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14/02/2012

Evangéliser, c'est renoncer aux illusions de la force

christianisme,catholiques,évangélisation




Une récente homélie dominicaine 

à méditer en France aujourd'hui :


 

<< Il y a 800 ans, Dominique parcourait les villes et villages pour annoncer le Christ. Mais aujourd'hui, un tel zèle risquerait de passer pour un prosélytisme agressif. Certes à notre époque il y a une diversité de religions qui ont chacune le droit de s'exprimer librement. Mais à une condition : rester chez soi et ne pas empiéter sur le terrain du voisin ou sur le terrain de l'espace public. Comme le dit le proverbe normand, « chacun chez soi et les vaches seront bien gardées ». Mieux vaut donc rester tranquillement entre croyants...

Mais l'Evangile nous dit autre chose qui nous pousse hors de nos frontières... Une question se pose : comment annoncer le Christ aujourd'hui ? A partir du modèle de saint Dominique, je formulerai une réponse en trois temps : trois renoncements qui ouvrent sur trois fragilités.

 

1. La fragilité de la communauté

Le premier renoncement est celui d'un itinéraire individuel et solitaire : je construis ma propre vie, ma carrière, sans dépendre de personne. Ce modèle de vie fait fureur car il semble permettre une pleine liberté. Renoncer à cela, c'est accepter la fragilité de la communauté. Communauté au sens large : pas seulement religieuse, mais aussi la famille.

La vie à plusieurs sous un même toit est fragile parce que chaque jour il faut composer avec l'autre, celui qui est incertain, imprévisible, avec ses handicaps, ses lenteurs, ou, pire, ses obsessions et ses troubles. C'est être exposé à des incompréhensions voire des doutes, comme les disciples dans l'Evangile.

De plus, en fréquentant l'autre, je risque de l'aimer, de m'attacher à lui, ce qui est plus grave parce que dans ce cas une part de lui vivra en moi, me transformera et pourra me faire souffrir. Pour composer avec l'autre, il faut acquérir de la souplesse et consentir à de multiples petits compromis, accepter de briser chaque jour le doux rêve de ma vie idéale et le remplacer par un avenir taillé, sculpté avec la main de l'autre.
Oui, le choix de la famille ou de la communauté est un choix fragile qui nous place dans une position de non-maîtrise et de dépendance. Mais c'est ce choix que Dominique a fait, car il permet de témoigner d'un Dieu présent et agissant à travers mon frère, ma soeur, mon conjoint, mes enfants, mes amis et même mon ennemi.

 

2. La fragilité de la parole

Passons au deuxième renoncement : user de la force pour mener la mission. Renoncer à cela, c'est choisir uniquement la fragilité d'une parole. Les quatre lectures de ce jour nous le disent : Isaïe parle de messagers de la bonne nouvelle, non de soldats ; le psalmiste demande d'aller dire « le Seigneur est roi », non de faire autre chose ; Paul exhorte Timothée à proclamer la parole, et Jésus demande d'enseigner. Ce fut le choix de Dominique. Quand il a voulu instruire les siens en proclamant l'Incarnation du Christ dans la chair venu sauver la Création entière, il a refusé tout moyen de coercition, contrairement à ce qu'a fait l'Inquisition après lui.

Faire le choix de s'appuyer sur une simple parole est fragile, car le résultat dépend de la libre volonté de celui qui écoute. Le disciple s'expose à un refus, à l'échec, surtout lorsqu'en face se trouvent des individus qui usent, eux, de la force... La tentation est alors grande de faire de même. C'est pourquoi Paul prévient Timothée de ne pas se décourager si beaucoup abandonnent l'enseignement solide pour ce qui semble toujours nouveau. Car la parole ne donne pas un fruit immédiat, mais, comme la graine met du temps pour devenir fruit, la parole demande de la patience pour pénétrer le coeur de l'homme.

Ce discours vous semble usé ? Vous vous dites que depuis longtemps l'Eglise défend la liberté religieuse et n'use plus de la force pour annoncer la parole de Dieu ? C'est vrai. Mais derrière le mot « force », il n'y a pas seulement la force physique mais aussi la puissance de l'argent. Et sur ce point, du chemin reste encore à parcourir.

 

3. La fragilité d'une parole fondée

Mais le choix d'une mission qui s'appuie uniquement sur l'annonce d'une parole ne suffit pas. Encore faut-il savoir de quelle parole nous parlons. Cela nous amène au troisième et dernier renoncement : celui d'une parole facile, racoleuse, qui agite un optimisme ou un pessimisme. Face à cette impasse, nous devons faire le choix de la fragilité d'une parole d'espérance fondée dans la Vérité.

Cela signifie d'accepter de se frotter à la pensée contemporaine, aux autres traditions religieuses, d'oser s'exposer aux critiques1 et d'avoir à rendre des comptes, à nous expliquer. Paul insiste auprès de Timothée « avec le souci d'instruire », ou quand il lui parle « d'enseignement solide ». Ce fut le choix de Dominique quand il envoya ses frères étudier dans les universités.

 Mais « fondée dans la Vérité » signifie aussi « fondée dans la vérité d'une expérience personnelle ». C'est-à-dire proclamer, non pas un discours abstrait et purement spéculatif, mais une parole nourrie par un vécu, par une relation avec Dieu et avec l'autre. Quand Matthieu fait le choix de mentionner le doute des disciples, il renonce à un discours lisse et brillant pour une parole qui rend compte d'une expérience humaine spirituelle authentique, avec ses gloires et ses pesanteurs.

 

Frères et soeurs, faire le choix de la fragilité pour annoncer le Christ mort et ressuscité peut sembler une perte de temps, un gaspillage d'énergie. C'est pourtant ce chemin que Dominique a pris. Et notre présence aujourd'hui témoigne de la fécondité de ce choix. Car, en réalité, toute autre manière de faire sera vouée à l'échec. Jésus-Christ le premier, malgré les risques, s'est entouré de disciples en qui il a fait confiance. Jésus-Christ le premier a refusé un pouvoir temporel pour limiter son action à l'annonce d'une Parole. S'il a fait cela, c'est parce que, par ce choix de la fragilité, une force se manifeste, une force bien plus grande que tout ce que nous pourrions déployer par nos propres moyens humains.

Dans l'évangile que nous avons lu, le pouvoir n'a pas été remis aux disciples, mais au Christ. C'est la force du Christ ressuscité lui-même qui nous sauve, et c'est précisément cette force, celle de Dieu, qui se déploie dans les fragilités, dans nos fragilités. Cette force n'est autre que la force de l'Amour.

Alors, chers frères et soeurs, n'ayons pas peur de suivre Dominique sur le chemin de la mission et d'annoncer la bonne nouvelle du Christ aujourd'hui, mais pas n'importe comment : en empruntant la voie de la fragilité. Car, par cette voie, c'est Dieu lui-même qui parlera en nous. >>

 

Fr Benoît Ente, o.p.

 fête de saint Dominique

 


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1. [NDPP] Il s'agit des critiques sincères, qu'elles viennent de l'intérieur ou de l'extérieur de l'Eglise. Il ne s'agit pas de querelles biaisées qui refuseraient justement « de se frotter à la pensée contemporaine, aux autres traditions religieuses, d'avoir à rendre des comptes, », etc.

 

Commentaires

JE L'IMPRIME

> Ca c'est du réalisme chrétien. Je l'imprime et je le mets dans mon sac.
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Écrit par : Lulu / | 14/02/2012

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