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24/05/2012

L'Europe face à la Grèce : ce qu'en dit Jacques Sapir

...dans une note datée d'hier :



 

[ Radio Notre-Dame diffusera le mercredi 30 mai, de 8 h 35 à 8 h 25, mon entretien avec Jacques Sapir sur la crise de la zone euro. ]


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Grèce : des politiques européennes détestables.

 

Les tensions s’accumulent en Grèce. La déclaration faite hier soir par Lucas Papademos (le Premier ministre sortant) sur une possible sortie de l’euro n’a fait que confirmer une tendance nette depuis près de 10 jours.

La Grèce a un besoin urgent d’une renégociation du « Mémorandum » afin d’en assouplir les termes et d’en allonger le délai. Elle ne peut respecter ses engagements, cela se voit et cela se sait. Mais l’Allemagne, et malheureusement la France, s’obstinent à refuser cette renégociation. On peut comprendre pourquoi ; toute renégociation impliquerait la possibilité d’autres renégociations. En termes techniques, c’est l’introduction d’un « aléa moral » massif dans les relations entre la Grèce et ses partenaires. Mais, en réalité, le « Mémorandum » est en train de tuer le pays, de le conduire au chaos, économique, social et demain politique. Nous répétons le drame des « réparations » allemandes au lendemain de la Première Guerre mondiale où l’obstination, là du gouvernement français, avait plongé l’Allemagne dans le chaos. Ce retour aux erreurs des années 20 et des années 30 (les politiques de déflation) a quelque chose de tragique, comme si les politiciens n’avaient rien appris, ou tout oublié.

Cette renégociation se heurte à l’inflexibilité de l’Allemagne, suivie sur ce (mauvais) terrain par notre gouvernement qui – obnubilé par les euro-obligations – veut croire qu’il pourra arracher de substantiels compromis en échange d’un front commun sur la « rigueur » face à la Grèce. Jamais stratégie de négociation ne s’est avérée aussi tragiquement fautive. Si un compromis peut être arraché à l’Allemagne, ce ne sera pas avant plusieurs mois, et pour des montants qui s’avèreront très inférieurs aux espoirs français. D’ici là nous aurons le drame grec et très probablement un retour de la crise espagnole (le gouvernement s’avère incapable de tenir les budgets des régions et doit dans le même temps consacrer des sommes immenses à la recapitalisation bancaire) et irlandaise. Il faut comprendre que la crise grecque ne peut être dissociée de la crise générale de la zone euro, crise dont les manifestations sont évidentes en Espagne, mais aussi au Portugal et en Irlande, ou encore en Italie.

La seule stratégie possible et jouable consiste à mettre l’Allemagne devant ses responsabilités, en la menaçant de lui faire porter le fardeau d’un éclatement de la zone euro. Croit-on, en effet, que Berlin serait très heureux d’une sortie de la France accompagnée d’une dévaluation de 25% ? Croit-on que, politiquement, l’Allemagne puisse assumer l’éclatement de l’Europe ? On oublie trop souvent que ce n’est pas avec des ris et des sourires que l’on négocie. Et si jamais l’Allemagne s’entêtait, alors la France devrait en tirer les conséquences et proposer à ses autres partenaires la solution d’une dissolution de la zone euro, avec une entente sur les montants des dévaluations respectives. À terme, cela permettrait de reconstituer une zone de coordination monétaire en se protégeant soigneusement des marchés financiers, dont l’Allemagne et ses alliés seraient exclus.

Faute d’une renégociation, il est donc probable que la Grèce sortira de l’Euro avant les élections du 17 juin. La dimension d’une politique de classe est présente en Grèce. Les possédants ont déjà fait sortir le maximum d’argent du pays. Ils espèrent qu’une sortie chaotique leur permettra de renforcer leur pouvoir sur l’économie du pays, et d’ores et déjà ils rachètent les biens des classes moyennes brutalement appauvries par la politique du « Mémorandum ». Dans les conditions qui s’annonce, la sortie de l’euro sera l’occasion d’une immense redistribution de la propriété aux profits des quelques-uns qui ont déjà sécurisé depuis plusieurs mois leur fortune.

Le gouvernement issu des élections du 17 juin aura donc devant lui la formidable tâche de faire en sorte que cette sortie de l’euro, accompagnée d’un défaut sur la dette publique, puisse se passer du mieux possible. Il devra reprendre la main sur la question du partage des propriétés et faire en sorte que la croissance attendue profite en premier lieu au plus grand nombre.

Il serait logique de l’y aider.

Mais on peut craindre que les pays de la zone euro ne pratiquent à l’égard de la Grèce une politique de la « terre brûlée », ne serait-ce que pour démontrer les « coûts » d’une sortie. Que notre gouvernement prenne garde. S’il devait donner la main à une telle politique, ce serait une rupture totale entre lui et la gauche réelle.

Notre avenir passe par Athènes.

 

Jacques Sapir

directeur d’études à l’EHESS

professeur associé à la MSE-MGU (Moscou)

 

Commentaires

QUESTIONS

> Intéressant, et j'ai quelques questions :
1. Faire une monnaie unique sans l'Europe fédérale au départ, était-ce praticable ?
2. Même chose pour la mutualisation des dettes.
3. Peut-on parler du rôle de Goldman Sachs (dont est issu Mario Monti) dans le "montage" qui a présidé au passage de la Grèce à l'Euro ?
4. Dans ce même cadre, quel rôle ont joué les CDS, qui sont un véritable pari sur le défaut de paiement probablement organisé (et occulté) par ceux qui ont monté le passage de la Grèce à l'Euro ?
5. Que penser du retour à une monnaie commune et non plus unique ?
6. Que penser de la décroissance maîtrisée comme passage à une éconmie de civilisation ?
7. Le modèle de la rigueur préalable, de la rigueur-croissance, ne sont-ils pas devenus obsolètes, dès lors qu'ils soutiennent encore le modèle de l'hyper production et de l'hyper consommation ?
8. Le changement de modes de vie (préconisé l'an passé par Mgr Vingt-Trois) n'est-il pas la solution réaliste de l'avenir ?
Voilà les questions que je me pose, autour d'une forme de passage à une décroissance éthiquement responsable.
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Écrit par : Père Christian / | 24/05/2012

LA QUESTION DE FOND

> D'accord avec les questions posées par le Père Christian. Questions qui ne sont précisément pas posés dans l'affolement général du débat actuel.
Les mêmes personnes qui font preuve de lucidité sur l'euro, sur l'inéluctabilité du défaut de paiement (en Grèce et ailleurs), sur les positions intenables de l'Allemagne, etc... semblent aveugles quant il s'agit de poser la question concomitante de l'étape suivante, celle de la décroissance et de la transformation radicale des modes de vie. A ce stade, l'aveuglement relève du mystère.
On veut régler le problème de la dette pour relancer la croissance, alors que les économies occidentales, à bout de souffle depuis 35 ans, ne reposent presque plus que sur l'endettement généralisé. Et on continue, au delà de la dette et de la toute-puissance des créanciers, à ressasser la perspective des bons vieux investissements industriels, "verts" ajoute-t-on sans rire, comme si de rien n'était. Jacques Sapir semble pleinement en phase avec les propositions de FH sur la croissance.
Pic pétrolier, catastrophe climatique, mythe du 'toujours plus", connais pas...
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Écrit par : Serge Lellouche / | 25/05/2012

DES ECONOMISTES ALLEMANDS CONTRE L'EURO

> D'après nos meilleurs économistes - les professeurs Wilhelm Hankel [dans le gouvernement Willi Brandt responsable pour la surveillance des banques et assurances], Joachim Starbatty [d'une réputation internationale; voir http://de.wikipedia.org/wiki/Joachim_Starbatty], Max Otte [qui déjà en 2006 - deux ans avant sa survenance - avait prédit la crise financière mondiale dans son livre »der Crash kommt« - «le crash viendra»] l'introduction de l'euro était une grossière erreur de la politique. L'euro était destiné à échouer, dès le début, suite a l'hétérogénéité - et en fait l'incompatibilité - des économies nationales.
On ne les a pas entendus, car l'euro était un projet idéologique, partout voulu par la classe politique.
On ne les entend pas encore, bien que - dès lors - tout s'est développé comme ils le pronostiquaient.
D'après eux – et entre temps la majorité des économistes allemands [contraire à l'acharnement de la classe politique qui ne peut pas avouer une erreur], l'issue la moins douloureuse – mais toujours dure - de sa crise serait pour la Grèce la sortie de la zone d'euro [l'euro étant trop fort pour la Grèce; au lieu de l'aider, il la bâillonne la Grèce car il l'empêche d'une dévaluation nationale - qui est nécessaire pour la rendre compétitif de nouveau].
L'introduction de l'euro était une décision idéologique – et un pas de trop dans l'intégration de l'Europe. Le concept des pères [Robert Schuman, Konrad Adenauer, Charles de Gaulle,...] d'une «Europe des patries» - c.à,d. d'une fédération des pays souverains qui, tout en ayant des frontìeres ouvertes, coopèrent pacifiquement était plus sage, car elle correspondait à notre culture et histoire communes - ce qui n'est pas le cas pour une union centralisé d'après le modèle des Etats Unis...
[Veuillez excuser mon français déficitaire...]

S. Hein


[ De PP à S. Hein - J'aimerais parler l'allemand comme vous écrivez le français ! ]

réponse au commentaire

Écrit par : Dr. Steffen Hein [mathématicien, Munich] / | 25/05/2012

VU D'ALLEMAGNE

> Peut-être faut-il ajouter [ou rappeler] que les allemands dans leur grande majorité n'ont pas voulu l'euro. Malheureusement, on ne leur a pas demandé, on craignait un référendum...
Contrairement aux affirmations politiquement correctes des partisans de l'euro, celui-ci n'a pas été avantageux pour les allemands, comme prouvent les calculs exacts du renommé institut IFO de Munich [Prof. Hans-Werner Sinn].
Il est en général dissimulé dans le débat public - surtout à l'étranger - que les salaires des employés allemands [revenu réal] ont baissé de 4 % et les rentes même de 7 % depuis l'introduction de l'euro.
Qui sait - et veut savoir, en France ou ailleurs - que la rente moyenne des allemands est de 600 euros par mois pour les femmes et de 900 euros pour les hommes...?
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Écrit par : Dr. Steffen Hein / | 25/05/2012

CHANGER DE PARADIGME

> Même constat que le Père Christian et Serge Lellouche, qui explique que la lecture de ce type d'article me laisse toujours sur ma faim...
D'autant que certains ont déjà été jusqu'au bout de la logique en liant les questions de la crise financière/bancaire et de l'impasse de l'Europe de Maastricht/Lisbonnes à leurs racines profondes que sont la logique libérale (dans toutes ses implications) et l'effondrement écologique : des types comme Lordon, Jorion, Harribey, Gadrey, Michéa, Tim Jackson, ou encore toutes les personnes se reconnaissant dans l'objection de croissance, dans la lignée de leurs précurseurs (Ellul, Illitch, Gorz.
Du coup, certes, la lecture de Sapir est toujours rafraichissante comparée aux tombereaux d'idioties qu'on entend/lit (même malgré nous !) chaque jour. Mais le monsieur ne prend pas la mesure des causes profondes de ce qui nous menace et ne semble pas décidé à changer radicalement de paradigme (comprendre : renoncer au logiciel croissanciste qui ne fonctionne plus).
Et puis le truc éculé de "vraie gauche"/pseudo gauche" commence à me hérisser le poil. Il serait temps que nous renoncions aux clivages relatifs (aujourd'hui purement "géographiques")pour en revenir enfin aux clivages absolus, ceux des idées : "socialisme"/"libéralisme"/"capitalisme"/"anarchisme"...
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Écrit par : blanche / | 25/05/2012

LA CI-DEVANT LAGARDE

> Il y a des personnes bien élévées, bien habillées, courtoises, compétentes et diplômées jusqu'au collier de perles, dont je ne peux régulièrement m'empêcher de me demander s'il leur arrive parfois, ne serait-ce que parfois, de s'interroger en se regardant dans la glace : "Ma tête finira-t-elle un jour au bout d'une longue pique? Ai-je jamais prononcé quelque parole m'ouvrant les portes de cette tranchante perspective? Mon mépris des gens, ma techno-ignorance du réel, ayant atteint un degré à ce point abyssal, me programment-ils à cet incontournable horizon?".
Exemple : Christine Lagarde, qui fait pan-pan cul-cul aux Grecs, ces petits égoïstes qui essaient d'échapper à l'impôt, ce qui scandalise cette femme au grand coeur :"Je pense davantage à ces petits enfants d’une école d’un petit village du Niger qui n’ont que deux heures de cours par jour, qui partagent une chaise pour trois et qui cherchent passionnément à avoir accès à l’éducation", poursuit-elle. "Je pense à eux en permanence, parce que je pense qu’ils ont davantage besoin d’aide que la population d’Athènes." Et Dieu sait ce que les enfants du Niger doivent au FMI et à sa directrice...
Mme Lagarde gagne près de 400 000 euros annuels et se trouve exemptée d’impôt sur le revenu par la grâce de son statut de fonctionnaire international.
http://www.reporterre.net/spip.php?article2995
Pour se faire pardonner ses propos qui, à sa plus grande surprise, ont suscité quelque montée de colère chez les Grecs, CL a affirmé sur sa page facebook "avoir de la sympathie pour le peuple grec." Qui n'aurait pas le coeur réchauffé par des mots venant d'une telle personne, daignant, du haut de sa splendeur oligarchique internationale, incliner d'un demi-degré son regard en direction de notre sale et pauvre condition. Et Dieu sait ce qu'il lui en a coûté :
http://www.purepeople.com/media/christine-lagarde-ravissante-et-son_m235880
Espérons que les Grecs sauront (enfin!) faire preuve de gratitude à l'égard de cette grande dame et devant ses mots emprunts d'une telle humanité, et qu'enfin, ils cesseront de se comporter en enfants gâtés, et sauront se résoudre aux justes exigences de l'impôt et de l'austérité, bref qu'ils sauront devenir enfin un peuple mûr comme dirait Alain Minc !
Ta tête, Titine ! Ta tête...
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Écrit par : Serge Lellouche / | 28/05/2012

TABOU

> A côté de la question de fond du modèle de croissance que bien peu veulent voir en face, il y a celle, encore plus tabou, du bien fondé de la construction européenne, insoluble pour un catholique s'essayant à être cohérent:
- facilitant les échanges de personnes, idées et biens, elle est, par nature, libérale depuis le début, qu'on se l'avoue ou non.
- alors que l'Eglise soutient partout la démocratie, les hommes d'Eglise soutiennent généralement l'intégration européenne, parfaitement antidémocratique non seulement dans son fonctionnement actuel mais encore une fois dans sa nature puisqu'il n'y a pas à proprement parler de peuple européen.
Il y a des jours ou on a du mal à comprendre.
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Écrit par : Pierre Huet / | 29/05/2012

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