29/09/2012
Le 'gender' contre le néolibéralisme ? imposture !
À moins que Judith Butler n'ait connu un chemin de Damas ?
Judith Butler, 56 ans, professeur de rhétorique et de littérature comparée à Berkeley, est la fondatrice de l'idéologie du gender : le "genre", concept utopique en voie de régenter le pays légal un peu partout en Occident, y compris en France aujourd'hui.
Dans plusieurs essais [1] plus autoritaires que gracieux, elle martèle que la réalité n'existe pas. Tout n'est que rôles, "construction sociale", "performance apprise et répétée" : notamment la différenciation sexuée. Rejetant la neurobiologie, la génétique et les sciences cognitives, rejetant les données de l'évolution du vivant, l'idéologie de Butler est elle-même rejetée par les scientifiques qui lui opposent la réalité des "différences dues à l'action des gènes, des hormones, voire à une organisation neuronale sexuée".[2]
Néanmoins l'utopie de Butler est en passe de conquérir une position dominante en Europe. L'individualisme narcissique imprègne le communautarisme, dont l'arme polémique consiste à dénoncer comme "phobie" tout ce qui s'oppose à ses revendications. (On ne s'étonnera pas que le terme "homophobie" ait été inventé par Butler... D'où la méfiance qu'éprouvent envers ce terme les homosexuels ne souhaitant pas être régentés par l'extrémisme LGBT). Et l'utopie gender correspond à cet individualisme narcissique qui s'est substitué à tout dans les sociétés riches – et qui est indissociable du consumérisme ainsi que de la vision ultralibérale de la société. Le gender est le stade létal du libéralisme : "je ne connais rien qu'on puisse appeler société", disait Margaret Thatcher ; à cette dissolution de la société en pulsions individuelles (qui rendra impossible le vivre-ensemble), le gender participe puissamment.
Dénoncer le gender en défendant le libéralisme est donc une absurdité. Quelques-uns à droite la commettent.
Mais dénoncer le libéralisme au nom du gender en est une autre – que commettent certains à gauche.
Notamment Butler ! Recevant le prix Adorno le 11 septembre à Francfort-sur-le-Main, elle a prononcé un discours contre le néolibéralisme : "beaucoup de populations vivent désormais sans entretenir le moindre sentiment d'un avenir assuré, sans le moindre sentiment d'une appartenance politique sur le long terme, vivant le sentiment d'une vie mutilée, lui-même partie intégrante de l'expérience quotidienne du néolibéralisme..."
Propos exact, mais qu'une personne au monde semble n'avoir pas le droit de tenir : Judith Butler, prêtresse des désappartenances, des instabilités radicales et du nominalisme extrême – attitudes boostées par le néolibéralisme dans tous les domaines de la vie sociale.
A moins qu'elle n'ait connu un chemin de Damas dont elle n'a pas jugé bon de nous prévenir ? En ce cas, son devoir est de réparer les dégâts commis par elle auparavant... et qui se déploient chez nous aujourd'hui.
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[1] Les livres de Butler (Troubles dans le genre, Le pouvoir des mots) sont écrits dans un style d'une lourdeur et d'une obscurité redoutables.
[2] Sarah Chiche, sciences-humaines.com : Y a-t-il un éternel féminin ?
PS - Je ne veux aucunement dire que les normes culturelles soient sans influence sur les modèles de comportements masculin et féminin, très variables selon les latitudes ! Je souligne juste l'artifice de la posture butlérienne, qui va jusqu'au déni de réalité. Cet artifice et ce déni sont caractéristiques de la postdémocratie occidentale. Ils n'ont cessé de progresser depuis le putsch néolibéral global des années 1990.
20:14 Publié dans Idées, La crise | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : gender, ultralibéralisme
Commentaires
TRÈS TÔT
> Cette charmante personne a-t-elle été déja parent (n°1 ou 2 peu importe), voir grand-parent n° 1,2,3 ou 4, ou plus? Non, a en juger par sa biographie. Si elle l'avait été, elle aurait remarqué chez ses enfants et petits enfants, que les attitudes, les attirances pour tel ou tel type de jouet, d'objet, de véhicule sont déjà différentes très tôt, alors que les jouets qu'on propose aux petits ne sont pas encore différenciés selon le sexe. Elle devrait sortir de ses bouquins de temps en temps et regarder le monde comme il est.
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Écrit par : Pierre Huet / | 29/09/2012
L'EXCUSE DU DENI
> "Cet artifice et ce déni sont caractéristiques de la postdémocratie occidentale. Ils n'ont cessé de progresser depuis le putsch néolibéral global des années 1990". Quand une mère met ses nouveaux-nés au congélateur, les médias disent : "elle était dans le déni de grossesse". Non seulement le déni de réalité est une explication, mais c'est devenu une excuse.
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Écrit par : Emmeline / | 30/09/2012
CONFUSION
> Ce qui est en cause ici, ce n'est pas « le » Gender, mais la philosophie propre à Judith Butler.
Le gender est un concept dont les usages et la signification peuvent varier d'un auteur à un autre. Je ne vois pas l'intérêt qu'il y a d'entretenir la confusion.
BJL
[ De PP à BJL :
- Citez-moi des théoricien(ne)s équivalent(e)s à Butler et donnant au concept d'autre acceptions que la sienne ; et veuillez nous expliquer :
a) en quoi elles ont autant d'impact que la théorie butlérienne, honorée par nos pédagogues et fêtée par des prix culturels en Europe ;
b) en quoi elles invalident le lien entre l'idéologie dominante et la théorie butlérienne. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 30/09/2012
BLESSURES
> Judith Butler, sans doute autant que Simone de Beauvoir, doit être habitée par une véritable haine d'elle-même et de sa féminité, pour à ce point la nier.
Dans quelles blessures s'enracinnent cette haine et ce déni ?
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Écrit par : Serge Lellouche / | 30/09/2012
DISTINGUO
> Que désigne-t-on exactement par « Genre »? c'est tout le problème!
Philarête, qui a consacré plusieurs billets fouillés sur la question (http://lescalier.wordpress.com/2012/03/18/une-breve-histoire-du-genre-i/), résume ainsi la difficulté à laquelle il s'est heurté :
« [...] Tout suggère au contraire que ce mot, dans son usage actuel, ne nomme qu’une apparence de concept, un pseudo-concept, ou en tous cas un concept vague, perpétuellement changeant, propre à toutes sortes d’opérations intellectuelles contradictoires et, pour le moins, dépourvu d’évidente vertu théorique. [...] »
Les "Gender studies" pourraient bien n'être qu'un grand fourre-tout dépourvu de toute unité disciplinaire avérée :
« [...] Je ne serais pas outre mesure étonné qu’une bonne enquête sociologique finisse un jour par révéler que c’est une simple convergence d’intérêts académiques qui a pu donner l’impression que toutes sortes de gens très différents travaillaient sur un même et unique objet d’enquête. [...] »
BJL
[ De PP à BJL - Qu'est-ce que ça change à la situation idéologique présente, dans laquelle la théorie butlérienne joue un rôle d'autorité ? Peaufiner les distinguo est une posture stérile. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 30/09/2012
DEBAT
> Bien sûr que le courant butlérien est aujourd'hui dominant, pour des raisons qui dépassent largement le domaine académique restreint des recherches sur le "Gender". Mais ce n'est pas suffisant pour identifier les spéculations de Butler avec un concept très souple (ou excessivement vague) qu'il appartient à chacun de redéfinir lorsqu'il en fait usage. Le "gender" n'a pas attendu Judith Butler et les déconstructivistes foucaldo-deuleuziens pour entrer en circulation; puisqu'il a fait son apparition en psychanalyse au tout début du XXe siècle.
Demain, inévitablement, la mode butléro-maniaque retombera comme un soufflé. Mais les questions de "Genre" resteront intéressantes en elles-mêmes. La pertinence qu'il y aurait à en faire une discipline autonome me paraît beaucoup moins évidente : il s'agit plutôt d'un objet transversal, au croisement de l'histoire, de l'anthropologie, de l'histoire de l'art, etc. D'ailleurs, peu importe la dénomination "Gender", dont l'utilité reste à démontrer.
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 30/09/2012
DIVERS NIVEAUX
> Ca vaut vraiment le coup de regarder ce documentaire très instructif sur Judith Butler : http://www.youtube.com/watchv=Q50nQUGiI3s&feature=related (1ère des 6 parties).
J'ai commencé à le regarder collé à mes a priori sur l'orgueil et le narcissisme de la personne avant de me laisser toucher par sa fragilité.
Au delà des réactions de rejet épidermique que l'on peut avoir face à ce type d'idéologie, ce documentaire permet avant tout de se confronter à la réalité d'une personne, de son parcours, et au-delà, celui d'une génération entière. Je pense qu'on aurait tort de s'en tenir au seul rejet sans rien entendre de la part de sensibilité que cette personne exprime au milieu de ses confusions.
Cette confrontation nous aide à prendre du recul et à comprendre dans quoi s'enracine cette révolte contre la nature féminine et masculine enfermée dans de pures constructions sociales; une révolte devenue réellement mortifère, alors que son point de départ ne l'est pas forcément, revêtant même une certaine dimension libératrice.
J'ai tilté notamment à un bref moment du documentaire, quand elle explique en effet qu'elle a grandi dans les années 60-70 au sein d'une famille juive fortement désireuse de s'intégrer aux normes de la société américaine. Cette intégration passait notamment par l'intériorisation presque caricaturale de modèles familiaux, de rôles féminins et masculins tels que la culture du cinéma hollywoodien entremêlée à l'idéal consumériste, les diffusait avec une puissante efficacité, figeant des modèles normatifs auxquels il était bien difficile d'échapper.
Il y avait franchement de quoi se révolter contre cette emprise normalisatrice aussi séduisante qu'enfermante pour la personne. Mais le drame de toute une génération, avec les conséquences que l'on vit aujourd'hui, est peut-être d'avoir confondu le rejet de ce rôle dans lequel une certaine culture conformisante a voulu cloisonné la femme, avec la profondeur de la nature féminine qui ne relève pas de la conformité à un rôle, mais de la reconnaissance d'une vocation.
SL
[ De PP à SL - Cf. ma note du 29/09 : "je ne veux aucunement dire que les normes culturelles soient sans influence sur les modèles de comportements masculin et féminin, très variables selon les latitudes ! Je souligne juste l'artifice de la posture butlérienne, qui va jusqu'au déni de réalité. Cet artifice et ce déni sont caractéristiques de la postdémocratie occidentale. Ils n'ont cessé de progresser depuis le putsch néolibéral global des années 1990."
Il faut distinguer les divers niveaux du problème ! (sans en omettre un seul, car ces niveaux divers appellent de notre part divers types de réponses simultanées : compassion envers la personne, mais analyse lucide du rôle objectif qu'elle joue - au service de l'inacceptable). ]
réponse au commentaire
Écrit par : Serge Lellouche / | 30/09/2012
FIN DU DEBAT
> La note ci-dessus, ainsi que celle du 30/09) a pour objectif de souligner la cohérence du système économico-culturel actuel, dont fait partie la norme d'indifférenciation sexuelle ;
le fer de lance de cette revendication étant l'idéologie butlérienne.
Plusieurs commentaires reçus depuis une heure (et non mis en ligne) s'écartent de ce ce sujet
et tournent au colin-maillard académique.
Pour éviter l'égarement je mets donc fin au débat, tout en rappelant ce que dit la Conférence épiscopale (note de ce blog le 29/09) sur la gravité de l'enjeu : "Pour les tenants de ce discours, il n'y aurait plus de sexes et la différence entre homme et femme ne serait que le fruit d'une culture hétérosexuelle dominante dont il conviendrait de débarrasser la société." Ne pas voir dans cette phrase une prise de position claire serait jouer sur les mots.
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Écrit par : PP / | 01/10/2012
Les commentaires sont fermés.