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06/10/2012

Catholiques de gauche et "crise de l'Eglise"

Les fantômes des eighties rôdent dans les journaux :

 


Qui se souvient de la Fondation Saint-Simon ? Dans les années 1980-90, cette institution joua un rôle important et néfaste. Blindée d'intellectuels et de journalistes people*, avançant sous le masque de la « pensée anti-totalitaire », cette fondation fut (pour la France) le creuset de la pensée unique libérale où droite et gauche allaient fusionner. Elle déployait beaucoup d'apparences théoriciennes pour voiler une réalité prosaïque : la société de marché et son corollaire, le délitement hyper-individualiste, proclamé loi du postmoderne.

Dans ces années-là j'avais suivi un séminaire de la Fondation Saint-Simon sur les questions religieuses, animé par Jean-Louis Schlegel.

Celui-ci publie aujourd'hui un livre intitulé À la gauche du Christ, et qui se présente comme un survol de l'histoire des chrétiens de gauche en France depuis 1950. Rendant compte de cet ouvrage, Bernadette Sauvaget (Libération 7/09) écrit :

« Les Trente Glorieuses sont "une fabrique des chrétiens de la gauche de terrain". "C'est le moment historique où le modèle du catholique cesse d'être le "fidèle", le ''paroissien qui va à la messe" ; "désormais, le militant, celui qui s'engage dans le monde au nom de sa foi, tient le haut du pavé", écrit Schlegel […] Au même moment, l'Eglise catholique lance sa réforme interne, le concile Vatican II» Puis une rupture s'est produite. « Au milieu des années 70, le catholicisme s'effondre dans l'Hexagone. La faute aux chrétiens de gauche, qui font, depuis une dizaine d'années, l'objet d'une sorte de procès interne ? Pour les franges conservatrices qui ont le vent en poupe, ce christianisme social, progressiste et engagé porterait, par ses compromissions avec le monde, la responsabilité de la ''déchristianisation'' de la France. »

Cette description est celle de la vulgate médiatique, mais elle appelle beaucoup de correctifs.

Qu'appelle-t-on en effet les « franges conservatrices » ? Une connaissance élémentaire du monde catholique oblige à distinguer entre :

a) les esprits attachés à « conserver » le noyau de la foi en Jésus-Christ homme/Dieu rédempteur : foi qui libère de l'allégeance aux opinions et coutumes séculières ;

b) les esprits voulant « conserver », au contraire, un trouble mélange d' « identité catholique » et d'opinions (de milieu, de parti) ou de coutumes séculières.

- Les esprits du groupe b accusent bel et bien les chrétiens de gauche de 1970 d'avoir sabordé le catholicisme. Mais ce reproche est trouble, étant pollué par des opinions séculières discutables. On peut trouver bouffon que des catholiques de droite en 2012 reprochent rétrospectivement aux chrétiens de gauche leur « compromission avec le monde », puisque ces mêmes catholiques de droite, étant libéraux, se compromettent aujourd'hui avec le système économique inique qui domine le monde ! (et dont le Magistère ne cesse de demander la réforme). Et ces esprits du groupe b se soucient de politique partisane, non d'évangélisation.

- En revanche, les esprits du groupe a ont certaines raisons authentiques de reprocher à des « chrétiens de gauche » d'avoir subordonné l'évangile à leurs opinions politiques. Mais ils peuvent faire le même reproche aux « catholiques de droite », tout aussi incapables que ceux de gauche de se libérer de leurs préjugés séculiers. On sait que cette subordination empêche d'évangéliser : personne n'aurait envie de se convertir à la religion d'un amateur de licenciements boursiers ; hier personne n'avait envie de se convertir à la religion d'un avocat du guévarisme fusilleur.

Reprenons la lecture de Libération : « À Rome, sous le pontificat de Jean-Paul II et sous celui de Benoît XVI, l'heure est à la restauration et à l'examen critique de Vatican II. Par effet balancier, retour donc à l'identitaire, à une visibilité forte, à une idéologie du "petit troupeau d'élus", affichant une contre-culture de minoritaires, prêt à batailler pour défendre ses valeurs. »

J'espère que Bernadette Sauvaget n'adhère pas à ce topo schlégélien, marqué par une vétuste vision libérale datant de 1990 ! Car on ne peut pas mélanger : a) le travail collectif et magistériel de réception de Vatican II, long labeur évoluant  avec la marche de l'histoire ; b) les fantasmes de l'extrême droite catholique, qui n'a jamais accepté Vatican II et qui tente de faire croire qu'elle est l'Eglise : wir sind Kirche, comme disent ses frères ennemis « progressistes » ! Confondre culture et communautarisme, remplacer le kérygme par des « valeurs » et la foi par « l'identitaire », c'est la mentalité de la société de marché – et c'est le contraire de ce que prônent Rome et les évêques. Quant à l'idée de « petit troupeau », elle correspond à la situation de minorité qui est celle des catholiques aujourd'hui ; en déduire qu'ils se prennent pour des « élus » est un raccourci polémique sans fondement**. (Veut-on les disqualifier au point de leur dénier jusqu'au droit de s'exprimer parce qu'extérieurs à la pensée unique ultralibérale ?).

Schlegel conclut : « On peut légitimement douter que la stratégie de "restauration" puisse redonner vitalité et avenir au christianisme européen. » Ce que les libéraux disqualifient sous le nom de « restauration », c'est l'affirmation du catholicisme en tant que peuple animé par la foi surnaturelle. La haine envers la notion de peuple est consubstantielle au libéralisme, qui ne reconnaît que les pulsions individuelles. Au nom de cette haine, la construction européenne fut dénaturée pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui. Au nom de cette même haine, la pensée unique libérale combat l'Eglise catholique et parie depuis vingt ans sur sa disparition. Ce pari est perdu d'avance. Des formes obsolètes disparaîtront. Des faux-semblants s'évanouiront. L'Eglise ne disparaîtra pas. Elle ne veut aucune restauration (retour à des formes défuntes) mais une nouvelle évangélisation, un témoignage de la foi parmi une société entièrement nouvelle ; je ne peux croire que Schlegel ignore ça. Fait-il semblant ? Si oui, pourquoi ?


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* Alain Minc, Jean-Luc Lagardère, Luc Ferry, Alain Touraine, Bernard Kouchner, Jean Peyrelevade, Laurent Joffrin, Serge July, Christine Ockrent, Anne Sinclair, Jean-Pierre Elkabbach... La fondation avait patronné le grotesque Vive la crise d'Yves Montand (1983) pour influencer le grand public.

** Sur le thème biblique du « petit reste », voir la note d'hier de ce blog.


 

Commentaires

LE SOUCI

> Très bon texte ! Le souci est que ni les partisans du camp b, ni leur rivaux mimétiques "progressistes" ayant abandonné tout dogme, ni les figures people ou intellectuels du monde, ne voient l'oeuvre de l'Esprit Saint dans le monde aujourd'hui, et en particulier en France en ce qui nous concerne.
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Écrit par : ludovic / | 06/10/2012

LA GAUCHE REAGAN

> Au sujet de "Vive la crise", hymne de "gauche tendance Reagan", cf. cet article :
http://www.monde-diplomatique.fr/1999/02/RIMBERT/11635
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Écrit par : Patrick Pique / | 06/10/2012

LA VRAIE QUESTION C'EST LA FOI

> La vraie question c'est la foi. Tous ces gens l'écartent. Les catholiques de gauche des années 1970 ont tout fait pour supprimer le surnaturel et le spirituel (donc étouffer la foi) au nom du slogan absurde "le spirituel est l'ennemi du social". Les catholiques de droite chantent en latin et agitent des drapeaux ornés du Sacré-Coeur comme en 1900, mais ce qui les intéresse n'est pas la foi qui pour eux n'est que le véhicule de leurs marottes "politiques". Quant aux professionnels du socioblabla comme JL Schlegel qui racontent la même chose depuis vingt ans, leur méthode pour analyser la religion consiste à écarter le religieux : on supprime le contenu du sujet, et ensuite on disserte.
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Écrit par : Philippe Ozier / | 06/10/2012

REVOLUTION, EUROPE ETC

> La compromission avec le monde est une tentation permanente, sauf en période de persécutions, et ce n'est que trop humain. Mais il y a eu chez beaucoup quelque chose de plus subtil donc plus pervers dans les années 70-80, c'était la tentation de la Révolution: cela permettait à la fois de ne pas être du côté des puissants (du moment) ni du côté des perdants (de demain). Génial! Confort idéologique tout terrain, base d'un militantisme arrogant mais sans lendemains comme on l'a vu depuis.
Sur la construction européenne, on peut considérer les choses sous un autre angle: dès le départ axée sur les échanges économiques entre pays, elle était par nature libérale et à ce titre fortement soutenue par les Etat-Unis qui y voyaient une consolidation de leur zone d'influence. Ensuite, l'engagement de nombreux chrétiens en a fait un sujet intouchable chez nous. De nos jours, cet attachement à la construction européenne est devenu un bouclier du libéralisme. Les chrétiens sont pour l'Europe, celle-ci est libérale donc les chrétiens sont libéraux.
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Écrit par : Pierre Huet / | 06/10/2012

> Excellent ! Tout est dit. Merci.
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Écrit par : BCM / | 06/10/2012

UNIVERSEL, MONDIAL, ETC

> Excellente réflexion. Cependant, je pense que le catholicisme, en tant que structure vouée mécaniquement à l'universalisme, était apte, nolens volens, à faire le lit au libéralisme mondialiste. Bien que le libéralisme marchand soit l'exacte antithèse du message évangélique. J'aurais plus confiance dans l'expérience historique des Eglises orthodoxes, qui ont manifesté plus de résistance aux sirènes modernistes.

CB


[ De PP à CB :
1- Vous auriez raison si "universalité " signifiait "mondialisme". Mais ce n'est pas le cas !
2- Quant aux Eglises orthodoxes, leur "expérience historique" montre que la confusion entre le spirituel et l'ethnique est une redoutable faiblesse pour une Eglise : l'autocéphalie conduit au phylétisme où la religion s'enlise. C'est ce qu'explique le plus grand théologien orthodoxe occidental, Olivier Clément :
"Au 19ème siècle, le recul de l'empire ottoman et la poussée du mouvement des nationalités amènent donc la multiplication des Etats nationaux dans l'Europe du sud-est. Chaque nation revendique et établit d'autorité - sauf la Serbie qui obtint au préalable l'assentiment de Constantinople - son indépendance ecclésiastique. La politique et le nationalisme inversent l'échelle traditionnelle des valeurs : la nation n'est plus protégée et défendue par l'Eglise, c'est l'Eglise qui devient une dimension de la nation, un signe d'appartenance nationale, et qui donc doit servir l'Etat. Ainsi l'autocéphalie traditionnelle tend à se transformer en autocéphalisme à la fois absolu et homogène. Non plus interdépendance mais indépendance. Calquant le fonctionnement de l'administration ecclésiastique sur celui du pouvoir d'état. Et les évêques devenant de quasi-fonctionnaires.
L'autocéphalisme se théorise peu à peu, il affirme que le fondement de l'ecclésiologie n'est pas le principe eucharistique, mais le principe ethnique et national. L'Eglise "locale" signifie désormais l'Eglise "nationale", avec application absurde de l'analogie trinitaire, la "primauté d'honneur" devenant "l'égalité d'honneur".
Le dernier concile de la Pentarchie se tint en 1872 à Constantinople et condamna avec beaucoup de fermeté le phylétisme, c'est-à-dire le nationalisme ecclésiastique (l'Eglise bulgare, qui venait de proclamer son autocéphalie sans l'accord de Constantinople, exigeait l'établissement à Constantinople même, pour la minorité bulgare, d'un évêché ne dépendant que d'elle et donc entièrement soustrait à la juridiction de l'évêque local).
Le phylétisme, c'est-à-dire la distinction fondée sur la différence d'origine ethnique et de langue, et la revendication ou l'exercice de droits exclusifs de la part d'individus et de groupes de même pays et de même sang, peut avoir quelque fondement dans les états séculiers, mais il est étranger à notre propre ordre... Dans l'Eglise chrétienne, qui est une communion spirituelle destinée par son chef et son fondateur à com- prendre toutes les nations dans l'unique fraternité du Christ, le phylétisme est quelque chose d'étranger et de totalement incompréhensible. La formation, dans un même lieu, d'églises particulières fondées sur la race, ne recevant que les fidèles d'une même ethnie,... et dirigés par les seuls pasteurs de même race, comme le veulent les adeptes du phylétisme, est un événement sans précédent..."... Chaque Eglise ethnique cherchant ce qui lui est propre, le dogme de l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique" reçoit un coup mortel. Si les choses sont ainsi - or elles le sont - le phylétisme se trouve en contradiction manifeste avec l'esprit et l'enseignement du Christ, et s'y oppose..." (fin de la citation d'O. Clément).
3 - Il faut d'ailleurs constater que les plus affichés sympathisants extérieurs de l'orthodoxie sont souvent hostiles au christianisme, et que leur "religion" est l'ethno-différentialisme ! Il y a là un problème. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Claude Bourrinet / | 07/10/2012

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