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16/11/2011

'J'étais à Nuremberg' : un bon film... qui contredit l'histoire

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Cette fiction diffusée hier soir (FR3) ne manque pas de qualités. Mais pourquoi déformer un fait historique comme le procès de Nuremberg ?


 


C'est la question qu'ont soulevée – lors du débat – l'historienne Annette Wiewiorka et Olivier Meyer, petit-fils du délégué du général de Gaulle au procès de Nuremberg : Auguste Champetier de Ribes.

 Le film tombe dans l'invraisemblable parce qu'il prétend « améliorer » ce qui s'est fait à Nuremberg (1945-1946) en y ajoutant des idées de 2011. On voit ainsi, pendant les scènes d'audience, des personnages fictifs crier des choses censées (selon nos impressions d'aujourd'hui) n'avoir « pas été dites » à l'époque : que le massacre de Katyn avait été commis par les Soviétiques, ou que Laval fut complice des déportations de juifs. Or ces deux choses furent dites à Nuremberg, a souligné Annette Wiewiorka. Pourquoi faire comme si elles ne l'avaient pas été ?

 Dans le film, Champetier de Ribes dit « taisez-vous » à son assistant juif, le jeune procureur Pierre Bernard, qui vient de dénoncer la culpabilité de Vichy. Pierre Bernard est un personnage de fiction et cette scène du « taisez-vous » contredit l'histoire : Champetier de Ribes (l'un des 80 parlementaires qui refusèrent de voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1940) n'a pas cherché à masquer la culpabilité de Vichy, qui fut indiquée durant le procès.

 Alors pourquoi le film invente-t-il cette scène ? Pour pouvoir accuser de Gaulle... Selon le film, le général « veut le silence sur Vichy », au nom de la « reconstruction ». Mais cette idée aussi contredit la réalité historique : pendant le procès de Nuremberg se déroulent en France les procès de l'épuration (Pétain, Laval, etc), qui ouvrent les dossiers de Vichy, et toute la presse en parle ! Accuser de Gaulle de mansuétude envers la collaboration est une absurdité [1] que le cas unique de Papon ne suffit pas à étayer – contrairement à ce que laissera entendre la fin du film, avec une allusion explicite à « Bordeaux ».

Question : pourquoi cette insistance à transformer de Gaulle en complice tacite de Pétain et Laval ? La réponse se fait attendre.

D'ailleurs le réalisateur du film et les scénaristes ont préféré ne pas être là hier soir, laissant à l'acteur Serge Hazanavicius (Pierre Bernard) la tâche de défendre gentiment l'indéfendable. Convaincu par l'indignation d'Olivier Meyer, l'acteur a désavoué la scène du « taisez-vous ». Mais il a plaidé pour le film, à l'aide de slogans d'aujourd'hui : les droits de « l'émotion», etc. Langage de publicitaire au détriment de l'histoire... Peut-on parler de « mémoire » dans ces conditions ? J'ai aimé l'ironie d'historienne d'Annette Wiewiorka envers les bourdes de J'étais à Nuremberg. [2]

 

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[1] « La France essaie de passer sous silence les positions tenues par le régime de Vichy », osent dire les synopsis officiels du film. Alors que toute l'action de De Gaulle se justifiait depuis 1940 par un réquisitoire radical contre Vichy, ses pompes et ses oeuvres.

[2] Notamment sur l'une des (innombrables) invraisemblances du film, le personnage de Nina l'héroïne polonaise : « une Polonaise de Londres qui serait interprète dans la délégation soviétique ?  je ne reconnais plus Staline ! », a souri Annette Wiewiorka. L'inconcevable Nina fait partie de ce que les auteurs du film appellent – dans un magazine télé – « un éclairage légèrement décalé », « une ellipse d'interprétation qui demeure, bien entendu, historiquement fondée ».

 

Commentaires

QUI VEUT DEMOLIR DE GAULLE ?

> C'est en effet surprenant. On cherche à démolir de Gaulle... Pourquoi ? Sans doute parce qu'il a aimé et d'une certaine manière incarné la France. Le dénigrement de notre pays est à la mode. La haine de soi est encouragée. Il est donc naturel que l'on va assimiler celui qui a dit NON à Vichy à ce même gouvernement fantoche. Que l'on va faire du cas de Papon une généralité afin de balancer toute la France dans les latrines de l'Histoire.
Un tel comportement est bien malsain...
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Écrit par : Charles Vaugirard / | 16/11/2011

RETOURNEMENTS

> À sa décharge, Hazanavicius était dans une position impossible : défendre, face à de vrais historiens et sans connaissance historique réelle de l’affaire, ce dont il n’était pas l’auteur, mais seulement l’interprète. Il ne pouvait placer son argumentaire qu’au plan artistique. Il ne pouvait pas plaider autre chose que la finalité émotionnelle de ces « libertés prises avec l’histoire ». Evidemment, Meyer ne l’a pas raté : salir l’honneur d’un homme – en l’espèce son grand-père – au nom d’un parti pris artistique, cela ne tient pas. Cela tient d’autant moins que le parti pris n’est pas tant artistique que politique : entretenir la légende d’une France qui ne saurait pas regarder son passé en face. Mais je trouve qu’Hazanavicius est resté humble, sympathique, doux et sans arrogance. Et il a reconnu qu’il voudrait refaire le film sans le « taisez-vous ». Donc, la faute est admise.
J’ai trouvé l’historienne très bien. Cela confirme que l’université d’histoire s’est vraiment « retournée » ces dernières années, abandonnant progressivement des grilles de lecture idéologiques et anachroniques qu’on ne trouvera bientôt plus que dans des fictions qui, en effet, sont bien des fictions. Vous verrez que bientôt, même l’histoire de l’Eglise finira pas retrouver un traitement vraiment historique. Cela a déjà commencé.
Autre élément positif, dans la même veine : je tiens d’un doctorant en philosophie médiévale que l’université de philo est aussi en phase de retournement. Des professeurs qui ne manquaient pas une occasion de « railler » le christianisme commencent à se rendre compte que, face au néant intellectuel, si on ne transmet pas toute l’épaisseur de l’héritage philosophique chrétien du Moyen-Âge, l’intelligence se trouvera en danger de mort. Résultat : des professeurs agnostiques commencent à transmettre – avec davantage de profondeur et de conviction que les professeurs de la Catho ! - le génie du christianisme. Peut-être que le discours des Bernardins n’y est pas pour rien !
Il y a un mouvement d’ensemble qui est positif. Cela suivra avec les arts. D’une certaine manière, tant que la culture authentique se transmet, même dans des cercles restreints, elle est susceptible de retrouver sa place dans la cité, tôt ou tard, pour féconder la culture populaire. Cette irremplaçable culture populaire qui, avec la religion populaire, est l’expression vivante de l’âme des nations et le berceau de l’enchantement du monde.
Patience, nous y sommes presque : 10 ans ou 10 siècles tout au plus…
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Écrit par : Guillaume de Prémare / | 16/11/2011

FICTIONS

> Sans opinion sur le fond du sujet lui-même je vois cependant là une triste confirmation du fait que l'histoire se fait par la fiction : nous voyons bien par exemple que l'histoire du moyen-âge est vu encore aujourd'hui au travers de fictions du XIXe dont certaines se prétendaient d'ailleurs des livres d'histoire.
Aujourd'hui combien de personnes abhorrent l'Opus Dei qu'elles ne connaissent qu'au travers du roman de Dan Brown !? Combien de personnes tiennent pour réelles les scènes fictives du film 'Amen' lui-même tiré d'une pièce de théâtre, et considèrent que Pie XII était pro-nazi ?
N'osant pas mettre en doute le sérieux des scénaristes et réalisateurs ni leur culture, il m'est difficile de croire que ce genre de bourdes télévisuelle ou romanesque ne soit pas orientées effectivement.
Le problème c'est qu'à ces fictions à l'effet dévastateur je ne vois rien d'autre à opposer que le savoir et la culture mais cela n'est pas dans l'air du temps car cela demande plus d'effort que de presser le bouton de sa télécommande ou pianoter sur son clavier dans wikipédia.
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Écrit par : Vigourt Damien / | 16/11/2011

SALISSONS

> les réalisateurs de film ne sont pas historiens, en revanche ils ont désormais la capacité de devenir des historiens aux yeux des cinéphiles, alors que cela n'est absolument pas le cas !
Régulièrement ils sont des révisionnistes de l'histoire, et ça devient détestable; ils l'ont fait avec ce film, mais que dire du film "AMEN" ???
et ce film sur la Nouvelle Calédonie et cette histoire des prises d'otages de 1988, qui vient juste de sortir sur les écrans???
J'ai vu cette semaine à ce titre, une émission en présence des acteurs de l'époque, qui n'ont même pas été interrogés, et pour lesquels, le réalisateur, (en mal de glorieuse reconnaissance des révisionnistes), fait parler les ministres et les hommes politiques de l'époque selon son point de vu, mais absolument pas selon les normes objectives de recherches d'historiens.
heureusement, il y a désormais internet, qui permet de mettre en contradiction toute idée ou pensée subjective de l'auteur.
Vous le faites ici pour Charles de Gaulle, détesté par une frange d'hommes plutôt à gauche, comme le réalisateur de ce film en question, et qui ne s'en cache pas;
Pourtant faut-il être de gauche pour salir l'honneur d'un homme? non, ce sont des procédés partagés par beaucoup; mais pour les films c'est souvent le cas.
salissons salissons, il en restera bien quelque chose de pourri semble nous dire ce Monsieur : il n' a pas été mieux fait pour PIE XII !!!
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Écrit par : jean christian / | 16/11/2011

RETOURNEMENTS, 2

> J’ai trouvé l’historienne très bien. Cela confirme que l’université d’histoire s’est vraiment « retournée » ces dernières années, abandonnant progressivement des grilles de lecture idéologiques et anachroniques qu’on ne trouvera bientôt plus que dans des fictions qui, en effet, sont bien des fictions. Vous verrez que bientôt, même l’histoire de l’Eglise finira pas retrouver un traitement vraiment historique. ".
Cher Guillaume, il y a maintenant trente ans que l'université commençait son retournement. Quand j'étais en fac d'Histoire, je peux vous garantir que ce que j'y ai appris sur l'Eglise, l'inquisition, la guerre d'Espagne, les ligues, les Cathares, Galilée, etc. n'avait rien, mais alors vraiment rien à voir avec ce qui se racontait partout ailleurs. Par contre, quand j'ai choisi mon sujet de maîtrise, il y avait une liste de thèmes interdits mais uniquement en hisToire contemporaine (en gros tout ce qui touchait à Mitterrand et la résistance, la guerre d'Algérie, etc.).
Mais je suis d'accord, le laid, le faux est en train de mourir, d'où les convulsions actuelles.

A JC: le mensonge et la propagande ne sont pas nouveaux. D'où l'importance de l'école. Et ce qui m'effraie, ce ne spont pas quelques films plus ou moins bons, mais le choix délibéré de ne former et de ne recruter, en majorité, que des profs de plus en plus incultes et donc incapables de rétablir la vérité.

P.S: pour Ouvéa, le père d'un de mes camarades scouts faisait parti des gendarmes. Et il ne m'a pas raconté la même chose que ce que j'ai pu entendre du film.
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Écrit par : VF / | 16/11/2011

DEBILES BORGIA

> La série que Canal + consacre aux Borgia est aussi gravement déficiente. C'est du moins ce qu'on peut craindre au vu de la campagne publicitaire : une Lucrèce en petite tenue, un César ayant l'air complètement idiot ...
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 16/11/2011

cher VF,

> un petit mot pour reprendre ce que vous dites : "A JC: le mensonge et la propagande ne sont pas nouveaux. D'où l'importance de l'école. Et ce qui m'effraie, ce ne sont pas quelques films plus ou moins bons, mais le choix délibéré de ne former et de ne recruter, en majorité, que des profs de plus en plus incultes et donc incapables de rétablir la vérité".
Ce que vous dites à propos des professeurs est peut-être vrai, mais j'ai du mal à pouvoir apprécier l'ensemble du corps professoral tel que vous le faites, en plus n'étant pas professeur, je ne peux oser disserter sur la capacité de tout un groupe professionnel à être vraiment critique ou non.
Sans aucun doute la vérité est plus nuancée au cas par cas.
Ce qui est sur, c'est que les films ont un pouvoir de cristallisation des pensées, autour des idées développées par ce moyen. Ils mettent d'office, hors jeu, ou rendent désuète, toute autre manière de pensée ou vue historique, lorsqu'un débat est proposé. Il est évident que la force des images d'un film est extraordinairement puissante, devant tout autre moyen de communication contradictoire.
Il n'y a qu'à voir la force pénétrante des films pornographiques : combien de personnes sont définitivement dépendantes comme des drogués à cet obscur "art"? L'image développée par le film est un avaleur de "moyen" de pensée, c'est presque une pensée à la place de notre pensée. Donc le film dit "historique" est pour moi bien plus dangereux que tout autre représentation de l'histoire, car par sa nature, il force l'histoire dans notre tête bien plus qu'il ne l'a relate.
La Vérité historique ne se trouve jamais dans les films, et ce qui est présenté comme "L’Histoire" dans les films, "force" l'Histoire dans notre conscience, et demeure un bon moment avant que nous redevenions libre et critique sur ce qu'on a vu.
La vue historique d'un film reste subjective, comme toute histoire racontée d'ailleurs, et dépend totalement de son réalisateur; un réalisateur connait mieux que quiconque son pouvoir de séduction, et de nuisance au cas ou...
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Écrit par : jean christian / | 18/11/2011

CE QUI ME GÊNE

> Que l'Art en violant l'Histoire lui fasse de beaux enfants, comme disait Le Grand-Père, ça ne me choque pas; du moment que c'est avoué (par exemple dans Inglorious Basterds). C'est le fait que ce soit dissimulé comme dans ce film qui me gêne beaucoup plus.
Surtout que j'ai souvenir de profs d'histoire au collège et au lycée, très friands de films historiques qui nous ont fait retenir notamment la révolution française en nous projetant des productions sur les sujets abordés. Et s'il choisissait par malheur ce film qui trahit la vérité... c'est possible, il était prof d'histoire dans un petit collège de province, pas un grand historien non plus...
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Écrit par : alma / | 25/11/2011

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