l'Economie linéaire qui résume la conduite de l'homme depuis sa première et humble épiphanie - de la glaise du sol - jusqu'à sa glorieuse exaltation anticipée dans la gloire de Jésus..."
(Antonio Orbe s.j., 'Introduction à la théologie des IIe et IIIe siècles', Cerf 2012).
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Écrit par : PP / | 21/10/2012
MANAGERS ?
> Bonjour, mes colocataires sont en école d'agro et me certifient que les agro-managers connaissent les détails les plus modestes de la terre qu'ils cultivent. "Ils font de plus en plus gaffe à la terre maintenant. De toutes façons toutes les nouvelles tendances de l'agro c'est dans le renouvelable et tout donc heu c'est pas... je réfléchis à la suite de ma phrase, ne me presse pas, je suis comme une mémé c'est le temps que ça vienne".
Bien à vous,
Isaac Laurenty
[ De PP à IL - Dans ce cas, le terme "managers" ne convient plus (et heureusement...) : c'est toute la perspective qui change ! ]
réponse au commentaire
Écrit par : Laurenty / | 21/10/2012
> Ceci dit votre réflexion est très intéressante, merci pour cet article.
[ De PP à IL - Serge et moi sommes heureux que le texte soulève des débats ! ]
réponse au commentaire
Écrit par : Isaac / | 21/10/2012
SUBLIMATION COOL
> Sur la crémation : l'opération dure normalement entre 90 minutes et deux heures, d'autant plus que, contrairement à ce qui se passe dans d'autres cultures, où les cendres comportent des fragments d'os reconnaissables, la crémation occidentale suppose un broyage intégral des restes après passage au four.
Encore trop long ? Une nouvelle technique commence apparemment à se développer, la sublimation à l'hydrogène :
http://www.memoiredesvies.com/sublimatorium-florian-leclerc
Et ça dure un quart d'heure ! Cool, non ?
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Écrit par : Feld / | 21/10/2012
L'HOMME ET LA TERRE
> Merci cher Serge pour cet article!
Il me remet face à ce fait, souvent observé, depuis le train ou la voiture, où défilent les paysages: un homme, seul, au milieu d'un champ, immobile, ou marchant très lentement,le regard penché sur le sol. Oui c'est toujours un homme, toujours seul, et ce mystère de ce qui se vit alors (probablement le paysan venu humer sa terre, pour en sonder les fécondités à venir?) me fascine. Il y a là quelque chose qui m'échappe, et j'aime ce qui échappe!, d'une communion pluri-millénaire entre l'homme qui ensemence et la terre féconde, comme un angélus payen, dans le recueillement de la nature où se dilate à l'infini le regard contemplatif. Oui merci Serge de nous réouvrir au mystère profond de notre vocation première, et plus spécifiquement celle de l'homme-masculin, de semeur patient et amoureux, attentif aux signes de la nature, signes malheureusement imperceptibles à notre monde en vacarme et en rupture de transmission (connaître théoriquement,en agro-manager, cela est très bien, mais cela ne remplace pas ces gestes comme prendre la terre entre ses doigts puissants de travailleur manuel, et l'effriter pour y lire la récolte prochaine, le regard scrutant l'horizon où se dessinent les fumées des hameaux). Merci, au travers le rappel de notre vocation naturelle, plus particulièrement celle du pater familias, d'en montrer l'accomplissement à venir dans notre vocation surnaturelle, accomplissement déjà, définitivement, pleinement réalisé dans la personne du Christ, Verbe divin incarné au creux de notre humanité terrienne.
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Écrit par : Anne Josnin / | 22/10/2012
POUR LE SITE PÈLERIN
> je cherchais depuis longtemps un texte résumant la vision catholique de la question pour le site du "pélé pour la nouvelle évangélisation de la France", c'est parfait !
Un pélé, c'est marcher sur terre pour penser au Ciel.
Sans Dieu, l'écologie est du matérialisme.
Désireuse de remplacer Dieu, l'écologie est de l'animisme.
Avec Dieu, l'écologie est un tremplin du monde sensible vers le spirituel.
Sans Dieu, pas de Père donc pas de fraternité humaine mais de l'individualisme.
Désireux de remplacer Dieu, l'amour de son pays est du nationalisme.
Avec Dieu l'amour de son pays est une application de l'amour du prochain, tremplin vers les autres peuples.
merci Serge
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Écrit par : zorglub / | 22/10/2012
DEUX AUTRES REFUS
J'ai oublié le poison des "anges de lumière" :
- Refusant Dieu-créateur, l'écologie sombre dans l'idolâtrie de la nature, deep ecology etc où l'homme pour le salut éternel duquel Jésus s'est sacrifié (!) est inférieur aux animaux, végétaux, minéraux.
- Refusant Dieu-Père donc la fraternité humaine de ses enfants, on a un vague humanisme auto-déclaré prétendant ne pas avoir besoin ni de Dieu ni de son Eglise car se disant meilleur qu'eux et en fait dépendant de nos affections et aversions : l'humanisme à usage du copain seulement.
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Écrit par : zorglub / | 22/10/2012
@ Isaac Laurenty,
> Merci de votre lecture. Les multinationales savent faire en effet, pour afficher leur « souci d'une agriculture durable » sur leurs sites internet. Pour le reste je me permets de vous conseiller ce livre qui ma beaucoup marqué, de Claude et Lydia Bourguignon, « Le sol, la terre et les champs», dans lequel ils décrivent le monde agricole à travers ce monde largement inconnu, foisonnant d'une vie multiforme, qu'est le monde des sols...
@ Feld,
glouuups...sans façon merci :)
@ Anne,
La question du rapport de l'homme-masculin à la terre féconde est plus qu'intéressante en effet, sans aucun doute même un révélateur du rapport de l'homme à la femme, et de cette haine obscure contre ce mystère de vie dont la femme, plus que toute autre créature, est porteuse en son corps et par intuition (quoi qu'en pensent les prêtresses du gender).
L'agriculture productiviste et l'agroécologie, deux modes de rapports à la terre, sont sûrement révélateurs de deux modes opposés du rapport de l'homme à la femme.
Ta description de l'homme seul face aux mystères de la terre féconde m'évoque cette merveille de film en dessins (« l'homme qui plantait des arbres », d'après Giono). L'histoire de terres arides et esseulées, réenchantées par la patience de l'homme-semeur...
http://www.dailymotion.com/video/xsmqib_l-homme-qui-plantait-des-arbres_webcam
@ Zorglub,
Ce que vous dites me fait plaisir, merci.
L'écologie sans Dieu, c'est l'idolâtrie de la nature. Sans conteste, d'accord avec vous. En même temps, il serait intéressant de se demander ce que veut dire « avec ou sans Dieu ». L'Esprit de Dieu souffle bien souvent là où on ne l'attend pas, vous en conviendrez, je n'en doute pas.
Il est peut-être de très nombreux écologistes, athées militants (donc a priori « sans Dieu »), porteurs du ron-ron habituel contre le pape, l'Eglise et les bondieuseries, dont la conversion à l'écologie et un regard d'émerveillement sur la nature, ait pu être le fruit en eux d'un travail de la grâce de Dieu. Travail partiel, inachevé, qui peut-être attend le relais d'une rencontre humaine par laquelle il peut-être abouti jusqu'à la reconnaissance du Dieu créateur, du Fils de Dieu et de son Eglise.
Et dans l'autre sens, il y a peut-être des catholiques (donc a priori « avec Dieu ») entretenant des liens étroits avec l'industrie agro-alimentaire assassine, et regardant de haut ce qu'ils préfèrent appeler avec condescendance "la nostalgie des fleurs sauvages de nos champs" (comme dirait l'autre), plutôt que de reconnaître dans ces fleurs sauvages une expression réelle de la poésie de Dieu dans sa création.
Les voies du Seigneur sont impénétrables...
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Écrit par : Serge Lellouche / | 23/10/2012
> Quel jour ? que je puisse le retrouver...
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Écrit par : à IL / | 10/09/2014
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