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01/10/2011

Mgr Darboy, fusillé en 1871 mais pas martyr pour autant : une leçon en 2011 ?

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Enquête d'un historien de la Sorbonne :


 

Archevêque de Paris mais homme de Napoléon III, Mgr Georges Darboy meurt fusillé par les derniers communards [1] en 1871. Sa cause de béatification, introduite en 1922, est alors écartée par Rome pour ne pas gêner le gouvernement Poincaré [2]. Puis Rome la réenvisage en 1937, en réponse aux exécutions de prêtres dans la guerre civile espagnole. Mais en 1939, le cardinal Verdier [3] bloque à nouveau la cause, au nom de l'unité nationale à préserver dans une heure dangereuse. En 1949, le cardinal Feltin et 54 autres évêques français demandent l'ouverture du procès de béatification de Mgr Darboy, en écho aux persécutions des chrétiens de l'Est ; dans sa réponse au cardinal, l'un de ces 54 fait de Darboy une victime du communisme : « À notre époque où le communisme se dresse de la même manière […], n'est-il pas opportun de glorifier ceux qui, en 1871, en furent les victimes ? ». Pie XII envisage favorablement la cause de Darboy. Jean XXIII aussi. Elle est donc introduite en 1964. Mais le cardinal Feltin change d'avis : Darboy, constate-t-il, fut un évêque trop politique, homme-lige du gouvernement du Second Empire ; le béatifier en oubliant les milliers d'autres Parisiens fusillés par les Versaillais serait un mauvais coup à l'Action catholique ouvrière d'aujourd'hui. En 1968, Mgr Marty, nouvel archevêque de Paris, demande à Rome d'oublier définitivement le dossier Darboy : il ne peut, écrit-il, oublier « la mort tragique de Mgr Darboy », mais il ne peut pas non plus oublier « la mort tragique de milliers de Parisiens morts de faim, morts dans le combat, morts dans la répression... » En 1998, 150ème anniversaire de la mort en 1848 de Mgr Affre, archevêque et républicain, le cardinal Lustiger propose de béatifier celui-ci en même temps que l'impérialiste Darboy ; l'idée n'aura pas de suite. En 2011, 150ème anniversaire de la Commune, la cause Darboy n'est plus évoquée par quiconque.

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 Pourquoi en parler ? Parce qu'un petit livre intitulé Mgr Darboy, du Pr Jacques-Olivier Boudon (Sorbonne), vient de paraître aux éditions du Cerf. Il contient des précisions intéressantes.

Mgr Darboy était en effet l'un des rouages du pouvoir impérial : nommé par Napoléon III [4] (et contre l'avis de Pie  IX) d'abord évêque de Nancy, puis archevêque de Paris, il est aussi grand aumônier de la Cour, sénateur en 1864, membre du conseil privé en 1869. Ce profil d'évêque gouvernemental est à rapprocher de l'avertissement d'Ozanam quelques années plus tôt :«Depuis qu'on a rendu au clergé un banc des évêques au conseil de l'université, depuis qu'on a cherché à faire des curés autant d'agents électoraux, nous [les évangélisateurs] perdons du terrain à Paris, et les prêtres respectés en février 1848 recommencent à être insultés dans les rues. L'Univers travaille de son mieux à l'impopularité de l'Eglise en cherchant querelle à ce qu'elle a de populaire, en attaquant, par exemple, le père Lacordaire pour réhabiliter l'Inquisition.»

Mgr Darboy épouse les contradictions de la politique impériale envers Rome, avec d'autant plus de facilité qu'il est gallican, donc mal avec Pie IX... À ce titre, il est l'objet de cabales et de dénonciations constantes (auprès de Rome) de la part des ultra-catholiques français, Louis Veuillot et son Univers [5] en tête.

D'où l'affaire Roy, révélée au public par le livre du Pr Boudon. Curé de Neuilly, l'abbé Pierre Roy est suspendu en 1862 par le cardinal Morlot, alors archevêque de Paris. Motif : Roy vit en concubinage au presbytère avec sa belle-soeur Anastasie. Pire : il connaissait cette personne avant de la marier à son frère, François Roy, et de les installer au presbytère de Neuilly ; découvrant la vraie raison de cette installation, le frère était parti en claquant la porte, laissant là l'épouse et le curé. Tout Neuilly en riait. Mais l'abbé Roy a trouvé une arme : il se réfugie dans l'ultramontanisme ! En cette époque où certaines formulations du pape Pie IX sont controversées par beaucoup d'évêques français, se poser en inconditionnel du Syllabus est un moyen de protection pour un curé en guerre contre son archevêque « libéral »[6]. Surtout si l'archevêque successeur du cardinal Morlot – est Mgr Darboy, gallican, futur chef de file de la minorité au concile Vatican I... [7]  En concertation avec Veuillot et son Univers, l'abbé Roy bombarde donc Rome de lettres dénonçant Mgr Darboy : l'archevêque n'a-t-il pas assisté aux obsèques du maréchal Magnan, dignitaire maçonnique ? (En fait il ne pouvait faire autrement, étant sénateur). En 1869, l'abbé Roy obtient – par un complice à la nonciature - copie d'une lettre sévère, mais absolument privée, de Pie IX à Mgr Darboy ; aussitôt « mondialisée » par le réseau ultra, cette lettre est divulguée dans trois journaux (québécois, suisse, belge), et bien entendu dans L'Univers de Veuillot, pour empêcher Pie IX de nommer Mgr Darboy cardinal [8]. L'irruption de Veuillot dans les relations secrètes entre le pape et un archevêque irritera Pie IX, comme souvent les balourdises des ultras. Mais trop tard.

Darboy mourra avant la fin de l'affaire Roy. Ayant su tenir bon jusqu'au début de la IIIe République, le curé post-concubinaire sera nommé chanoine du chapitre de Saint-Denis : « retraite dorée »,souligne le Pr Boudon...

 

Découvrir l'histoire telle qu'elle s'est réellement passée est indispensable, et n'entame pas la confiance qu'un catholique peut avoir dans la dimension surnaturelle de son Eglise. C'en est plutôt un signe : semper reformanda depuis deux mille ans, l'Eglise traverse victorieusement les équivoques – et, chaque fois, reçoit la grâce de rejeter les compromissions historiques pour se recentrer sur l'essentiel.

 

 

Jacques-Olivier Boudon :  Mgr Darboy, archevêque de Paris entre Pie IX et Napoléon III (188 p., Cerf, sept. 2011)

 

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[1] <<  Dès le 5 avril 1871, la Commune décide « que toutes personnes prévenues de complicité avec le gouvernement de Versailles […] seront les otages du peuple de Paris ». Elle précise en outre dans l’article 5 : « Toute exécution d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera, sur-le-champ, suivie de l’exécution d’un nombre triple des otages retenus […] et qui seront désignés par le sort. » Ce décret suscite l'indignation dans le camp versaillais, de même que chez Victor Hugo dans son poème Pas de représailles. Dans les rangs communards mêmes, cette mesure est souvent désapprouvée, ainsi par Prosper-Olivier Lissagaray, l’un des premiers historiens de la Commune, qui l’évoque comme une « razzia de soutanes ». Quelques jours plus tard, la Commune propose l’échange de Mgr Darboy contre le vieux révolutionnaire Auguste Blanqui prisonnier à Versailles. Les négociateurs versaillais manifestent peu d’empressement à répondre aux propositions des autorités parisiennes. La Commune réitère son offre à plusieurs reprises. Le 14 mai 1871, elle propose même de libérer les 74 otages qu’elle retenait à Paris contre la libération du seul Blanqui. Thiers refuse la proposition. Son secrétaire Barthélemy Saint-Hilaire ajoute : « Les otages ? Les otages, tant pis pour eux ! » Versailles reprend ses massacres de blessés et de prisonniers. La Commune n’applique d’abord pas son décret ; ce n’est qu’avec la Semaine sanglante que Théophile Ferré signe finalement l’ordre d’exécution de six otages, dont Mgr Darboy. Ils sont passés par les armes le 24 mai dans une cour de la prison de la Roquette. >> Après quoi Versailles et sa postérité affecteront de rendre un culte à la mémoire de Mgr Darboy.

[2]  Poincaré prie Rome de ne pas fournir cette arme à une gauche violemment anticléricale.

[3]  Archevêque de Paris, protecteur de la JOC, Jean Verdier mourra en 1940. En juin 1936, après la victoire du Front populaire, il a appelé les milieux catholiques français « à sacrifier nos rancœurs, nos préférences politiques ou sociales, et dans une certaine mesure nos intérêts eux-mêmes ».  Le cardinal secrétaire d'Etat Pacelli lui a transmis les félicitations de Pie XI pour ce communiqué.

[4] « Cet homme me va », dit l'empereur à son propos.

[5] Voir ici la note du 26/09 sur Frédéric Ozanam, lui aussi en butte à la haine de Veuillot.

[6] Le mot « libéral », au XIXème siècle et dans le contexte ecclésiastique, n'a pas le sens actuel. Il désigne le courant qui souhaite détacher le catholicisme de la nostalgie politico-religieuse d'Ancien Régime.

[7] Cette minorité reconnaît la notion (purement théologique) d'infaillibilité dans les questions - très rares - de dogme défini ex cathedra pour l'Eglise universelle. Mais elle juge sa proclamation politiquement inopportune et vouée aux malentendus.

[8] Manoeuvre suivie d'effet. Pie IX, pour ne pas donner le chapeau à Mgr Darboy (homme de Napoléon III), le donne à un membre de la famille impériale, l'abbé Lucien Bonaparte,malgré ses 39 ans et ses qualités intellectuelles « assez ordinaires » (Boudon).



Commentaires

BLANQUI ET DARBOY

> L'histoire de la négociation "Darboy contre Blanqui" (puis "tous les otages contre Blanqui") est instructive. D'abord parce que Blanqui était un infect personnage qui a vendu son propre réseau aux flics de Louis-Philippe en 1839 (PP explique ça dans son "Mont-St-Michel"). Ensuite parce que Thiers et sa bande vouent froidement Darboy et tous les otages à la mort. Versailles n'a pas peur de Blanqui (policièrement tenu, il l'a prouvé). Mais que les communards fusillent des otages, ça c'est bon pour la propagande de droite. Et s'ils n'ont pas trop envie de les fusiller au début, on les incitera en fusillant les prisonniers et les blessés de la Commune. A la fin, rage aveugle, désespoir, carnage, incendie. Et Gallifet.
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Écrit par : louis rossel / | 02/10/2011

TARDI

> Excellent Tardi ! L'image que propose "Le cri du peuple" de Mgr Darboy est d'ailleurs assez positive.
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 02/10/2011

ILLUSTRATION

> Bien de la politique et de l'opportunisme dans cette cahotante tentative de béatification, des exposés des motifs de relance ou d'abandon pas toujours en rapport avec la sainteté du serviteur de Dieu, comme on dit.
Cela va bien avec la carrière de certains évêques concordataires fonctionnarisés dont lui-même, bonne illustration du danger du concordat napoléonien.
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Écrit par : Pierre Huet / | 02/10/2011

EGLISE FONCTIONNAIRE

> Tout cela peut illustrer les problème de religion d'Etat, d'Eglise fonctionnarisée etc
Au Vénézuela, il y a 15 ou 20 ans l'Eglise a demandé de ne plus être religion d'Etat pour ne plus se trouver dans des situations compromettantes, pr ne plus être utilisée etc
Idem en Italie en 1982.
Cela illustre aussi que si la politique cherche à instrumentaliser l'Eglise, il y a aussi l'ingérence de la politique ds des affaires normalement purement spirituelles comme béatification, canonisation.
Cela me rappelle des faits que je porte à votre connaissance : en Bretagne bretonnante, fin 19e, les maires et préfets faisaient pression sur les recteurs (ainsi appelle t on les curés chez nous) pour que les élèves qui n'avaient pas de bonnes notes en français ne fassent pas leur première communion …
Un des mes aïeux était considéré comme un"rouge" comme on disait à l'époque parce que, maire de Saint-Servan (aujourd'hui englobé ds St Malo), il avait une politique sociale.
J'ai retrouvé des lettres courageusement anonymes : " si vous les nourrissez gratuitement, ils ne vont plus travailler et vous serez cause de l'augmentation des prix et de l'expansion de l'esprit de paresse !"
Il y a eu des cabales ...
La Commune est une mouvement de masse : il y a donc de tout. De la rage devant l'injustice et une réelle haine nihiliste mais dans ce dernier cas, cela ne venait pas des éléments populaires mais des éléments doctrinaires donc instruits. Les décideurs au sein de la Commune ne sont pas des prolétaires
Pour les prêtres exemplaires de charité et fusillés par la Commune on peut parler de l'abbé Planchat.
Pour montrer que tous les prêtres n'étaient pas des vendus mais étaient préoccupés de charité, on peut citer le cas d'un prêtre, à st Eustache je crois, qui a été sauvé et caché par les poissonnières des Halles venues le réclamer.
Rappelons que parmi les plus acharnés à vouloir faire condamner les Communards on peut nommer : évidemment Thiers-la-girouette, Flaubert et même Emile Zola, George Sand malgré ce que prétendent leurs thuriféraires bien embarrassés
Et parmi les plus engagés à faire adopter des mesures de clémence : Albert de Mun, un catholique social...
Les calculs politiques ont fait que les républicains ont rejoint des monarchistes comme Daudet et étaient les plus acharnés à réclamer la répression la plus dure car ils voulaient donner au régime qu'ils appelaient de leurs vœux, une image de fermeté, le détacher de l'image 1793-Robespierre.
Sauf que fermeté n'est pas barbarie.
Des prêtres mondains et des prêtres charitables, des malheureux poussés à bout et des doctrinaires, des calculateurs, des égoïstes, une situation politique épouvantable, l'année terrible
Une époque dont l'étude demande beaucoup de prudence.
Mgr Darboy n'était pas un Mgr Affre.
Celui-là ça vaudrait le coup d'en parler.
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Écrit par : zorglub / | 03/10/2011

ALBERT DE MUN

> Albert de Mun? il a participé à la répression de la Commune ! Il a laissé des mémoires, "Ma vocation sociale", où il fait retour sur ce moment critique de sa vie.
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Écrit par : Blaise Join-Lambert / | 03/10/2011

> Après Khomeiny libérateur et Ozanam méprisant les pauvres, voilà donc Albert de Mun complice de Galliffet
Comme des blogueurs ont déjà essayé de vous le faire comprendre, vous êtes un as des raccourcis et des contre-sens. Je vous invite donc à tourner votre clavier sept fois dans votre bouche avant de taper.
Si avec La Tour du Pin, il avait déjà décidé à l'automne 1870, de vouer toute sa vie à ce qu'on n'appelait pas encore le catholicisme social (du moins en France car cela existait déjà en Allemagne) en faveur des ouvriers, c'est la répression de la Commune au printemps 1871 qui justement l'a poussé à accélérer la fondation des cercles catholiques ouvriers ce qu'il a fait 6 mois plus tard…
On imagine mal la même personne participant aux exécutions sommaires de gens qui passaient par là au milieu desquels des femmes enceintes : "youpi tralala ! Je vais fusiller des communards car je suis un bon catho qui aime les ouvriers !"
Il a vu notamment un Communard blessé crier des accusations contre les Versaillais : "les insurgés contre la Justice c'est vous!"
Qu'il ait jugé comme beaucoup, pour ne pas dire comme tous à l'époque qu'étant données les circonstances l'option militaire était la seule possible pour mettre fin à la situation, ne signifie pas qu'il ait approuvé le gouvernement versaillais (régime républicain depuis le 4 septembre alors que lui était royaliste), ni qu'il ait été contre toutes les idées sociales de la Commune ni surtout qu'il ait participé et été favorable au fait de tirer dans le tas.
Il y a une différence entre les deux.
Il n'a cessé ensuite de réclamer l'amnistie pour les Communards. Il n'avait pas de mot assez durs contre les membres des classes dirigeantes, leur libéralisme et leur esprit voltairien.
Pour lui, l'esprit libéral de la révolution française est le grand responsable de la misère ouvrière (des penseurs cathos en étaient déjà arrivé à cette conclusion dès 1830 et condamnaient la "libre concurrence absolue" que créait l'absence d'organisation ouvrière et qui laissait les ouvriers seuls, désarmés), à commencer par la misère morale qui le réifie
Si je vous cite la phrase de de Mun : " le socialisme c'est la révolution logique; nous, nous sommes la contre-révolution irréconciliable"
Que comprenez-vous ?
Enfin si des idées des cathos sociaux du 19e nous paraissent qqfois paternalistes, insuffisantes ou encore vieillottes que sais-je, n'oublions pas d'une part que l'Eglise cherche d'abord à répondre à des situations qu'elle n'a pas choisies, que l'Eglise est en marche et que le raisonnement catholique social ne cesse de s'affiner
Albert de Mun est un cas intéressant car il avait pensé créer un "Zentrum français" avant d'être éclairé par le pape et de comprendre que l'urgence était d'abord d'évangéliser la France.
Il proposait une législation internationale du travail … en 1884.
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Écrit par : zorglub / | 04/10/2011

QUESTION DE BORD ?

> Donc, Mgr. Darboy bien que fusillé n'est pas un martyr parce qu'il n'était pas du "bon" bord? Eh bien... Heureusement que le Vatican n'a pas fait preuve de la même attitude vis-à-vis des prêtres exécutés par les républicains espagnols.

F.


[ De PP à F. - Non. Vous ne m'avez pas compris. C'est donc que je me suis mal exprimé. Reprenons :
- on n'est pas canonisé pour des idées, et on n'est pas martyr si on a été tué pour des raisons politiques.
- les religieux et prêtres espagnols ont été tués en haine de la foi, raison pour laquelle Rome les a déclarés martyrs.
- Mgr Darboy a été fusillé parce qu'il faisait partie du système politique impérial, ce qui n'a strictement rien à voir avec le spirituel. ]

réponse au commentaire

Écrit par : Fortunato / | 02/11/2011

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