15/11/2011
Chrétiens et écologie : par où continuer ?
(Photo : Mgr Kräutler, évêque amazonien, manifeste avec ses diocésains contre un projet de barrage). En France, les "premières Assises chrétiennes de l'écologie" ont marqué un pas en avant :
...Présence active et enseignante d'évêques (Mgr Lebrun, Mgr Stenger) et de représentants du protestantisme et de l'orthodoxie ; messages du cardinal Turkson, du patriarche Bartholomée et du pasteur Baty ; public nombreux, studieux, désireux de perspectives et d'arguments. Pour ma part, j'ai animé deux ateliers Bible et écologie et participé à la table ronde sur l'engagement politique (ci-dessous le texte de mon intervention), aux côtés de Jean-Pierre Raffin, Jacques Muller et Maurice Vincent. (Que des gens de gauche ? oui, les personnalités de droite avaient décliné l'invitation : va savoir pourquoi [1]).
De tout ça, trois leçons :
a) les catholiques qui prennent au sérieux leur foi la laissent modifier leurs idées antérieures ;
b) une modification profonde des attitudes catholiques se dessine en économie et en écologie, domaines indissociables (où la vulgate libérale s'est disqualifiée [2]) ;
c) cette modification permet le dialogue entre croyants (petite minorité) et incroyants (large majorité), sur la base d'une réalité qui est la même pour tous. C'est dans ce contexte que peut avancer la nouvelle évangélisation : certainement pas dans des crispations-convulsions incompréhensibles aux neuf dixièmes des gens, donc nuisibles à l'évangélisation. L'engagement responsable dans les luttes écologiques, économiques et sociales ne se sépare pas du témoignage évangélique, qui ensemence la réalité quotidienne.
Et maintenant, par où continuer ? Du 18 au 20 novembre, à Lyon, (espace culturel Saint-Marc, 120 rue Sainte-Hélène), se tient le colloque Objection de croissance et christianisme, quelles convergences, quelles divergences ? Ce sera l'occasion de clarifier bien des choses. Je vous y donne rendez-vous :
http://www.chretiens-et-pic-de-petrole.org/
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[1] D'ailleurs on sait pourquoi ! cf. (naguère) le ministre de l'Intérieur chiraquien qui me disait son exaspération de voir des évêques donner leur avis sur la vie en société : « qu'ils s'occupent de morale, le reste n'est pas leur métier. » Belle largeur de vues.
[2] Parmi les centaines de catholiques ayant assisté à cette table ronde et pris part au débat, un seul (ensuite) est venu me reprocher – avec une rage froide – d'avoir exprimé de la sympathie envers les indignés de Wall Street. C'était visiblement un observateur envoyé par la Sainte Ligue, milieu dont la haine envers l'écologie est connue et dont la haine envers les indignés devient un marqueur supplémentaire.
Mon intervention à la table ronde Quel engagement politique ?
(samedi 12 novembre, 13 h 45)
Face à l'urgence écologique, quel engagement politique : cela veut dire qu'il y a réellement urgence, et que la solution passe par le politique. L'urgence est scientifiquement établie : elle est dramatique parce qu'elle touche la vie sur Terre et que nous sommes tous responsables de cette vie. Responsables dans quelle mesure ? Dans la mesure où la cause majeure de la crise écologique – la cause sur laquelle on peut agir – c'est notre système économique. Selon ce système, tout (l'environnement, les sociétés humaines), absolument TOUT, n'apparaît plus que comme un carburant du marché. Au lieu que l'économie soit ajustée aux relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont mises en pièces et ajustées de force au système économique. Au lieu que l'économie s'harmonise avec l'environnement, c'est l'environnement qui est gaspillé pour l'économie. Quelle économie ? Plusieurs modèles étaient possibles... Or le modèle qui nous a été imposé, le productivisme de masse, exige une consommation-gaspillage augmentant sans cesse (d'où la fameuse idéologie de la ''croissance'').
Ce système est au paroxysme depuis la fin du XXe siècle, mais il ne peut pas durer. Il est contraire au bon sens élémentaire. On ne peut pas exploiter de façon croissante et illimitée les ressources de la planète, qui sont limitées. Bientôt nous serons 9 milliards d'habitants sur la Terre : on ne pourra les nourrir que si l'on change le système économique, notamment en mettant fin à la spéculation sur les matières premières alimentaires et au gaspillage de ressources pour la croissance illimitée.
Mais ralentir le train de vie de l'humanité, sans enfermer dans la misère les pauvres qui font des enfants, nécessite des sacrifices de la part des riches qui ne font plus d'enfants. Il faut une véritable révolution mentale et institutionnelle.
Par ailleurs la crise financière, qui s'étend sur nous et se retourne contre l'économie réelle, montre à quel point le système est artificiel : non seulement l'économie productiviste vampirise la planète et malmène ses habitants, mais cette économie elle-même est vampirisée par la finance, parasite prédateur depuis la dérégulation imposée par l'idéologie libérale.
Donc tout se tient : et c'est un appel à une forme nouvelle d'engagement politique. Si l'on veut arrêter la destruction environnementale, qui n'est que l'un des résultats du système au même titre que la destruction sociale, la destruction culturelle, ou la destruction psychologique et spirituelle, alors il faut changer tout le système.
Ce qui ne peut s'envisager que par le moyen du politique.
Et ce qui pose un problème supplémentaire : car le politique a démissionné entre les mains de la finance depuis les années 1990... La dérégulation consentie par lui, donc la prise du pouvoir par le système économique et financier, a entraîné la dégradation de l'Etat qui n'est plus l'agent du bien commun.
Maintenant, sous les coups de la crise, on redécouvre qu'on a besoin du politique parce que lui seul pourrait, par un coup de force international, changer le système économique.
Mais le politique actuel est-il capable de jouer ce rôle ? On en doute. Le président du Conseil économique et social, Jean-Paul Delevoye, finit même par dire : « Je croyais qu'on pouvait influencer les politiques de l'intérieur, je pense aujourd'hui qu'il faut les influencer de l'extérieur, pour les aider à se poser les bonnes questions. »
Pour les aider, il va falloir parler très fort si l'on veut se faire entendre. Donc réjouissons-nous de voir apparaître ces insurrections spontanées de la base que sont les mouvements des Indignés : les jeunes chômeurs espagnols, les étudiants chiliens, les contestataires américains de Wall Street, qui dénoncent la démission des Etats et la collusion entre les politiques, les financiers et les communicants (engrenage qui mène au désastre).
C'est la préfiguration d'une Internationale nécessaire. C'est un signe du réveil de l'opinion. Même si certains d'entre nous restent des somnambules, on en voit d'autres ouvrir les yeux sur ce qu'est devenue la politique et sur l'urgence d'inventer une politique nouvelle. Si le bulletin de vote ne suffit pas, la seule action efficace sera la mobilisation populaire. Si on ne peut plus influencer les politiques de l'intérieur, alors, oui, il faut les influencer de l'extérieur !
En tant que citoyens, il faut agir en faisant pression à tous les niveaux, nationaux et internationaux.
Et ne pas nous contenter de discours moralisateurs... Accuser l'avidité, le délire de l'argent chez les individus, oui, sans doute ; mais si l'on veut réfréner ça, il faut changer les structures. Le scandale tout récent du financier Jon Corzine, à Wall Street, en est un exemple supplémentaire. Déclarer : '' L'ère des folies est terminée '', ce n'est qu'une incantation si l'on ne fait rien pour mettre fin aux folies.
Ce qui suppose de lutter ! Non seulement lutter contre les saccages écologiques et sociaux, par exemple avec la mobilisation contre le scandale du gaz de schiste ; non seulement lutter contre la désinformation, par exemple contre la campagne des négationnistes financés par les pétroliers pour faire croire que le réchauffement climatique n'existe pas (ou que l'homme n'y est pour rien parce que le système économique est au dessus de tout soupçon) ; non seulement lutter contre tout ça, non seulement lutter pour de nouveaux modes de vie : mais lutter pour réinventer le politique. Parce qu'il s'agit du bien commun des peuples, et que l'outil du bien commun, contrairement à ce que nous racontaient les libéraux, c'est le politique.
Cette lutte, il faut la mener au coude à coude, croyants et incroyants, parce que la réalité est la même pour tout le monde.
Un groupe de jeunes fait circuler sur Internet un '' Manifeste des chrétiens indignés ''. Je vous en cite un passage :
'' L'appartenance au Christ est une force totale qui ne laisse de côté aucun des aspects de la vie des hommes... Or il existe un vaste champ de transformation sociale largement ignoré des chrétiens, qui trop souvent ignorent que les actuels enjeux politiques vont bien au-delà des nécessaires questions éthiques (défense de la vie). Oserons-nous reconnaître que le constat des injustices criantes qui affectent les populations fragiles de notre terre, et les transgressions contre l’homme et la nature dont nous sommes chaque jour les témoins, sont un appel à transformer les structures mêmes de nos sociétés, et pas simplement à en corriger les effets désastreux ? Le paradigme libéral non seulement ne marche pas, mais il est indigne de l’homme. C’est notre responsabilité de chrétiens que d’affirmer cela, et de proposer un autre modèle conforme aux exigences de l’Evangile. Nous brûlons de voir les chrétiens se mobiliser sur ce thème, et devenir une force généreuse de changement social.''
10:22 Publié dans Chrétiens indignés, Ecologie, Idées, La crise, Oecuménisme, Planète chrétienne, Société, Témoignage évangélique | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : écologie, christianisme, catholiques, saint-étienne
Commentaires
NEGATIONNISMES, COMPLOTISMES, ETC
> Bon et après : qu'est-ce qu'on fait concrètement ?
Une remarque : le terme négationniste en matière de climat m'a l'air légèrement outrancier. le négationnisme : c'est quand même autre chose non ?
R.
[ De PP à R. :
- L'un des quarante ateliers des Assises chrétiennes de l'écologie, le week-end dernier, était consacré à l'étude "du négationnisme climatique".
- Le négationnisme n'est pas limité à un seul objet. C'est une attitude mentale : négation d'un fait, et construction mentale délirante pour justifier cette négation. Appliqué à la Shoah, c'était Faurisson & Cie. Appliqué au climat, c'est le réseau des sites de l'ultra-droite transatlantique et le tsunami de fausses rumeurs qu'il répand depuis plusieurs années.
- Faisons un parallèle : le système mental du "complotisme", lui aussi, est le même dans tous les cas. Que ce soit le mythe du "complot des jésuites", celui "des franc-maçons", celui "des juifs" (Protocoles) ou celui "de l'Opus Dei", ce sont les mêmes fantasmes récurrents. J'ai écrit là-dessus un chapitre de mon enquête, justement, sur l'Opus Dei. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Roussel / | 15/11/2011
EN TERMES DE POUVOIR
> Tout à fait vrai, mais, permettez-moi d'ajouter: encore inachevé, car il faut maintenant penser en termes de pouvoirs.
-Quels sont les institutions et les pouvoirs qui doivent être rétablis pour maîtriser la machine financière emballée?
-Quels sont les organisations et pouvoirs qui soutiennent cette machine directement ou en cassant les pouvoirs opposés, et contre lesquelles il faut agir ?
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Écrit par : Pierre Huet / | 15/11/2011
Mgr GAIDON
> Chrétiens et écologie par où continuer ?
Pour répondre à cette question, je voudrais, à nouveau citer ce propos de Mgr Maurice Gaidon, que nous propose Claude Gilbert ce matin (merci à lui!).
Cette façon de parler me remplit de joie. Par notre foi catholique, avons-nous vocation à être des alibis, "rassembleurs" et consensuels, ou des prophètes, souvent incompris, mais visionnaires et annonciateurs du réel qui vient ?
Chapitre 13: "Nous sommes des couards"
Extraits:
"En conscience, je pense que notre langage manque de vigueur et que le souffle prophétique est par trop absent de nos textes savamment mesurés." (p. 158)
"J'ai vraiment l'impression que la persécution subtile qui s'exerce à notre encontre par médias interposés nous a conduits à passer du triomphalisme de la conviction énoncée à l'énoncé timide de la proposition murmurée. Nous n'aimons pas sortir d'un ton conciliant et recherchons avant tout le réconfort d'un consensus mou dans les domaines les plus sensibles." (p.164)
http://www.editions-emmanuel.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=134"
A méditer...
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Écrit par : serge lellouche / | 15/11/2011
@ Claude et Serge
> Merci de porter ainsi dans votre prière Mgr Maurice Gaidon, décédé hier (http://www.bienpublic.com/cote-d-or/2011/11/15/mgr-maurice-gaidon-dijonnais-et-eveque-emerite-de-cahors).
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Écrit par : Denis / | 15/11/2011
> Cher Denis, vous me l'apprenez... Oui, portons le dans nos prières en cet instant béni où il lui est donné de reconnaitre pleinement le visage d'amour du Seigneur, et de faire le choix ultime de le suivre vers Sa joie éternelle...
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Écrit par : serge lellouche / | 15/11/2011
L'APPEL AUX EVEQUES POUR L'ECOLOGIE
> Bonjour,
Je voulais vous signaler qu'en simultané au Manifeste des chrétiens indignés, se sont rassemblée aussi des Chrétiens dans un premier élan appelé "appel aux évêques sur l'écologie". Il faudra d'ailleurs créer des liens. Ce texte conçu en mai dernier par des Chrétiens engagés et signé de quelques personnalités (JP Raffin, F Euvé, JM Pelt par exemple) vise à formuler 15 propositions d'actions que pourrait adopter la Conférence épiscopale française. On trouve ce texte sur divers blogs ou on peut le demander à l'adresse suivante : appelchretienpourlecologie@gmail.com
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Écrit par : laura / | 17/11/2011
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