21/09/2011
"La banque qui a ruiné 5000 communes françaises"
Libération accuse Dexia et déchaîne une polémique :
Autrefois il y avait une banque paisible qui s'appelait Crédit local de France, et qui finançait les collectivités. Vint le délire des années 1990, quand le capitalisme (croyant avoir vaincu par ses propres mérites « l'étatisme totalitaire ») franchit un seuil : avec la complicité des classes politiques, il imposa partout la dérégulation. La sphère financière put se détacher de l'économie réelle pour devenir casino. Les banques paisibles cessèrent de l'être [1]. Ainsi – comme presque toutes les autres – le Crédit local de France... Se rebaptisant Dexia [2], il se lança dans la grande magie. Ce fut le remplacement des prêts à taux fixes par les « prêts structurés », que Libération accuse d'être un piège : « Les taux sont calculés en fonction de formules absconses, à partir d'indices financiers très variés... Et là, on entre dans un monde de fous, où tout événement mondial ayant des répercussions économiques (catastrophe de Fukushima, décision de la Banque centrale suisse) peut renchérir les remboursements d'une commune française. [3]»
Qu'elles soient présidées par la droite, le centre, le PS ou le PCF, 5500 collectivités locales – selon Libération – allaient être prises au piège de « prêts toxiques » (voir la carte géographique sur liberation.fr). Dexia allait se mettre sous la coupe de mégabanques-casino comme Goldman Sachs, en leur achetant des swaps (contrats d'échange). D'ici à 2009, des centaines de millions d'euros allaient passer – via Dexia – des mains des collectivités locales dans celles des mégabanques, et Dexia elle-même se retrouver dans la seringue, malgré son SOS à l'Etat français en 2008. Et les collectivités locales concernées ? Mises au bord de la faillite par la flambée des taux d'intérêt, et n'ayant pas le droit de présenter des budgets en déséquilibre, elles n'ont d'autre issue que de saquer leurs investissements et d'alourdir leurs impôts. Tout ça retombera sur la tête des contribuables. Certains prêts toxiques courent jusqu'en 2030, affirme Libération...
Les libéraux n'en conviendront jamais : dans cette logique, ce sont les dingueries de la spéculation qui provoquent l'augmentation des impôts locaux et le gel des investissements d'avenir.
Les responsables des collectivités piégées comparaîtront aujourd'hui à l'Assemblée nationale devant la commission d'enquête sur « les produits financiers à haut risque souscrits par les acteurs locaux ».
Folie du système !
Quant aux Français, notamment catholiques, ils ont le choix entre deux attitudes.
- Ils peuvent réunir des colloques avec le cercle des somnambules, réciter les incantations d'un libéralisme imaginaire pour conjurer la réalité [4], et se garder de mentionner les produits financiers parmi les outrages à sainte Subsidiarité (l'une des Onze Mille Vierges)... bien que les emprunts Dexia aient été souscrits par des collectivités locales, aussi « subsidiaires » que possible.
- Ils peuvent aussi regarder la réalité en face, comme le font les évêques français avec le livret Grandir dans la crise (Cerf 2011).
Tous aux journées de réflexion de Lyon, les 18-19-20 novembre : "Objection de croissance et christianisme", avec 'L'espace Saint Ignace' et 'Chrétiens & pic de pétrole' ! Lieu : Espace culturel Saint-Marc, 10 rue Sainte-Hélène, Lyon. Information et inscription : www.chretiens-et-pic-de-petrole.org
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[1] « A la fin des années 90 et au début des années 2000, les collectivités s'étant fortement désendettées, les banques avaient moins de business et ont dû réduire leurs marges à zéro. Pour se refaire, elles ont alors imaginé des produits de plus en plus exotiques, qui avaient l'avantage, vu leur opacité, d'apparaître comme peu chers. Elles les ont proposé aux responsables de collectivités qui pensaient faire de bonnes affaires; En fait, ils étaient roulés dans la farine ! Le système s'est ensuite généralisé : les banques ont proposé aux collectivités de renégocier leur dette existante. Même les communes de 5000 habitants ont été approchées. » (Michel Kopfler, consultant en finances locales, Libération, 21/09).
[2] c'était l'époque où les firmes prenaient des noms du genre Abrakadabra, Kookoo, Zardoz, GoldenDawn : on entrait dans l'ère de l'occultisme financier.
[3] Nicolas Cori, Libération, 21/09.
[4] Mais qu'ils ouvrent un peu les fenêtres sur l'extérieur ! Être étrangers à la réalité (donc aux gens) n'est pas bon pour l'évangélisation : saint Paul le disait déjà il y a deux mille ans.
10:58 Publié dans La crise, Social, Société | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : la crise, collectivités locales, christianisme, catholicisme
Commentaires
LE TEMPS VIENDRA
> Viendra un temps, et j'espère qu'il est proche, où il faudra bien juger tous ces hommes qui nous ont menés là : les juger vraiment, non comme des boucs-émissaires, mais comme des responsables qui ont failli, menti, et manipulé sciemment. Et parmi eux, tous ces catholiques libéraux qui depuis 1848, ont trahi mille fois le peuple et leurs idéaux de charité, au nom de l'Ordre et de la propriété privée sacralisée.
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Écrit par : JG / | 21/09/2011
COUPEE
> Faut il faire le lien avec cette info ?
http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2011/09/21/97002-20110921FILWWW00437-une-ville-ne-paie-plus-l-electricite-coupee.php
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Écrit par : marc / | 21/09/2011
DISCUSSION
> Je travaille pour une grosse association œuvrant dans l'action sociale, et dépendant en partie du financement des collectivités locales. Je n'ai aucun lien ni de près ni de loin avec Dexia, si ce n'est que je lis avec intérêt leur rapport sur les finances locales.
J'avais suivi de près les révélations de prêts toxiques, il y a deux ans il me semble.
À l'époque, le président du CG93 avait clairement accusé Dexia. Il s'est révélé par la suite que c'est auprès d’autres banques que ce CG avait contracté des prêts toxiques. Les prêts Dexia au CG93 s'étaient semble-t-il révélés sains. (je m'en tiens à ce que j'avais lu dans la presse à l'époque).
D'autre part, les prêts structurés permettent généralement de faire baisser les taux d'intérêt en échange d'une prise de risque. Il est apparu que des élus avaient choisi d'ignorer et masquer cette prise de risque volontaire pour pouvoir se présenter comme bons gestionnaires à court terme.
Enfin les collectivités locales, disons les grosses communes, les départements et les régions, se montrent capables de monter et disséquer des appels d'offre ou à projet d'une très grandes sophistication, de démonter entièrement en bon mécanicien des budgets, et d'en vérifier une à une les pièces détachées, de contrôler finement l’exécution d'une prestation et son coût réel, mais pas de lire un contrat de prêt ?
Je ne nie pas que le problème existe.
Il me semble qu'en accuser uniquement Dexia est réducteur et faux. Dexia n'a pas le monopole du prêt aux collectivités locales, et ne semble pas avoir une approche particulièrement vorace du marché d'après ce que je peux voir. (là encore, je m'en tiens à des sources ouvertes.)
Il me semble aussi qu'en dédouaner nos élus nécessite une extrême bienveillance qui touche à la naïveté.
En tant que citoyen, je m'intéresserais davantage à la gestion de nos collectivités locales, à son cadre, et à son contrôle administratif et démocratique.
Très cordialement
[ De PP à C. - Je comprends vos scrupules, et les élus locaux sont naturellement critiquables. Mais dédouaner l'industrie financière serait plus absurde que de dédouaner ses victimes plus ou moins consentantes ! je vous invite à lire les dossiers qui paraissent sur cette affaire. ]
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Écrit par : Christophe / | 21/09/2011
PIRE QU'AVANT 2008
> Ça fait depuis 2008 que les économistes leur répètent qu'ils doivent se recentrer sur les missions "traditionnelles" des banques: prêt, épargne... et non pas vendre du rêve, genre produits miracles qui font gagner de l'argent comme par magie. Je persiste à croire que banquier, c'est un beau métier, mais à condition de le faire dans un esprit éthique. Le système actuel est fondé sur le too-big-to-fail. En gros, on va faire toute les âneries qu'on veut et l'Etat va nous renflouer parce que sans nous il est foutu. Tant pis pour les pecnos qui se seront fait rouler. Oui, sauf que le jour où l'Etat n'aura plus d'argent...
Non seulement ils n'ont pas tiré les leçons de la crise de 2008 mais en plus ils font pire qu'avant.
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Écrit par : CB / | 21/09/2011
POURQUOI ON A MENTI AUX FRANCAIS SUR LA VRAIE NATURE DE L'UNION EUROPEENNE
> http://archives.lesoir.be/grand-jury-rtl-le-soir-jacques-delors-conserve-sa-foi-d_t-20040202-Z0P0JR.html
Tout à fait d'accord avec vous JG. Jacques Delors a dit en 1994 refuser de se présenter à la Présidentielle car il faudrait trop "mentir aux Français". Si on est d'accord avec son choix cela signifie que d'autres (ceux qui ont été élus depuis) ont donc menti aux Français. Et quels étaient ces mensonges? M Delors serait bien inspiré de nous les révéler. Si l'on est pas d'accord avec ce choix (ne pas se présenter) se pose alors la question: mais pourquoi donc eut-il fallu mentir aux Français? Serait-ce donc qu'on avait quelque chose à leur cacher? Et quoi donc? Que le merveilleux programme que nous préparait M. Delors c'était l'Union Economique et Monétaire qui est une union ultralibérale? Et que l'ancien directeur de cabinet de M Delors à la Commission était monsieur Pascal Lamy qui a ultra-libéralisé les échanges mondiaux? Et que si on avait révélé cela aux Français ils n'auraient pas été du tout d'accord? Mais alors pas du tout? Que si on leur avait expliqué en français clair et compréhensible par le citoyen lambda que des phrases comme par exemple: "Parce que la défaillance d'un Etat, ou la monétisation de sa dette, compromettrait la stabilité monétaire de l'ensemble, la discipline budgétaire des Etats membres est une composante nécessaire de l'Union économique et monétaire" (Que sais-je? 'La Monnaie unique', Armand-Denis Schor, Puf octobre 1996 page 71) veut dire en réalité: s'il le faut on taillera dans les dépenses sociales, on rognera sur tous les budgets, vos médicaments seront dé-remboursés, il y aura moins d'infirmières à l'hôpital, vos enfants iront à l'école dans une classe de 40 élèves...
Et bien ils auraient très certainement dit non; alors on leur a menti pour éviter qu'ils disent non.
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/09/07/la-demondisalisation-inquiete-les-partisans-d-un-liberalisme-aux-abois_1568675_3232.html
http://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-ps-a-embrasse-tres-tot-la-doxa-neoliberale_256641.html
http://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-ps-a-embrasse-tres-tot-la-doxa-neoliberale_256641.html?p=2
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Écrit par : Nicolas Dangoisse / | 21/09/2011
@ Nicolas Dangoisse,
> sur Delors: mais qu'est ce qui l'a empêché de dire la vérité aux Français puisqu'il la connaissait?
Alors, que pourrais-je répondre à quelqu'un qui me dirait que les catholiques sont des faux-jetons soumis au capitalisme?
A l'aide!
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Écrit par : Pierre Huet / | 21/09/2011
PAS INUTILE
> Pas inutile de regarder qui étaient les actionnaires de Dexia à l'époque. Les 4 plus gros (qui contrôlaient de facto la banque):
- Les syndicats chrétiens flamands
- Les communes belges
- Ethias (assureur mutualiste du secteur public, très proche du parti socialiste)
- La Caisse des Dépôts et Consignations
D'une certaine manière, le secteur public s'est tiré tout seul une balle dans le pied.
A.
[ De PP à A. :
- à condition de considérer les syndicats belges comme le secteur public, et d'oublier que le choix de produit financier fait par les communes a été aussi calamiteux que quand il a été fait, de leur côté, par des agents économiques privés. S'en prendre toujours et exclusivement au public mènerait à ne pas voir l'ensemble de la situation.
- D'autre part, le Crédit local français avait pris son virage tout seul et à l'imitation de toutes les autres banques privées. ]
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Écrit par : arnaud / | 22/09/2011
REVENIR AU BON SENS
> Sur les dirigeants emportés par cet aveuglement général:
1) l'informatique et les télécommunications ont poussé à un degré caricatural la vieille tendance à la fluidification de l'argent, haussant à un degré sans précédent la "fortune anonyme et vagabonde que dénonçait déja le comte de Chambord. Que dirait-il de nos jours...
2) La construction de produits financiers d'une invraisemblable complexité, mis au point dans un processus plus ou moins ludique par de jeunes mathématiciens, et tout aussi incompréhensibles par les patrons de banque eux-mêmes que par leurs clients brouille les processus de décision. Lire la 'Lettre ouverte aux bandits de la finance' de Jean Montaldo.
Il en va en fin de compte de la finance comme de la guerre moderne: on finit par confondre avec un jeu video, mais les dégâts, eux, ne sont pas virtuels mais bien réels.
Alors, il faut revenir au bon sens: finalement, une des racines de cette catastrophe est que tout le monde, et davantage les pouvoirs publics à tous niveaux que les particuliers, veut fonctionner au dessus de ses moyens par le biais de l'endettement, par exemple par électoralisme, ou aussi par soucis social. Est-ce être ultralibéral de dire que ce report systématique des charges sur les successeurs est immoral?
PH
[ De PP à PH- Mais si "tout le monde veut vivre au dessus de ses moyens", c'est parce que la société globale (consumériste) pousse à cette hyperdépense par endettement. C'est le climat général obligatoire... N'oublions pas ce facteur, psychologiquement contraignant et déterminant en dernière instance. ]
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Écrit par : Pierre Huet / | 22/09/2011
@ Pierre Huet
> « L'économie ne fonctionne pas seulement selon une autorégulation mercantile mais elle a besoin d'une raison éthique de façon à fonctionner en vue de l'homme. » Benoît XVI, JMJ de Madrid août 2011
Que dire? Il y a des catholiques de gauche et des catholiques de droite, ce qui est légitime.
Il y a des catholiques libéraux de droite; et il y en a de gauche.
Pour la droite voici un exemple: http://aecfrance.new.fr/ Allez voir leur manifeste.
Pour la gauche il y a Jacques Delors (à mon avis) et Pascal Lamy. Jacques Delors se battrait contre l'utralibéralisme ? http://www.liberation.fr/economie/0101207627-alter-eco-jacques-delors-se-bat-contre-l-ultra-liberalisme
Je ne suis pas convaincu par cette lutte de J. Delors. Je ne suis convaincu ni par les catholiques libéraux de droite ni par ceux de gauche. Quand on regarde les faits, comme le rapporte Jean-Pierre Chevènement c'est bien Jacques Delors qui a fait rentrer le loup dans la bergerie. Et c'est bien Pascal Lamy qui dirige l'OMC.
Chacun interprète la doctrine sociale de l'Eglise à sa manière. Il y a, à mon avis des interprétations qui sont erronées.
Quand l'Association des économistes catholiques vous dit : « Ils [les économistes catholiques] rappellent avec Jean-Paul II que « l'erreur fondamentale du socialisme est de caractère « anthropologique » (Centesimus Annus §13) et que l'échec du socialisme réel vient de la violation des droits humains, à l'initiative, à la propriété et à la liberté dans le domaine économique » (Centesimus Annus §24) », vous vous dites le libéralisme l'emporte.
Si vous lisez effectivement Centesimus Annus vous trouvez également ce qui suit: « En revenant maintenant à la question initiale, peut-on dire que, après l'échec du communisme, le capitalisme est le système social qui l'emporte et que c'est vers lui que s'orientent les efforts des pays qui cherchent à reconstruire leur économie et leur société ? Est-ce ce modèle qu'il faut proposer aux pays du Tiers-Monde qui cherchent la voie du vrai progrès de leur économie et de leur société civile ? La réponse est évidemment complexe. Si sous le nom de capitalisme on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l'entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu'elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s'il serait peut-être plus approprié de parler d'économie d'entreprise, ou d'économie de marché, ou simplement d'économie libre. Mais si par capitalisme on entend un système où la liberté dans le domaine économique n'est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale et la considère comme une dimension particulière de cette dernière, dont l'axe est d'ordre éthique et religieux, alors la réponse est nettement négative. »
Donc lorsque vous lisez ceci: « Mais si par 'capitalisme' on entend un système où la liberté dans le domaine économique n'est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale », vous ne pouvez pas en déduire que le gigantesque mouvement de dé-régulation jusqu'à l'absurde qui est apparu il y a trente ans est forcément et inéluctablement compatible avec la doctrine sociale de l'Eglise.
Quand l 'Association des économistes catholiques vous dit: « Ils [les économistes catholiques] rappellent avec Jean-Paul II que « l'erreur fondamentale du socialisme est de caractère « anthropologique » (Centesimus Annus §13) et que l'échec du socialisme réel vient de la violation des droits humains, à l'initiative, à la propriété et à la liberté dans le domaine économique » (Centesimus Annus §24) », à mon avis ils jouent sur les mots.
On ne peut pas tronquer la doctrine sociale de l'Eglise et Paul VI dans sa lettre Octogesima Aveniens de 1971, citée par Benoît XVI dans Caritas in Veritate ( http://www.vatican.va/holy_father/paul_vi/apost_letters/documents/hf_p-vi_apl_19710514_octogesima-adveniens_fr.html ) dit : « Aussi le chrétien qui veut vivre sa foi dans une action politique conçue comme un service, ne peut-il, sans se contredire, adhérer à des systèmes idéologiques qui s’opposent radicalement, ou sur des points substantiels, à sa foi et à sa conception de l’homme : ni à l’idéologie marxiste, à son matérialisme athée, à sa dialectique de violence et à la manière dont elle résorbe la liberté individuelle dans la collectivité, en niant en même temps toute transcendance à l’homme et à son histoire, personnelle et collective ; ni à l’idéologie libérale, qui croit exalter la liberté individuelle en la soustrayant A toute limitation, en la stimulant par la recherche exclusive de l’intérêt et de la puissance, et en considérant les solidarités sociales comme des conséquences plus ou moins automatiques des initiatives individuelles et non pas comme un but et un critère majeur de la valeur de l’organisation sociale. »
Il ajoute: « D’autre part, on assiste à un renouveau de l’idéologie libérale. Ce courant s’affirme, soit au nom de l’efficacité économique, soit pour défendre l’individu contre les emprises de plus en plus envahissantes des organisations, soit contre les tendances totalitaires des pouvoirs politiques. Et certes l’initiative personnelle est à maintenir et à développer. Mais les chrétiens qui s’engagent dans cette voie n’ont-ils pas tendance à idéaliser, à leur tour, le libéralisme qui devient alors une proclamation en faveur de la liberté ? Ils voudraient un modèle nouveau, plus adapté aux conditions actuelles, en oubliant facilement que, dans sa racine même, le libéralisme philosophique est une affirmation erronée de l’autonomie de l’individu, dans son activité, ses motivations, l’exercice de sa liberté. C’est dire que l’idéologie libérale requiert, également, de leur part, un discernement attentif. »
Paul VI ajoute également: « Aujourd’hui des chrétiens sont attirés par les courants socialistes et leurs évolutions diverses. Ils cherchent à y reconnaître un certain nombre d’aspirations qu’ils portent en eux-mêmes au nom de leur foi. Ils se sentent insérés dans ce courant historique et veulent y mener une action. Or, selon les continents et les cultures, ce courant historique prend des formes différentes sous un même vocable, même s’il a été et demeure, en bien des cas, inspiré par des idéologies incompatibles avec la foi. Un discernement attentif s’impose. Trop souvent les chrétiens attirés par le socialisme ont tendance à l’idéaliser en termes d’ailleurs très généraux : volonté de justice, de solidarité et d’égalité. Ils refusent de reconnaître les contraintes des mouvements historiques socialistes, qui restent conditionnés par leurs idéologies d’origine. Entre les divers niveaux d’expression du socialisme - une aspiration généreuse et une recherche d’une société plus juste, des mouvements historiques ayant une organisation et un but politiques, une idéologie prétendant donner une vision totale et autonome de l’homme -, des distinctions sont à établir qui guideront les choix concrets. Toutefois ces distinctions ne doivent pas tendre à considérer ces niveaux comme complètement séparés et indépendants. Le lien concret qui, selon les circonstances, existe entre eux, doit être lucidement repéré, et cette perspicacité permettra aux chrétiens d’envisager le degré d’engagement possible dans cette voie, étant sauves les valeurs, notamment de liberté, de responsabilité et d’ouverture au spirituel, qui garantissent l’épanouissement intégral de l’homme. »
Je n'en conclus pas comme l'économiste de l'Association des économistes catholiques Philippe Chalmin sur le plateau de KTO face à Christine Boutin qu'un catholique ne peut faire autrement que d'être libéral. Je pense donc que l'Association des économistes catholiques joue sur les mots (jouer sur les mots: « ce courant historique prend des formes différentes sous un même vocable ») en amalgamant sous le mot « socialisme » le communisme funeste qu'ont connu les pays de l'Est (et que connaissent encore certains pays) et toutes les autres formes de « socialisme ». (« En revenant maintenant à la question initiale, peut-on dire que, après l'échec du communisme, le capitalisme est le système social qui l'emporte...? » Jean-Paul II précédemment cité)
Je pense donc que l'on peut être catholique et socialiste au sens où l'entend Paul VI. (Je ne suis ni de gauche ni de droite, mais je tiens à rappeler une vérité qui est souvent niée parmi les catholiques français; un exemple : http://www.ichtus.fr/ichtus_article_impression.php3?id_article=253 )
Un économiste catholique libéral à qui j'ai fait cette remarque que Paul VI ne condamnait pas le socialisme m'a répondu en substance que Paul VI était mal formé en économie. Je lui ai fait remarquer que le libéralisme reposait sur l'égoïsme, l'individualisme, l'utilitarisme... et il m' a répondu que l'économiste ultra libéral Friedrich Hayek était opposé au libéralisme classique qui repose sur l'utilitarisme pour les mêmes raisons que Jean-Paul II. Mais il m'a par ailleurs défendu l'économie de Jérémy Bentham, un des penseurs de l'utilitarisme...
Maintenant le libéralisme proprement dit: le père du libéralisme est Adam Smith. Il était utilitariste. Un ami de Karol Wojtyla, Georges Kalinowski ( http://www.libertepolitique.com/les-extraits-de-la-revue-liberte-politique/4538-le-cercle-des-philosophes-de-lublin ) nous dit dans « Initiation à la philosophie morale » (mars 1966, Société d''Editions Internationales, page 62-63) : « Les morales du plaisir et du bonheur (morales hédonistes ) [...] John Stuart Mill, philosophe, moraliste, logicien et économiste anglais, se rattache à cet hédonisme moderne auquel il donné lui-même le nom d'utilitarisme dans l'ouvrage portant le titre 'The Utilitarisme'. L'utilitarisme avant la lettre s'épanouit au XVIII s. en Angleterre (Hume, Hartley, Priestley, Paley, Bentham) et en France (Helvetius). Leur hédonisme diffère de celui des Anciens par son caractère social. Alors que les Cyrénéens (petite parenthèse il s'agit de ces gens que Michel Onfray appelle les cyrénaïques dont il nous raconte sur les ondes tout le bien qu'il pense) (disciples d'Aristippe) et les épicuriens n'étaient préoccupés que du bonheur de l'individu, les utilitaristes anglais et français du XVIII s. se soucient à la fois de l'intérêt (nom qu'ils donnent au plaisir) de l'individu et de celui de tous les membres de la société. Leur morale reste cependant toujours fondée sur un sentiment d'égoïsme bien qu'elle revête tantôt un aspect pessimiste tantôt un aspect optimiste. Les optimistes (Hartley, Adam Smith , à la fois moraliste et économiste dont l'ouvrage traduit en français sous le titre « Recherche sur la nature et les causes de la Richesse des nations » fonde le libéralisme classique croient à la suite de Bernard de Mandeville (auteur du Conte des Abeilles) que l'harmonie entre l'intérêt individuel et l'intérêt collectuf se réalise spontanément. » L'école classique (libérale du XVII s.) en économie est fondée sur l'utilitarisme... et l'école néo-classique (libérale du XIX s.) est fondée sur l'école classique (« L'hypothèse de maximisation de l'utilité qui sous-tend ses calculs économiques la rattachent au courant marginaliste né à la fin du XIXe siècle. » .http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_n%C3%A9oclassique ) A vous de juger.
Vous pourrez lire à l'adresse suivante, un post que j'ai laissé sur ce que pensait Karol Wojtyla de l'utilitarisme et de sa compatibilité avec l'Evangile : http://plunkett.hautetfort.com/archive/2009/09/02/et-maintenant-le-medef-parle-d-ethique-et-de-spirituel.html
J'en reviens à mon économiste qui m'a répondu que Jean-Paul II était opposé à l'utilitarisme pour les mêmes raisons que l'économiste ultra-libéral Friedrich Hayek ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Friedrich_Hayek http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_autrichienne_d%27%C3%A9conomie )
Il est vrai que Jean-Paul II réfute l'utilitarisme en se fondant sur la critique qu'en a fait le philosophe allemand Emmanuel Kant (cf. Amour et Responsabilité). Pour autant, on ne peut être kantien et catholique, d'une part. Friedrich Hayek se déclarait kantien, et l'Ecole Autrichienne en économie à laquelle il appartenait repose sur le kantisme (http://www.wikiberal.org/wiki/Emmanuel_Kant )
D'autre part Hayek niait la notion même de justice sociale ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Friedrich_Hayek#Critique_de_la_notion_de_.C2.AB_justice_sociale_.C2.BB )
La doctrine sociale de l'Eglise à l'inverse affirme le bien fondé de la notion de justice sociale : « La doctrine sociale comporte également un devoir de dénonciation, en présence du péché: c'est le péché d'injustice et de violence qui, de diverses façons, traverse la société et prend corps en elle.120 Cette dénonciation se fait jugement et défense des droits bafoués et violés, en particulier des droits des pauvres, des petits, des faibles; 121 elle s'intensifie d'autant plus que les injustices et les violences s'étendent, en touchant des catégories entières de personnes et de vastes zones géographiques du monde, entraînant ainsi des questions sociales comme les abus et les déséquilibres qui affligent les sociétés. Une grande partie de l'enseignement social de l'Église est sollicitée et déterminée par les grandes questions sociales dont elle veut être une réponse de justice sociale. » ( http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/justpeace/documents/rc_pc_justpeace_doc_20060526_compendio-dott-soc_fr.html )
Si cela vous intéresse vous pouvez essayer de vous procurer le livre « la dérive totalitaire du libéralisme » de Michel Schooyans ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Schooyans http://www.pass.va/own/documents/passacademicians.html ) L'ouvrage est quasiment introuvable (essayez priceminister). On en parle là : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/assr_0335-5985_1993_num_82_1_1655_t1_0338_0000_4
J'ai laissé un post sur cet ouvrage là : http://plunkett.hautetfort.com/archive/2009/09/17/le-capitalisme-est-une-forme-de-spiritualite-dangereuse-et-l.html
Vous pouvez aussi vous procurer le « Que-sais-je? » sur la Doctrine sociale de l'Eglise. Il est très bien fait, très équilibré, et relate la matière dans tous ces aspects tant liés aux question sociétales que sociales. Là aussi il est quasiment introuvable.
Que dire alors à ceux qui vous disent que les catholiques « sont des faux-jetons soumis au capitalisme? » Leur faire la publicité de la doctrine sociale de l'Eglise ni plus ni moins, et leur rappeler que tous les catholiques ne sont pas libéraux mêmes si certains le sont.
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Écrit par : Nicolas Dangoisse / | 22/09/2011
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