28/05/2012
Hildegarde de Bingen devient "docteur de l'Eglise"
< Manuscrit médiéval : l'abbesse Hildegarde reçoit l'inspiration divine devant un moine.
Traitée au XIIe siècle de "femme se mêlant de ce qui regarde les hommes" (mais louée par saint Bernard), canonisée au XIIIe par la ferveur populaire, accusée vers 1980 de "servir à l'écologisme et au féminisme", Hildegarde a attendu Benoît XVI pour être portée officiellement sur les autels. Le pape annonce qu'elle va être reconnue "docteur de l'Eglise" :
<< ROME, dimanche 27 mai 2012 (ZENIT.org) – Benoît XVI a annoncé qu’il proclamera sainte Hildegarde de Bingen (1089-1179) docteur de l’Eglise, le 7 octobre 2012, en même temps que saint Jean d’Avila. Le pape a fait cette annonce avant la prière du Regina Coeli, qu’il présidait ce dimanche 27 mai, place Saint-Pierre, à Rome. Sainte Hildegarde sera la quatrième femme à être proclamée docteur de l’Eglise, après sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse d’Avila et sainte Thérèse de Lisieux. « Hildegarde, a ajouté Benoît XVI, fut une moniale bénédictine au cœur de l’Allemagne médiévale, authentique maîtresse en théologie et grande experte des sciences naturelles et de la musique ». Pour le pape, la « sainteté de la vie et la profondeur de la doctrine » de Jean d’Avila et Hildegarde les rendent « toujours actuels » : par l’Esprit-Saint, ils sont témoins d’une « expérience de compréhension pénétrante de la révélation divine » et d’un « dialogue intelligent avec le monde ». Ces deux expériences, a précisé Benoît XVI, « constituent l’horizon permanent de la vie et de l’action de l’Eglise ». C’est pourquoi « ces deux figures de saints et docteurs sont d’une importance et d’une actualité majeures ». Benoît XVI a récemment étendu à toute l’Eglise le culte rendu à sainte Hildegarde (cf Zenit du 10 mai 2012), reconnaissant ainsi la tradition multiséculaire qui avait inscrit la mystique rhénane au martyrologe romain, sans même que son procès de canonisation n’ait abouti. Sainte Hildegarde de Bingen est fêtée le 17 septembre.>>
Je me permets de citer ici un extrait du chapitre II de mon livre L'écologie de la Bible à nos jours (éd. L'Oeuvre) :
<< Voici la marraine de l'écologie moderne : l'abbesse rhénane Hildegarde de Bingen. Ce personnage étonnant est, dit-on, la fille naturelle d'un prince de Salm. Sa première éducation a été négligée. Elle s'est rattrapée en se dotant par elle-même d'une phénoménale quantité de savoirs. Théologienne, prédicatrice, psychologue, musicienne1, médecin2, pharmacologue, herboriste, elle est capable d'écrire sur tout, y compris sur les plantes et les astres. Elle proclame la solidarité du chrétien avec tout le vivant, « le visible et l'invisible » : « visibilium et invisibilium », dit le Credo de l'Eglise.
Elle écrit :
« Dieu a créé le monde pour glorifier son nom. Il a renforcé le monde avec le vent. Il a relié le monde aux étoiles. Il a rempli le monde avec toutes sortes de créatures. Puis il a mis les êtres humains partout dans le monde, leur donnant une grande puissance en tant que gardiens de toute la Création. Les êtres humains ne peuvent vivre sans le reste de la nature, ils doivent veiller sur toutes choses naturelles.3 »
Dans le Livre des oeuvres divines, Hildegarde décrit l'homme comme un microcosme au centre de la Création : « L'homme, Dieu l'a entouré, pour le renforcer, de tout ce qui existe dans le monde, et il l'a transpercé du flux de sa grandiose énergie. » C'est l'alliance du Créateur avec sa créature, qu'il crée par amour et comme partenaire. L'homme est placé au sommet d'une nature qui n'avait pas besoin de lui pour exister, et il est formé de la même matière qu'elle ; il a donc le devoir de protéger le reste de la Création. S'il manque à ce devoir, dit Hildegarde, « la justice de Dieu permet que l'humanité soit punie par la création4 » :
« Ceux qui ont foi en Dieu honoreront la stabilité du monde... Nous n'avons pas d'autre endroit où poser le pied. Si nous abandonnons ce monde, nous serons détruits par les démons et privés de la protection des anges. 1»
Dans le livre où l'abbesse écrit cela, elle expose l'une de ses thèses majeures : la vitalité et la fécondité de la nature sont une force globale, à l'oeuvre dans toutes les formes d'existence ; cette force est issue de la Création divine. Elle se manifeste de la façon la plus spectaculaire au printemps, quand la végétation renaît ; Hildegarde la baptise donc viriditas, c'est-à-dire « verdeur ». A ses yeux de théologienne, la verdeur du monde et la sanctification des humains ont la même source, qui est le jaillissement permanent de l'amour divin (ce que les théologiens modernes appelleront la « création continuée »).
Hildegarde l'exprime dans l'un de ses cantiques : « O si noble verdeur, qui rayonne dans le soleil / et qui luis dans la sérénité candide / comme une roue, / toi qu'aucune excellence terrestre ne peut contenir, / tu es prise dans l'excellence des mystères divins, / tu flamboies comme l'aurore, / tu brûles comme l'ardeur du soleil... »
Explorant cette solidarité du vivant dans toutes ses dimensions, l'abbesse Hildegarde étudie la physiologie humaine. Sur ce terrain elle aboutit, par ses lumières propres, à des résultats surprenants pour l'époque. C'est ainsi qu'elle émet (quatre siècles avant William Harvey) l'hypothèse que le sang circule dans les veines sous l'impulsion du coeur. Dans l'un de ses ouvrages de médecine, on trouve aussi la première description connue de l'orgasme féminin :
« Lorsqu'elle fait l'amour avec un homme, la chaleur dans le cerveau de la femme, qui lui procure la sensation de plaisir, se transmet aux sens et déclenche chez l'homme l'expulsion de la semence... Quand la semence s'est logée à l'endroit prévu, les organes de la femme alors se contractent... »
Quant aux capacités intellectuelles de la femme, Hildegarde est bien placée pour savoir qu'elles rivalisent avec celles de l'homme. Elle le dit, le démontre, le chante. L'évêque de Mayence en est irrité. Il tente de faire taire l'abbesse. Mais il est désavoué par le pape Eugène III, qui accorde son appui à Hildegarde lors du synode de Trèves, le 13 janvier 1148.
Cette femme d'exception meurt à Rupertsberg près de Bingen en septembre 1179, célèbre dans toute le chrétienté. Trois ans plus tard naît dans une ville d'Ombrie un garçon prénommé François, qui aura beaucoup à dire sur l'homme dans la nature. « Ce sont souvent des illuminés évangéliques, ingouvernables, démangés par l'envie de fonder une vie religieuse inédite, qui ont réussi à offrir un exutoire aux sourdes aspirations d'un siècle... 6» >>
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1. Hildegarde de Bingen, Livre des oeuvres divines (Albin Michel, 1989). Ses cantates sont dans le commerce depuis 1990 : mélodies et ensembles d'instruments révolutionnaires pour l'époque.
2. Régine Pernoud, Hildegarde de Bingen (Le Rocher, 1995
3. Hildegarde de Bingen, Physica, tome 1 (éditions Jérôme million, 2002).
4. Idée biblique : cf Genèse et Prophètes. Nier cela serait nier la vision chrétienne de l'univers.
5. Hildegarde de Bingen, Livre des oeuvres divines (Albin Michel, 1989).
6. Serge Bonnet o.p., D'une fenaison à l'autre (Klopp, 1992).
10:12 Publié dans Ecologie, Eglises, Histoire, Idées, Témoignage évangélique | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : hildegarde de bingen, benoît xvi, écologie, études féminines, médecine, astronomie
Commentaires
LA VERDEUR
> L’usage du mot « viriditas » par sainte Hildegarde est assez frappant. Il me semble que cette « verdeur », elle la rattachait aussi à une verdeur de l’âme ou de l’esprit, commune à l’homme et à la femme, qu’elle apparentait à la virilité. Hildegarde de Bingen, d’après le souvenir d’une lecture que j’ai faite il y a assez longtemps, appréciait cette viridité/virilité chez la femme et chez ses sœurs. C’est-à-dire un comportement traduisant en toutes circonstances la maîtrise de l’esprit sur les émotions – les hommes n'étant évidemment pas toujours exemplaires à ce titre. De ce point de vue, tant pour son respect de la Création et donc de la vie, que pour cette viridité/virilité, je verrais bien sainte Hildegarde devenir la patronne d’un authentique et vigoureux féminisme chrétien – certes bien différent du « féminisme » très ancré dans une « culture de mort » qu’on nous sert aujourd’hui.
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Écrit par : Denis / | 28/05/2012
UN LIEN MUSICAL
> Hildegarde de Bingen, Spiritus Sanctus
http://www.youtube.com/watch?v=LJEfyZSvg5c
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Écrit par : Serge Lellouche / | 28/05/2012
LE CLUB
> Que va dire le club des Dadais? puisque l'« émancipation des femmes » est l'oeuvre du trotskysme, alors Hildegarde est une rouge, donc, donc... le pape est l'anti-Christ !!!
BJP
[ De PP à BJP - Les Dadais n'était d'accord avec le pape que tant qu'ils croyaient que le pape était d'accord avec oncle Agénor, qui est la Loi et les Prophètes puisqu'il fait partie de onze conseils d'administration. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 28/05/2012
HILDEGARDE ET BENOIT XVI
> Hildegarde de Bingen est à découvrir et il faut lire ses différents écrits pour comprendre tout ce qu'elle a reçu. Ce n'est pas pour rien que Benoît XVI utilise des références des textes d'Hildegarde presque chaque mois pour décrire même notre époque. Autant au point de vue enseignement spirituel, que la place de l'être humain sur cette Terre, que sur les origines et la façon de guérir nos différents maux. Son apport me semble indispensable à notre époque et le fait qu'elle devienne Docteur de l'Eglise le 7 octobre 2012, le démontre un peu plus encore. Les bienfaits d'Hildegarde, nous le constatons chaque jour au quotidien (therapy3s.com)
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Écrit par : Mr 3S / | 08/06/2012
à Michelle Stenger
> Je fais la recherche et je vous communique la réponse dès que je l'aurai.
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Écrit par : à Michelle Stenger / | 17/07/2012
HILDEGARDE
> Remarquable et oecuménique « Midi Magazine » ce jour 23/11/2012 sur Fréquence Protestante consacré à Hildegarde de Bingen. mais je n’arrive pas à trouver le lien . (trop tôt?)
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Écrit par : Pierre Huet / | 23/11/2012
> Il faut faire une psychosociologie des Dadais. Cela s'impose.
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Écrit par : JG / | 23/11/2012
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