27/12/2011
Les Lumières ont engendré le libéralisme
À propos d'une phrase de l'homélie de Noël de Benoît XVI :
Dans le dernier paragraphe de son homélie de Noël1, le pape dit : « Mi sembra che in ciò si manifesti una verità più profonda, dalla quale vogliamo lasciarci toccare in questa Notte santa: se vogliamo trovare il Dio apparso quale bambino, allora dobbiamo scendere dal cavallo della nostra ragione illuminata. » Traduction française officielle par le service polyglotte du Vatican : « Il me semble qu’en cela se manifeste une vérité plus profonde, par laquelle nous voulons nous laisser toucher en cette sainte Nuit : si nous voulons trouver le Dieu apparu comme un enfant, alors nous devons descendre du cheval de notre raison libérale. »
Pourquoi traduire « illuminata » par « libérale » ?
Dans sa version originale allemande, le pape avait écrit : «aufgeklärten », ce qui correspond à « illuminata ». Mot à mot, on pourrait le traduire par « illuminée ». A ceci près qu'en français, « illuminé » veut seulement dire « éclairé » (sens favorable) ou « fou » (sens défavorable) ; alors qu'en italien ou en allemand, et surtout dans la bouche d'un universitaire comme Benoît XVI, les termes « aufgeklärten » et « illuminata » – appliqués à la raison – sont une allusion à la philosophie des Lumières. Aufklärung, en allemand.
Le traducteur français se trouvait donc devant un choix : ou faire du mot à mot, ou suivre le sens. Il a choisi le sens. A son avis, « raison libérale » est le terme le plus proche de ce que le pape veut dire en employant un adjectif qui renvoie aux Lumières.
L'idéologie économique et politique libérale est née en effet de la philosophie des Lumières : John Locke et David Hume ( le relativisme), Mandeville (les vices comme condition de la prospérité)2, Voltaire (le culte de la marchandise), Condillac (le culte de la sensation), La Mettrie (le matérialisme hédoniste), Adam Smith (la « main invisible » du marché), etc. Autrement dit : la construction idéologique substituée à la reconnaissance humble du réel dans toutes ses dimensions – y compris celles que nous ne maîtrisons pas.
On voit ainsi ce que veut dire le pape quand il nous conseille de « descendre » de ce cheval d'orgueil.
Sans doute quelques personnes ne comprendront pas ce sens3. Ayant appris le culte du libéralisme à l'école, elles sursauteront devant les mots « raison libérale » et, se reportant au texte italien, préféreront traduire « illuminata » par « éclairée », « illuminée », « embrasée », « luisante », ou n'importe quel autre synonyme, donnant ainsi un sens favorable à une formule pourtant défavorable dans son intention et dans son expression. Ce qui ferait dire au pape le contraire de ce qu'il veut dire. Pourquoi faudrait-il « descendre » du cheval d'une raison éclairée ?
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2 Mandeville est cité par Hayek comme le vrai fondateur du libéralisme. Hayek est le fétiche des libéraux de droite.
3 Certaines allusions familières à Joseph Ratzinger ne se discernent pas d'emblée.
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11:34 Publié dans Histoire, Idées | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : benoit xvi, noël, libéralisme
Commentaires
POSTULAT COMMUN
> Il me paraît évident depuis quelque temps que la philosophie issue des Lumières est libérale par essence, même dans ses résultats apparemment opposés au libéralisme que sont le communisme, par exemple.
Le point commun de tous ces courants de pensée est l'autonomie de l'homme qui refuse Dieu, une liberté coupée de sa source.
On peut s'amuser à opposer indéfiniment ces différentes écoles, mais cela est vain si on refuse de voir leur postulat fondamental commun.
PM
[ De PP à PM - Le marxisme n'est pas du tout le contraire du libéralisme : il est son "dépassement" en partant des mêmes bases. ]
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Écrit par : PMalo / | 27/12/2011
COMPARER LES DEUX DECLARATIONS
> Une expérience intéressante à faire :
Mettez en parallèle la Déclaration des droits et de l'homme et du Citoyen (1789) - pur produit des Lumières et du libéralisme - avec la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948). Le contraste est frappant.
Les révolutionnaires de 1789 se gardent de mettre comme fondement de la liberté des citoyens « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables ». Pour eux il n'existe que des individus-citoyens dont il s'agit de garantir les droits, afin que la société (contractuelle) ne retombe pas dans le chaos primitif et la guerre de tous contre tous.
Le libéralisme - qu'il soit "politique" ou "économiciste" - demeure fondamentalement un individualisme.
BJL
[ De PP à BJL - Et c'est ce que les cathos libéraux refusent de comprendre, en se réfugiant dans une utopie : un libéralisme imaginaire qui serait compatible avec la DSE. Un peu comme le "communisme à visage humain" des années 1980. ]
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 27/12/2011
LOCKE
> Que Locke soit une des sources principales du libéralisme politique, c'est certain. En revanche il n'a rien à voir avec un précurseur du relativisme: toute sa philosophie politique repose sur l'idée d'une 'loi naturelle" qui transcende le droit positif. C'est en cela que sa pensée politique a été une source d'inspiration pour les rédacteurs de la constitution américaine aussi bien que pour ceux des déclarations des droits de l'homme de 1789 et de 1948.
D'autre part, Locke n'est pas seulement une source du libéralisme économique: il est aussi une source du socialisme: la loi naturelle de Locke justifie le droit de propriété en tant que droit de chacun à jouir des fruits de son travail. Dès lors, le droit de propriété ne saurait s'étendre au droit d'exploiter le travail d'autrui, en quoi, Rousseau et Marx sont, parmi d'autres, des héritiers de Locke.
Il ne faudrait pas que la polémique avec le néolibéralisme contemporain fasse rejeter en bloc tout ce qui porte l'étiquette "libéral". Au delà des étiquettes, certaines pensées ont une fécondité qui dépasse les clivages politiques...
P.
[ De PP à P.:
- Vous avez le droit de faire ce pari.
- Mais nous en sommes en droit, quant à nous, de penser que le libéralisme est un tout cohérent, une vision de l'existence dont le tropisme diverge radicalement d'avec l'Evangile.
- Il faut regarder les faits, et cesser d'inventer des libéralismes imaginaires. Le seul libéralisme est le libéralisme réalisé. Nous l'avons sous les yeux.
- Sur Locke : "transcendance" est un mot auquel on donne le sens qu'on veut - ou aucun sens. Dans les faits, Locke ("Lettre sur la tolérance") déclare intolérable l'existence d'une autorité spirituelle autonome, telle celle du pape ! Soumettre le spirituel au magistrat, comme le veut Locke, c'est instaurer le relativisme sous couleur d'assurer la paix sociale. ]
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Écrit par : Physdémon / | 27/12/2011
VOLTAIRE ET ROUSSEAU
> En visitant Ferney-Voltaire cet été je me suis posé une question: pourquoi Voltaire, de 1760 à sa mort, s'est-il installé à côté de Genève pour trouver la liberté et pourquoi Rousseau, adolescent, a-t-il fui Genève en 1728 pour trouver lui aussi la liberté ? L'un et l'autre sont pourtant des "philosophes des Lumières" comme on dit.
Rousseau, condamné par les autorités de Genève, voit sa peine confirmée grâce aux pressions de Voltaire qui réclame même contre lui la peine de mort dans le "sentiment des citoyens" en 1764... Voyez comme ils ne s'aimaient pas tous ces beaux messieurs qui voulaient pourtant nous libérer, mais c'est peut-être çà aussi le libéralisme, l'individualisme susceptible !
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Écrit par : B.H. / | 27/12/2011
PARFAITEMENT D'ACCORD
> Je dis :
"On peut s'amuser à opposer indéfiniment ces différentes écoles, mais cela est vain si on refuse de voir leur postulat fondamental commun."
Vous me répondez :
"Le marxisme n'est pas du tout le contraire du libéralisme : il est son "dépassement" en partant des mêmes bases."
Nous sommes donc parfaitement d'accord.
- J'ai lu cet après-midi le "Il faut qu'il parte" de Sébastien Lapaque : tout y est, en 130 pages. Je m'attendais à un pamphlet à charge contre Sarkozy, mais il s'agit en réalité d'un petit essai qui s'attaque au fond du problème (la grande collusion libérale-libertaire au tournant des 80's, chère à la revue La Décroissance et à JC Michéa -que je vais bien finir par lire !) dont notre Président n'est qu'un symptôme, ou un aboutissement ; son nom n'est même pas mentionné.
- J'ai "retourné" mon père en une nuit -mouvementée- de discussion. Fastoche. Grande grâce de la sainte nuit de Noël !
Quoiqu'il en dise, il ne "connaissait" de l'objection de croissance que ce qu'on peut en lire dans Valeurs Actuelles.
Ce soir, il m'a parlé d'un certain manifeste...
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Écrit par : PMalo / | 27/12/2011
PAS D'ACCORD
> Il y a l'économie de marché et le dirigisme étatisé, je ne connais pas d'autre système économique.
La raison voudrait que le capitalisme qui est le seul système restant soit régulé car il ne l'est plus, et ça suffirait à redonner du poids aux citoyens, un équilibre perdu qu'il nous faut retrouver.
Sinon, que proposez-vous d'autre ? C'est bien joli de pleurnicher en vantant les mérites d'autre pleurnicheurs que sont les indignés de tous poils, mais qu'est-ce qu'on fait pour nourrir nos gosses demain matin ?
Vous ne proposez jamais rien, c'est trop facile, la charité impose de ne pas rester passif et de proposer des voies de sortie aux crise quand même.
GB
[ De PP àGBA :
- Vous êtes bien agressif.
- Si vous ne voyiez rien entre l'économie de marché et le goulag, vous seriez au Medef.
- Si vous souhaitez plutôt élargir votre horizon à ce sujet, je vous conseille de lire l'encyclique Caritas in Veritate, le document de Justice et Paix sur le système financier à réformer, ou le livre 'Grandir dans la crise' des évêques français. Si vous rejetez tout ça, tant pis pour vous.
- Ici nous faisons du journalisme chrétien, c'est-à-dire du commentaire d'actualité en essayant d'aller un peu en profondeur ; nous ne sommes pas un parti politique, ni un mouvement. Inutile d'exiger que nous fassions comme si.
- En revanche il existe des mouvements (non des partis) et qui ont notre sympathie ; ce sont précisément ceux que vous insultez ("pleurnicheurs"... seriez vous un surhomme ?).
- Alors moins de mauvaise humeur et plus d'ouverture d'esprit, si ça ne vous fait rien ; ou alors allez voir ailleurs. Ici on ne trépigne pas en criant "votez machin".
- Bonne année quand même. ]
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Écrit par : GBA92 / | 27/12/2011
à B.H
> Je ne crois pas que l'on puisse mettre Rousseau avec les autres philosophes des Lumières, notamment à propos du libéralisme. Il est un penseur à part je crois et peut inspirer des courants divers,( et pourquoi pas celui des Indignés?). Ainsi on ne trouve guère critique plus radicale du luxe que la sienne, au nom de la liberté justement:
"On croit m'embarrasser beaucoup en me demandant à quel point il faut borner le luxe. Mon sentiment est qu'il n'en faut point du tout. Tout est source de mal au-delà du nécessaire physique. La nature ne nous donne que trop de besoins; et c'est au moins une très grande imprudence de les multiplier sans nécessité, et de mettre ainsi son âme dans une plus grande dépendance."
C'est sans doute-là une des raisons qui lui valut la haine meurtrière de Voltaire: il n'est pas des leurs; et de ce fait sa pensée représente un projet concurrent du leur (une société libérale à la solde des marchands et de leurs bailleurs, artificialisée par les progrès de la science et des techniques, en haine d'une nature que rappelle le sauvage, la femme, l'enfant qu'il faut à tous prix "civiliser" ); projet d'un peuple libre vivant sobrement, et cherchant dans un passé mythique de relation fusionnelle à une nature maternante l'inspiration pour vivre quand-même, après la grande déchéance de l'invention de la propriété qui nous jeta dans la société. Il a manqué à Rousseau un interlocuteur catholique à sa hauteur, quand les autres n'en voulaient surtout pas !
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Écrit par : Anne Josnin / | 28/12/2011
ILLUMINES
> "Certaines allusion ne se discernent pas d'emblée", le hibou cet animal nocturne avec toute la portée du symbolisme autour de ce rapace dans de nombreuses civilisations:symbole ésotérique pour des initiés qui "s'illuminent" eux-mêmes?Allusion au rite égyptien?
Et que dire des "illuminés de Bavière"...!
Est-il pertinent d'effectuer un rapprochement avec les "voeux toniques et incisifs du Pape" et cette homélie de Noël? Allusion aux colonnes de sel et à Sodome, une autre cité ou forteresse.
Il y a certainement un sens spirituel précis à méditer, éclairé à la lumières des Ecritures;besoin de s'éclairer soi-même et d'éclairer les "fous".
Que ce soit dans les voeux du pape ou dans son homélie de Noël,il n'y a pas d'allusion à l'Esprit-Saint,pourtant le "géniteur" de l'incarnation.
Est-ce volontaire de la part de Benoit XVI?
S.
[ De PP à S. :
- Ce n'est pas un hibou, c'est la chouette de la philosophie !
- Il est toujours pertinent de mettre en rapport les paroles d'un évêque et celles du pape.
- Toute prière de croyant est inspirée par l'Esprit Saint ; Il est ainsi présent quand nous ne Le nommons pas.
- Quant aux "Illuminés de Bavière" (épisode qui fut démesurément exagéré par Barruel - authentique cinglé celui-là), c'était une forme pathologique d'un des courants radicaux issus des Lumières. Mais il est peu probable que Benoît XVI (quoique Bavarois) ait pensé à eux dans cette homélie ! ]
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Écrit par : Stéphan / | 28/12/2011
ANTHROPOCENTRISME ?
> Et les Lumières remontent elles-mêmes à l'Humanisme...qui, en mettant l'homme au centre, a commencé à chasser Dieu. Mais, c'est bien à partir de la philosophie des Lumières, me semble-t-il, que la science s’est construite peu à peu en donnant d’elle-même l’image d’un savoir objectif, détaché des passions humaines et œuvrant au bien-être de l’humanité. Évidemment, au vu des résultats obtenus, cette image est aujourd’hui mise à mal, mais la plupart n'ont pas encore compris. La science continue à fasciner. Les catastrophes de l’histoire moderne(Hiroshima, les horreurs des guerres actuelles), la destruction de la nature par les différents type de pollution, le développement de la puissance des capitaux anonymes qui réduisent l’homme en esclavage, qui, comme le fait observer Benoît XVI, ne sont plus au service de l’homme, mais constituent un pouvoir anonyme que les hommes servent, par lequel les hommes sont tourmentés et même massacrés... Au vu de tout cela, la confiance en la nature humaine prêchée par les «philosophes » devrait nous paraître aujourd’hui plus que naïve. C'est la faute à Voltaire ou à Rousseau? Les deux. Mais sommes-nous capables de revenir à l'idée du péché originel et à la "mortification de l'esprit" ?
D.
[ De PP à D. - Avec tout de même ce paradoxe : la pseudo-science économique, directement issue des théoriciens libéraux des XVIIIe-XIXe siècles, a installé au XXe un système global qui traite l'homme, non comme un centre, mais comme une variable d'ajustement. Et c'est la pensée sociale chrétienne qui demande un nouveau modèle économique plaçant l'homme au centre ! Comme quoi le théocentrisme (christocentrisme) chrétien n'est pas contraire à l'homme. ]
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Écrit par : Diagraphès / | 28/12/2011
LAPIDAIRE
> Merci à Anne Josnin pour ses précisions et pour sa conclusion lapidaire:"il a manqué à Rousseau un interlocuteur catholique à sa hauteur, quand les autres n'en voulaient surtout pas".
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Écrit par : B.H. / | 28/12/2011
@ PP,
-C'est la "chouette" des hellénistes,amis de la sagesse, dont vous faites allusion,celle qui a influencée de nombreux pères de l'église?
-Et si cet évêque et le pape sont la même personne?L'évêque de Rome et Benoit XVI.
- pour ma part également pas de relation avec "les illuminés de Bavières" et l'origine allemande du pape,mais ils ont fait quand même beaucoup de dégâts ceux-là.
bien sincèrement.
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Écrit par : Stéphan / | 28/12/2011
à Anne Josnin
> Vous opposez Voltaire à Rousseau, le Libéralisme au républicanisme. N’est-ce pas illusoire ? Sans le républicanisme, jamais le libéralisme n’aurait pu exister. Ces deux courants partagent de toute façon un fond anthropologique commun, et ils se sont entremêlés à un point tel qu’il est souvent difficile de distinguer politique libérale et politique républicaniste.
Nous retrouvons d’ailleurs dans le républicanisme – comme chez les libéraux – l’idée fort peu chrétienne que les vices privés ont des effets positifs pour la majorité et doivent par conséquent être encouragés (la critique des vertus chrétiennes par Machiavel…).
Bref, la fin justifie les moyens !
Rousseau antilibéral ? pas tant que ça ! lui aussi acceptait le contractualisme hobbesien avec son anthropologie individualiste, tout en faisant l’économie d’une guerre originaire de tous contre tous.
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 28/12/2011
INFINIE PUISSANCE
> L'enfermement moderne du concept de liberté sur lui-même est lié à sa dissociation puis opposition d'avec celui de vérité, issue du divorce entre la foi, la philosophie et la théologie. C'est ce que montre Joseph Ratzinger dans deux chapitres de son livre admirable « Discerner et agir » (« foi, philosophie et théologie », p.61, et « Liberté et vérité », p.207).
J'avais voulu reproduire quelques extraits ici, mais j'y ai renoncé, son propos étant tellement lumineux qu'il m'aurait fallu reproduire les 2 chapitres en intégralité. Bref, il faut les lire !
Ceci étant dit, quand Benoît XVI écrit « Si nous voulons trouver le Dieu apparu comme un enfant, alors nous devons descendre du cheval de notre raison libérale », c'est une monumentale forteresse intellectuelle qu'il abat d'un coup de sa si douce plume, et un vaste horizon qui se rouvre pour la pensée et pour l'agir. Infinie puissance de la tendre grâce de Noël !
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Écrit par : serge lellouche / | 28/12/2011
PATHOLOGIE DE LA LIBERTE
> Le pape Jean-Paul II, au chapitre 7 de "Mémoire et identité" (Ed. Flammarion, 2005), a mis en exergue la pathologie de la liberté qui s’est développée avec fureur dans les années 90 ; une pathologie propre au libéralisme (nous pourrions ajouter : au républicanisme) et qui réside dans une liberté déconnectée du discernement moral, devenant sa propre finalité :
« Si, après la chute des systèmes totalitaires, les sociétés se sont senties libres, presque simultanément est né un problème de fond : celui de l’usage de la liberté. Il s’agit d’un problème qui comporte des dimensions non seulement individuelles, mais aussi collectives. Il attend donc une solution en quelque sorte systématique. Si je suis libre, cela veut dire que je peux faire un usage bon ou mauvais de ma liberté. Si j’en fais un bon usage, je deviens donc meilleur à mon tour, et le bien que j’ai réalisé a une influence positive sur ceux qui m’entourent. A l’inverse, si j’en fais un mauvais usage, il en résultera un enracinement et une diffusion du mal en soi et dans le monde qui m’entoure. La dangerosité de la situation dans laquelle on vit aujourd’hui réside dans le fait que, avec l’usage de la liberté, on prétend faire abstraction de la dimension éthique, c’est-à-dire de la considération du bien et du mal moraux. Une certaine conception de la liberté, qui trouve présentement un large écho dans l’opinion publique, détourne l’attention de l’homme de sa responsabilité éthique. Ce sur quoi on s’appuie aujourd’hui est la liberté seule. On dit : ce qui importe, c’est d’être libres, d’être délivrés de tout frein et de tout lien, de manière à se mouvoir selon ses propres jugements qui, en réalité, ne sont souvent que des caprices. Il est clair qu’un libéralisme de ce genre ne peut être qualifié que de primitif. Son influence est donc potentiellement dévastatrice. » (p. 47-48)
Jean-Paul II convient que les philosophes des Lumières ont « reconnu la nécessité d’un critère régulateur de l’usage de la liberté » pour contrebalancer leur conception individualiste et a-morale de la liberté ; mais le critère en question est à ce point catastrophique qu’il ne fera que lui donner un point de départ pour un procès du libéralisme. En effet, « […] Ce critère a été toutefois identifié non pas tant dans le bien juste (bonum honestum) que dans l’utile ou dans le plaisir. […] » Tout le chapitre est une critique de l’utilitarisme avec Kant, et contre Kant.
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 28/12/2011
Cher Blaise,
> vous avez raison quant aux conclusions du rousseauisme sans doute,(si ce n'est la question du luxe,qui est tout de même majeure) je voulais parler de l'esprit de la démarche: quand Rousseau il me semble part d'une théologie "protestante" qu'il s'est forgé tout seul faute de guide, mais en grande honnêteté, les autres (je parle des philosophes des Lumières français)en libre-penseurs, se moquent bien de toute dimension spirituelle, et n'utilisent le concept rhétorique de Dieu que comme arme pour détruire l'Eglise et tout ce qui fait obstacle à leur modèle de société libérale.
D'autre part les conditions de validité du Contrat Social de Rousseau sont en pratique tellement irréalisables que l'on peut se demander si ce n'est pas davantage pour lui une justification d'un droit de retrait quasi permanent du citoyen, comme les fondements d'une clause de conscience, qu'un projet politique. Mais tout cela est bien loin et il faudra que je me replonge dans la lecture de ces classiques!
Merci Serge pour vos références toujours judicieuses: pourquoi pas les mettre un jour sous forme de compendium (le jour des bonnes résolutions approche, et j'en ai toujours plein....pour les autres :-))?
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Écrit par : Anne Josnin / | 29/12/2011
> Chère Anne, où trouve-t-on ce passage de Rousseau sur le luxe?
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Écrit par : VF / | 29/12/2011
ROUSSEAU ET LES LUMIÈRES
> Peut-être Anne Josnin fait-elle référence au "Discours sur les sciences et sur les arts"? (1750). C'est le premier essai théorique de la réaction anti-rococo. Ou encore la "Lettre à d'Alembert sur les spectacles" (1758) qui poursuit la réflexion du philosophe.
Hugh Honour décrivait ainsi la démarche préconisée par Rousseau dans notre rapport aux artefacts culturels, « un retour purgatif à la simplicité et à la pureté primitives – un monde nouveau et meilleur gouverné par les lois immuables de la raison et de l’équité, un monde dans lequel "l’infâme" serait à jamais "écrasé" » ("Le Néo-classicisme", Librairie Générale Française, 1998, p. 13)
De toute façon, malgré ses désaccords avec ses pairs, Rousseau n'est pas séparable des Lumières, des encyclopédistes notamment. Autrement il n'aurait pas eu un tel impact sur la pensée et l'art de la 2e moitié du XVIIIe siècle.
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 29/12/2011
SANS DIEU
> Il me semble que l'alternative Rousseau/Voltaire, figure bien, en gros, les vicissitudes qui sont le lot fatal de l'homme sans Dieu. Tantôt nous adorons la civilisation et le progrès, tantôt nous rêvons de retourner à la nature, mais ce n'est bien sûr qu'une réponse illusoire à nos déboires... Tant il est vrai que l'homme ne peut être lui-même qu'en Dieu!
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Écrit par : Diagraphès / | 29/12/2011
Anne,
> A vrai dire j'y ai souvent songé : une sorte de grand site renvoyant à des liens multidirectionnels.
Mais en ce moment, je suis plus dans l'idée de partager sur une sorte de blog-expo les quelques belles photos (?) que j'ai pu faire, qui me donnent la liberté et la joie d'extérioriser mon bouillonnement imaginaire et de vider ainsi ma tête de toute idée, ce qui de temps en temps fait grandement du bien. Parfois les meilleures photos sont les photos ratées ou involontaires. Oui vraiment, avant de supprimer une photo « ratée », il faut y regarder à deux ou trois fois ; bien souvent un petit signe de la grâce est venu nous y faire un petit clin d'oeil.
Mais un peu comme vous, les bonnes résolutions, j'en ai plein surtout pour les autres : alors de mon côté (je voulais vous le dire depuis un certain temps), j'attends avec impatience que vous regroupiez et mettiez en forme un certain nombre de vos commentaires écrits ici sur ce blog (ou ailleurs), et que vous les proposiez à des éditeurs. Vraiment Anne !
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Écrit par : serge lellouche / | 29/12/2011
Anne et Serge,
> Pourquoi ne feriez-vous pas un blog ? La blogosphère a besoin de vos réflexions !
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Écrit par : Charles Vaugirard / | 30/12/2011
> Anne et Serge, il faudrait plutôt que Patrice fasse ce florilège des commentaires du blog. Ce serait son prochain livre? ;-)
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Écrit par : VF / | 30/12/2011
Cher VF,
> dès que Ren' sort son trousseau de clés pour déverrouiller le forum, je te propose d'y ouvrir un sujet : préparer une publication collective des chrétiens indignés, qui regrouperait une multitude de contributions des uns et des autres...
à Damien,
sincèrement merci pour ces mots qui me touchent beaucoup !
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Écrit par : serge lellouche / | 30/12/2011
LE DEVELOPPEMENT LOGIQUE DU LIBERALISME DETRUIT TOUTE ETHIQUE
> "Jusqu'à une époque récente, l'immense majorité des citoyens des nations libérales s'accordaient à penser qu'il existait des critères de bon sens permettant de distinguer un fou d'une personne saine d'esprit, un enfant d'un adulte ou un homme d'une femme. mais à partir du moment où le développement logique du libéralisme culturel (ce que la gauche moderne célèbre sous le nom d' 'évolution naturelle des moeurs') conduit mécaniquement à voir dans toute catégorisation culturelle existante une simple 'construction sociale' arbitraire et 'discriminante', l'idée selon laquelle il serait possible de définir de façon objective et entièrement procédurale l'acte de 'nuire à autrui' perd inévitablement toute efficacité pratique..."
(Jean-Claude Michéa, 'La Décroissance', décembre 2011)
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Écrit par : ned / | 04/01/2012
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