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27/06/2012

Saint Cyrille d'Alexandrie. Cet évêque fut-il vraiment "l'assassin de la philosophe Hypatie" ?

 histoire,christianisme,antiquité

L'agenda liturgique catholique est l'occasion d'une mise au point, pour nous vacciner contre les anachronismes :


 

La mémoire de saint Cyrille d'Alexandrie (aujourd'hui) donne l'occasion de recommander, un peu tard, le numéro de juin du magazine Histoire du christianisme. Son dossier (Le crépuscule des païens) étudie un événement devenu image d'Epinal au XIXe siècle, puis lieu commun de la sous-culture au XXIe : la lapidation de la philosophe gréco-égyptienne Hypatie, en l'an 415 à Alexandrie.

« Intelligente, jeune, belle et féministe, telle est l'Hypatie revisitée par le cinéma » et découverte par le public en 2009 à l'occasion du film Agora (dont la star anglaise, Rachel Weisz, s'était illustrée dans le genre grand-guignol : La Momie et Le retour de la Momie).

Quant aux chrétiens tels que les présente Agora, ce sont (à peu de choses près) des taliban.

Agora étant souvent diffusé à la télévision, nos contemporains sont ainsi confortés dans leur répulsion envers un christianisme nécessairement « intolérant » - puisque monothéiste.

Mais justement : tout monothéisme est-il intolérant ? le polythéisme était-il tolérant ? et qu'est-il arrivé en réalité à Alexandrie en 415 ?

C'est ce qu'explique avec une remarquable précision Marie-François Baslez, professeur à la Sorbonne et spécialiste des religions du monde gréco-romain, dans quatre articles du magazine cité plus haut : 1. Comment le christianisme a succédé au paganisme, 2. Alexandrie : les véritables acteurs d'un fait divers local, 3. Quelle place pour les élites païennes dans l'empire chrétien ?, 4. Comment le patrimoine antique a été sauvé, 5. L'Etat antique n'était ni laïque ni tolérant.

Les voies de fait de la part de chrétiens sont inadmissibles. Mais, comme l'explique Mme Baslez, les violences entre communautés (notamment les émeutes réciproques entre les très nombreux Grecs et les très nombreux Juifs) étaient endémiques à Alexandrie depuis toujours ; au IIIe siècle avant JC, Agathocleia, maîtresse du roi Ptolémée IV, avait été tuée de la même façon qu'Hypathie en 415 de notre ère. Les historiens « analysent la violence alexandrine comme un fait structurel », propre aux conditions de cette mégapole antique et non à une religion plutôt qu'à une autre.

Sur le plan historique, que vaut le film Agora ? Rien, parce qu'il fausse la perspective :

- Le film veut montrer une attaque du paganisme par le christianisme, alors que les historiens de l'Antiquité voient la mort d'Hypatie comme l'effet collatéral d'une lutte entre deux clans qui se disputaient l'autorité locale.

- Hypatie, intellectuelle sexagénaire qui ne devait pas ressembler à la pulpeuse Rachel Weisz, n'incarnait pas le « paganisme » contre le « christianisme » : l'un de ses élèves, Synésios, allait devenir évêque de Cyrène (et écrire des hymnes encore connus aujourd'hui). Elle n'était pas reconnue par les autres philosophes : les néoplatoniciens, notamment, la considéraient comme négligeable. Et elle prenait part aux affrontements politiques alexandrins, qui tournaient régulièrement à la violence de rue.

- L'affrontement de 415 n'a pas opposé « les païens » aux « chrétiens », mais deux clans politiques : des chrétiens (avec des moines venus du désert) à l'entourage du nouveau préfet impérial Oreste, devenu chrétien lui-même et entouré de nombreux chrétiens. Les troubles ont d'abord été inter-communautaires, selon le schéma habituel (entre Grecs et Juifs) ; l'évêque Cyrille s'y est trouvé impliqué ; le préfet l'a accusé de bafouer son autorité. Les violences ont redoublé. Hypatie (souligne Mme Baslez) « pouvait apparaître comme de la coterie du préfet. Faute de pouvoir s'en prendre à ce dernier, les partisans de l'évêque s'en prirent à cette femme, alors qu'elle rentrait de voyage. » Elle fut ainsi lynchée « à la mode d'Alexandrie, au terme d'une spirale de violences politiques autant que religieuses. »

- Rien ne permet de dire que l'évêque Cyrille ait été responsable de la mort d'Hypatie, survenue dans un moment de violence générale. Et absolument rien n'autorise à faire d'Hypatie « une figure du féminisme, d'un agnosticisme rationnel et de la tolérance » : anachronisme trop facile.

- Quant à la notion de tolérance, elle relève aussi de l'anachronisme : « Pluraliste, l'empire romain le fut, mais non pas tolérant. L'étude des persécutions sur la longue durée prouve que le polythéisme n'était pas une garantie de tolérance, puisque l'appartenance communautaire se fondait sur des actes rituels et sur une pratique religieuse conformiste, qui tendait à devenir obligatoire. On pourrait même lire l'histoire antique comme une marche vers l'intolérance, au fur et à mesure que l'Etat se perfectionnait. La liberté de culte n'était pas pensée en termes de choix personnel, mais définie comme un droit héréditaire et communautaire, permettant l'identification dans une famille, un lieu, un peuple. Tertullien, un juriste, fut le premier chrétien à revendiquer vers 200 la liberté comme une exigence naturelle autant qu'un droit social : l'acte rituel, dit-il, ne saurait être opérant s'il n'est librement consenti. L'impiété, c'est d'interdire aux gens le choix du rite et celui de la divinité qu'ils désirent honorer. La religion ne saurait être imposée par la violence. C'est là une nouveauté absolue, conséquence de l'universalisme chrétien : la religion n'est plus l'attribut d'un peuple, préservé par le pouvoir, mais procède d'une libre adhésion dans le cadre d'une fraternité universelle […] [A partir de 325, le christianisme étant devenu religion de l'Etat], le souci de l'unité de l'Empire l'emporta, ainsi que l'application du principe majoritaire, fondamental dans l'Antiquité. Mais la liberté de conscience demeura un acquis dans la législation de l'empire chrétien, ce qui explique la dernière floraison de philosophie païenne mystique au VIe siècle. »

 

 > A l'appui de ce qui précède, sur la Grèce du Ve siècle avant notre ère :

<< L'autorisation de l'Etat est nécessaire pour la reconnaissance juridique de toutes ces associations. Une inscription du Pirée interdit la création de thiases [confréries dionysiaques] sans la permission des démotes (membres d'un même dème). En outre, à Athènes, l'autorisation du peuple est indispensable pour l'introduction de cultes étrangers... Il suffit qu'un accusateur, désintéressé ou non, reproche à un individu ou à un groupe d'introduire des dieux étrangers ou de se réunir sans l'autorisation du peuple. Ainsi en est-il du procès de Socrate. Certes ce procès fut beaucoup plus politique que religieux, mais l'acte d'accusation porte bien comme premier grief : « parce qu'il n'honorait pas les dieux de la cité et en introduisait de nouveaux » (Xénophon, Mémorables I, 1). […] Platon, dans sa république idéale, préconise l'interdiction pure et simple de tout culte privé au profit de ceux de l'Etat : ''Que personne dans une demeure privée ne possède de sanctuaire consacré à un dieu.'' (Lois 909d-910c). Il requiert même la peine de mort pour les cas graves...>>

<< Pour les Grecs, la participation à la vie sociale passe par l'assistance aux sacrifices publics et le partage de la victime sacrificielle. Quiconque refuse cette ''communion'' s'exclut par là même de la communauté, s'offre à la réprobation des autres, se signale par son attitude jugée sacrilège...>>


(Sectes religieuses en Grèce et à Rome, M.L. Freyburger-Galland, Les Belles Lettres 1986).

 

 

 

Commentaires

> Et le brigandage d'Ephèse, quelle est au juste la responsabilité de saint Cyrille d'Alexandrie?
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 27/06/2012

ABERRATIONS DU FILM

> Pour ceux qui lisent l'anglais, le blog Armarium Magnum (cherchez ce nom-là sous Google) a fait plusieurs articles qui dissèquent le film et ses aberrations anachroniques, anti-historiques, etc. Très intéressant.
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Écrit par : Dr. Zurui / | 28/06/2012

LE PREMIER

> C'est une confusion de ma part; en fait, je pensais au 1er concile d'Ephèse (431) et non pas au second (449).
Je repose donc ma question : que faut-il penser de l'attitude de st Cyrille d'Alexandrie en la circonstance?
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 30/06/2012

WIKIPEDIA A REPONSE A TOUT

> à Blaise Join-Lambert : Wikipedia a réponse à tout

" À l'inverse des conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381) dont les questions théologiques portaient principalement sur l'unicité de Dieu Un et Trine, le concile d'Éphèse marque un tournant en définissant l'union hypostatique (non séparable) des deux natures, humaine et divine, dans la personne (une seule hypostase) du Christ. Le concile d’Éphèse est le concile de l'explicitation et de la proclamation du Christ homme et Dieu, selon la foi apostolique constante de l'Église. Cette explicitation et cette proclamation ont été rendues nécessaire face à l'émergence de l'hérésie nestorienne. Le concile d'Éphèse, 3e concile œcuménique, condamne le nestorianisme comme hérésie, et anathématise et dépose Nestorius comme hérésiarque.

L'hérésie appelée nestorianisme est donc au centre du débat. Nestorius, patriarche déposé de Constantinople, niait subtilement la doctrine apostolique (Tradition vivante de l'Église) sur l'unicité de la personne du Christ. Il considérait que, dans la personne de Jésus-Christ, il y a dissociation (dissociation hypostatique) entre le Fils coéternel au Père, d'une part, et l'homme Jésus de Nazareth d'autre part, dans lequel le Verbe divin est venu s'incarner, c'est-à-dire que Dieu serait venu « visiter », comme "un autre" résidant dans "un autre". Du fait de cette dissociation, toujours selon Nestorius, la Vierge Marie est seulement la mère de l'homme Jésus, qui, seulement de manière ultérieure a été investi par le Verbe divin. Ainsi donc, Nestorius, par des insinuations toujours subtiles et tortueuses (voir ses lettres à saint Cyrille d'Alexandrie), en vint à nier que l'on puisse appeler la Vierge Marie la « Mère de Dieu » (théotokos).[non neutre]

Saint Cyrille d'Alexandrie, Père et Docteur de l'Église, prouva dans ses réponses à Nestorius les fondements théologiques et scripturaires de l'union hypostatique dans l'unique personne de Jésus-Christ, et rédigea la position catholique dans ses fameux Douze Chapitres, mettant en demeure Nestorius, puisque preuves étaient faites de son hérésie et de son hétérodoxie, d'y souscrire. Nestorius n'y répondit pas.

Vigoureusement conduit par saint Cyrille, le concile d'Éphèse précisera et proclamera l'union hypostatique des deux natures, humaine et divine, dans Jésus-Christ, fondée sur le mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu (prenant chair de la Vierge Marie), en lui la nature humaine ayant été assumée par le Verbe Éternel dans le sein de la Vierge ("Et le Verbe s'est fait chair, et il a demeuré parmi nous", dit le Prologue du Quatrième Évangile). C'est par là même que la Vierge est appelée en vérité la Mère de Dieu, et c'est en vertu de l'union hypostatique que le concile d'Éphèse la proclama (théotokos). Le concile d’Éphèse lance l'anathème (excommunication) sur Nestorius, suivant en cela les Douze Chapitres formulés par saint Cyrille d'Alexandrie dans sa dernière lettre à Nestorius, et qui furent joints alors aux actes canoniques du concile. "
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Écrit par : Luça / | 30/06/2012

> Si j'en crois la présentation de wikipedia, le comportement de Cyrille d'Alexandrie au concile d'Ephèse n'a pas été très glorieux.
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 30/06/2012

SES DATES

> Vous écrivez qu'Hypatie était une sexagénaire pourtant n'est-elle pas née en 370 AD et morte en 415 AD à 45 ans ?

IC

[ De PP à IC - Sa date de naissance est controversée. Les derniers travaux d'historiens en font une sexagénaire, mais je n'ai pas autorité en la matière. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Ianick Charbonneau / | 19/07/2012

ROMAN

> Ayant déja courtoisement croisé le fer avec Marie-Florence Ehret, une admiratrice d'Hypatie et auteur(e ?) d'une biographie très romancée et romanesque, je lui envoie le lien vers cette note que je découvre ce jour.
PS: à ce propos, on peut aussi avoir des échanges d'idées intéressants sur Facebook, sur lequel plusieurs habitués de ce blog sont présents.
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Écrit par : Pierre Huet / | 09/08/2012

HOULA

> Premièrement j'enlèveré le préfixe et le nom de "Saint" de se dit Cyrille et je mettrais assasin ou criminel de sont époques même si il a été illuminé avec ses dires, qu'importe il est et sera toujours un assasin et criminel,
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Écrit par : R.Adams | 11/04/2013

SAINT CYRILLE

> Étonnant comment les chrétiens soient capable de nier les faits. Saint Cyrill est un criminel au même titre que les talibans. L'église romaine catholique à toujours, ou du moins les gens qui la dirige engagée dans une lutte de pouvoir. Prêt à tout les crimes. Même à la destruction du savoir. C'est une dictature.
Pierre

[ PP à Pierre - Les faits, justement. Permettez-moi de vous suggérer d'étudier l'histoire de l'Antiquité, au lieu de répéter ce que dit la sous-culture journalistique à propos de cette période : vous ferez ainsi des découvertes déconcertantes. On ne fait pas ce qu'on veut avec les faits ; ils sont un tout petit peu plus complexes (et "antiques" !) que ce que vous croyez savoir. Il faut écouter les historiens plutôt que 'Charlie hebdo'. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Pierre / | 19/07/2013

> L’allusion de Pierre à la « destruction du savoir » dont l’Eglise ou « les gens qui la dirigent » se seraient rendus coupables dans le passé n’est pas entièrement innocente dans un post consacré à Cyrille d’Alexandrie. Une vieille accusation, que reprend en la déformant le film "Agora", attribue la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie aux chrétiens sous la conduite de l'évêque Théophilus, en 391.
Cependant, la compétition au titre de destructeur en chef de la grande bibliothèque risque d’être plus rude que prévue. D'autres hypothèses existent, qui en attribuent la responsabilité à Jules César en –47 av.J.-C., au conflit entre Zénobie et Aurélien en 272 ou au calife Omar en 642. Pour le philologue Luciano Canfora, par exemple, c’est à la guerre entre les Palmyréniens et Rome qu’il nous faut remonter.
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Écrit par : Blaise / | 19/07/2013

à tous les croyants

> que vous soyez juifs chrétiens musulman monotheiste polytheiste, vous avez toujours assassinés, volés, spoilies, intrigués pour faire passer vos idées
quel que soit l'époque ou nous vivons vous etes parés et ornés de la robe de l'intolérance, de l'injustice et du mensonge
la croyance est une affaire de personne et non de groupe ou groupuscule
quelle serait votre figure si vous pouviez revenir d'entre les morts pour dire que vous n'y avez rien vu, que toutes vos fariboles et bondieuseries ne sont que mensonges pour attardés mentaux
je vous plains sincèrement
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Écrit par : xhenseval / | 31/08/2013

LOIN

> Hypathie n'était peut être pas une brune pulpeuse (même si tout les récits convergent pour l'affirmer), mais saint Cyrille était loin d'être un saint !
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Écrit par : Fab / | 12/10/2014

@: xhenseval

> Je comprends mal la destination de ce post. Tout mouvement est composé d'humains , donc de personnes faillibles. Aussi il est "logique" de retrouver des abus un peu partout. Ceci étant dit, il ne faut pas généraliser" sur l'ensemble à partir de mauvais exemples fussent-ils visibles comme le nez au milieu de la figure ; mais regarder par périodes le bilan au regard de celles-ci, et voir aussi le bilan général.
S'il suffisait de pratiquer une religion ou une philosophie pour être sans tache, cela se saurait depuis longtemps. Aussi faut-il se poser la question de ce que cela apporte à chacun et à l'ensemble.
Chacun donc est amener à cheminer au regard des ses lignes directrices. personnellement je me dit chrétien car je n'ai trouvé "personne" qui me propose mieux ('Seigneur vers qui irions-nous, toi seul a les paroles de la vie éternelle' - et aussi le sentiment de pouvoir ainsi s'appuyer sur un "roc"). Ensuite j'essaye de cheminer sur ce chemin avec tout le poids de mes erreurs.
"La croyance est une affaire de personne et non de groupuscule" ? à croire tout seul, je vois mal comment on peut éviter de construire son propre dieu (ou idéal, appelez cela comme voulez) ce qui finalement revient à déifier/idéaliser ses propres valeurs , il me semble que seul la transcendance (ou appartenance à un groupe philosophique) peut éviter cela.
Je me demande dans quelle catégorie vous vous situez ? Seriez-vous un mutant ou bien ?

franz


[ PP à Franz :
- Je crois les astrophysiciens. Ne l'étant pas moi-même, je ne peux pas vérifier leurs travaux. Donc mon adhésion est du domaine de la croyance.
- Et les astrophysiciens sont un "groupuscule", si l'on peut dire ; et par mon adhésion je fais groupe avec eux. Donc l'individualisme n'a pas son mot à dire là dedans.
- Moralité : ce n'est pas de ce côté ("l'individu libre" etc) qu'il faut chercher des arguments contre les religions... ]

réponse au commentaire

Écrit par : franz / | 12/10/2014

ÉTRANGE

> étrange vraiment la résistance de l'opinion courante contre les conclusions des historiens de l'Antiquité, qui sont les seuls à s'y connaître ! La violence de certains commentateurs sur ce fil de discussion contredit les historiens cités par l'article, mais peu leur importe apparemment. Ils veulent être violents. Ça fait peur.
______

Écrit par : Françoise / | 12/10/2014

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