30/12/2011
Prophétie qui vient d'Italie : "le citoyen est devenu client"
...explique l'écrivain napolitain Erri De Luca, insurgé, ouvrier, romancier, poète, bibliste :
<< Quand je vois les sourires de Sarkozy et de Merkel à propos de l'Italie, mon sang se glace. Je me dis : mais ils ne voient donc rien ? Ils ne comprennent pas que ce qui se passe est une prophétie ? A notre époque, les prophéties ne sont pas le fait de prophètes mais de bouffons. Et ce qu'annonce l'Italie, c'est le passage du citoyen au client. Le citoyen-client est évalué en fonction de son pouvoir d'achat, qui lui permet d'acheter une justice, une santé, une école un peu meilleures. Nous avons perdu le sens de l'Etat. L'effet collatéral de la phrase "enrichissez-vous", c'est le chacun-pour-soi. Chez nous, le bien commun est devenu une abstraction. >>
(entretien avec Raphaëlle Rérolle, Le Monde - culture & idées, 31/12).
07:00 Publié dans En 2012, Europe, Idées, La crise, Société | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : la crise, berlusconi, italie, europe, sarkozy, merkel
Commentaires
LA GENEALOGIE DE JESUS
> De Luca a aussi cette phrase :
"Même le Messie est le fruit de métissages : la généalogie de Jésus, à la première page du Nouveau Testament, comprend cinq noms de femmes dont trois qui n'appartiennent pas à Israël : Tamar (Canaan), Rahav (Jéricho) et Ruth (Moab). La plus précieuse des dynasties repousse donc la pureté du sang et le pedigree."
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Écrit par : sèlah / | 31/12/2011
LES CHRETIENS S'INDIGNERONT-ILS À TEMPS ?
> C’est très, très fort d’affirmer : « à notre époque les prophéties ne sont pas le fait de prophètes mais de bouffons ». En fait, les bouffons étaient toujours, surtout par leur lucidité cynique – une lucidité à rebrousse-poil –, un peu prophètes. Car le prophète est en fait celui qui sait lire le présent, pas nécessairement celui qui prédit l’avenir. Quand on sait vraiment lire le présent, le futur en découle presque par relation de cause à effet : Jérémie est très clair là-dessus. Mais les bouffons étaient les « bouffons du roi », du seigneur. Aujourd’hui ce que Erri de Luca paraît vouloir dire est que les bouffons sont « à la place du roi » : « quand je vois Sarkozy et Merkel, mon sang se glace... » Le problème majeur, probablement, n’est pas que le citoyen est devenu client dans le sens de consommateur mais qu’il est devenu client dans le sens des clients de l’ancienne Rome : celui qui fait partie du cercle qui suit un patricien, qui accepte sans broncher tout ce que le puissant décide à son endroit. Le citoyen a cessé d’être un homme vraiment libre pour être nécessairement le client des seigneurs du nouveau pouvoir. Nous y passons tous, parce que nous n’avons pas le choix. Les conditions créés à notre vie en Europe ou à notre survie, comme on préfère (en Grèce, en Italie, en Espagne, en Irlande, au Portugal... et la France y passera aussi) imposent des limitations concrètes à la liberté : de type économique d’abord, de type législatif ensuite (ou en même temps, car nous sommes tous des gens distraits). La liberté, consignée en principe dans la lettre de la loi, n’a donc plus de possibilité de s’exercer concrètement. Dès Aristote que le pouvoir (démocratique) s’évertue à dénaturer la démocratie. Et c’est cela que l’homme de notre temps à toute la difficulté du monde à comprendre. Personnellement, là où j’habite, je crois que je ne connais personne qui comprenne à quel point notre existence a radicalement changé et les conditions de la démocratie sont mises en cause. Et les chrétiens, les catholiques – dont je m’honore d’être – sont particulièrement difficiles à comprendre l’ampleur des dégâts sous tous les points de vue : ils font profession d’espérance, d’« espérer contre toute espérance » et en général ils préfèrent ne pas se rendre compte. C’est pourquoi un mouvement d’indignés catholiques est tellement épatant. C’est un peu tard, mais mieux vaut tard... Ce sera un peu comme lors de la chute de l’Empire Romain. C’étaient quand même les chrétiens et leurs évêques qui assuraient tant que cela pouvait se faire la défense des villes, la négociation avec les barbares, etc., alors que l’Etat s’effondrait à vue d’œil. Je suis profondément persuadée que dans ce naufrage de l’Occident et de l’Europe, où personne n’est innocent, le seul espoir dépend des chrétiens. Mais s’indigneront-ils suffisamment à temps ? Seront-ils encore capables de trouver des issues à des situations économiques, juridiques, politiques à peu près inextricables ?
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Écrit par : Anne de Saint-Victor / | 01/01/2012
à Anne de Saint-Victor:
> "s'indigneront-ils suffisamment à temps? Seront-ils encore capables de trouver des issues(...)?" Qui? Ces pauvres types que nous sommes toutes et tous? Certainement non! Mais nous combattrons, et après, la question de la victoire, c'est le problème de la Providence, cela nous enlève un poids énorme et nous permet d'avancer léger même dans les situations les plus lourdes, non?
C'est pourquoi je souhaite à tous une Année pour nous alléger au maximum de tout ce qui nous enchaine, et d'avancer, courir, voler, le coeur en ivresse d'amour, vers l'Autre!
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Écrit par : Anne Josnin / | 01/01/2012
LE TOTALITARISME DE L'ECONOMIQUE
> Oui. Cela fait un moment que ça dure. Nous arrivons au triomphe de cette idée. Je me suis fait insulter en France parce que je parlais de bien commun.
Je précise que le savoir au sens actuel est en train de devenir une marchandise comme une autre que l'on se procure comme un chewing gum et que l'on jette après usage.
Tout cela n'est même pas un complot, juste une croyance profonde, sincère et totale que les relations économiques peuvent absolument tout réguler. L'application au niveau de l'Etat est en cours. L'application au niveau du savoir aussi. L'application au niveau des individus est en bonne voie. L'homme nouveau est en route.
Nous sommes mal.
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Écrit par : DidierF / | 01/01/2012
ET NOUS SEULS
> Je veux dire à Anne Josnin: « Certainement si ! » C’est nous, les pauvres types de chrétiens, qui pouvons – et nous seuls – opposer un barrage contre ce Pacifique qui arrive… Par le simple fait que nous ne serons pas seuls : nous avons quelqu’un, justement un Autre, qui combat à nos cotés et qui a déjà vaincu : la mort, la disette, l’hypocrisie, la méchanceté, l’indifférence par rapport à son prochain, tout autre péché moral (puisqu’il était l’Innocent), etc.
Quand à avancer « léger » il faut y aller, peut-être, un peu plus prudemment : la croix n’est, par définition, jamais légère (même si Jésus dit qu’avec lui elle devient plus légère). Jamais, au grand jamais, dans le christianisme, on n’atteint la victoire sans passer par la très grande souffrance : la croix, précisément, et toute son injustice et tout son poids d’absurdité, qu’elle s’appelle nuit selon saint Jean de la Croix, ou maladie, ou assassinat (comme Maximilien Kolbe) ou quelque chose d’autre. La grande plainte de Job est que sa souffrance est, primo, injuste, et donc, secundo, absurde. Cela est peut-être le plus grand des obstacles à « l’indignation » des chrétiens : c’est que personne au monde, même si on est extrêmement pieux, etc., à moins d’être masochiste – ce qu’on ne souhaite à personne – ne veut souffrir : Jésus non plus ; il a sué sang à la perspective de la croix ; et les Pères de l’Eglise situent la très grande agonie de Jésus à Gethsémani, non au Golgotha… Donc, s’indigner a des risques, ce n’est pas un piquenique parmi les pâquerettes. Tous les révoltés du monde ont su qu’ils couraient des risques, et les ont en effet vécus, avec un sort incertain, évidemment. S’indigner est une figure nouvelle, à mi-chemin entre la passivité (habituelle) et la révolte. Ceci en ce qui concerne la spiritualité. Et celle-ci a trait au premier commandement : aimer Dieu sur toute chose.
Mais il y a aussi le deuxième commandement, qui est plus « politique » (de polis, en grec, comme art de la conduction de la cité) : aimer son prochain comme soi-même et donc assumer qu’on en est intrinsèquement responsable : la parabole du bon samaritain, voilà. Effectivement, comme le dit DidierF, « l’homme nouveau est en route ». Et cet homme nouveau n’a rien d’un chrétien. Il est par définition un être qui cherche à survivre, aussi confortablement que possible, parmi les ruines et les décombres et – je reviens sur la même question – un « client » du pouvoir établi. Il ne s’encombre pas de morale et encore moins d’amour, il enjambe si nécessaire les cadavres, il ne sait rien de la solidarité même s’il en a plein la bouche. Et c’est vrai, et cela est extrêmement préoccupant, que le savoir, de nos jours, est entre les mains d’hommes (ou femmes) qui bon gré, mal gré doivent (presque ?), s’ils veulent que leurs institutions survivent, se plier aux exigences du pouvoir. La liberté d’expression, la liberté d’investigation, la liberté de pensée, la liberté d’information, la liberté et la qualité de l’enseignement sont mises en cause, de nouveau j’insiste, par le chantage économique, politique et légal de circonstances extrêmement dures et dont la tendance est de durcir encore et encore. Progresser à contre-courant demande un courage et une foi incroyables…
S’opposer à tout cela demande en effet un immense courage, prêt à l’héroïsme, une unité qui n’est pas du tout de mise entre les catholiques (hélas !) et une inventivité que seules une foi profonde et un QI collectif à peu près acceptable peuvent laisser espérer. Et qu’évidemment, vu les circonstances, serait (sera ?) de l’ordre du miracle… Mais du tout au tout la sainteté ne dépend pas du QI ; et de ce dont nous avons besoin c’est de gens qui se rendent à peu près compte de ce qui est en train de se passer et qui met en cause notre société et l’avenir des générations futures ; de gens qui soient vraiment épris de la vérité, du chemin et de la vie dans la mise en pratique des deux grands commandements du christianisme.
Quand à ce que dit DidierF au sujet « d’une croyance profonde, sincère et totale que les relations économiques peuvent absolument tout réguler » et que cela seul explique les dérives de notre temps, en fait, si je dois être sincère, cela ne me vient même pas à l’esprit qu’une personne normale et normalement formée, avec une intelligence et une culture minimales, et vraiment de bonne foi, puisse, fusse un millième de seconde, penser, vraiment penser que « les relations économiques peuvent absolument tout réguler ». Une affirmation semblable – et je sais bien qu’elle est faite et «industriellement vendue » aux économistes, aux politiciens… et aux idiots (c.a.d., nous), correspond à quelque chose d’aussi aberrante du point de vue humain que les propos du Mein Kampf de Hitler… et tout aussi dangereuse. Hélas, il est un peu tard pour que nous nous en rendions compte. Mais je crois, en toute sincérité, qu’il n’y a pas lieu de parler « d’une croyance profonde, sincère et totale » à ce sujet. Il n’y a jamais de sincérité dans le mal, il n’y a jamais de bonne foi dans le mal, dans le mal il n’y a que… du mal, de la mauvaise foi, des attitudes « intéressées » visant l’exploitation de son prochain, des conduites mensongères pour mettre à profit l’ingénuité de la racaille (c.a.d., nous…), etc. Mais de la bonne foi, de la sincérité… allons donc, il ne faut pas être injuste avec Dieu, qui a tout fait bon, et qui a même fait l’être humain « très bon ». Ce serait de l’injustice par rapport à l’humain et même de l’injustice par rapport au Créateur.
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Écrit par : Anne de Saint-Victor / | 01/01/2012
OUVRIER
> Quand j'ai vu ce post,je me suis arrêté sur la photo de cet auteur ,qui m'était totalement inconnu,reflétant de la gravité et de la tristesse dans l'expression de son regard;il doit être âgé d'au moins soixante quinze ans me suis-je-dit!
Après quelques recherches,je suis tombé sur un "ouvrier lambda" qui a travaillé durant sa carrière avec un marteau-piqueur ou sur les chaines d'une usine Fiat,entre autre.Il a soixante ans passé aujourd'hui,le visage probablement marqué par le travail physique.
J'ai souvent entendu dire sur les ouvriers manoeuvres,les OS,ceux qui travaillent à la chaine :"bons qu'au boulot béta";
Si ils travaillent bien ont instruira leurs enfants et nous bâtirons un monde où tout le monde sera "égaux"car les machines les remplaceront;s'ils ne veulent plus travailler ont ira chercher des immigrés en leur promettant la liberté et un monde meilleur par la technique et la science;l'époque a changé! nous sommes dans"les temps modernes",fini les basses tâches!
Pour le qualificatif de "bouffon",vu que cet écrivain est italien,je pense de suite à Berlusconi;c'est vrai! ces hommes politiques quand on les voit à la télé, ils se marrent,se tapent la main dans le dos devant les caméras...puis parfois, pour la cause des droits de l'homme font voter des résolutions et envoient des bombardiers...
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Écrit par : Stéphan / | 01/01/2012
CONVERSION INTIME
> Je suis vraiment d'accord avec Anne Josnin ; il n'y a qu'un seul Sauveur, les indignes chrétiens indignés que nous sommes, ne sauveront pas le monde, et leur combat au cœur de la cité sera d'autant plus prophétique que débarrassé de tout rêve de victoire, et allégé de toute aspiration au succès. Nous n'avons rien à gagner en ce monde.
Peut-être même que d'un point de vue chrétien, les seules causes qui valent la peine d'être défendues sont les causes perdues, donc d'autant plus librement menées. Perdues, bien entendue, du point de vue des critères du monde, ce qui par notre foi signifie que les défaites endurées ici-bas nous préparent à faire le choix du salut dans le Seigneur, et annoncent Sa victoire grandiose et définitive.
Il en va de nos défaites à venir dans l'orientation collective des choix politiques, comme des défaites que subira notre Eglise. Cessons de résister à son déclin, renonçons au vain combat pour sa grandeur et son honneur. Ici bas, l'Eglise catholique ne triomphera pas. Elle suivra jusqu'au bout son Seigneur vers le mystère d'amour qui se révèle dans son rabaissement jusque sur la croix. Reconnaître cela, c'est lui être fidèle et la servir car elle annonce elle même dans son catéchisme l'épreuve de son humiliation en Jésus Christ (paragraphes 675-677) :
« L'Eglise n'entrera dans la gloire du Royaume qu'à travers cette ultime pâques où elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa Résurrection. Le Royaume ne s'accomplira donc pas par un triomphe historique de l'Eglise selon un progrès ascendant mais par une victoire de Dieu sur le déchainement ultime du mal qui fera descendre du Ciel son Epouse. Le triomphe de Dieu sur la révolte du mal prendra la forme du Jugement dernier après l'ultime ébranlement cosmique de ce monde qui passe. »
l'Antéchrist désoriente les catholiques en leur montrant le chemin de la victoire, de toute victoire, car cet horizon est précisément celui qui nous détourne de la rencontre d'amour avec notre Dieu, qui nous est promise non pas par notre triomphale élévation ou dans nos brillants succès, mais dans notre humble rabaissement.
Le prophète, comme le dit très justement Anne de Saint-Victor, voit la victoire finale du seul Sauveur dans les profondeurs des misères du présent, le miracle de Sa grâce dans la couche épaisse de notre crasse.
Ceci distingue le prophète par exemple de madame soleil, les yeux rivés sur l'avenir radieux, des catholiques qui se croient musclés, les yeux rivés vers le triomphe de la chrétienté qu'ils croient voir venir, ou encore des catholiques libéraux, trop heureux (trop peureux?) de mettre en garde contre les illusions (« marxistes » précisent-ils en général) du paradis terrestre, afin de mieux justifier leur adhésion pragmatique à l'enfer sur terre édifié par l'ordre libéral derrière ses promesses trompeuses de croissance, de prospérité et de bien-être.
Tout le sens de notre conversion et de notre recherche personnelle du Dieu apparu comme un enfant, nous conduit à nous faire serviteurs et à nous rabaisser aux pieds de ce qui est plus petit et plus vulnérable que nous, dans lequel nous reconnaissons la présence de Celui qui est venu nous sauver en se faisant plus petit et plus vulnérable que nous même.
Cette conversion intime, lente si lente, réoriente notre présence au monde et nos engagements vers tout ce qui est signe de décroissance de tous nos fantasmes de puissance et de grandeur : économique, industrielle, nationale, scientifique, intellectuelle, spirituelle, religieuse...
Sinon, ces engagements ne sont pas catholiques, car contributions à l'auto-glorification de l'homme, donc antichristiques.
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Écrit par : serge lellouche / | 02/01/2012
à Serge lellouche
> Bon, je m’excuse d’insister, c’est la première fois de ma vie que je participe d’un blog, mais finalement je trouve cela passionnant. Répondant à Serge Lellouche : « les indignes chrétiens indignés que nous sommes ne sauveront pas le monde » : d’abord un indigné, s’il y a de quoi, n’est pas indigne, que ce soit place Tian’anmen, ou Wall Street, ou criant sur les routes de Galilée : « Malheur à vous, races de vipères… sépulcres blanchis… » ; ou encore investissant la Bastille par faute de pain, d’argent, d’une élite dirigeante vraiment soucieuse, responsable, solidaire. Les indignés de ce monde – s’il y a de quoi –, et c’est la beauté et la mystique de toutes les révolutions, sont ipso facto dignes de respect. Très simplement parce qu’il y a de quoi s’indigner. La question de la justice est à la racine même de la civilisation occidentale, de la culture chrétienne. Elle fait partie des « racines chrétiennes » essentielles à la survie de notre façon de voir le monde (notre Weltanschauung), d’y vivre, d’y communiquer. Il n’y a pas d’Occident, il n’y aura pas d’Europe sans justice. Tout l’Etat-Providence est bâtit sur la question de la justice. Ces derniers Papes insistent tout le temps là-dessus. La justice est une notion biblique absolument majeure, dans tout l’Ancien Testament, ou dans tout Paul, par exemple : c’est la « dikaiosunê » de Dieu – laquelle n’a pas de prix (on peut en parler longuement, c’est vrai, cette justice-là n’est pas seulement une justice humaine, elle n’est en dernière analyse que donnée par Dieu seul, etc. Mais pour le moment, là n’est pas la question. Car la justice humaine déclenche et fait partie de la justice de Dieu… et elle dépend de nous). Une grande partie des Psaumes tourne autour de la notion (et de l’expérience douloureuse à l’extrême) de la justice blessée, du martyre du juste, de sa souffrance inacceptable et dont Dieu seul est témoin et redresseur. Job est finalement entendu par Dieu lui-même parce qu’en effet il est un juste et ne cesse de le hurler, contre vents et marées. Le Christ est ressuscité parce qu’il est « Le Juste ». Donc par définition il n’y a pas, en principe, d’indignés indignes. Au contraire, l’indigné est une figure qui mérite au départ l’attention et l’écoute… même s’il est ivre-mort, même s’il est un SDF. Et les chrétiens d’aujourd’hui qui, en général, font profession de ne pas s’indigner et abhorrent des choses de leur époque (ou du temps de leurs parents, ça dépend de l’âge) comme les très idéologiques « haine de classe » ou « lutte de classes », seront des indignés encore un peu moins indignes, si possible, que les autres. L’intéressant de tout ceci est que, si les chrétiens parviennent à s’indigner – ce que je souhaite de tout cœur – c’est que vraiment, vraiment il y a de quoi ! L’Eglise n’a cessé, depuis le pape Léon XIII, avec la naissance de la Doctrine Sociale de l’Eglise (que personne n’a vraiment entendu, encore moins mise en pratique), jusqu’au problème des « racines chrétiennes » de la civilisation occidentale, sur lesquelles insiste tout le temps Benoît XVI, de souligner l’urgence d’une attitude vraiment chrétienne par rapport à notre monde. Donc : au nom du Seigneur lui-même, indignez-vous ! Vous n’en serez pas moins dignes, mais bien : plus dignes ! Indignons-nous ! Il est grand temps. Quand à la question « sauver ou ne pas sauver le monde » je réponds encore : SI, NOUS LE SAUVERONS! Je ne sais pas où j’ai lu ça, mais jamais je ne l’oublierai : les saints à chaque époque sauvent l’Eglise ! « On » sauve l’Eglise et le monde. Le chrétien, tout comme Marie, la Vierge mère de Jésus, est un médiateur. Et il est quelqu’un qui s’identifie au Christ-seul-Médiateur ; qui nécessairement doit s’identifier au Christ s’il est cohérent avec son Baptême, s’il a la foi, s’il recherche l’union au Fils de Dieu, c’est-à-dire la sainteté même. C’est de la théologie catholique à l’extrême ceci. En suivant Jésus Christ, en s’identifiant – comme il est de notre plus strict devoir – au Christ, en devenant « fils dans le Fils » (expression des Pères de l’Eglise), on est avec lui « co-héritier », vraiment fils de Dieu en ce monde. Et, donc, « on » le sauve. Nous : indignes et pas indignes à la fois. Mais peut-être plus indignes si on ne s’indigne pas que si on suit le discours du cœur, de la vérité et de la justice pour de bon ; et, donc, si on se fâche, même si c’est seulement un tout petit peu par rapport à ce qui « nous » arrive d’habitude.
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Écrit par : Anne de Saint-Victor / | 02/01/2012
à Anne (de Saint-Victor),
> tout d'abord, excellente année à vous!
Mais si je vous assure, les pauvres chrétiens indignés que nous sommes, sont indignes! Vraiment des sales types, moi le premier! Faut les voir comment ils se comportent sur leur forum!
Regardez en comparaison des catholiques qui se retrouvent par exemple tous les ans aux entretiens de valpré (ou dans des retraites estivales pour étudiants catholiques en commerce, en management ou en marketing, c'est pareil), dans des cadres verdoyants, d'une sérénité absolue, évoquant le paradis terrestre : pas une tâche vous dis-je ! des gens biens vraiment, propres sur eux de la tête jusqu'aux pieds, d'une politesse sans faille, parlant sans l'ombre d'un doute, ils savent tout, ne bégaient jamais, ne trébuchent jamais, ne pleurent jamais, ne souffrent jamais, cela va sans dire ne rôtent jamais, z'ont des dossiers sous l'bras, jamais un mot plus haut que l'autre, jamais effleurés par la moindre colère, avec un sens incomparable de l'esprit de convivialité et de courtoisie, toujours confiants dans l'avenir, ils sont d'une dignité parfaite.
Qu'en pensez-vous ? Sombre tableau non ?
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Écrit par : serge lellouche / | 03/01/2012
REDOUTABLE DEBAT
> Redoutable débat que lance Erri De Luca !
Car à première vue, y a-t-il une différence de fond entre l'acte d'achat c'est à dire le choix de telle paire de chaussure plutôt que telle autre, et le vote pour tel candidat plutôt que tel autre? Certes, l'achat fait intervenir une dimension financière, mais n'en est-il pas indirectement de même dans une élection, puisque l'élu retire de sa position une rémunération payée par la collectivité des électeurs?
Ainsi la distinction entre les deux sens de client devient floue! Didier F. fait remarquer à juste titre l'effacement de la notion de bien commun. Cela vient peut-être de la confusion qui s'est faite entre Res Publica, bien commun, et Démocratie, force (kratos) du peuple et non pas pouvoir organisé (arché).
La démocratie est un mot aux sens multiples,
--en tant que loi de la majorité elle pousse aux oppositions entre groupes cherchant à emporter la décision et se présenter ainsi comme expression de la « volonté générale » au risque d'imposer un totalitarisme plus ou moins masqué,
--par contre, elle est aussi invoquée pour défendre les droits des minorités ce qui favorise les fragmentations communautaristes.
--en tant que qu'expression des petites gens et pas seulement des élites minoritaires plus ouvertes aux échanges internationaux, elle favorise les affirmations identitaires. Il est frappant de constater que les pays employant le plus de procédures de démocratie dite directe sont ceux ou les courants identitaires influencent le plus les décisions. (Suisse !)
--inversement, en tant que désignation d'un ensemble de valeurs à prétentions universelles mais édictées par on ne sait trop qui, se place au dessus des cultures bien sur, mais aussi des religions, elle est donc un puissant véhicule de la mentalité libérale-libertaire .
Ainsi l'idée de démocratie est-elle mise au service d'objectifs contradictoires. Dans aucune des ces significations, elle n'est totalement mauvaise, ni totalement bonne et exempte de dangers.
La Res Publica au sens de bien commun suggère la promotion de la vie commune, et.transcende la forme du régime: le grand royaume de Pologne et Lituanie des Jagellon était qualifié de République!
Il ne peut être servi que par un dépassement des intérêts propres des particuliers et des groupes, bref, la gratuité chère à Benoît XVI, et ce dépassement ne peut donner de résultat concret que par le dépassement des idéologies au profit d'un empirisme organisateur et bienveillant.
Sans conversion des peuples et de leurs dirigeants, oui, la démocratie restera le miroir de la grande distribution.
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Écrit par : Pierre Huet / | 03/01/2012
IL Y VA DE LA SURVIE
> Bon chic, bon genre, à Serge Lellouche. D’abord merci bien de m’avoir interpellée. C’est très stimulant. Je ne sais pas du tout de quels entretiens et retraites estivales vous parlez. Mais j’en connais d’autres et peut-être sont-elles du même genre. Ce que vous me dites-là, doit être au sujet des gens, disons pour raccourcir, « bon-chic-bon-genre-spirituel ». Je n’ai rien de spécial contre le bon chic-bon genre vestimentaire, mais évidemment le bon chic-bon genre du point de vue spirituel est, peut-être, peut-être… mortel (j’espère que pas tout à fait, en ce qui concerne la vie spirituelle ; je l’espère vraiment à cause de l’avenir spirituel de ces personnes). Je pourrais raconter mille histoires vécues et souffertes de cette « bonne conscience » incompréhensible dans un chrétien/ une chrétienne. Je connais, en effet, des personnes qui « ne rotent jamais » (bravo, je suis pour la drôlerie et une mordacité style George Brassens) mais qui savent parfaitement où sont leurs intérêts. En général appartenir à l’Eglise va dans le sens de leurs intérêts personnels. Jamais pour ces personnes appartenir à l’Eglise ne pourra comporter un risque… car ce serait « un rot », une bavure impardonnable du point de vue de la carrière, de l’importance sociale, du futur professionnel et ainsi de suite. Bon, comme j’ai étudié passionnément l’histoire de l’Eglise, entre autres disciplines théologiques, il serait peut-être intéressant de rappeler que, à partir du moment où les persécutions cessent dans l’Empire romain, avec Constantin, qui n’a jamais été baptisé paraît-il, et sa mère, sainte Hélène, infatigable bâtisseuse de basiliques, tous les puissants de l’Empire ou à peu près(surtout d’Occident, car les persécutions ont continué pendant pas mal de temps dans l’Empire d’Orient) se sont fait « chrétiens » : il y allait de leur carrière. Même si les fonctionnaires publics, tout comme les marchands d’esclaves, les acteurs, les militaires, ne pouvaient pas être baptisés (les acteurs étaient « idolâtres » - c.a.d. liés aux festivités des dieux païens ; les fonctionnaires publics « devaient » condamner à mort, et cela l’Eglise ancienne ne le supportait quand même pas…) Saint Ambroise de Milan a été baptisé à la veille de devenir évêque de Milan, capitale de l’empire d’Occident, justement parce qu’il appartenait à une famille patricienne extrêmement puissante où les charges étatiques étaient incompatibles avec un christianisme « pratiquant », donc ayant passé par l’initiation baptismale.
Nous sommes aujourd’hui dans une époque où il est très évident que les puissants en général vont abandonner le bateau qui coule. Car le bateau est en train de couler (à moins que la bonne issue du rêve de saint Jean Bosco ne devienne réalité, miracle !) Mais pendant des millénaires les puissants ont puissamment et confortablement habité le bateau du christianisme et de l’Eglise. Actuellement, les puissants n’ont pas encore tout à fait compris, tout comme la majorité des chrétiens, que l’EXCLUSION du christianisme et de l’Eglise dans nos sociétés est en train d’être « fabriquée » et est inexorable (à moins qu’il y ait un miracle, mais précisément cela dépend de nous…
Les Evangiles sont clairs : il n’y a pas de miracle sans foi, les miracles arrivent « selon » notre foi). C’est de quoi je suis en train de parler. Si les enfants des puissants vont encore dans ces entretiens et ces retraites, avec une bonne conscience sans sursaut, eh bien, dirais-je, laissons-les faire. Peut-être un jour pourront-ils mûrir et devenir des Ambroise de Milan. Ou bien, comme c’est possible aussi et même probable… déguerpir. La sagesse de Montaigne nous dit, parfaite, qu’ « il faut de tout pour faire un monde ». Et l’Eglise est faite de « monde », ceci n'impliquant pas du tout un sens négatif, johannique. Saint Augustin, bien avant Montaigne, soulignait qu'à la fin on aura bien des surprises. Entre la cité de Dieu et la cité de l’Eglise ici-bas, il n’y a pas de coïncidence parfaite : il y a beaucoup de personnes qui sont (apparemment) dehors et qui à la fin vont s’avérer « dedans », et beaucoup d’autres qui sont dedans et qui vont s’avérer dehors. Mais c’est précisément ce que Jésus nous dit : « Ce n’est pas tout homme me disant ‘Seigneur, Seigneur ‘ qui entrera dans le royaume des Cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux… Je leur déclarerai ‘Jamais je ne vous ai connus, écartez-vous de moi, vous qui faites l’iniquité’ » (Mt 7,21-25 ; Lc 6,46). Tous ces passages méritent aujourd’hui une immense attention.
Si vous me permettez une réflexion très personnelle,- car tout ceci est pour moi le souci majeur d’une personne qui aimerait vraiment toujours « sentire cum Ecclesia » et donc « vivre » ses mésaventures et ses espoirs –, la matière dont est faite l’Eglise est l’humanité, l’être humain. Les Pères de l’Eglise disent qu’en Jésus l’Esprit Saint, c’est-à-dire, Dieu, A PU S’HABITUER à vivre en l’homme (il était l’homme parfait, la réponse parfaite à l’amour du Père…). La souffrance de Jésus dans son expérience quotidienne avec les hommes de son temps est documentée (Mt 17,17 par.). L’histoire de l’Eglise est l’histoire de l’Emmanuel, du « Dieu avec nous », et cela comporte pour l’Esprit de Dieu, j’en suis persuadée, une souffrance réelle : car l’humanité a été faite « très bonne »… mais nous ne correspondons, hélas, pas le moins du monde à l’intention première de Dieu, dès que le mal a fait son entrée dans la création. Et l’histoire de l’Eglise est un peu l’histoire de cette souffrance et de cette présence de l’esprit de Dieu ou de l’esprit du Christ, « quand même » dans l’humanité qui est la nôtre : avec tous les êtres humains tels qu’ils sont et tels qu’ils choisissent d’être : les très grands saints, les très grands héros de l’Eglise et tous les autres, plus ou moins évangéliques. Cela dépend vraiment de nous à tout moment car la grâce nous est toujours assurée.
Qu’en ferons-nous aujourd’hui, de cette grâce ? Saurons-nous être à la hauteur des événements de notre temps ? Déguerpirons-nous ? Saurons-nous nous unir pour affirmer ce qui est (encore) vrai : que nous sommes statistiquement une multitude non-négligeable et que nous ne voulons pas être tout à fait dupes ? Saurons-nous affirmer à un monde qui s’assume comme « impie » que nous ne voulons pas en être ? Et que nous suivrons bien Jésus comme des brebis menées à l’abattoir… mais peut-être UN PEU MOINS VITE que ce que les ennemis du Christ aimeraient ? D’ailleurs, à mon avis, c’est en France qui se jouent en ce moment-ci tous les enjeux définitifs pour l’avenir européen des libertés ou leur débâcle, et la politique française en pâtit. Paradoxalement en apparence, en Europe l’avenir des libertés civiques et l’avenir de christianisme se jouent en même temps et au même endroit, en ce moment : la France.
Mais laissons cela de côté. Parlons seulement de christianisme : la France est la « fille aînée de l’Eglise ». Ce qu’elle fera en cette matière est crucial pour l’avenir de l’Eglise en Europe (et donc des sociétés européennes comme telles). La France est le seul pays d’Europe qui peut s’insurger et qui a une longue et vénérable tradition d’insurrection ; le seul pays d’Europe où vraiment les gouvernements tremblent… et tombent quand les gens descendent dans la rue (les chrétiens aussi…) Donc, que les chrétiens en France aujourd’hui s’indignent ou pas, est vraiment crucial. La rue en France n’est pas (encore) un endroit aussi dangereux que les cirques de l’empire romain. Bien au contraire ! Donc, indignez-vous car, comme dans les cirques romains, il y va de la survie !
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Écrit par : Anne de Saint-Victor / | 05/01/2012
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